Le docteur Jean-Claude PEREZ
Adhérent du Cercle Algérianiste de Nice et des Alpes Maritimes
Auteur du livre « ATTAQUES ET CONTRE-ATTAQUES »
aux Editions Dualpha - BP 58, 77522 COULOMMIERS CEDEX

NOUS COMMUNIQUE SOUS LE N° 12 BIS L'ETUDE SUIVANTE :

8 MAI 1945

DANS LES HAUTS-PLATEAUX SETIFIENS

ET A GUELMA

POUR QUI LA REPENTANCE ?

Ce texte a été publié dans un numéro spécial du « Pieds-Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui » n° 173 Ð Avril 2009

Comme tout un chacun j'ai entendu parler, en mai 2005, du 8 mai 1945.

Comme tout un chacun j'ai entendu évoquer des « massacres » : ceux de Sétif du 8 mai 1945.

Comme tout un chacun j'ai appris qu'il s'agissait de massacres subis par des berbères musulmans affamés, qui s'étaient rebellés contre des Français affameurs.

Comme tout un chacun j'ai entendu parler de repentance : celle que la France devait exprimer à la suite de ces « tueries ».

Comme tout, un chacun j'ai enregistré la timidité, la passivité, plus encore la couardise, ne craignons pas la vigueur des mots, manifestées par certains de nos médias Pieds-Noirs dans leur riposte geignarde.

Comme tout un chacun j'ai ressenti un désespoir atroce né du manque de détermination de la part de notre communauté à se défendre avec force, avec violence, avec passion, contre l'accusation de génocide portée contre elle et contre notre armée, à l'occasion de cette horrible tragédie du 8 mai 1945.

Comme tout un chacun enfin, j'ai pris acte, d'une attitude coupable : le refus de connaître la signification véritable de ce drame car, lors de cette émeute, à, travers les seins coupés et les ventres ouverts des femmes françaises violées par des Berbères fanatisés, c'était la France, « l'Alma Mater », la Mère Patrie française que l'on  éventrait  dans un vacarme de youyous, aux cris de «  Jihad »  et de « qatlan ensara », «  tuez » les chrétiens !

Oui, j'ai enregistré tout cela et j'éprouve, aujourd'hui, un sentiment de honte à l'égard de ceux qui, parce qu'ils sont ignorants des faits, parce qu'ils se vautrent dans cette ignorance qui leur sert d'excuse et d'alibi, se taisent en refusant d'opposer la Vérité à ce séisme accusateur et diffamatoire.

La vérité, c'est-à-dire l'identité réelle des événements du 8 mai 1945, qui à l'évidence n'intéressent personne, à l'exception de nos frères et soeurs des Hauts-Plateaux sétifiens qui ont subi l'événement.

Et pourtant combien de fois, avons-nous insisté sur l'origine de ce 8 mai 1945, combien de fois avons-nous écrit et proclamé que ce 8 mai 1945, dans les Hauts-Plateaux sétifiens et à Guelma, illustrait le début militaire de la guerre d'Algérie, le début de la nouvelle Révolution Mondiale telle que nous la connaissons dans sa phase actuelle !

Révolution mondiale ?

« Pauvre abruti » m'a-t-on répliqué,  « mais, de quelle révolution mondiale parles-tu ? »

Avec pitié, plus qu'avec dédain et mépris, je leur ai répondu :

« la révolution mise en place par les stratèges de l'anti-Occident, qui ont su utiliser l'islamisme fondamentaliste algérien pour enclencher cette nouvelle dialectique ultime, c'est-à-dire cette nouvelle contradiction, qui illustre l'histoire du monde actuel : l'Islamisme, contre l'Occident chrétien.

L'islamisme, arme révolutionnaire actuelle, contre ce qui reste de la pauvre civilisation occidentale, capitularde, geignarde, pour ne pas dire soumise. »

Mais, aujourd'hui, parce que l'urgence l'impose, mon attitude s'est radicalement modifiée.

