Supplément de l'Algérianiste n°136 de décembre 2011

1962 - 2011 - Le scandale des cimetières d'Algérie

Interview de Gérard Rosenzweig, administrateur national et responsable, pour le Cercle algérianiste, du dossier des cimetières en Algérie

Le scandale de nos cimetières d'Algérie est en passe de devenir le plus important des dossiers que le Cercle Algérianiste aura à considérer dans cette douloureuse année du cinquantenaire de notre exil. Il en est aussi le plus ancien.
Très compliqué, encore plus complexe, il soulève tant de questions, que leur examen nécessite une profonde recherche et un large retour en arrière.

Quand ce scandale commence-t-il ? Dès l'indépendance de l'Algérie. Dès octobre 7962, la presse oranaise signale les premières profanations au cimetière Tamashouet, et encore plus au cimetière juif.

Avec le recul, pourquoi peut-on dire que ce problème semble insoluble ? En la matière, les lois et règlements internationaux sur le droit des concessions civiles sont ce qu'ils sont. C'est-à-dire impitoyables avec les absents. Et aussi par la mauvaise volonté du pouvoir d'Alger, associée aux fausses déterminations du Quai d'Orsay. Ce même ministère qui, avec l'Elysée, réalise l'urgence en..., 2003 ! Soit quarante et un ans après notre malheur.

Mais combien y avait-il de cimetières en Algérie en 1962 ? Combien de spultures ? Nul n'en sait rien avec certitude.
Là aussi incroyable que cela soit, la R
épublique française ignore ce nombre. C'est ainsi que pas un service d'Etat ne peut les chiffrer aujourd'hui avec certitude.

Que sait-on exactement sur les cimetières ? Rien de précis ! En 1962, il y avait entre 400 et 900 cimetières sur l'ensemble du territoire algérien. Le nombre le plus proche de la vérité étant autour de 525.

Et sur les tombes? Là aussi, c'est le flou le plus total: de 1830 à 7962, on peut estimer leur nombre entre 180 000 et 250 000 (problème des tombes uniques, et des tombes-caveaux). Les différentes sources s'accordent sur environ 220 000 tombes qui abriteraient entre 400 000 et 600 000 dépouilles mortelles.

Ces nombres sont-ils si importants? Encore plus qu'importants, car avec le temps et l'évolution de l'histoire, ils sont devenus un enjeu profondément politique: quelques milliers de sépultures ne signifieraient rien. Par contre, 500 000 corps inhumés en notre terre, prouve la puissance, l’importance l'enracinement et l'ancienneté de notre implantation. Un peuple existe et se pèse au nombre de ses tombeaux. Ces nombres démontrent le bien-fondé de nos droits historiques sur notre patrie natale. L’Algérie qui le nie, et la France qui voudrait bien l'oublier ,toutes les deux ont donc intérêt, surtout aujourd'hui, à les minorer...

Quand nos cimetières subissent-ils leurs premières atteintes ? Comme je l'ai dit, dès fin 7962. On parle de dégradations, de vols, mais pas encore de profanations, car 1e mot fait peur surtout au nord de la Méditerranée.

Nos tombes, ont-elles vraiment été abandonnées ? Oui dans la faible part de l'effacement des familles disparues, ou décimées par la guerre; non, dans l’immense majorité des autres cas. De 1970 jusqu'au début de la guerre civile de 1997, c'est le temps des initiatives individuelles, des retours familiaux, des entretiens et travaux ponctuels. Quelques cercueils prennent le chemin de la France, mais devant la complexité algérienne des formalités, et f incertitude du résultat, ils ne représentent qu'un épiphénomène très minoritaire.

Existe-t-il des associations spécifiques ? La première est fondée en 1992, c'est I'ASCA, I'Association de Sauvegarde des Cimetières d'Algérie. Puis en 2004, le CSCO, Collectif de Sauvegarde des Cimetières d'Oranie. I1 faut rendre hommage à leur action car avec leurs voyages réguliers sur place elles ont contribué à une vraie prise de conscience. Ceci dit, il existe aussi d'innombrables micro-associations qui, surtout dans le bled, ont su établir des relations très positives avec les APC (Assemblées populaires communales). Nous devons saluer leurs efforts incessants malgré la pauvreté de leurs moyens.

La guerre civile islamiste de 1991-2000 a-t-elle eu un impact sur l'état des cimetières?Oui, énorme. Nos cimetières ont payé un lourd tribut à  ce conflit. Servant de caches surtout dans le bled, ils ont parfois servi de champ de bataille. Mais je pense que cette explication quant à  leur état, tombe à  point nommé.

Que se passe-t-il en 2008 ? Les grands projets de réhabilitation sont gelés fautes de crédits. A titre personnel, je crois que la France réalise l'inanité matérielle et la contradiction politique de la tâche. Pour elle aujourd'hui, entretenir les tombes des coloniaux devient un acte colonial. L'idée géniale jaillit en 2009 : c'est le regroupement des dépouilles mortelles.

De quoi s'agit-il ? Dans les lieux les plus menacés, les dépouilles mortelles sont exhumées, rangées dans des boîtes anonymes. Lesquelles boîtes sont regroupées dans des ossuaires. Ossuaires d'une laideur de bunker, sans la moindre identité, sans le moindre signe religieux, et portant juste l'indication des carrés d'origine.

Peut-on être optimiste ? Oui, mais à  court terme. Absolument pas à long terme : le béton des bunkers n'a aucun avenir. Il sera beaucoup plus simple d'éliminer définitivement ces ossuaires anonymes dans une dizaine d'années, et donc peu de gens sauront alors ce qu'ils représentaient et ce qu'ils contiennent. Ce sentiment profondément pessimiste est partagé par la majorité des associations oeuvrant en faveur de 1a réhabilitation des cimetières.

Où en sommes-nous en 2011 ? D'abord 2010 : les crédits sont à nouveau épuisés, crise oblige. Le Quai d'Orsay réunit les responsables d'associations en des réunions parfois houleuses. Enfin, en juillet 2011, dernière honte d'Etat : le JORF du 2 juillet page 11337 publie un arrêté. Cet arrêté stipule que 1a politique de regroupement se poursuivra et s'étendra. La bombe vient ensuite: «  Les familles qui désireraient effectuer le transfert des restes mortels des défunts concernés, sous réserve de preuve d'ayant-droit, pourront le faire à leurs frais, à  condition de se signaler sous quatre mois, auprès des consulats compétents  ». Fermez le ban.

Finalement, la date limite est reportée en janvier ou février 2012. Merci M. le Ministre et M. 1e Président, nous avons bien compris qu'après cette date butoir, la France et l'Algérie pourront enfin regrouper librement. Jusqu'aux cimetières non encore concernés... Regrouper sans scrupules. Regrouper jusqu'à l'effacement de notre histoire...