Nos Ancêtres

(En souvenir de nos aïeux, les pionniers d'Algérie)

Ma cousine, en sa cave, a trouvé, I'autre jour,
deux gros anciens albums de photos de famille.
Notre aieule apparaît, gracieuse jeune fille
et le notaire altier, culotté de velours.

Au crayon, griffonnés, des noms qui n'ont plus cours:
Léopoldine, Agathe, Amédée ou Camille...
Gibus à huit reflets, amples robes à quille,
sous ces larges chapeaux qui devaient peser lourd...

Et ces hommes sans peur, ces femmes de courage,
c'est eux qui ont osé le périlleux voyage
vers la terre inconnue où tant d'espoir a luit...

lls posent sans sourire, en leurs habits de fête,
attendrissants et beaux, des rêves plein la tête...
Mais en terre étrangère ils dorment aujourd'hui.

lls dorment aujourd'hui d'un sommeil agité,
car il n'est pas de place, et même au cimetière
où vous garde du vent ni le marbre ou la pierre
lors que passe l'hiver et que flambe l'été.

Sous la dalle rompue où chaque nom s'efface
et sur la terre aride où leurs os sont jetés,
ils guettent la Toussaint, quand les fils de leur race
les bras chargés de fleurs, en priant s'arrêtaient.

Mais l'herbe pousse drue et la seule visite
est celle des moutons qui la viennent brouter.
Est-il vrai que trente ans ont passé sur ce site?
Mais trente ans ne sont rien face à l'éternité.

 


Echo de l'Oranie n°265 1999

Les pionniers morts sont las de tant de sacrilèges.
Mille âmes ne font plus qu'une apre volonté,
et voici que les os épars soudain s'agrègent,
drapés dans un lambeau de drap déchiqueté.

Les morts abandonnés, en terrible cortège
s'en vont par les chemins d'ancienne loyauté.
Leurs yeux creux ne croient pas l'étrange sortilège
qui semble avoir frappé de sa calamité.

lls visitent les douars, les villes, les villages:
Partout règne la mort et la stérilité.
Il semble que l'instinct cruel des premiers ages
ait réduit cette terre à la bestialité.

Mais alors, étendant une main squelettique,
chacun d'eux reconnu son bourreau hébété,
et se voyant vengé, un grand rire hystérique
de talweg en djebel ne peut plus s'arrêter.

De Cherchel, Tipasa, les stèles mutilées
répercutent l'écho de cette hilarité.
Parmi le rocher rouge et les mortes vallées,
sur les champs calcinés, il roule sans gaieté.

Soudain, fous de douleur, se sont tus les fantômes.
Quittant ce sol souillé par trop d'atrocité
où leur fut disputé jusqu'à leurs derniers sommes
le lent cortège va se noyer au Léthé.

 

Geneviève de Ternant

Juin 1999