Aix-en-Provence. Voeux aux Rapatriés

 

Allocution de Marc LAFFINEUR
Vœux aux rapatriés 31 janvier 2012 - Aix en Provence

Mesdames et messieurs les parlementaires, Madame le maire, Mesdames et messieurs les élus, Monsieur le président de la mission interministérielle aux rapatriés, Monsieur le président du comité des rapatriés, Mesdames et messieurs les présidents d'associations, Mesdames, Messieurs,

C'est avec un plaisir tout particulier que je vous réunis ici, dans cette belle ville d'Aix-en- Provence, afin de vous présenter mes vœux pour 2012. Certains parmi vous, je le sais, attendaient que je le fasse à l'occasion de mes vœux aux anciens combattants, le 18 janvier dernier. Mais je tenais à ce qu'une cérémonie vous soit exclusivement dédiée.

Je tenais également à ce qu'elle se fasse ici, plutôt qu'à Paris. Je voulais venir à votre rencontre, venir vous trouver dans cette région où vous êtes sans doute les plus nombreux. Je remercie d'ailleurs chaleureusement Maryse Joissains, dont je connais l'implication dans la défense des rapatriés, de nous y accueillir. Il s'agit pour moi d'honorer cette responsabilité nouvelle, qui m'a été confiée à la fin de l'année dernière et qui me tient à cœur.

J'ai, en effet, une sensibilité particulière, un intérêt de longue date pour la question des rapatriés. Ma famille a été, comme beaucoup de familles françaises, déchirée par ce drame : j'avais de la famille en Tunisie, au Maroc, et trois de mes frères ont fait la guerre d'Algérie. Aussi, quand j'ai été élu député, j'ai souhaité m'impliquer sur cette question. J'ai notamment rédigé un rapport, en 2001, consacré aux dispositifs d'aide pour les rapatriés et, il faut l'avouer, il y avait encore des progrès à faire.

C'est pourquoi, en retrouvant ce dossier dix ans plus tard, j'ai voulu prendre le temps de recevoir les principales associations, une à une, pour faire le point. Faire le point sur leurs attentes, leurs inquiétudes, leurs interrogations. Je souhaitais qu'elles me fassent part de leurs préoccupations librement. Je souhaitais surtout instaurer une vraie relation, une relation sincère et profonde.

La période que nous traversons n'est pas simple : de la crise des subprimes à la crise de la dette des Etats, les chaos du monde ne nous ont pas épargnés. Ils sont autant de défis que nous devons relever, pour une société plus moderne, plus forte, plus confiante dans l'avenir. Ils exigent dans le même temps que l'on réaffirme nos valeurs, ce à quoi l'on tient par-dessus tout, les principes républicains qui nous ont faits. Ces principes sont notre ciment, ce qui rassemble quand les difficultés font parfois courir le risque de la division.

C'est dans cet esprit que j'ai voulu cette cérémonie, pour souligner ce que nous avons en partage : un héritage qui nous vient de l'Histoire, qui fonde des valeurs d'humanisme à la vocation universelle, des valeurs qui nous honorent. Et souligner ce que nous avons en partage, c'est avant tout vous rendre hommage.

Vous rendre hommage, car ce que vous avez vécu n'est pas allé sans drames, loin de là. Pourtant, vous avez toujours gardé le sens du devoir, le sens de l'attachement à la France. Vous n'avez jamais perdu cette fierté d'avoir contribué à écrire son histoire, parfois par les armes, comme l'avaient fait avant vous vos parents et vos grands-parents.

Les Français d'Afrique du nord furent nombreux en effet à traverser la Méditerranée, à venir défendre notre sol et nos valeurs lors des deux conflits mondiaux. Je pense tout particulièrement à l'épopée héroïque de l'Armée d'Afrique devenue la Première Armée française, emmenée par le maréchal DE LATTRE DE TASSIGNY jusqu'en Allemagne.

