FABLE

Un certain Mohamed, d'origine lointaine,
Vint un jour s'installer sur un certain domaine,
C'était un pauvre clos en friche, poussiéreux,
Tantôt sec et pelé tantôt marécageux,
Où Mohamed bâtit une hutte en terre,
Et vécu seul dans la misère.
Il avait un troupeau par les fauves pillé,
Se nourrissait parfois des figues d'un figuier,
L'eau saumâtre laissait une soif à ses lèvres,
Il était ignorant, sans passions, sans plaisir,
Et son luxe, le seul, consistait à dormir.

Un certain François passe sur le domaine.
Il trouve Mohamed, il voit la vie qu'il mène
Et lui dit : « Mohamed, tout ça n'est pas sérieux,
Allons, réveille-toi mon vieux
Je te vois croupir sur la paille,
Or, cette terre est bonne, il suffit qu'on travaille,
Tiens, puisque tu n'en fais rien,
Joignons tes efforts et les miens
Chacun y trouvera son compte »

François vient s'installer et l'affaire se monte,
Moins de huit jours après, Mohamed labourait,
François de son côté asséchait les marais,
Il traçait des chemins, bâtissait des demeures,
Il soigne Mohamed, empêcha qu'il ne meure,
Lutta contre les fauves et sauva les troupeaux
Planta des orangers, découvrit des points d'eau,
Travailla tant et tant, que d'une terre en friche,
Il fit un domaine très riche.

Comme il était instruit depuis A jusqu'à Z,
François instruisit Mohamed,
Mohamed sut compter, Mohamed sut écrire,
Il découvrit la joie de lire,
Il connut de vastes cités,
Le gaz, l'électricité,
Les tracteurs au travail facile
Le plaisir de l'automobile,
Les joies de la radio, celles du cinéma,
Et qui donc, sinon François fournissait cela ?

Tout, du reste allait bien, quand des voisins survinrent.
Ils prirent Mohamed à part, et lui soutinrent,
Qu'il était seul chez lui et que son associé,
Était un imposteur, un méchant flibustier,
Qu'il fallait le flanquer à la porte.
Mais, dit l'autre, je vis de ce qu'il m'apporte,
« Erreur dirent les voisins, puisqu'il t'a tout appris,
Tu en sais aussi long que lui.
Il t'a fait son égal, il devient inutile.
Ce François t'a donné, comme un grand imbécile,
Des bâtons pour te battre ; alors tapes dessus »
Ce que fit Mohamed, aussi fort qu'il put.

Cette histoire n'est qu'une fable,
Heureusement, car il est trop invraisemblable,
De montrer Mohamed de si mauvaise foi ,
On ne voit pas non plus très bien comment François,
Supporterait tout cela sans se mettre en colère,
Il ne se laisserait pas faire,
Il se rebifferait, je crois,
Avec cette énergie que donne le bon droit,
Pour ne pas se laisser évincer d'un domaine,
Bâti par son travail, semaine après semaine.
Et Mohamed d'ailleurs ne le désire pas,

N'est-ce pas Mohamed ?
L'avenir le dira...

Pierre Jean VAILLARD
1958

 

 

 

Ecole d'agriculture de Maison-Carrée

 

 

 

Ecole d'agriculture de Guelma

 

 

 

Ecole d'agriculture d'Aïn-Temouchent

Mis en page le 3/12/2006 par RP