A Propos de la Bande Dessinée " Trahison, Algérie été 62"

Chers amis,

Je tiens à vous informer de ce qui suit : Il y a deux à trois mois est parue une bande dessinée de l'Algérien Fawzi Brachemi, intitulée "Trahison, Algérie été 62", éditions "La Boite à Bulles". En effectuant quelques recherches sur le net, j'ai appris qu'elle traitait du massacre du 5 juillet 62 à Oran. C'est ce qui m'a poussé à la commander. Etant donné l'importance de son sujet pour nous, et malgré toutes les réticences préalables ressenties, je me suis dit qu'il était de mon devoir de la lire pour l'analyser.

Je ne l'ai finalement reçue que seulement avant-hier. Lue le soir , celle-ci m'a collé une série de cauchemars identiques à ceux provoqués par le livre de JJ. JORDI. Par où commencer ? L'auteur, Fawzi Brachemi, né en 49 (13 ans en 62...) vit aujourd'hui en France, évidemment. Sa BD a reçu une bonne critique en Algérie malgré tout. Et l'on comprend sans peine pourquoi... Il collabore par ses dessins à de nombreux journaux français engagés à gauche.

La BD se divise en deux thématiques que seule l'époque permet de rapprocher : le massacre d'Oran le 5 juillet, et les conflits et développements révolutionnaires de l'Algérie "nouvelle". Il n'apparait pas de lien évident entre ces deux propos ; peut-être pour l'auteur le besoin de soulager sa mémoire, ou de préparer un catalogue de justifications face aux pressions et actions que tous nous développons et engageons pour la reconnaissance officielle de ce massacre. Mais quoi qu'il en soit, la rupture qui les sépare est nette et déséquilibre l'ensemble.

La BD raconte l'histoire de l'Algérie en juin / juillet 62, vu par les yeux d'un adolescent arabe oranais, de famille instruite et aisée (Première découverte pour nos amis français : "famille musulmane instruite et aisée" ? Il y en avait donc ?...)

Le dessin est un peu style "ado", un peu naïf, et assez manichéen (pour ce qui concerne les PN) Le texte souvent simpliste. Les explications devenant des justifications permanentes ; tout, et le reste, nous est consciencieusement expliqué : les Français sont subtilement responsables de tout, jusques et y compris le massacre qu'ils subissent le 5 juillet. A un petit bémol près : ce massacre étant le fait (désordonné et imprévu) de quelques bandes de bandits arabes, sans foi ni loi, d'individus ivres de trouble vengeance et, sans que ce soit clairement dit, d'êtres animés de pulsions sanguinaires et pathologiques . Pas la moindre mise en cause bien sûr des "Autorités" officielles, ni des sanglantes rivalités opposant ces" dirigeants" surtout avides d'or et de pouvoir, et qui ont eu leur part dans le déclenchement du massacre

Commençons par les aspects négatifs, et dieu sait s'il sont nombreux et classiques. Vous les imaginez sans peine : les musulmans sont odieusement méprisés et maintenus dans la misère. Les Français sont PRESQUE tous riches (un personnage affirme qu'il y avait AUSSI des PN pauvres...page 57. Mais comme "il y avait des millions de paysans qui crevaient de faim"... Tout est donc justifié par avance). Les PN sont tous racistes. Ils refusent le progrès. Les musulmans sont sérieux, calmes et responsables (sauf le 5 juillet). L'OAS est pire que pire, on se demande d'ailleurs pourquoi, vu qu'aucune allusion n'est faite aux milliers d'attentats qui endeuillent notre communauté ; des horreurs, aucune, des assassinats d'enfants, jamais. Des bombes qui frappent aveuglément dans des lieux publics, que dalle. Des enlèvements, peut-être mais ciblés...,( off course !).

Selon l'auteur, le démarrage du massacre est dû à des tirs OAS sur un joyeux et paisible défilé (le contraire eut été étonnant), ainsi qu'à un P.N. habitant la Place de la cathédrale, qui tire (le temps employé n'est pas le conditionnel, mais le présent de l'indicatif...) sur une femme qui grimpe sur la statue de Jeanne d'Arc avec un drapeau vert et blanc. Le cri est mille fois repris, et imprimé sur la BD ; c'est l'OAS ! ! ! Ainsi le reste peut-il venir, le lecteur est près à tout absoudre...

