Trois
années d'attentats terroristes contre les Chemins de Fer Algériens.
Rapport
présenté à Monsieur le Ministre de l'Algérie
par Paul Jusseau Directeur des Chemins de Fer Algériens
CHEMINS
DE FER ALGERIENS
Le
Directeur Général
Alger, le 20 Novembre 1957
Monsieur le Ministre,
Le 8 Novembre 1956,
je vous rendais compte des résultats de l'action du terrorisme
contre notre personnel, nos trains et nos installations.
Vous êtes,
Monsieur le Ministre, parfaitement informé des conditions
dans lesquelles nous avons pu jusqu'ici maintenir notre exploitation,
aussi me bornerai-je, au moment où nous entrons dans la quatrième
année d'exploitation perturbée, à vous présenter
le bilan sommaire de ce qui a été subi par le réseau
et par son personnel, depuis le 1er Novembre 1954.
* * *
Après une
période de plus d'un an d'opérations dispersées
conduites souvent sous une forme "artisanale" l'action terroriste
s'est progressivement développée puis poursuivie sous
les aspects suivants :
a) Attentats
contre les voies et les installations
Chaque jour les
tournées matinales de surveillance décèlent
des solutions de continuité de la voie. Si les déboulonnages
de rails semblent en régression, on peut noter en revanche
qu'aux mines de fabrication locale du début, succèdent
des explosifs plus puissants, allant de la bombe d'avion ou l'obus
amorcé, à la mine télécommandée
explosant au passage du train,
b) Attentats
contre les trains
Depuis 1955 les
trains sont fréquemment mitraillés. Presque toujours,
1'objectif est le poste de conduite; sans doute pour remédier
à ce genre d'action, les cabines ont-elles été
progressivement protégées par un blindage correct
qui a permis d'éviter la perte de très nombreuses
vies humaines. Des mécaniciens ont cependant été
touchés, plusieurs ont été blessés ou
tués.
Le mitraillage
n'a pas été réservé aux seuls trains
en marche : dans de nombreux cas, l'attaque fut menée contre
des convois arrêtés devant un obstacle ou déraillés.
Parfois, les circulations ont reçu des bouteilles d'essence
enflammée, des grenades, des bombes "Molotov" ; enfin, des
bombes à retardement furent placées dans certains
trains de voyageurs.
c) Attentats
contre les agents au travail
Plusieurs chantiers
de voie ont été visés, nous n'avons toutefois
pas eu jusqu'ici à enregistrer d'attaques importantes contre
des groupes d'agents au travail. Par contre de nombreux attentats
individuels ont été perpétrés et il
est notable que ce sont nos agents musulmans qui ont été
relativement les plus éprouvés dans ce domaine.
* * *
Le bilan des trois
années se résume ainsi :
730 Attentats contre
les trains,
227 Attentats contre
les gares et les bâtiments,
1 011 Destructions
de lignes téléphoniques, signaux et appareils électriques,
1 346 Sabotages
de voie dont 249 ont provoqué un déraillement.
Le tableau ci-contre
indique le nombre total des attentats qui ont été
enregistrés au cours des trois années, sur chacune
des lignes du réseau.
|
SECTIONS de LIGNES
|
PERIODE DU 1er NOVEMBRE 1954 AU 31 OCTOBRE 1957
|
Attentats contre les
Gares
|
Attentats contre les
Trains
|
Destructions des lignes
téléphoniques et appareils électriques
|
Sabotage de la Voie
|
Déraillements
|
|
Alger - Oran
|
20
|
113
|
81
|
135
|
31
|
|
Blida-Djelfa
|
4
|
30
|
13
|
50
|
18
|
|
La Sénia - Aïn
Témouchent
|
|
5
|
|
6
|
|
|
Oujda - Nemours
|
4
|
14
|
9
|
37
|
11
|
|
Ste-Barbe-du-Tlélat
- Oujda
|
3
|
55
|
52
|
62
|
18
|
|
Arzew - Kenedsa
|
2
|
29
|
60
|
238
|
17
|
|
Macta - Mostaganem -
Tiaret
|
2
|
16
|
23
|
27
|
7
|
|
Oran - Arzew - Damesme
|
|
15
|
1
|
3
|
1
|
|
Sidi-Bel-Abbès
- Carampel
|
|
|
2
|
2
|
|
|
Tizi - Mascara
|
|
|
2
|
|
|
|
Alger - Constantine
|
14
|
109
|
107
|
168
|
44
|
|
Ménerville -
Tizi-Ouzou
|
5
|
20
|
16
|
20
|
5
|
|
Béni-Mançour
- Bougie
|
9
|
35
|
45
|
79
|
23
|
|
Constantine - Philippeville
|
6
|
12
|
48
|
29
|
1
|
|
Bône - St-Charles
|
2
|
12
|
13
|
21
|
7
|
|
Kroubs - Duvivier
|
8
|
43
|
67
|
66
|
9
|
|
Bône - Duvivier
|
5
|
11
|
23
|
20
|
3
|
|
Duvivier - Souk-Ahras
|
26
|
48
|
53
|
51
|
11
|
|
Souk-Ahras - Ghardimaou
|
29
|
22
|
77
|
49
|
6
|
|
Souk-Ahras - Oued-Kébérit
|
75
|
39
|
107
|
64
|
6
|
|
Oued-Kébérit
- Tébessa
|
|
5
|
41
|
35
|
2
|
|
Oued-Kébérit
- Ouenza
|
|
16
|
13
|
30
|
6
|
|
Ouled-Rhamoun -Tébessa
- Kouif
|
2
|
19
|
42
|
64
|
15
|
|
El-Guerrah - Biskra
|
10
|
47
|
84
|
130
|
36
|
|
Biskra - Touggourt
|
1
|
15
|
11
|
13
|
8
|
|
Oulmène - Khenchela
|
|
|
21
|
7
|
1
|
|
|
|
|
|
|
|
|
TOTAL des attentats
|
227
|
730
|
1011
|
1406
|
286
|
Les graphiques
qui suivent donnent, pour l'ensemble des lignes la fréquence
des attentats dans chacune des catégories et suivant les
périodes.
