Texte
lu en léglise du Vu à Nice
le 26 mars 2003
par Jean Louis Siben
Comme chaque année, lévènement
dramatique de la fusillade de la rue dIsly et de la Grande Poste
à Alger du 26 mars 1962 est commémoré partout en
France par notre communauté.
Hier soir le Président de lAssociation
Souvenir du 26 mars 1962 a ravivé la flamme sous lArc de
Triomphe : quel symbole !
Revivons ce jour tragique.
Les accords dEvian, censés
redonner la paix à lAlgérie meurtrie depuis 7 ans,
sont signés depuis à peine 8 jours quils sont déjà
violés..
Le cessez-le-feu, le 19 mars par lArmée
Française a été compris comme un appel au meurtre
par les bandes FLN, plus ou moins incontrôlées et même
opposées les unes aux autres, mais promptes à sengouffrer
dans le vide et lanarchie créés par le retrait de
lArmée, surtout dans le bled contre les partisans de la
France, Harkis en particulier.
A Alger, les importantes forces de lordre,
renforcées pour lutter contre lOAS, sont déjà
en relation avec le FLN depuis plusieurs mois : Elles font désormais
de celui-ci un partenaire pour mâter la population européenne,
hostile à ces accords bâclés, véritable capitulation
politique annonciatrice dun abandon total.
Depuis le 23, lArmée a bouclé
hermétiquement le quartier populaire de Bab-el-Oued pour y rechercher
des commandos OAS, en vain dailleurs.
Cest une opération de guerre,
sous le mitraillage des avions et les tirs des blindés.
La fouille est brutale : la population
vit tous volets fermés, les magasins et les appartements sont
mis à sac, les décorations piétinées, les
hommes et adolescents emmenés pour interrogatoire : le quartier
est dévasté et la population écrasée.
Dans la matinée du 26, un mot dordre
se propage : grève générale après-midi
et rassemblement place de la Poste à 14 heures pour former un
cortège pacifique avec drapeaux, qui marchera vers Bab-el-Oued
en silence, pour manifester la solidarité de toute la ville avec
les malheureuses familles captives.
La population adhère immédiatement
malgré linterdiction de la manifestation par le Préfet,
et tout se ferme dans la ville à partir de midi, magasins, administration,
cafés.
Bien avant 14 heures des groupes dhommes,
de femmes, denfants, en famille, se dirigent vers le centre avec
des drapeaux : ils sont filtrés par de forts barrages de
CRS, gendarmes mobiles, visages durs, qui laissent passer mais pas revenir :
on ne sort de la nasse que par la rue dIsly, à peine barrée
par un mince cordon de tirailleurs.
Vite formé Place de la Poste, le
cortège sébranle vers cette issue, les tirailleurs
se replient après quelques discutions et se placent rue dIsly
et face à la Poste mitraillette et fusil-mitrailleur à
la hanche, chargés.
Le cortège poursuit son chemin,
drapeaux en avant dans un silence impressionnant : on entend que
le piétinement de la foule.
La tête est déjà loin,
au-delà de la Place Bugeaud, quand, dun coup, sans avertissement,
les soldats ouvrent le feu place de la Poste, à bout portant,
à 14 heures 50 : le vacarme éclate assourdissant,
infernal.
Les gens se couchent ou courent vers le
moindre abri, une façade, une encoignure, un caniveau, les rafales
atteignent inexorablement, des mares de sang se forment partout, les
plaintes et les cris sont couverts par les détonations ;
des blessés seront achevés, des sauveteurs tués.
Jétais moi-même au pied
de la Poste, blessé par deux balles, douze minutes de feu, 80
morts et 200 blessés annoncés, les victimes seront enterrées
de nuit, à la sauvette, bénies par un seul prêtre
pour toutes les religions.
Après cette tuerie exécutée
par notre Armée, Bab-el-Oued sera débloqué le 29
seulement, nous attendrons vainement un geste, un mot de réconfort
dune quelconque autorité, les soldats recevront de témoignages
de satisfaction : cétait sans doute " la
solution la plus française " promise par M.De Gaulle.
Ce fut ensuite lexode spontané
et massif des français dAlgérie, en même temps
que le massacre des Harkis désarmés et abandonnés,
avant ceux organisés à Oran le 5 juillet, à Bône
et ailleurs, devant notre Armée larme au pied.
Les médias ont abondamment développé
et illustré cette fin tragique et lamentable de notre Algérie
française et nous espérions une prise de conscience nationale.
Las ! Lannée de lAlgérie
en France conçue pour la gloire de nos égorgeurs et porteurs
de valises, continue de travestir lhistoire que nous avons vécue
dans notre chair et dont nous pouvons être fiers : avec nous,
cétait en permanence lannée de la France en
Algérie, mais la France veut lignorer.
" Cest grand, cest
beau, cest généreux la France ! "
disait M. De Gaulle.
Mais 40 ans après, nous dérangeons
encore et surtout nos morts.
Quils reposent dans notre souvenir
et la paix de Dieu!
Jean Louis Siben