L'auteur adolescent, et deux amis de son âge qui vivent cette série d'horreurs, ne comprenant pas ce qu'ils voient, ne nous donnent que des explications simplistes, et mille fois exprimées par l'histoire révisionniste et négationniste que l'on nous a imposée depuis 51 ans. L'auteur n'a donc pas eu besoin de chercher trop loin. Les idées structurées qu'il ne pouvait avoir à treize ans lui ont été sans doute fournies "clés en main" par ces historiens dont l'Histoire devrait avoir honte pour leur sectarisme.

C'est ainsi que l'on apprend que le centre-ville d'Oran était (depuis toujours) interdit aux musulmans. Pour la période février / Juin 62, je pense effectivement que ce lieu eut été extrêmement dangereux pour eux. Tout comme pour nous, les nombreux quartiers d'Oran à dominante musulmane ( Médioni / Victor Hugo / Village Nègre / Lamur / Ville Nouvelle / Le Ravin / Les Planteurs / Lyautey ) étant devenus depuis début 61 de véritables zones mortelles.

Cependant, il existait de très nombreux quartiers à population mixte : La Calère, mon quartier d'Eckmühl, Choupot, Brunie, Terrade, Belmonte vers le cimetière Tamashouët, une partie de Saint-Eugène, et la zone Est des Castors et de Gambetta, une partie du Plateau Saint-Michel.

Que dire de ces lieux que vous ne sachiez déjà ? Jusqu'en 60, la cohabitation y fut à peu près possible. C'est à dire qu'il y avait de temps en temps un attentat FLN. Ces attentats frappant plus souvent les faubourgs et les périphéries (Pour les très jeunes qui l'ignorent, je rappelle qu'Oran-ville a perdu un peu moins de 400 morts (civils, sans distinction d'âge, de sexe ou de fortune) de novembre 54 jusqu'au passage à l'action des Collines de l'OAS- Oran, en octobre 61. Jusqu'à ce mois fatidique, il n'y eut aucun assassinat de musulman par civils européens. Mais jusqu'à cette date, l'armée faisait encore son travail. Ensuite, il fallut se rendre à l'évidence : comme vous le savez, la sécurité des nôtres ne reposait plus que sur nos propres épaules.

Tout changea donc vers fin 60. Suite aux virages politiques gaulliens (à 180°), l'armée cessa d'assurer sa mission naturelle de protection des populations civiles, et se retourna contre nous après avril 61 et l'échec de la sécession tentée par nos quatre généraux. C'est ainsi que ces quartiers se révélèrent progressivement comme de véritables coupe-gorge nocturnes. M. Fawzi BRACHEMI habitant dans des quartiers plus paisibles n'a pas pu connaître cette évolution. Pas pu hier ; pas voulu aujourd'hui...

C'est ainsi que le dessin, devenant soudain très élaboré et précis, nous montre les intérieurs européens brutalement désertés. Disons que ce n'était pas Versailles, mais pas vraiment loin. Halls d'entrée immenses, bibliothèque gigantesques, grand luxe et grand confort ; de vrais palaces... Des appartements de cet ordre, combien étaient-ils à Oran ? quelques-uns sans doute, certes. Mais là, ils deviennent la généralité ordinaire de notre habitat... Fermez le ban.

Passons maintenant aux côtés positifs de cette BD. Car ils sont multiples, et très importants pour nous et notre lutte. Le massacre d'Oran occupe 70 pages sur 113 totales ! ! Autant dire qu'en France c'est le seul sujet qui devrait intéresser ; exceptés les acharnés des rivalités Ben Bella / GPRA / Boumediene-ALN du Maroc et consorts développées ensuite.

Côtés positifs très importants même. Comme je ne peux plus être classé comme collabo-fellouze après ce que je viens d'écrire, je suis d'autant plus libre pour ce second aspect de mon point de vue.

