Allocution
d’Entrée
(Réponse au
25 Septembre 2016)
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« A quelques
encablures de mes 80 ans, à l’âge où les souvenirs se déclinent plus aisément que
les projets et après avoir épuisé mes capacités de silence, je ressens le
besoin d’éclairer un malentendu.
En 45 ans de vie professionnelle,
j’ai travaillé avec vous, milité avec vous , partagé
avec vous quelques succès et quelques épreuves, communié aux mêmes valeurs ,au
même humanisme. J’ai bu à la coupe de ce bonheur de vivre en France, de s’étonner
de ses richesses, de se pénétrer des mêmes émotions au point que j’avais fini
par oublier que j’étais né sur une autre rive, de parents venus d’ailleurs et
de grands-parents à l’accent impossible d’une ville de la Méditerranée.
Je m’étais cru Français comme
vous et j’avais cru achever ce travail de deuil commun à tous les exilés du
monde. Et puis, depuis quelques mois, des maisons d’édition ont fait pleuvoir
témoignages et réflexions sur la Guerre d’Algérie. Les chaînes de télévision et
les radios ont commenté les ouvrages et refait l’Histoire de 134 ans de
présence française en Algérie. Avec une étonnante convergence de vues, la
plupart ont révélé, sur cette période, une vision singulièrement sinistre. J’ai
vu l’histoire de ma Patrie, l’Algérie Française, travestie ou défigurée en
quelques propositions caricaturales :
La présence de la France en
Algérie fut de tout temps illégitime...
Les français d’Algérie ont
exploité les Arabes et ont volé leurs terres...
Les soldats français ont
torturé des patriotes qui libéraient leur pays...
Certains Français ont eu raison
d’aider les fellaghas à combattre l’armée française et peuvent s’enorgueillir
aujourd’hui d’avoir contribué à la libération de l’Algérie...
Alors j’ai compris que
personne ne pouvait comprendre un pays et un peuple s’il n’avait d’abord appris
à l’aimer... et vous n’avez jamais aimé « Notre Algérie ! »
Alors j’ai compris pourquoi vous changiez de conversation quand j’affirmais mon origine « Pied-Noir », j’ai compris que l’exode arménien ou l’exode juif vous avez touchés mais
que notre exil vous avez laissé indifférents,
j’ai compris pourquoi les
maquisards qui se battaient pour libérer la France envahie étaient des héros,
mais pourquoi des officiers qui refusaient d’abandonner ce morceau de France et
les Harkis entrainés à nos côtés, étaient traités de putschistes,
j’ai compris pourquoi des mots
comme « colon » avaient été vidés de leur noblesse et pourquoi, dans
votre esprit et dans votre langage, la colonisation avait laissé place au
colonialisme.
Même des Français de France comme
vous, tués au combat, n’ont pas eu droit, dans la mémoire collective à la même
évocation que les Poilus ou les Résistants, parce qu’ils furent engagés dans
une « sale guerre » ! Sans doute, même si leur sacrifice fut aussi
noble et digne de mémoire, est-il plus facile de célébrer des héros vainqueurs
que des soldats morts pour Rien...
Dans un manichéisme grotesque,
tout ce qui avait contribué à défendre la France était héroïque ; tout ce
qui avait contribué à conserver et à défendre notre Pays pour continuer à y
vivre, était criminel....
« Vérité en deçà de la
Méditerranée, erreur au-delà ! »
Vous si prolixes pour
dénoncer les tortures et les exactions de l’Armée française au cours des vingt
dernières années, vous êtes devenus amnésiques sur les massacres et les
tortures infligés par les fellaghas à nos compatriotes européens et
musulmans .Vous ne trouvez rien à dire sur l’œuvre française en Algérie
pendant 134 ans : pas un livre ,pas une émission
de télévision ou de radio, rien ! Les fictions même s’affligent des
mêmes clichés de Français arrogants
et de Musulmans opprimés.
Ce qui est singulier dans le
débat sur l’Algérie et sur la guerre qui a marqué la fin de la période
française, c’est que ceux qui en parlent, en parlent en étrangers, comme d’une
terre étrangère. Disséquer le cadavre de l’Algérie leur est un exercice
clinique que les journalistes, commentateurs et professeurs d’université
réalisent avec la froide indifférence de l’étranger.
Personne ne pense qu’un million de femmes
et d’hommes n’ont connu et aimé que
cette terre où ils sont nés.
Personne n’ose rappeler
qu’ils ont été arrachés à leur véritable Patrie et déportés en exil sur une
terre souvent inconnue et trop souvent hostile....Quand certains intellectuels
français se prévalent d’avoir aidé le FLN, personne ne les accuse d’avoir armé
les bras des égorgeurs de Français !
Cette terre vous brule la
mémoire et le cœur... ou plutôt la mauvaise conscience.
Je n’ai pas choisi de naître
Français sur une terre que mes maîtres français m’ont appris à aimer comme un
morceau de la France. Mais, même si « mon Algérie » n’est plus il est trop tard, aujourd’hui pour que
cette terre me devienne étrangère et ne soit plus la terre de mes parents, ma
Patrie.
J’attends de vous, ami
français, que vous respectiez mon Histoire même si vous refusez qu’elle soit
aussi votre Histoire..
Je n’attends de vous aucune
complaisance mais le respect d’une histoire dans la lumière de son époque et de
ses valeurs, dans la Vérité de ses réalisations matérielles, intellectuelles et
humaines, dans la subtilité de ses relations sociales, dans la richesse et la
diversité de son œuvre et de ses cultures .
J’attends que vous respectiez
la mémoire de tous ceux que j’ai laissé là-bas et dont la vie fut faite de
travail, d’abnégation et parfois d’héroïsme.
J’attends que vous me
traitiez avec une égale dignité et une égale exigence d’objectivité et de
rigueur, un égal souci de Vérité et de justice, l’Histoire de la France d’en
deçà et d’au-delà de la Méditerranée...
ALORS, il me sera peut-être
permis de mourir dans ce coin de France en m’y sentant aussi CHEZ MOI........ ENFIN
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Mis en page le 12 novembre 2016 par RP. |