Je suis d'ailleurs allé me recueillir il y a quelques jours, à l'occasion du 60ème anniversaire de sa mort, sur la tombe de cette figure d'exception qui fit notre mémoire commune.Oui, vos aînés, vous-mêmes parfois, avez participé, aux côtés de vos frères d'armes venus de toute l'Afrique, à la force de votre engagement et pour certains au prix du sang, à la libération de notre pays, pour lui rendre sa dignité. La France, en retour, vous doit la reconnaissance. La France vous doit la dignité.

Elle vous la doit d'autant plus que vous avez souffert. Le drame des rapatriés, c'est celui d'une guerre fratricide, celui du déracinement dans la hâte et le dénuement, celui de l'intégration dans un pays qui était le vôtre et dont le sol vous était pourtant, souvent, inconnu. Le drame des rapatriés, c'est d'avoir tout perdu, et même parfois d'avoir perdu les êtres qui leur étaient les plus chers.

Le drame des rapatriés, c'est d'avoir été désignés coupables ; coupables de profiter d'un système injuste, le système colonial, et de s'enrichir aux dépens des populations autochtones ; coupables alors que l'immense majorité d'entre eux ont œuvré, modestement, honnêtement, pour construire leur vie, mais aussi des écoles, des hôpitaux, des routes et des ponts qui leur ont survécu sur ce sol qu'ils chérissaient tant.

Oui, ils étaient enseignants, médecins, infirmiers, artisans, commerçants ou agriculteurs, ils avaient enseigné, soigné et cultivé des terres qui pour la plupart ne dépassaient pas 15 hectares. Ils étaient d'origines diverses — Français, Espagnols, Italiens, Maltais, et tant d'autres peuples qui avaient d'abord la Méditerranée en partage. Tous ont le fait le choix de la France.

Aussi les rapatriés méritent-ils le respect. Le respect pour le travail accompli de génération en génération, avec persévérance, sincérité, et souvent altruisme. Le respect pour les drames qu'ils ont vécus et qu'ils ont affrontés sans jamais abdiquer leur dignité, sans jamais renier leur attachement à la France, mais aussi, c'est bien normal, leur attachement à l'Algérie, au Maroc ou à la Tunisie.

Je citerai le président Nicolas SARKOZY qui, en décembre 2007, a dit avec force : « la France ne doit pas oublier les hommes et les femmes qui ont œuvré de bonne foi pour leur pays, dans le respect de ses lois, et qui se sont sacrifiés parfois ». Non, la France ne vous oublie pas. C'est pourquoi nous veillons tout particulièrement à ce que la mémoire des rapatriés ne soit ni trahie, ni bafouée. C'est là notre responsabilité, à tous, car votre mémoire est aussi notre mémoire. Nous devons la respecter, la faire connaître et la transmettre.

Vous l'avez rappelé, Monsieur le président [du comité aixois aux rapatriés] : le choix du 5 décembre comme journée nationale d'hommage aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie, les combats du Maroc et de la Tunisie répond à cette exigence. C'est un choix responsable, parce que cette date du 5 décembre n'offense personne, parce qu'elle ne blesse la mémoire de personne, parce qu'elle rassemble dans un même hommage national toutes les victimes militaires et civiles. Elle se veut fédératrice, afin que les commémorations soient un moment d'unité pour notre Nation, et non un risque de divisions.

Aussi, le 19 mars ne peut pas être une commémoration nationale. Car, précisément, le 19 mars divise. Si je peux comprendre que cette date marque la satisfaction de soldats à retrouver leurs foyers, rien ne peut faire oublier que cette date marque pour vous le début d'un drame personnel, familial. Je n'oublie pas non plus que des dizaines de milliers de harkis et de pieds- noirs ont été tués dans les semaines et les mois qui suivirent les accords d'Evian. Alors, par respect pour les victimes, par respect pour les familles, par respect pour vous, la Nation ne peut pas et ne doit pas se rassembler le 19 mars.

Dans le même esprit, nous œuvrons pour une approche des événements qui tende à une meilleure objectivité. C'est la condition d'une mémoire apaisée, et c'est la mission que s'est fixée la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie. [Installée le 19 octobre 2010, en présence de mon prédécesseur Hubert FALCO, elle est actuellement présidée par Claude BEBEAR.]

