Claude Henrion
Blog quotidien : claudehenrion.tumblr.com

Pourquoi appuyer là où ça fait mal ?

Et voilà que notre Président, du haut de sa jeune science sûre d'elle, universelle et (à ses yeux, seulement) indiscutable, entreprend de réécrire l'Histoire de France ! On connaissait déjà les œuvres de Michelet, de Fustel de Coulanges, de Taine ou même de Mallet-Isaac et quelques autres, plus ou moins honnêtes, plus ou moins partisanes… Mais rarement quelqu'un a osé aller aussi loin dans l'audace et la créativité historique. C'est d'ailleurs la première fois en 7 ans que je reçois des lecteurs de ce blog autant de messages, débordants de colère et d'humiliation. Alors… pardon pour la longueur de ce "billet" : ces jours-ci, j'ai très mal à la France.

Tout élève en classe Terminale apprend, dès le début du cours de Philo, que vouloir lire le passé avec des yeux d'aujourd'hui est un gros péché contre l'esprit. On appelle cela un "anachronisme", genre dont le triomphe était Astérix-le-gaoulois(tellement pétillant d'intelligence et d'esprit !), sauf qu'il y a désormais la réécriture de la guerre d'Algérie par Macron (totalement dépourvue et de l'une et de l'autre).

L'Histoire est plus "cris et violences" qu'elle n'est une bluette à l'eau-de-roses, mais les horreurs qu'ont pu commettre nos ancêtres (ou ceux des autres, pas meilleurs, souvent pires !), se sont tous déroulés dans des contextes, des temps et même des sociétés qui n'étaient en rien comparables au nôtre, et dans des circonstances, des événements et des mentalités qui ne peuvent que nous être étrangers. S'affranchir de cette règle de bon sens est un crime contre l'intelligence.

Avant de se faire souffler la décision d'aller rendre visite à Madame Audin, notre néo-historien amateur (mais approximatif) aurait dû demander à combien d'autres visites, similaires en temps passé mais bien plus légitimes en raison pure, cela allait le contraindre (dans des temps assez rapprochés pour éviter la discrimination). Au nom de quoi les dizaines de milliers de disparus qui ont été enlevés puis torturés, puis assassinés, n'auraient-ils pas droit à un traitement à peu près comparable ?

Ma génération, qui "s'est tapé" entre 27 et 36 mois de "service militaire pour le maintien de l'ordre dans les territoires de la République" et qui est donc entrée dans la vie active à 25 ou 26 ans (pour les sursitaires), n'est sûrement pas prête à oublier que tous ces événements se sont déroulés en d'autres temps, sous d'autres cieux et dans des circonstances que le pauvret ne peut même pas imaginer tant elles sont à l'opposé complet de son adolescence aussi choyée qu'amiénoise. A l'âge où lui préparait l'ENA, bien au chaud l'hiver et bien au frais l'été, mes amis, eux, crapahutaient dans des djebels rarement accueillants. Plusieurs viennent de m'écrire en demandant de le crier haut et fort : ils se sentent abandonnés (bis !) !

La jeunesse française a sacrifié ses plus belles années pour partir "se frotter" à des guerriers impitoyables qui ne reculaient devant rien (par exemple : le massacre et la mutilation au rasoir et au couteau d'une section de 29 jeunes appelés, combattants encore mal dégrossis sous les ordres d'un sous-lieutenant agrégatif de philosophie, Hervé Arthur, à Palestro), pendant que quelques abonnés aux idéologies communistes jouaient à faciliter leur assassinat. On les appelait "les porteurs de valises", et leur responsabilité, directe ou indirecte, dans meurtres et tortures est incontestable. L'intelligence avec l'ennemi en cas de guerre, c'est de la "haute trahison" et cela ne connaît qu'une seule sentence. On peut, bien sûr, jouer sur les mots, comme eux jouaient avec les vies des victimes des tueurs, leurs infréquentables amis : il était convenu de ne pas parler de "guerre", mais ''d'ordre'', puisque "l'Algérie, c'était la France"… Mais du moment qu'il s'est agi ensuite d'une puissance étrangère (et tellement hostile !), ce distinguo tombait tout seul.

Alors, si M. Macron veut pardonner ce qui ne lui a causé aucun tort, libre à lui, à titre personnel. Mais toute la France, Monsieur le Président, n'est pas derrière vous, j'en atteste, et pas seul, vous le savez. Et lorsque vous laissez penser que vous pourriez "comprendre" nos ennemis, ce n'est pas les français d'Algérie ni même notre Armée qui se sentent humiliés : c'est la France qui est blessée, dans son honneur, son Histoire et le sacrifice de "ceux qui sont morts pour elle…".

Les français d'Algérie, victimes de "serial killers" et d'attentats pour lesquels personne n'organisait de "marches blanches", ne sont pas près de les oublier, eux non plus. Et leurs morts se retournent dans leur tombeau ! Car il y a aussi ceux qui ont été tués ou qui ont disparu après mars 1962 sous les yeux de l'Armée française qui avait reçu l'ordre de regarder ailleurs… il y a aussi le sort terrible de ce million de pieds noirs qui eurent comme seul choix "la valise ou le cercueil"… et tous ceux dont il fut interdit de se souvenir… ceux du 26 mars 1962 à Alger, quand des soldats français ont ouvert le feu sur des civils, français comme eux, rue d'Isly (62 morts et 150 blessés)… ceux d'Oran et de l'Oranie, enlevés, torturés, tués après le 5 juillet (on ne sait même pas si ces pauvres bougres ont été 400 ou 700 !).

