C’était Pâques à Alger

C’est sans doute la période qui se prête le mieux au rappel d’un temps ancien... J’avais entre sept et huit ans et je vivais chez ma grand’mère maternelle, rue Dupuch. Une rue qui berça toute ma première enfance tandis que mon père, qui devait avoir plus d’une trentaine d’année avait été mobilisé sur le front tunisien, du côté de Sfax, si ma mémoire est bonne. La rue Dupuch était mon fief avec mes copains de l’école Dodor, le souvenir du matelassier et du laitier où le « jeu » consistait à faire des tourniquets avec le pot de lait plein jusqu’à ras-bord sans rien verser, pour ne pas voir son oreille tirée par mémé Sportiello... C’était ma petite copine Maryvonne. Son père militaire m’impressionnait toujours un peu et me poussait à une prudence et une sagesse exemplaire vis-à-vis de sa fille. C’était le jeu des noyaux d’abricots, des billes ou du « sfrollet », ce rameau de papier traversant le trou d’une pièce de monnaie de l’époque pour jouer comme au « foot » à la sortie des cours, avec les copains de la rue Saint Augustin. Mais la rue Dupuch, au temps de Pâques, c’était aussi la boulangerie près de l’immeuble qui sentait bon la farine et le pain doré. Il y avait surtout la vitrine aux « Mounas ! » Des grandes et des petites dont certaines étaient coiffées d’un œuf ! C’était un régal d’en savourer un morceau, avec leur goût de fleur d’oranger ! Mais ce n’était pas que cela, le temps de Pâques. Il y avait la préparation du gigot d’agneau à la maison, avec des tomates coupées en tranches et les pommes de terre entourant ce fameux gigot que la grand-mère « nourrissait » d’ail. Je me faisais un plaisir, lorsque le plat était prêt, de descendre avec mémé, jusqu’à la boulangerie, dans une sorte de cérémonie païenne, et d’aller jusqu’au four, au fond du magasin, voir le plat glisser dans l’antre de grosses pierres qu’un feu joyeux alimentait. J’imaginais une porte des enfers et ma curiosité d’enfant s’attendait avec une certaine angoisse et une sorte de défi à voir surgir des flammes un diable boiteux... Le gigot de Pâques, c’était le signe d’un repas en famille, avec les friandises qui alimenteraient la fin du repas. Une façon de recevoir l’après midi une grande partie de la famille venir saluer la grand’mère. Il y avait ceux du centre ville, de Bâb el Oued, du Champ de manœuvre... Une grande famille comme elle n’existe plus depuis les mensonges gaullistes et l’Exode. Un souvenir... en somme.

                                             Robert Charles PUIG / avril 2014

Mis en page le 19/04/2014 par RP