En cette année du 50ème anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, nous devons redoubler d'attention : c'est pourquoi je me suis personnellement entretenu avec le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel [CSA], afin que l'évocation de ces pages encore douloureuses soit la plus équilibrée possible, et qu'aucune mémoire ne puisse se sentir lésée.

Je pense tout particulièrement, bien sûr, à la mémoire des victimes, et plus largement à la mémoire de tous ceux qui ne sont plus là pour la transmettre. Le Gouvernement a notamment à cœur, en concertation avec les autorités algériennes, d'entretenir, de rénover les cimetières des Français en Algérie et, quand il est impossible de faire autrement, de les regrouper. Entre 2005 et 2009, nous avons déjà doublé le montant des crédits initialement prévus. En novembre 2010, nous avons décidé d'augmenter encore les crédits et de solliciter davantage le concours des collectivités territoriales. Le ministère des Affaires étrangères et européennes a également accepté le recensement de tous les registres d'inhumation : il s'agit là d'un projet que nous souhaitons mener en coopération avec les associations de rapatriés.

Veiller à la mémoire des victimes, c'est aussi poursuivre, amplifier l'hommage qui leur est dû. Ainsi, en décembre 2009, l'hommage national aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie, les combats du Maroc et de la Tunisie a été étendu aux Français civils morts rue d'Isly à Alger, le 26 mars 1962.

Nous nous apprêtons à franchir une étape supplémentaire. Comme vous le savez, la Mission interministérielle aux rapatriés a engagé depuis plus de deux ans, avec le soutien de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, un important travail de recoupement pour établir la liste des disparus civils. Ces recherches ont été coordonnées par un groupe de travail auquel participaient activement des responsables d'associations de rapatriés. Je souhaitais les remercier pour leur contribution importante.

Le résultat est aujourd'hui connu : 1585 noms seront inscrits d'ici le 29 février sur la colonne centrale du mémorial du Quai Branly. Je tenais à vous l'annoncer en ce jour particulier. C'est un geste fort, un geste d'hommage et de reconnaissance, auquel vous teniez tout particulièrement. Avec ce geste, nous honorons notre responsabilité de faire vivre notre mémoire collective.

Il en va de même avec l'ouverture des archives, à l'issue des 50 ans fixés par la loi. Elle doit permettre de mieux connaître, de mieux comprendre cette page de notre histoire. Je sais qu'un autre projet vous tient à cœur : la construction d'un monument, en hommage aux Français d'Afrique du nord morts pour la France. C'est une aspiration légitime et j'y suis très sensible. J'ai donc demandé au président de la Mission interministérielle aux rapatriés, Renaud BACHY, de contacter vos associations sur ce dossier. Vous pourrez notamment lui proposer des noms pour enrichir le groupe de travail auquel a été confiée l'étude du projet. Je souhaite en effet que ce groupe vous présente au plus vite un rapport d'étape sur les modalités de construction du monument.

Vous le savez peut-être, je suis également très désireux de faire évoluer le tourisme de mémoire. Il représente l'avenir pour une mémoire vivante, un patrimoine entretenu. La mémoire des rapatriés est, à mon sens, pleinement concernée. Nous travaillons actuellement à la refonte d'un site internet dédié au tourisme de mémoire : j'ai donc demandé à la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives de me faire des propositions pour établir un chemin de mémoire pour les rapatriés et les harkis. Il aurait tout sa place dans ce nouveau site internet.

Ces projets vous tiennent à cœur, ils me tiennent à cœur à moi aussi. C'est pourquoi, soyez-en sûrs, je les suivrai de près. Comme la proposition de loi du sénateur COUDERC, qui vise à sanctionner pénalement les insultes faites aux anciens supplétifs et qui vient d'être votée à l'unanimité au Sénat, ils sont la preuve que la France ne vous oublie pas, que la France sait ce qu'elle vous doit et qu'elle n'aura de cesse de vous témoigner sa reconnaissance.

