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Agnès BASTIEN-THIRY
MON PERE, LE DERNIER DES FUSILLES. (Editions Michalon)



L'écriture libère, mais elle n'affranchit pas de toutes les conventions ancrées par des années d'habitude, la nécessité dé se tenir droit, de ne pas se livrer et de taire sa souffrance. Il y a des choses qui ne se font pas, dont on ne parle pas. Alors, même si elle a réussi à faire le deuil de son père en se dédiant à ce très beau travail de mémoire, Agnès Bastien-Thiry semble hésiter à exprimer de vive voix ce qu'elle a su confier par écrit.
Souriante et aimable, attentive, et pourtant toujours dépositaire de la mémoire de son père, héros pour les uns, fanatique illuminé pour les autres. Elle a réussi à le décrire, à l'analyser, à le comprendre et à l'aimer au-delà du mythe, en prenant en compte ses faiblesses, ses failles secrètes, dissimulées par la légende. Mais dans ce salon de l'appartement de Neuilly, dont les fenêtres ouvrent sur le jardin où médite un gros lapin noir, flotte encore le fantôme de Jean Bastien-Thiry. Polytechnicien, lieutenant-colonel de l'armée de l'air, pilote d'essai et brillant ingénieur. Le chef du commando qui, le 22 août 1962, tenta de tuer de Gaulle au Petit-Clamart.
Marié, père de trois filles, profondément catholique. il s'obstina dans une défense provocatrice, faisant de son procès une tribune, un affrontement d'homme à homme avec celui qu'il considérait comme un traître à la patrie et à la parole donnée. Il aurait pu être gracié, courber l'échine, sauver sa peau et retrouver sa famille. Et même, comme il en avait l'intention, se livrer à de nouvelles tentatives, si le cœur lui en disait... Il ne le voulut pas, enferré dans ses principes, son combat. Son idéal de chevalier blanc. Fusible idéal, martyr désigné. Rien à voir avec les officiers entrés dans la clandestinité de l'OAS, ou avec les demi-solde prêts à tuer mais pas à se faire prendre, rompus à l'action, rusés et réalistes.
Agnès avait 3 ans lorsque son père a été fusillé au Fort d'Ivry. Sa sœur aînée, Hélène, 7 ans, Odile, 5: "La douleur s'est enfouie en nous, secrète, profonde, comme une plaie mal soignée. " Un traumatisme ineffaçable que seule la petite dernière semble réussir aujourd'hui à surmonter tant bien que mal à travers l'écriture de ce livre. Les aînées se sont refermées sur leur douleur. Hélène n'arrive toujours pas à parler de cette période, même si elle consacre une partie de son temps à perpétuer la mémoire de son père. Odile a fini par s'ouvrir, à réveiller des souvenirs de cet homme dont Agnès n'a que quelques images floues: " Elles peuvent se remémorer un visage, une voix, un sourire, alors que je ne me souviens que d'un père derrière les barreaux. Peut-être est-ce aussi ce vide en moi qui me motive et me permet d'avancer dans mon enquête... "
Ce qu'elle raconte, elle l'a appris en rassemblant de multiples témoignages. Un travail long et difficile, des réticences aussi bien familiales qu'administratives et des moments d'émotion, comme lorsqu'elle voit pour la première fois son père se mouvoir sur les images d'un vieux film. Agnès Bastien-Thiry est psycho-généalogiste. Cette discipline l'a aidée à décrypter les ressorts secrets de l'acte de son père. Comment, malgré les apparences de la réussite et l'assurance d'une carrière toute tracée, il a pu basculer, fragilisé depuis l'enfance par un deuil qu'il n'avait jamais fait, lorsqu'il perdit sa mère à 3 ans. En remontant le fil des générations, elle découvre une terrible loi des séries familiale, faite de morts prématurées et de voiles jetés sur les sentiments, au nom des principes et du devoir d'excellence.
En s'opposant à De Gaulle, Jean Bastien-Thiry s'oppose à son père, gaulliste inconditionnel et scientifique austère, mais qui aimait son fils plus que tout. Sans le lui dire, bien sûr, parce que ces choses-là ne se disent pas. Rester droit, coûte que coûte, au risque de se briser net.
Mon père, le dernier des fusillés, d'Agnès Bastien-Thiry, Michalon, 220 pages, 17 E.

Vladimir de Gmeline dans "Valeurs Actuelles" du 8 Mars 2005

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*COMMENTAIRES*

Elle avait trois ans quand son père a été fusillé, le 11 Mars 1963, par De Gaulle. Dans un livre d'une rare sensibilité, elle révèle des aspects inattendus de leur histoire.

Jean-Pierre FERRER