Ass. Prof., dr. Gérard Lehmann,
Centre d'Études françaises, Syddansk Universitet
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Danemark

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                                 LETTRE OUVERTE Á FR 3

    

                                        Le sourire des assassins

                Les porteuses de feu, réalisation algérienne présentée sans commentaire par FR3 ce samedi 27 février à 23h. 15, est un documentaire rappelant un épisode sanglant de la guerre d'Algérie (1954-1962): les attentats terroristes d'Alger qui entraînèrent la bataille d'Alger et la fin de cette vague d'attentats. Le terrorisme FLN n'est pas nouveau: la guerre avait commencé le 1er novembre 1954, très symboliquement, avec l'assassinat d'un instituteur, Guy Monnerot et d'un caïd ancien combattant qui l'accompagnait. Á Alger, en ces années 1956-1957, des bombes sont déposées dans des endroits publics, des cafés, des arrêts d'autobus, des stades, à des heures où les foules se pressent. Les explosions soufflent les vitrines, renversent les gens, les tuent, les mutilent, hommes, femmes et enfants. Des civils innocents.

Pour ces jeunes filles BCBG, d'allure très européenne, habillées à l'européenne, elles en ont le look, dit l'une d'entre elles, rien de plus facile que de se fondre dans la foule retour de plage, qui s'attarde aux terrasses de café, de déposer son sac et de filer discrètement. C'est leur mission, leurs opérations, leur lutte contre l'armée française. Et avant même qu'on leur pose la question, nous avons la réponse: les états d'âme, c'est toujours pour nous, jamais pour eux. Il s'agit de la reconquête de la souveraineté de l'Algérie, dont on sait pertinemment qu'elle n'a jamais existé, au moment de la conquête française en 1830, que comme une colonie turque, un repaire de pirates et une terre d'esclavage.

Ces femmes prétendent s'être battues contre l'armée française et contre les ultras colonialistes. Dans la mesure où les attentats terroristes sont dirigés contre la population européenne, les Français d'Algérie, sans compter les musulmans qui ont pris le parti de l'Algérie française (Hizb frança) et aussi bien dans les villes que dans le bled, tous ces gens-là sont assimilés à des ultras colonialistes. Les Français d'Algérie dans leur ensemble doivent donc être considérés comme solidaires du fait colonial: vrai ou faux? Solidaires du fait colonial, ils sont justiciables de la rébellion algérienne. La responsabilité est alors collective:

                Il faut tuer: abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé: restent un homme mort et un homme libre, écrit Sartre : ne leur a-t-il pas donné sa caution morale dans sa Préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon ?

Tel est le soutien qu'apporte Sartre aux poseuses de bombes: comment ne se sentiraient-elles pas en bonne compagnie? Assassiner un bébé ultracolonialiste, est-ce vraiment un crime?

                Mais dans ce discours des poseuses de bombes ou de leur chef Saadi, le pied-noir n'existe pas vraiment, sinon comme une excroissance à éliminer. Où sont ces victimes innocentes, ces familles décimées, ces enfants mutilés, explosés? Où sont les photos de leurs corps sacrifiés, leurs cris, et leurs angoisses près de cinquante plus tard?

                Qu'on ne vienne pas me parler ici de vengeance, de représailles, d'équilibre de la terreur. Le terrorisme est l'élément central d'une stratégie de la guerre subversive et du monopole du pouvoir dans la conduite de cette guerre par le FLN.     

                Une bombe qui tue dix personnes et en blesse cinquante est psychologiquement plus efficace que l'anéantissement d'un bataillon français.

Cette instruction de la Centrale aux "combattants" du FLN définit assez bien cette logique de la guerre: creuser un fossé de sang et de haine, provoquer la répression aveugle qui fera, chose tout aussi inacceptable, des civils innocents dans la population musulmane, animer ainsi l'engrenage maudit de la terreur et de la haine.

Et ces femmes, il est vrai, jouent un rôle important, qui n'ont pas fait le compte des morts, des mutilés, des estropiés, du pourcentage d'enfants qui ont été leurs victimes, et qui aujourd'hui sourient, paradent, détaillent leurs exploits, sans un mot pour la souffrance de leurs victimes et de leurs familles.

                Dans la droite ligne de cette stratégie: la valise ou le cercueil, le nettoyage ethnique, la résistance désespérée des pieds-noirs trahis et abandonnés par leur gouvernement, le siège de Bab El Oued, le massacre du 26 mars 1962, cette manifestation pacifique noyée dans le sang, l'Oradour, à Oran, des 5 et 6 juillet 1962, sous le regard indifférent du général Katz, les milliers d'enlèvements, et nos frères harkis suppliciés, abattus après d'indicibles tortures.

                Dans la droite ligne: les crimes d'ƒtat du gouvernement "français" dont on attend vainement, aujourd'hui encore, qu'il prenne ses responsabilités et assume ses crimes, désigne ses coupables, qu'il rende justice à une mémoire et rompe avec l'éternel politiquement correct d'une écriture historienne inspirée par le FLN bouteflicard et ses alliés intellectuels, en France même.

 

                J'aurais compris que l'on présentât ce film s'il avait été suivi d'un débat, avec, en regard, d'autres images, que l'on donnât la parole à certaines des victimes, à quelques uns de ces Français qui, comme Albert Camus, porté par l'espoir fou d'une Trêve civile, voulait au moins que l'on épargnât, des deux côtés, les civils innocents.

Les responsables de l'émission de FR 3 Les porteuses de feu auraient dû y réfléchir à deux fois avant de produire unilatéralement ce message de triomphe haineux qui, loin de servir la cause d'une hypothétique réconciliation, délivre un message négationniste, intellectuellement malhonnête, et insulte à la douleur du peuple pied-noir et de ses frères musulmans sur les deux rives de la Méditerranée.

Vous auriez pu au moins rebaptiser ce "documentaire" Le sourire des assassins.