Nous y sommes d'autant plus résolus que vous n'avez pas toujours eu l'attention que vous méritiez. Et vous avez d'abord manqué de soutien, ce soutien que vous étiez en droit d'attendre quand vous avez tout abandonné pour venir vous installer en métropole. Vous avez manqué de soutien et néanmoins, vous avez su reconstruire votre vie alors que vous aviez tout perdu. Vous avez œuvré, à la seule force de votre volonté, pour vous intégrer et contribuer au développement de notre pays durant les Trente Glorieuses. Cette détermination, ce sens de l'effort et du devoir furent admirables. Ils méritaient vraiment que l'Etat les accompagne.

C'est pourquoi nous avons, depuis, engagé des chantiers importants, mis en œuvre des dispositifs d'aide matérielle. Même si tout n'est pas parfait, j'en conviens, ils ont à ce jour permis d'obtenir des résultats, sur les sujets qui vous importaient le plus. Je rappellerai, si vous le permettez, les principaux d'entre eux.

Le sujet des retraites, d'abord. La loi du 4 décembre 1985 avait posé le principe d'une aide financière de l'Etat pour les rapatriés souhaitant procéder à un rachat de cotisations de retraite de base, pour les années d'activité professionnelle effectuées avant leur rapatriement. Cette mesure a concerné près de 98.000 rapatriés, pour un coût global de 912M€.

Egalement, grâce à un décret de 2005, les rapatriés qui rencontraient des difficultés pour produire les justificatifs nécessaires à la validation de leur activité professionnelle en Algérie, peuvent désormais présenter une attestation sur l'honneur pour faire valoir leurs droits à la retraite.

S'agissant des retraites complémentaires, un fonds a été constitué en 1988, par une convention entre l'Etat et Groupama. Il a permis jusqu'à présent d'améliorer les retraites complémentaires de 15.000 rapatriés. En 2010, nous l'avons abondé de 7,3M€ afin que les retraites continuent d'être versées. Ce fonds doit en effet pouvoir bénéficier à tous les rapatriés.

J'en viens à la question du surendettement : je rappelle que 346 plans d'apurement avaient déjà été proposés, pour 718 dossiers éligibles. 303 dossiers de désendettement, déclarés éligibles mais pour lesquels aucun plan d'apurement n'avait jusqu'alors été mis en place, ont été réexaminés en 2008 à la demande du président de la République. A ce jour, seule une dizaine de dossiers est encore en instance.

Malheureusement, la semaine dernière, la suspension des poursuites a été déclarée contraire à la Constitution. A ma demande, la Mission interministérielle aux rapatriés a immédiatement préparé un nouveau texte pour tenir compte des remarques du Conseil constitutionnel. Les personnes concernées doivent bénéficier de nouveau, et au plus vite, d'une suspension des poursuites pendant un délai de deux ans, jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur situation d'endettement.

Par ailleurs, la Mission interministérielle aux rapatriés a définitivement réglé la question des prêts de consolidation en 2010, question qui était en souffrance depuis plus de 25 ans. Surtout, depuis 2007, nous avons donné aux préfets les moyens juridiques et financiers d'empêcher les expulsions de rapatriés ou de mineurs réinstallés dans une profession non salariée n'ayant pu bénéficier des dispositifs antérieurs de désendettement.

Ce sujet des expulsions est particulièrement sensible, je le sais et je le comprends tout à fait. Comment accepter l'idée que, parce que vous avez déjà tout perdu il y a 50 ans, vous perdiez tout de nouveau aujourd'hui ? S'il est un sujet sur lequel nous nous devons d'agir, c'est bien celui-là.

C'est pourquoi j'ai demandé à mon collègue Claude GUEANT de ne pas accorder le concours de la force publique pour les expulsions prononcées et recensées à ce jour. J'ai dans le même temps demandé à la Mission interministérielle aux rapatriés de rouvrir tous ces dossiers et de les réexaminer au cas par cas.

