La longue épopée de l'Armée d'Afrique

Soldats de tous les barouds

 

L'histoire de l'Afrique du Nord française est inséparable de l'expansion des corps de troupe locaux dits " de souveraineté ", qui, levés dans les premières décennies de la conquête finirent par constituer, en même temps qu'une armée originale riche de couleurs et de traditions, une réserve stratégique dont le poids se fera sentir lors des deux guerres mondiales.

Entre 1940 et 1944, ce " joker " a eu une influence majeure sur le destin national dans la mesure où les forces d'Algérie, de Tunisie et du Maroc, relativement épargnées par les rigueurs de l'armistice, se sont trouvées dépositaires de l'espoir et du fer de la revanche, avant d'être les plus nombreuses à les porter dans les longues et meurtriers étapes de la reconquête.

La revanche

On ne sait pas assez que la restauration des armes de la France, qu'illustre pour l'Histoire l'épopée du C.E.F en Italie, a commencé en Tunisie pour les mobilisés de Constantine, Alger et Oran, remis en ligne par le débarquement anglo-américain de novembre 42 et la menace allemande à l'est du nouveau front. Ni que cette coûteuse campagne de six mois (16.000 tués, disparus et blessés sur 70.000 hommes) a non seulement aidé les Alliés à chasser d'Afrique l'ennemi germano-italien, mais a permis de renouer les maillons de la France combattante: Français libres de Leclerc et Koenig, " Africains " de Juin et Koeltz.

Soutenus par les groupes d'artillerie et le Génie d'Afrique et renforcés par les fameux tabors marocains, ces corps de tradition, fondement de la résurrection militaire française, vont globalement quadrupler leurs effectifs par l'accélération du recrutement Légion et la mobilisation de plusieurs classes. Ces dernières fourniront entre 42 et 44 plus de 400 000 hommes, dont 233 000 Algériens, Marocains et Tunisiens de souche " et 176 000 de ceux qu'on n'appelle pas encore les Pieds-Noirs, mais dont le taux de mobilisation (15 % de leur communauté) dépassera le niveau national de de la guerre de 14-18.

Juin l'Africain

Pour les conduire, un des leurs: le Bônois Alphonse Juin. C'est le futur Maréchal de France qui les regroupe et les maintient, avec leur pauvre armement d'armistice, sur les dorsales tunisiennes où l'ennemi tente de reprendre l'initiative. C'est encore lui qui anime l'offensive d'ltalie, où ses trois divisions nord-africaines, réarmées par les Alliés et renforcées en chemin, par la 1ère DFL (qui intègre elle-même un régiment de Légion et un bataillon de marche recruté en Algérie) vont gagner leur dimension d'armée.

Ainsi les troupes aguerries qu'il laisse à de Lattre pour prendre en Provence la plus grande part française de la libération seront-elles groupées sous le nom d'Armée B, qui deviendra la 1ère Armée dans sa poursuite victorieuse de l'ennemi.

Aux créneaux de l'empire

La paix, chèrement acquise, ne renverra pas longtemps dans leurs garnisons ces Africains " qui venaient des colonies pour défendre le pays ". De l'lndochine à l'Algérie, légionnaires, spahis et tirailleurs verseront encore leur sang aux derniers remparts de l'Empire. Aujourd'hui, les premiers (dont la " Mecque " de Sidi Bel Abbès a été reconstituée à Aubagne) maintiennent (avec le1er Spahis de Valence et 1er Tirailleurs d'Epinal, sauvés de la dissolution), I'esprit et la valeur de l'Armée d'Afrique dans les forces d'intervention et ce qui reste de la présence française outre-mer.

Les héritiers

Constitués en régiments de haute mobilité, puissamment armés et entraînés pour toutes les formes du combat moderne, ces " héritiers " savent ce que leur condition de soldats d'élite doit au cœur, à l'expérience et au sacrifice de leurs grands aînés, qu'ils fussent pionniers de Bugeaud, croisés de Juin où baroudeurs des rizières d'lndochine et des djebels d'Algérie.

Jean BRUA

Nice-Matin du 1er juin 2002