Cercle algérianiste d'Aix-en-Provence

Mémoire d'une terre perdue : quelle transmission familiale ?" (Samedi après midi 28 janvier 2012)

« Notre mémoire ne doit-elle être que tournée vers le passé ou bien doit-elle avoir une visée d’avenir et universelle ? » C’est sur cette interrogation que s’ouvre la seconde table ronde à laquelle les participants vont s’employer à apporter leur réponse à travers trois volets : le traumatisme originel, le processus de deuil, la transmission.

I – Le traumatisme originel
L’animateur de la table ronde : « On ne peut aborder les questions de transmission, leur importance, les difficultés rencontrées par les porteurs de mémoire et les récepteurs de mémoire sans faire référence au traumatisme originel ».
- Pour Claire, jeune adolescente alors, le traumatisme a consisté à ne pas avoir compris ce qui se passait et par conséquent de n’avoir pu longtemps « légitimer » sa douleur.
- Pour Danielle, dont sa famille avait un point de chute en métropole suite à son récent mariage avec un métropolitain, le traumatisme reposa sur le rejet et l’incompréhension des métropolitains ainsi que sur la trahison de De Gaulle.
- Pour Jean-Marie, exploitant agricole originaire de Waldeck-Rousseau, son traumatisme se résume parfaitement dans la phrase qu’il cite : « Ailleurs, je suis et je serai toujours en exil. »

II – Le processus de deuil
L’animateur de la table ronde : « Comme tous les deuils, certaines étapes sont incontournables. Dans ce cas précis et en synthétisant les témoignages recueillis, je retiendrai les quatre phases suivantes : la colère face à l’impuissance, le silence et la nécessaire reconstruction face à l’adversité, l’analyse critique face à une culpabilité, la recherche de sens et la lutte contre la méconnaissance, et enfin la volonté de transmettre. »
La colère
- Claire revient sur l’indignation de sa mère : « il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre, mais depuis que j’ai compris, moi aussi  je suis en colère ».
- Danielle (voix prise par l’émotion) raconte la colère. L’un de ses  fils a préféré partir à l’étranger ayant trop ressenti la souffrance de son grand-père trompé par la France : "La France vous a trop trompés, lui dit-il, Il faudra venir me chercher pour la défendre". Elle rajoute:  "c'est triste à dire, car nous étions une famille de patriotes."

Le silence
- Pour Claire, le silence n’épargne pas ceux que l’on veut ménager : « Même quand on se tait, on garde des charges » que l’on transfert inévitablement. «  Mes parents voulaient nous ménager, mais nous n’étions pas ménagés du tout car on ramassait quand même toutes leurs angoisses. » 

La reconstruction
- Pour Claire, elle a consisté en une quête intellectuelle et spirituelle qui l’ont « pacifiée » et lui ont permis de « bénir ses racines », alors mieux appréhendées. Géraldine, sa fille, confesse que beaucoup de  jeunes issus de Pieds-Noirs ne savent pas ce qu’est être Pied-Noir, leurs parents ne leur ayant pas transmis cette connaissance, peut-être pour les protéger de leur douleur.
- Pour Danielle, sa reconstruction a consisté à s’engager (CDHA, Cercle algérianiste), suivant en cela les traces de son père, et à se sentir investie d’un devoir de transmission de ce en quoi elle croit.


- Pour Sandrine, née en 1973 dans une famille pied-noire, elle vit tous les jours dans ce « là-bas » qui lui a été si bien raconté par sa grand-mère. « Vous aviez commencé là-bas une petite Europe …et ça, ca me fait rêver ». Investie dans le milieu associatif pied-noir, elle rajoute avec émotion : « Le jour où j’ai perdu ma grand-mère, j’ai compris ce que vous aviez ressenti en quittant l’Algérie, et j’espère que j’arriverai à garder un souvenir d’elle comme vous l’avez gardé de l’Algérie et que je le porterai pour le 100ème anniversaire de votre Exode. »
- Charlotte, petite fille de Danielle, a été touchée par l’action combattive de sa grand-mère qui l’a déterminée à y participer. Cependant, elle se sent assez isolée dans sa génération que cette histoire indiffère.  
- Danielle explique que des familles n’ont pas su ou voulu transmettre, elle le regrette mais le comprend.
- Pour Claire, bien souvent, ce sont aux enfants de faire tout le travail des origines, les parents n’étant pas toujours « équipés » pour le faire : « Ce n’est seulement qu’après avoir pacifié mes propres connaissances que j’ai pu en parler à mes enfants, surtout à ma fille, et j’ai pu rééduquer ma mère, en fait, (sourire et tendresse),  j’ai été obligée de lui expliquer ce qui était arrivé et qu’elle n’avait toujours pas compris. » 

III – Le contenu de la transmission
L’animateur de la table ronde : « Abordons maintenant la transmission de la mémoire, des rites et des rituels, des recettes de cuisine, des temps de rencontre et de commémorations et du système de valeurs ».
- Pour Géraldine, ce sont les  « Valeurs »  et  « l’Histoire » de cette communauté qui doivent être transmises, et elle reconnaît qu’en ce qui la concerne, ces valeurs lui sont tout à fait naturelles.
- Pour Sandrine, la transmission passe par des tas de choses, une lettre, un objet, un nom: «  ce sont ces petits messages qui font que votre histoire continuera. »  (Voir Vidéo ci-dessus)
- Pour Claire aussi, tous les moyens sont bons pour transmettre. Elle l’illustre d’un exemple savoureux.


Mis en page le 04/02/2012 par RP