Nous faisons là un pas important, essentiel pour les familles concernées. Je resterai très vigilant, très attentif aux suites qui seront données à ces dossiers. Vous pouvez être assurés de ma mobilisation, pleine et entière. Mesdames et messieurs,

Si j'ai tenu à porter devant vous ces avancées, ces projets, c'est parce que je sais qu'ils vous tiennent à cœur. Ils sont en cela des préoccupations communes, sur lesquelles nous sommes tout particulièrement engagés. En revanche, je ne suis pas venu vous faire des promesses intenables. Le dossier des indemnisations n'est pas fermé, mais je ne vous dirai pas, comme d'autres le feraient, assurément, sans vergogne, que nous allons accéder en 2012 à toutes vos demandes. Je refuse ce discours car, à l'heure où l'état de nos finances publiques exige plus que jamais des mesures d'économies, ce n'est pas un discours de vérité. Et ne pas vous dire la vérité, c'est vous manquer de respect.

Loin de ceux qui vous manquent de respect en vous berçant d'illusions et ceux qui vous manquent de respect en se préparant à la repentance, je suis venu vous dire mon engagement. Mon engagement à défendre votre cause et votre mémoire, mon engagement à vous témoigner la reconnaissance que vous méritez.

Le Bachaga Boualam avait eu ces mots très justes : « On peut tourner la page d'une histoire qui a duré cent trente ans, mais on ne peut pas effacer l'Histoire. On ne peut pas effacer ce que la France a apporté à l'Algérie » et, j'ajouterais, on ne peut pas effacer ce que vous avez apporté à la France et à l'Algérie.

Aussi, en cette nouvelle année, je souhaite que nous continuions d'œuvrer, ensemble, pour une France qui respecte ses rapatriés, une France qui assume son Histoire et ne néglige aucune mémoire.
Je vous remercie.



 

Discours de M. René ANDRES  (31 janvier 2012)

Monsieur le Ministre
Madame la Députée Maire
Mesdames et Messieurs les Députés
Mesdames et Messieurs les Elus
Mesdames et Messieurs les Présidents d’Associations
Mes Chers Compatriotes de toutes confessions
Mes Chers Amis

Monsieur le Ministre, nous sommes très honorés de votre présence ici, chez nous dans cette magnifique Maison des Rapatriés et Harkis, du nom de Maison Maréchal Alphonse Juin. Dois-je le rappeler, le Maréchal était Pied-noir, fils de gendarme, donc pas issu d’une famille de nantis. Bienvenue Monsieur le Ministre, bienvenue aussi à tous ceux qui, ici présents, ne connaissent pas ces lieux. Dans ces locaux, à l’étage supérieur, sont rassemblés de nombreux et authentiques documents qui retracent la vraie histoire de l’Algérie de 1830 à 1962. Ce que je vais vous dire, a été dit et redit depuis un demi-siècle, je le répèterai toujours avec la même foi, avec la même franchise. Je ne doute pas un instant que vos réponses seront de même. Monsieur le Ministre, j’ai écouté avec beaucoup d’attention, votre intervention le 18 janvier dernier, aux Invalides, comme celle du 19 janvier au Sénat. J’ai noté que vous avez à plusieurs reprises, cité le Devoir, les valeurs d’Honneur et la Reconnaissance. Vous n’ignorez sûrement pas que ce sont ces principes qui ont jalonné le long chemin parcouru par le peuple Pied-noir de Tunisie, d’Algérie et du Maroc durant toute la période civilisatrice de la France et notamment en Algérie.

Le Devoir :

Venus de tout le pourtour méditerranéen et aussi de France, des hommes et des femmes ont créé de leurs mains Algérie, cette Algérie avec la France et pour la France. Lorsqu’en 1914, la France s’est trouvée en danger, tous les habitants Chrétiens, Musulmans ou Juifs en âge de combattre, ont été enrôlés dans l’Armée Française, cette brave armée d’Afrique.

En 1939, une fois de plus, la France s’est trouvée en guerre. De Tunisie, du Maroc et de l’Algérie, ce peuple d’Afrique du Nord, s’est retrouvé une deuxième fois uni sous le Drapeau bleu blanc rouge, volontaire pour défendre la Patrie. Chaque village de l’Algérie, même le plus petit, possédait son monument aux Morts, sur lequel on pouvait lire les noms : Jean, Mohamed et David « Morts pour la France ». Nous étions tous honorés de ces combattants qui ont donné leur vie pour la France. A chaque 14 juillet ou 11 novembre ou 8 mai, tous ces fils de France se retrouvaient aux pieds de leur monument, arborant les médailles gagnées au prix du sang versé sur les champs de bataille, fièrement épinglées sur les costumes sombres ou sur les burnous blancs. C’était des moments de grand recueillement.