Ça en fait, des visites à faire et des pardons à demander à des veuves et des descendants à qui personne ne tendait la main, dans ces jours de honte où 3000 français ont disparu, enlevés, morts sous la torture, sous les yeux de nos armées, présentes et souvent témoins, qui avaient l'interdiction de faire un seul geste pour empêcher leur massacre… ou encore les pauvres oubliés qu'on appelait "les Harkis", qui méritent bien une majuscule : entre 40 000 et 60 000 (on ne sait pas, à 20 000 près, vous rendez-vous compte !), dans des supplices inimaginables… C'est a France, Monsieur le Président, qui est responsable de ces morts et de ces tortures au moins autant, sinon plus, car dans un cas, il s'agissait d'avoir des informations qui permettraient de sauver d'autres vies, et dans l'autre, il s'agissait de cruauté, de sadisme et de vengeances n'ayant en aucun cas lieu d'être.

Car il est faux de dire que l'Armée française serait responsable pour l'un et pas pour les autres : un tel comportement raisonné se nomme un "péché par omission", et la Loi, toujours plus verbeuse que la morale, dit "non-assistance à personne en danger". Alors… en avant pour les visites, Monsieur le Président : vous n'avez moralement pas le choix ! Et vous allez réparer tant et tant d'injustices, enfin !

(NDLR : Pour ceux qui pourraient douter, je possède l'original d'un un "livre blanc" (il est vert !) que m'avait remis en mains propres Robert Lacoste, alors Gouverneur général et Ministre de l'Algérie (1956-1958), dans lequel plusieurs centaines de photos montrent à quelles monstruosités les nouvelles relations de M. Macron ont pu se livrer : le seul fait de l'ouvrir, sur une seule page, garantit plusieurs nuits blanches, je vous assure. Au hasard : attaché sur un fauteuil de dentiste, toutes les dents meulées à la roulette, jusqu'aux maxillaires y compris… Je pense à ces photos à chaque fois que je vais rendre visite à ma gentille dentiste, si soucieuse de m'éviter l'ombre du commencement du début de cette horreur inimaginable).

C'est une faute que de rouvrir cette plaie, si loin d'être refermée et qui se remet à saigner à chacune des interventions présidentielles sur ce sujet, toutes malvenues… Car comme toute consolation, ils n'eurent droit en tout et pour tout qu'à la phrase de ce salopard de Gaston Deferre, célèbre mais dégueulasse : "Qu'ils aillent se réadapter où ils veulent, mais qu'ils quittent Marseille au plus vite". On en arrive à souhaiter que l'enfer existe, pour des types comme ça !

Et pourtant, Monsieur le Président, ceux qui se faisaient assassiner par les amis de Maurice Audin, votre nouvel ami posthume, membre du parti communiste algérien (mais après votre soutien confirmé à une petite frappe comme Benalla, ou votre intermède avec le groupe si laid du DJ Kiddy Smile, on peut s'attendre à toutes les fautes de goût : "Ça buzze… et les gens aiment ça", auriez-vous osé…) ne faisaient qu'obéir aux ordres de vos prédécesseurs, de votre grand homme Mendès-France ("Il n'y aura aucun arrangement avec la sédition"), ou de cet autre de vos modèles, Mitterrand ("Et qui hésiterait à employer tous les moyens pour préserver la France ?"), en passant par Guy Mollet et les 455 députés (dont les cocos et les socialos) qui votèrent le transfert des pouvoirs de Police à l'Armée…

De grâce, Monsieur le Président, arrêtez d'écouter ceux de vos conseillers qui vous suggèrent de telles fautes contre la bien-séance, le bien, le bon, le vrai… et l'Histoire. A chaque fois, vous rouvrez des plaies douloureuses qui n'ont pas besoin de l'être, et vous aggravez la rupture de la France en deux ensembles qui ne se comprendront jamais : ceux qui, comme disait si magnifiquement Marc Bloch,"vibrent au souvenir du sacre de Reims et au récit de la fête de la Fédération" et ceux qui trahirent leur patrie, l'honneur et l'intelligence en choisissant l'hydre communiste… Ce sont, mutatis mutandis, les frères des aveugles et des sourds qui nient aujourd'hui le danger des sirènes islamistes… Et ce n'est pas en donnant, dans la semaine qui suit, trois euros d'aumône à telle ou telle population ex-brimée que vous achèterez le fait de ne pas avoir tort : ce qui est mal, est mal, et un ''plan de rattrapage'' ne peut rien changer à ce qui est moral et à ce qui ne l'est pas.

''Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie

ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie…"

écrivait Victor Hugo. Il a évité de parler des autres.

Je pensais que vous l'aviez lu. Vous auriez dû…

H-Cl.

Mis en page le 24/09/2018 par RP.