Notre-Dame de Matemore à Toulon


Notre Dame de Lourdes de Matemore

Comme vous avez pu le constater, elle n’est pas bien grande cette statue de la Vierge Marie. A travers le monde il y en a sans doute des milliers qui représentent ainsi la Mère de Dieu sous le vocable de Notre Dame de Lourdes ; car il s’agit bien d’une réplique de la Vierge couronnée qui fait face à la Basilique du Rosaire. Ici, il ne lui manque que la couronne. Mais disons aussi que ce modèle réduit a, en plus de celle de Lourdes, une histoire particulière. Et quelle histoire ! Dans la petite église de Matemore, bourgade proche de Mascara, en Algérie, un des curés qui s’y sont succédés eut, un jour, le désir de célébrer les apparitions de la Vierge Marie à Sainte Bernadette ; et pour cela, il fit l’achat, sans doute à Lourdes, d’une petite statue de Notre Dame. Il la fit placer sous le bras droit de l’imposant Christ en Croix qui s’offrait à la vue des fidèles à la droite du chœur du sanctuaire. Sous le bras gauche, il y avait une statue, tout aussi modeste en taille, de l’Enfant Jésus de Prague. Que de prières, ces images saintes ont-elles accueillies ! De ces phrases maladroitement prononcées sous le coup de l’émotion pour implorer, supplier, remercier en toutes ces langues du bassin méditerranéen où s’accomplissait un brassage inouï de races, de cultures et de religions.

Ici, j’aimerais citer, ô, non pas un saint de l’Eglise d’Afrique du Nord, saint Augustin, saint Cyprien ou sainte Monique que nous vénérons, mais un laïc qui disait ne pas croire en Dieu et qui, en fait, le regrettait. Je veux parler d’Albert Camus. Ecoutons-le : « J’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis, et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient. Bien que j’aie connu et partagé les misères qui ne lui manquent pas, elle est restée pour moi la terre du bonheur, de l’énergie et de la création ».

Bien sûr, tout n’était pas parfait sur cette terre de conquêtes, de feu, de passion, d’amour et de haine. Mais il y avait là comme le bouillonnement d’une étrange alchimie qui, malgré tout, laissait espérer l’éclosion d’un monde nouveau. Malheureusement, les idéologies, les beaux parleurs, les philosophes discoureurs et la soif de pouvoir surent transformer l’impatience de certains en violence, et notre terre en champ d’affrontements sanglants : le terrorisme finirait donc par séparer les communautés.

Que de familles éplorées Notre de Lourdes à Matemore a-t-Elle vues se grouper dans la petite église où on l’avait placée. Son cœur de Mère fut sans doute transpercé par toutes ces souffrances. Toutes, bien sûr toutes. Car comment aurait-Elle pu oublier, Elle la Mère de Dieu, que ses enfants étaient aussi ceux qui ne fréquentaient pas ce lieu, sauf parfois, furtivement, ces femmes recouvertes de leur haïk qui, comme à Notre d’Afrique ou à Notre Dame de Santa Cruz, venaient confier à Lala Myriam leur demande pour un enfant malade, un mari infidèle ou violent.

Et puis ce fut la fin. Les nouveaux maîtres du pays firent comprendre, de différentes manières, que certains algériens, dont nous étions, n’avaient plus leur place sur cette terre où ils étaient nés, eux et souvent leurs parents, leurs grands-parents et leurs arrière-grands-parents.

Des églises furent saccagées, les statues brisées…Mais, à Matemore, une famille recueillit dans une des valises de l’exil, la petite statue de Marie. Et, avec une partie de son peuple éploré, Elle traversa, Elle aussi, la méditerranée.

Des années et des années plus tard, un membre de cette famille, qui en hérita, pensa qu’il ne lui appartenait pas de garder chez lui cette petite statue. Il crut avec raison que sa place était dans une église où tout le monde pourrait la retrouver. On pensa à la cathédrale de Toulon justement dédiée à Notre Dame. Rien que ça ! pensèrent certains. Et puis il y a déjà bien des représentations de la Vierge Marie en ce lieu. Une de plus, où la mettre ? Oh, elle est si petite, elle ne prendra beaucoup de place. Et puis, s’il y en a d’autres, n’avons-nous pas les uns et les autres de nombreuses photos de nos mamans. Et chacune nous rappelle un événement particulier, une époque, une joie ou un chagrin. Non, il n’y a là aucune contradiction.

Et finalement, voilà, elle est là, la Vierge Marie de Matemore. Toute joliment repeinte ; un visage et un regard étonnants où l’on voit percer joie et tristesse en même temps. La tristesse, car Elle sait beaucoup de ses enfants encore dans la peine du pays perdu et de tous ceux qui sont disparus, un époux, un enfant, un frère, une sœur, un ami, enlevés, tués, jamais retrouvés ; le sourire : le même que celui de Notre Dame de Lourdes lorsque s’adressant à Bernadette, elle lui dit : « Je ne vous promets pas le bonheur en ce monde, mais dans l’autre. »

Voilà, Elle est là ; Elle vous attend ; Elle vous appelle à la prière pour le salut et la paix du monde. Elle nous appelle tous à la conversion. Amen.

Mgr MOLINAS

Mise en page le 28/02/2016 par RP