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Jean MONNERET
Camus et le terrorisme (Michalon)



« J ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s exerce aveuglément dans les rues d Alger par exemple, et qui peut un jour frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
En condamnant la terreur comme système politique et arme de guerre, Camus est devenu le bouc émissaire de l intelligentsia. La fameuse apostrophe par laquelle il honnit le terrorisme a été souvent déformée ; elle lui est toujours reprochée.
À ses yeux, le terrorisme est le fléau de notre époque. L organisation terroriste, parce qu elle s attaque à des civils innocents, parce qu elle postule la diabolisation de l adversaire et met en avant l idée de responsabilité collective, reproduit ce qu elle voulait abolir : l arbitraire. Elle joue toujours contre la justice.
Camus a distingué le terrorisme révolutionnaire et le terrorisme d État, mais pressenti qu on pouvait passer de l un à l autre. « Quelle que soit la cause que l on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d une foule innocente. »

Comme l écrivit La Bruyère, il apparaît de temps en temps sur la surface de la Terre des hommes rares. Tel fut Albert Camus. Ennemi du terrorisme d État, ennemi du terrorisme tout court, il fut la voix de ceux que l on privait de parole. Pour lui, l axe fondamental de l action politique devait être de ne pas consentir au Mal et de ne pas légitimer le meurtre. Une leçon qui ne sera jamais perdue.

 

 

*COMMENTAIRES*

Dans cet ouvrage, Jean Monneret s’applique à retracer ce que fut l’évolution intellectuelle d’Albert Camus face au système politique du terrorisme. Il analyse les principaux ouvrages de l’auteur, dont «  l’Homme révolté et Les Justes  », et les commentaires qu’en ont tirés Olivier Todd, Robert Zaretsky et Michel Onfray. Il part de la déclaration du Prix Nobel en décembre 1947 - déclaration souvent falsifiée - qu’il rectifie comme suit :

«  A l’heure ou nous parlons, on jette des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans l’un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère  ». Il contredisait ainsi le sens de l’Histoire des idéologues, et l’idée que «  la fin justifie les moyens  ».

Exclu du parti communiste en 1937, Camus a suivi les contradictions du communisme à l’heure du voyage de Laval en Russie. En Algérie, ces contradictions conduisaient à accuser les nationalistes de fascisme. En 1942-43, l’expérience de la Résistance, à Lyon puis à Paris, révèla à Camus l’abjection totalitaire du nazisme et du stalinisme, et lui fit condamner l’avilissement de l’homme dans les camps. Il constatait également que la résistance française ne pratiquait pas le terrorisme, contrairement à l’opinion de Badinter.

L’opposition de Sartre contre Camus, développée dans les colonnes des Temps modernes, met en lumière le rôle des juges-pénitents, compagnons de route de la révolution soviétique, elle-même héritière de la terreur de 1793. La même illusion conduit au soutien du FLN, adepte du terrorisme révolutionnaire, et dont la prétention laïque s’appuie en fait sur la théocratie islamiste et provoque la guerre civile arabo-musulmane.

Tout en condamnant la pratique de la torture, Camus observe que la dénonciation de la répression encourage les terroristes. L’échec de sa campagne pour la Trève civile entraîne son refuge dans le silence, face à une situation inextricable où l’Algérie meurt de résignation généralisée. Passant en revue les justifications de la violence « libératrice du peuple », de Zohra Driff à Pontecorvo et à l’exposition du Musée de l’Armée, l’auteur relève un nœud inextricable d’accusations qui se poursuit dans la guerre civile des années 90. La vertu du révolté, selon Camus, serait au contraire de ne pas céder au mal.

La thèse camusiennne de 1937, Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, révèle certains ressorts de sa philosophie. Il oppose l’héritage gréco-latin de Plotin et Saint Augustin au messianisme marxiste et au nihilisme des mauvais génies de l’Europe (Hegel et Nietzsche). Il se prononce ainsi pour la philosophie méditerranéenne de la mesure.

En conclusion, Jean Monneret estime que le terrorisme, devenu islamiste et mondial, appelle le recours aux armes spirituelles. Plusieurs annexes documentées complètent cette réflexion enrichissante.

Maurice Faivre, le 12 août 2013