Les Valeurs :

Nous étions tous issus de cette terre devenue Française, nous croyions en cette terre rude, défrichée par nos pères, toujours à reprendre aux éléments, toujours à conquérir. Tous les ouvriers du monde travaillent durement et toutes les misères se ressemblent, c’est un fait indiscutable. Seule la façon d’espérer donne aux hommes le courage de leurs actes.

C’est parce que, comme nos aïeux, nous avons trop aimé notre Patrie, que nous ne pouvons oublier notre pays de naissance. Notre Algérie. On ne concevait pas qu’on nous dispute le droit d’y vivre et d’y demeurer Français. D’attentats en attentats, le sang coule, il coule trop. De renoncements en renoncements, on arrive au 19 mars et aux fameux accords d’Evian. Le 19 mars, la République déshonore la France. L’anti-France prend du galon et nous connaissons l’incroyable. Des réseaux en France s’organisent au mieux, encouragés par la politique d’alors et c’est la chasse contre les Français d’Algérie et contre les Harkis. Pendant plus de 4 mois, nous connaissons chaque jour une Saint-Barthélemy.

Ce 19 mars, en dépit de la parole donnée, est un sommet de la trahison non pas par la France, mais par l’Etat d’alors. Ce peuple d’Algérie, Français et Musulmans fidèles à la France, unis, s’est organisé pour dire non au 19 mars. Combien il avait raison ! Quelle meurtrière tromperie. Une honteuse capitulation à la sauvette que la victoire de nos armées sur le terrain ainsi que l’attitude des populations ne justifiaient nullement. C’est le chaos et l’escalade de la violence et de la terreur. Seul le gouvernement français appliquera ces accords. On estime jusqu’à 150 000, les « harkis », hommes, femmes ou enfants, qui furent assassinés dans des conditions d’une barbarie inimaginable : viols, massacres, ébouillantés vifs, égorgés, tandis que le peuple de France anesthésié par des médias aux ordres, détournait les yeux. 3500 civils ont été « officiellement » déclarés « disparus » sans que des recherches sérieuses n’aient jamais été lancées. Comment peut-on imaginer qu’une commémoration, conjointe avec l’Algérie du F.L.N. une victoire sur la France ?

Le 19 mars a été monté par des Français pour donner carte blanche au FLN, de préparer génocides et massacres, le blocus de Bab-El-Oued, fier quartier d’Alger, la fusillade du 26 mars et pire encore, le 5 juillet à Oran. Par respect, je vous épargnerai les détails. Nous avions droit à deux choix : la valise ou le cercueil.