|
|
aggrandissement
en cliquant sur le tableau
|
|
Les conséquences
pour le personnel sont résumées dans le tableau ci-dessous:
|
AGENTS TUES
|
AGENTS BLESSES
|
|
sur les trains
|
attentats individuels
|
sur les trains
|
attentas individuels
|
Européens
|
29
|
16
|
190
|
39
|
Musulmans
|
21
|
26
|
169
|
13
|
Total
|
50
|
42
|
359
|
52
|
Quant au rythme
selon lequel ces pertes se sont produites, il est figuré
sur les graphiques ci-après
Il convient ici
de mentionner que les militaires escortant les trains ont payé
un lourd tribut pour le maintien de nos circulations - 46 on été
tués et 146 pus ou moins grièvement blessés.
Alors que la protection
certaine contre les sabotages des installations de pleine voie est
quasi impossible, on doit insister sur les heureux effets de la
protection des trains ou celle des chantiers de voie travaillant
dans des zones particulièrement dangereuses par des escortes
armées. Le contact à peu près permanent des
militaires et des cheminots a fait naître en outre une estime
réciproque qui a permis à tous, par l'exemple de chacun,
de garder confiance dans les jours qui viennent.
Le matériel
de traction, ainsi que le matériel roulant du réseau
n'ont pas été épargnés comme en témoignent
les chiffres portés aux tableaux ci-après.
Matériel
de traction
|
Loco Elec.
|
Locos D.E.
|
Locos vapeur
|
Autorails
|
Locotracteurs ou Draisines
|
|
V.N.
|
V.N.
|
V.E.
|
V.E.
|
V.N.
|
V.N.
|
V.E.
|
Détruit |
0
|
1
|
3
|
1
|
0
|
4
|
2
|
Endommagé mais réparable |
21
|
92
|
30
|
10
|
17
|
36
|
5
|
Matériel
remorqué
|
Wagons C.F.A.
|
Wagons particuliers
ou étrangers au réseau
|
Total
|
|
V.N.
|
V.E.
|
V.N.
|
V.E.
|
|
Détruit |
175
|
86
|
|
|
261
|
Endommagé mais réparable |
605
|
399
|
393 (1)
|
1 (1)
|
1298
|
|
|
|
|
|
|
(1) Y compris
les wagons détruits
|
CONCLUSION
Les pages qui suivent
fournissent, année par année, le bilan des attentats,
ainsi que l'énumération des plus graves d'entre eux.
Les quelques photographies qui illustrent le texte donnent une idée
de l'importance des dégâts subis.
Toutefois, l'examen
des statistiques ainsi que des graphiques présentés
ne fait peut être pas suffisamment apparaître que :
1 ) le nombre des
sabotages à caractère artisanal est en très
notable régression, ce qui confirme que les populations riveraines
participent avec de plus en plus de réticence aux exactions
contre le chemin de fer,
2 ) La "qualité"
des sabotages aurait tendance à s'améliorer, laissant
penser que les attentats sont le fait de terroristes ayant reçu
une certaine formation technique,
3 ) l'action rebelle
contre notre réseau paraît de plus en plus se concentrer
en des points ou des régions particulières. L'emploi
des mines est massif le long de la frontière du Maroc; il
est assez courant à proximité de la frontière
tunisienne; il se focalise ailleurs autour de points particuliers,
comme Perrégaux et Béni Mançour.
Si l'on rapproche
maintenant le bilan de l'action terroriste, des résultats
obtenus dans le cadre des difficultés qu'elle a créées,
on peut retenir que dans l'ensemble du réseau, le volume
total du trafic assuré au cours des douze derniers mois est
sensiblement équivalent à celui de 1952 ou de 1953:
Et cependant le parc traction comme le parc wagons ont assez sérieusement
souffert; et nous avons au progressivement supprimer toutes tes
circulations de nuit ce qui a entraîné une moins bonne
utilisation technique du matériel et du personnel
Les horaires sont
rarement respectés; certains clients reprochent au chemin
de fer des lenteurs d'acheminement et un moindre confort; nous n'ignorons
rien de nos insuffisances dans le Service. Insensibles aux critiques
stériles nous tendons tous nos efforts pour échapper
à toute défaillance.
A vous Monsieur
le Ministre, et à tous ceux de vos collaborateurs qui, à
diverses reprises, avez marqué votre estime pour le courage
obscur du personnel des Chemins de fer, ce document n'apprendra
rien. Il peut cependant vous apporter des raisons nouvelles pour
justifier la position que vous avez prise lorsque vous avez bien
voulu souligner que les cheminots d'Algérie sont dignes de
la qualité de "Français" qu'ils tiennent à
conserver coûte que coûte. C'est pour ce motif que je
me permet de formuler à nouveau le voeu que les décisions
que préparent actuellement les Pouvoirs Publics ne déçoivent
d'aucune manière les espoirs qui vous ont été
présentés et qui sont encore plus légitimés
aujourd'hui par les résultats obtenus.
Je remplis enfin
un devoir en renouvelant l'hommage que les Chemins de fer doivent
rendre à l'Armée dont l'admirable esprit de sacrifice
a permis, jusqu'à ce jour, de maintenir partout notre exploitation.
Veuillez agréer,
Monsieur le Ministre, l'expression de mon très profond respect.
Le Directeur Général des Chemins de fer Algériens
Paul JUSSEAU