Cette BD, malgré ces défauts que certains pourront considérer comme définitivement rédhibitoires, apporte là encore un témoignage inestimable sur le massacre du 5 juillet. La lisant, j'ai souvent pensé à la partie oranaise du film de Jean-Pierre LLEDO ("Algérie, histoires à ne pas dire"). Sans cependant établir le moindre parallèle avec lui bien sûr, car la BD par ses d'ambiguïtés permanentes et trop conforme à l'air du temps.

Mais il n'empêche. Le témoignage est inestimable. Pourquoi ? Parce que, même excessivement partial, il émane d'un (jeune) témoin. Qui raconte l'horreur de ce qu'il a vu. Et rien n'est épargné par une mise en image maladroite mais sans concession : les égorgements, les tueries, les viols, les tortures, les meurtres de masse, le refus de protection de ses ressortissants par l'armée française. Le sauvetage de certains par de brutaux hasards.

Bien sûr, le témoignage est aussi partiel : rien sur les abominables épisodes de la Place d'Arme, la rafle de la Place de la Bastille. Erreurs sur le lieu où furent jetés et dissimulés les corps (la Sebkha, sans citer celui, primordial, du Petit Lac). Rien sur le centre d'abattage que fut le commissariat central durant 24h, KATZ qui devient KALZ sans doute pour embrouillarder la terrible responsabilité et la veulerie de cet homme qui commandait en chef à Oran ce jour-là. Rien sur ce qui s'est passé aux abattoirs de la ville, etc..

Malgré cela, je suis persuadé que nous pourrions utiliser cette BD (qui n'est vraiment pas issue de notre bord, et justement à cause de cela) pour appuyer notre demande de reconnaissance. Auprès de ceux qui nous ont toujours refusé cette justice que nous exigeons, car la nouvelle preuve apportée vient d'un Algérien totalement "inattaquable". Par ex : "Même nos ennemis de l'époque admettent qu'il y a bien eu massacre à Oran... Pourquoi la France refuse t-elle de considérer cette vérité, attestée par d'autres que nous ?".

Et cela, même si certains de nos ennemis d'ici étaient tentés de justifier ce massacre par l'argumentaire plus que naïf utilisé par l'auteur, il serait extrêmement simple de leur rappeler que rien, ABSOLUMENT RIEN, ne saurait justifier le massacre indistinct, simultanée et collectif, d'une population civile.

Il y a aussi les vols, les pillages en règle des appartements abandonnés. Mobilier, objets, vêtements, postes de radio, disques, la ville et son centre sont montrés soudain transformés, pendant plusieurs mois, en un gigantesque "hamri" (Pour les non-Oranais, quartier excentré où se tenait en permanence une sorte d'immense marché aux puces) . Voici donc, là encore, une nouvelle preuve majeure démontrant que, contrairement à l'histoire officielle, les PN n'ont pas tous emporté leurs biens, ou ne les ont pas tous non plus détruits par le feu, comme cela se trouve généralisé et martelé sur un livre d'histoire actuel dans le secondaire.

Pratiquons la technique Judo. Utilisons la force de l'adversaire pour la retourner contre lui. Ainsi, la presse algérienne a bien accueilli cette BD ? Et bien, c'est donc que la dite presse admet l'existence de ce massacre. Et nous nous moquons bien de leurs misérables justifications à posteriori. Nous nous contentons de la reconnaissance accordée au fait. Pour les Oranais, signalons qu'ils trouveront au hasard de ces pages sanglantes, les principaux monuments de leur ville.

Voilà, chers amis, ce qu'est mon sentiment à propos de cette BD. Il vaut ce qu'il vaut et peut être contredit. Mais je crois que cette publication mérite d'être lue par nous malgré les colères qu'elle risque de vous provoquer, sans oublier les épouvantables réminiscences qu'elle génère. Elle est chère (24€)... Il serait sans doute bon qu'elle puisse être lue par quelques-uns, et que notre supplément signale son existence avec les (immenses) précautions nécessaires.

Bien cordialement à vous tous. Gérard Rosenzweig

Mis en page le 25/01/2014 par RP