Viennent les périodes de l’honneur et de la résistance. Je connais, Monsieur le Ministre, le sens que vous donnez au mot « résistance ». Je sais qu’il résonne noblement à vos oreilles. Ce peuple d’Algérie s’est organisé pour « résister », on l’a appelé « les révoltés d’Alger». Comment ne pas résister au sort dans lequel on voulait nous soumettre, nous qui avions toujours vécu aux seules couleurs de la France. Nous avons été traités de « braillards », alors cela est vrai, nous reconnaissons que c’est exact... On nous entendait de très loin quand on criait « Vive la France ! » On nous entendait de très loin lorsqu’un certain mois d’août en arrivant sur les plages de Provence, nous chantions « C’est nous les Africains ». On s’est même moqué de notre accent, mais l’hymne national accepte tous les accents, dès lors qu’il est chanté avec son cœur et sa foi. C’est lorsqu’il est sifflé que l’accent n’apparaît plus. Et c’est l’exode, le plus grand exode de France, mais aussi le plus cruel. Nous pensions trouver compréhension, c’est l’hostilité qui nous attendait. Un maire socialiste d’une grande ville, proche d’ici, avait eu une idée : nous rejeter à la mer. Nous n’allions pas, disait-il, laisser ces gens là transformer notre bonne ville de Marseille en Chicago. Aujourd’hui l’actualité nous pousserait à rire... si ce n’était pas grave. La suite, Monsieur le Ministre, vous la connaissez. Si j’ai voulu brièvement, trop brièvement peut-être vous rappeler quelques points de notre histoire, c’est pour mieux vous faire comprendre pourquoi notre émotion et notre indignation avaient atteint leur paroxysme quand nous avons appris qu’un coordonnateur avait été désigné afin d’organiser les cérémonies commémoratives du 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Cette Algérie avec qui il fallait se réconcilier, comme nous l’avions fait avec l’Allemagne. Cet exemple n’est pas bon. La réconciliation avec l’Allemagne s’est faite avec un régime démocrate mais pas avec les Nazis. Ce n’est pas le cas de l’Algérie dirigée par ceux qui ont de près ou de loin, participé au génocide de nos frères harkis et au massacre de milliers de Français d’Algérie et qui sont encore au pouvoir. Le temps dit-on, efface beaucoup de choses, mais pas tout. On a tout laissé, on a tout perdu. Malgré cela nous savons discerner entre ceux qui s’inclinent devant le drapeau tricolore et ceux qui se torchent avec, ou qui le brûlent devant un édifice public, devant la police médusée. Que voulez-vous, nous sommes ainsi faits, on ne transige pas avec l’honneur et le respect de la parole. Nous avons été élevés et éduqués comme cela depuis notre plus jeune âge. Que nous reste-t-il alors pour nous souvenir ? Quelques pierres parfois empilées, que nous appelons Mémorial, où nous venons nous recueillir, ou des stèles en mémoire de nos martyrs.

Ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, c’est notre devoir de se souvenir d’eux. Qu’on laisse tous nos morts reposer en Paix. Comme disait Chateaubriand « les morts ne peuvent plus rien pour les vivants, mais les vivants s’instruisent des morts ».

Oui, déjà 50 ans, occasion choisie pour tendre la main. Alors qu’en est-il du réel désir de rapprochement de deux peuples ? Laissons parler Louis ALBERTELLI – de St Denis la Réunion. Comment expliquer qu’une réconciliation entre la France et l’Algérie n’ait pu encore avoir lieu après 50 années. C’est que pendant 50 ans, les gouvernements successifs de la France et de l’Algérie et leurs médias « politiquement corrects » n’ont cessé de déguiser, d’occulter des vérités historiques gênantes, orientant celles-ci vers le fard ou le masque. L’oubli total de rappeler le patrimoine exceptionnel légué par la France en 1962, a fait le jeu de la dictature sans partage des dirigeants du FLN intrigants et incompétents. Ses dix millions d’habitants bénéficiaient dans leur grande majorité, des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires, hospitalières, scolaires et universitaires, que bien des départements de la métropole étaient en droit de leur envier. Sans oublier les importants gisements d’hydrocarbures découverts et mis en exploitation par la France. Est-ce pour cela que la France doit faire acte de repentance ?

Au lieu de reconnaître ce lègue notable, les dirigeants successifs des gouvernements de la République algérienne, n’ont pas cessé de fustiger la France colonisatrice. Il ne faut pas oublier qu’une réconciliation saine, sincère, durable entre deux peuples, ne se bâtit pas sur les fondations douteuses d’une histoire orientée, travestie et occultée, car ce serait trahir une deuxième fois tous les acteurs qui ont fait les frais de cette tragique histoire et qui attendent toujours l’acte de la reconnaissance de leurs malheurs.

Une mission du Mémorial est de faire connaître le parcours des Français en Algérie : grâce au soutien de la Municipalité d’Aix-en-Provence, nous avons pu éditer « Repères sur un chemin » dont nous avons l’honneur de vous offrir cet exemplaire. Je ne voudrais pas Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les élus, mes chers amis, terminer sans vous présenter mes vœux sincères de bonne et heureuse année, sans oublier à travers vous « La France ».

Permettez-moi, Monsieur le Ministre, d’espérer avoir été écouté.

A vous tous Merci !

René ANDRES

 


L'assistance


Chant "Les Africains"

Mis en page le 05/02/2012 par RP