Réponse
à G.Lehmann
par le médiateur de France 3
Alain le Garrec
Nous avons bien reçu votre message dans
lequel vous exprimez votre vive réaction suite au documentaire
consacré aux poseuses de bombes de La Bataille d'Alger, «
Les Porteuses de feu », diffusé sur France 3 le 26
janvier dernier à 23h20.
Vous déplorez cette diffusion considérant que
ce programme faisait l'éloge de criminelles au détriment
des victimes, combattants et déracinés d'Algérie,
Harkis comme Pieds-Noirs pour lesquels vous souhaiteriez d'ailleurs
davantage de respect et de droit à la parole.
Je tiens à vous préciser que le médiateur
n'interfère ni dans le choix des journalistes, animateurs
ou consultants qui officient sur les antennes des chaînes
du groupe France Télévisions, ni dans le contenu
des programmes.
En revanche, il veille à transmettre aux responsables
de ces programmes, les propos des téléspectateurs susceptibles
d'optimiser l'adéquation de leurs attentes avec l'offre du
groupe.
C'est pourquoi je vous remercie d'avoir pris le temps de nous
écrire pour nous faire part de votre intérêt
et vous informe que nous l'avons relayé à la direction
de l'unité documentaires et magazines de la chaîne,
laquelle a souhaité communiquer les éléments
de réponse suivants : « Depuis toujours
la télévision publique a diffusé des films
ayant trait aux conflits du passé et du présent, relatifs
à notre histoire ou à celle de pays étrangers.
Les films qui touchent à la Guerre d'Algérie ont
toujours été l'objet d'un traitement délicat
en raison de procès d'intention éventuels, en provenance
des différentes parties en présence. En effet les
faits sont encore récents, les protagonistes sont encore
en vie, et les victimes à juste titre encore très
marquées par la violence de certains événements
qu'elles auront vécus. Acteurs comme victimes, tous sont
marqués à vif par une plaie non encore cicatrisée.
Faouzia Fékiri, auteur du film, est une réalisatrice
reconnue, d'origine algérienne, et déjà lauréate
d'un FIPA d'OR pour un précédent travail historique
sur son pays. Elle est également journaliste à RFI
depuis de très nombreuses années.
Le film diffusé ce samedi, relate un épisode connu
et notoire de cette guerre, inséré dans ce qu'on a
appelé « la Bataille d'Alger », et
a déjà été traité dans d'autres
films, notamment le très primé LA BATAILLE D'ALGER
de Gillo Pontecorvo, dont les images illustrent en grande partie
le document de France 3, et plus récemment L'AVOCAT DE LA
TERREUR de Barbet Schroeder, présenté au festival
de Cannes 2007.
Si le film touche à un sujet sensible, qui peut raviver
une histoire douloureuse, il n'est en revanche aucunement une apologie
de la violence, ne glorifie pas les actes terroristes perpétrés
par des femmes qui ont, à un moment donné de l'histoire
de leur pays, pris des armes pour rejoindre les rangs du FLN. L'absurdité
de la violence et de la guerre, l'existence de victimes innocentes
sont des évidences lorsqu'on aborde de tels sujets, et dans
chaque image montrée on ne peut s'empêcher d'y penser.
Le film relate un élément de cette histoire, raconté
par des protagonistes qui l'ont vécu, et il y est beaucoup
moins question du FLN, et du conflit colonial au sens large, que
de la situation des femmes dans un pays musulman, en temps de guerre
et sous l'occupation française et de l'impact de leurs actes
sur leur entourage, leur famille et leur vie en général.
Un ancien officier de l'armée française témoigne
également du carnage, de la violence de ces actes et de la
manière dont le gouvernement français a fait face
à cette situation.D'autres films, tels que la série
LES PIEDS NOIRS déjà diffusé, ou un film sur
le massacre de la Rue d'Isly à Alger, en cours de production,
et il y a encore plus longtemps, le documentaire de Patrick Jeudy
sur Elie de Saint-Marc (même productrice) composent différentes
facettes d'une partie (douloureuse) de l'histoire de France. Une
histoire très récente qui provoque à chaque
fois des réactions, passionnelles, à la mesure de
la violence des faits, en provenance des différents groupes
qui se sont affrontés à l'époque. Chacun
de ces films illustre le point de vue d'un auteur, et fait le récit
d'événements parfois condamnables, mais aucun d'entre
eux n'a fait ou ne fera « l'apologie des tortionnaires,
des assassins ou des mutilateurs »…La
presse, qui a salué le film sous différentes formes,
n'a relevé aucun message instigateur de violence. »
Salutations attentives
Médiation des programmes
France Télévisions
Mediateur Info France 3
30/01/2008 11:16
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Réponse
à Alain le Garrec
par G.Lehmann
Monsieur le médiateur,
Je vous remercie de m'avoir répondu
avec diligence et de m'avoir transmis les réponse des
responsables de l'unité documentaires et magazines
de FR3.
Je ferai en réponse les observations suivantes:
Je me félicite
que la télévision publique diffuse des films ayant
trait à l'histoire, et en particulier à l'histoire
de France. Je suis parfaitement au courant de la carrière
de Faouza Fékiri et ne conteste ni la qualité de son
film ni celle de Pontecorvo sur la bataille d'Alger. Mais
je leur conteste toute objectivité historique.
Je suis également d'accord avec vous pour penser que
la guerre d'Algérie (on devrait d'ailleurs dire
les guerres d'Algérie) est un sujet sensible et délicat
qui doit faire l'objet d'un traitement qui en tienne
compte. Et c'est d'ailleurs l'objet de mon intervention.
