L'algérianiste N°136 de décembre 2011

L’Humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Qui se souvient encore, en dehors de notre communauté que nous fûmes « Algériens ›› ou « Français d'Algérie » avant d'être «  Pieds-Noirs » ? Sans vouloir relancer le débat interminable sur l'origine du terme, on aurait mauvaise grâce a refuser à Dodièze son avis sur la question, D'abord, ce serait encourir la rabia « de tous ses morts » et l'on sait par expérience qu'il vaut mieux la laisser à d'autres. Mais surtout, on se priveraít du plaisir de le  voir faire l'âne pour avoir du son. Autrement dit, et pour rester dans le registrc orníthologique qu'il a lui-même choisi, de se servir de petits oiseaux pour en pièger un grand...

 

 

Comme un vol de «  pieds-noirs » hors du pays natal

 

DODIÈZE - Je m'ai lu assaoir où un vieux artique de ton père qu'i dit que les premiers pieds-noirs, c'étaient des oiseaux mi-gratteurs. Pourquoi «  mi-grateurs  »? Pasqu'i'z'avaient qu'une patte?

].-B. - Attendez, attendez! Vous attaquez sur deux fronts, là! « Migrateurs  », d'abord. Ne faites pas semblant d'avoir entendu autre chose. Enfin, Dodièze, vous connaissez bien le sens de ce mot! Ça veut dire « migrants ››, ou «  émigrant ». Dans notre Afrique du Nord, nous étions habitués à voir arriver des nuées de ces petits voyageurs ailés...

DODIÈZE - Aujord'hui, c'est le contraire. Les migrants que tu dis, et pas que les zoizeaux, i oyagent sens inverse.


].-B. - Hum! Bon, revenons à Edmond Brua. Il est vrai qu'il a émis une « hypothèse ornithologique »  à propos de l'origine du terme » pied-noir ».


DODIÈZE - Orni quoi? Ça a rapport avec «  ornicar » qu'on l'apprenait à l'école ?


].-B. - Non, avec les oiseaux. Comme «  pied-noir » justement.

DODIÈZE - Tu me prends pour un Parisien gros-bec (1) qu'on peut lui monter n'importe quelle endoffade (2) de tchibec (3) ou ton histoire du pied-noir que ça serait un zoizeau. Alors, comme ça, en volant en l'air, i serait venu mon l'arrire-grand-père spagnol, comme qui dirait en stop a'c les hirondelles ?


].-B. - Pas lui, l'oiseau qui est à l'origine de l'appellation...

DODIÈZE - Eh ben alors, comment qu'i s'appellationne, ce zoizeau ?


].-B. - Le traquet-pâtre (4). Mais on dit aussi ped negre, ou pénègre, en provençal. Ce qui veut dire « pieds noirs ››, parce qu'il a les pattes noires, ce petit volatile.

C'est aussi simple que ça.


DODIÈZE - Ah bon? Et il a trouvé ça tout seul, Edmond ?

J.-B. - Non. C'est en lisant une étude de l'entomologiste ]ean-Henri Fabre (5) sur les prédateurs d'insectes qu'il a fait le rapprochement entre le nom de ce passereau bien connu des chasseurs du Maroc et celui (jamais vraiment expliqué)

qui nous a été donné dans les années 50, peut-être parce que nous étions nous aussi des «  migrants » venus d'Europe...


DODIÈZE - Ouais... Scuse-moi que si j'aurais des cheveux, ça me les tirerait bienbien, ta lypothèse Zoizeaulogique. Sûr que ton père - que c'était un grand princesans-rire - il a sorti ça pour faire zoizeau d'avril. Mais... (il se gratte le crâne, l'air pensif) quâ, même que ça m'a tout l'air d'une bloffe (6) en moitié fausse, en moitié pas vraie, ça me donne la splication d'une affaire que j'l'ai lue dans le jornal.


J.-B. - Allons, bon! Quelle affaire?


DODIÈZE (un doigt sur les lèvres) - Secret et chinchin-gomme: l'affaire de l'estatue de De Gaulle.


J.-B. - La statue de De Gaulle? Vous voulez sans doute parler de celle de Nice, dont l'inauguration a soulevé une vague de protestations de notre communauté


DODIÈZE - Tout juste, Auguste. Sauf que toi tu dis « soulevé », et moi je dis «  fait tomber ».


J.-B. - Comment ça, « fait tomber »? (piqué) Pardon de vous contredire, cher
Dodièze, mais je maintiens « soulève ». Vous savez que je suis à cheval sur la précision des termes que j'emploie...


DODIÈZE - A cheval sur un bourricot, t'i'es. Pasque moi - que j'ai pas les oreilles sourdes ni les yeux laouères (7) - j'l'ai bien entendu aux Guignols de la télé et lu dessur le Canard que le maire de Nice i va-t-être obligé de commander à l'esculpteur le parapluie en bronze, la faute aux éjections des pigeons...


J.-B. (cassé de rire) - Ah! Ah! Une version posthume, si j'ai bien compris, de La Dépigeonnisation du regretté Henri Tisot!


DODIÈZE - Tu rigoles, mais mieux ça s'rait que tu réchéflis. «  Ejections de pigeons », qu'i dit le maire. Je crois que c'est lui, le pigeon, diocane! Pasque moi que je suis pas maire ni journalisse, ni sercheur de la Cadémie d'essence, je m'l'ai entendu dire que depuis que ça a commencé le oyage retour des oiseaux d'l'Afrique du Nord à l'automne, eh ben à Nice, c'est pluss pire que les sauterelles, de tant qu'il en arrive dessur la place ousqu'on l'a plantée l'estatue de l'Aute. Tout le monde i font semblant qu'on comprend rien au philomène, mais méteunant que moi j'l'ai compris ta splication piénoirologique et rien qu'on la oit la couleur qu'il a venu le monument, plus la peine de sercher le pourquoi ni le comment...


]ean
Brua

(Dessins de l'auteur)

 

Splications 1) Gros-bec: synonyme ancien de «  patos » ou «  francaoui » qui désignait le Français de métropole
2) Endofade : tromperie, mystification

3) Tchibec : gibier mytique servant de prétextes aux endoffades de gros becs

4) Traquet-pâtre alias saxicola-rubicola
5) Jean-Henri Fabre 1823-1915
6) Bloffe: mensonge, blague
7) Laouère : mal-voyant (de l'arabe l'aouer : aveugle)

 

 

Mis en page le 03/01/2012 par RP.