Le film de Faouza Fékiri est fort bien agencé: mêlant
des interviews des tueuses du FLN, de leurs familles, d'un
militaire français impliqué dans cette guerre et des
images empruntées au film de Pontecorvo qui ont le caractère
d'images d'archives.
Vous avancez qu'il
y est beaucoup moins question du FLN, et du conflit colonial au
sens large, que de la situation des femmes en pays musulman
[...], de femmes impliquées dans cette guerre.
Je suis en désaccord total sur ce point: le film tout entier
est construit sur la guerre d'Algérie, sur la bataille
d'Alger et particulièrement sur le terrorisme urbain
exercé par le FLN, et sur une justification de ce terrorisme
urbain. Cette justification est exprimée par les femmes terroristes,
les images du film de Pontecorvo leur donnent un arrière-plan
visuel fort, et les propos du militaire français les confortent.
Or, ce qui fait de ce sujet quelque chose de délicat et de
sensible, c'est un problème d'éthique.
Nous savons la somme d'horreurs que représente une
guerre, nous savons la diversité des interprétations
possibles, nous savons que la violence n'est pas toujours
et partout inévitable, mais nous sommes d'accord sur
une chose: faire de civils innocents des otages, en faire des cibles
privilégiées de la bombe, du couteau ou du fusil,
parce que justement, ce sont des civils, des innocents, et de préférence
des enfants, cette stratégie qui fut un élément
capital de la guerre menée par le FLN, cette pédagogie
de la terreur, nous la condamnons comme barbare, comme un crime
contre une certaine idée de l'homme. Tout comme nous
condamnons la violence exercée contre des innocents, d'où
qu'elle vienne, et qui s'appuie sur l'idée
de la responsabilité collective d'un peuple et donc
justifie d'en sanctionner n'importe quel membre, fût-il
un bébé dans sa poussette.
C'est avec cela que je demande que l'on se mette
en règle, pour reprendre l'expression d'Albert
Camus. Que l'on se mette en règle avec l'idée,
défendue par Sartre et Merleau-Ponty, de la terreur progressiste,
de l'innocence sacrifiée pour des lendemains de bonheur.
Que l'on se mette en règle avec l'idée
totalitaire qui fit éclore ses fleurs empoisonnées
au siècle dernier. Avec l'idée que la fin justifie
tous les moyens.
Il y a des choses qui ne sont pas négociables.
Vous exprimez que
l'absurdité de la violence et de la guerre, l'existence
de victimes innocentes sont des évidences lorsqu'on
aborde de tels sujets, et dans chaque image montrée on ne
peut s'empêcher d'y penser.
Eh bien non, me voilà de nouveau en désaccord avec
vous. Vous me dites que le film traite de la situation de la
femme en pays musulman, et un peu plus loin qu'on
ne peut s'empêcher de penser, à chaque
image, à l'existence de victimes innocentes.
Il y a là, d'une part contradiction dans vos propos
et d'autre part une affirmation contestable: si l'on
pense, dans ce film, aux victimes innocentes, on y pense comme des
absents et des absentes du sujet, comme des victimes du silence.
Et ce silence fait écho à celui qui recouvre le siège
de Bab El Oued, les massacres du 26 mars 1962 à Alger, les
milliers d'enlèvements avant et surtout après
le 19 mars, la capitulation d'Évian, l'Oradour
du 5 et 6 juillet 1962 à Oran, le sort des harkis. Les crimes
d'État.
Le choix délibéré
de parler des victimes comme des abstractions, le plaidoyer d'assassins,
la justification de leurs crimes par d'autres crimes, ces
extraits d'une fiction ayant le caractère d'un
documentaire, c'est-à-dire prétendant refléter
une certaine vérité historique, tout dans le film
Les porteuses de feu, est justification des crimes commis
contre des victimes innocentes. Vous précisez que ce film
ne contient aucune incitation à la violence et ne fait pas
l'apologie de crimes contre l'humanité. Sur ce
plan, n'ayant pas qualité pour le faire, je ne poserai
pas ici la question de savoir si nous avons affaire ou non au viol
de la loi. Ce n'est pas mon domaine de compétence.
Vous évoquez
la liberté de l'artiste, et vous avez raison. J'ai
regretté que, dans le film, il n'y ait pas eu le moindre
mot de regret sur les civils innocents, pour atténuer un
peu l'insolence du sourire, pas la moindre question sur le
sujet. Mais après tout, on ne demande pas à l'artiste
d'être objectif, on lui demande d'être bon.
Laissant le choix total à l'artiste de faire partiel
et partial, j'évoquerai alors votre responsabilité
morale, je vous parlerai de délicatesse, d'équité,
de dignité.
Vous auriez pu programmer ce documentaire dans le cadre d'un
débat, vous auriez pu donner la parole à Nicole Guiraud,
l'une des victimes, à dix ans, de la bombe du Milk-Bar,
vous auriez pu consacrer un quart d'heure à la diffusion
de son court-métrage La valise à la mer,
qui a reçu de nombreux prix, et qui, lui, ne respire pas
l'odeur de la vengeance et de la haine. Vous auriez pu, si
vous aviez voulu.
Je formule deux
souhaits, en conclusion de cette seconde lettre ouverte que je diffuserai
pareillement.
Le premier est
que vous preniez en compte les réserves formulées
et que vous songiez à un débat sur ce problème,
si actuel aujourd'hui, du bon usage de la terreur.
D'après les nombreux témoignages que j'ai
reçu en un temps très court, je peux me permettre
de dire que beaucoup partagent mon avis. Je les remercie de s'être
manifestés.
Le second est que
Faouzia Fékiri s'associe sans aucune réserve
à la déclaration suivante:
Aucune
raison n'a jamais justifié et ne justifiera jamais
le sacrifice de vies innocentes.
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