Halte à la rancoeur ! Halte au mépris !

Ce qu'il faut, c'est d'abord savoir, puis faire savoir. Et pour savoir, il faut regarder l'histoire. Mais dans un combat regarder ne sert à rien si l'on n'est pas capable de voir. Et pour être capable de voir il ne faut plus se piquer de cette vanité commune, à quelques Pieds-Noirs : celle de tout savoir.

Et que voit-on dans l'historique et la genèse du 8 mai 1945 ?

Ceci et pour l'amour du ciel regardez, mais surtout voyez !

En 1931, se réunit à Jérusalem le Congrès mondial de l'Islam, à la convocation d'Asmine El Husseïni, le mufti de Jérusalem, sous l'égide des services secrets britanniques.

En réalité il s'agit d'installer un dispositif de guerre dans le but, d'interdire la naissance de l'état d'Israël. Les Anglais, reniant les engagements de Lord Balfour, veulent s'opposer à la naissance de l'état Juif, dans l'espoir d'assurer la sauvegarde d'un oléoduc destiné à transporter le pétrole d'Irak au port d'Haïfa en traversant la Jordanie. Ils ont donc besoin des « Arabes » et ils jouent leur va-tout sur Asmine El Husseïni.

Mais celui-ci pour accomplir la mission dont il est investi doit s'appuyer sur la complicité de notables musulmans en renom du Proche-Orient. Tout particulièrement sur les animateurs de la « Nahdah ».

La nahdah, c'est la renaissance de l'islam, un mouvement islamiste spécifiquement arabe, qui est né en Egypte au lendemain de la victoire des Pyramides, remportée par Bonaparte.

Or, en 1931 la nahdah bénéficie du concours d'un animateur de prestige, d'un grand homme de l'Islam. Il s'agit de l'émir Chekib Arslan.

C'est un Druze libanais né en 1870, journaliste puis parlementaire à la Chambre ottomane. Avant toute chose, il s'agit d'un religieux profond, animateur principal de la nahdah, précisons-le encore et encore. C'est un homme doté d'une immense culture, mais avant tout c'est un fanatique du Panarabisme. Il est membre du parti Union et Progrès fondé en Turquie au XIXème siècle. En 1915, il participe activement à la campagne exigeant le génocide arménien. Plus tard, en 1931, au moment du congrès de l'Islam de Jérusalem, il est devenu, depuis 9 ans, un farouche ennemi de la France.

En effet, en 1922 il n'a pas accepté les décisions du traité de San Remo par lequel, la Société Des Nations (SDN) attribue à la France le mandat d'administrer la Syrie et le Liban. Alors que l'Angleterre reçoit le mandat d'administrer l'Irak, la Transjordanie et la Palestine.

Très vite, sous la pression du Roi Pétrole, le nouveau veau d'or du monde moderne, les Britanniques vont accorder l'indépendance à l'Irak, faire naître le royaume de Jordanie et assurer les Palestiniens musulmans de leur détermination à interdire la naissance d'Israël. Car les Anglais ont besoin du port d'Haïfa, pour garantir la rentabilité de ce fameux et théorique oléoduc.

Dans cette perspective il faut une caution islamiste, un appui spirituel, qui va soutenir dans le sens antijuif et antisioniste l'action du mufti de Jérusalem Asmine El Husseïni.

Qui va, personnaliser cette caution islamiste ? C'est l'émir Chekib Arslan, le Druze libanais, l'homme qui a réclamé le génocide arménien, l'animateur principal de la nahdah, expression religieuse du panarabisme.

Mais entre-temps pour les Britanniques Chekib Arslan offre une autre appréciable qualité : il est devenu un ennemi de la France, depuis le traité de San-Remo, comme nous l'avons précisé antérieurement . Il déclare la guerre à la France... en 1925. Il va prendre part à la révolte des Druzes syriens déclenchée cette année-là. De furieux combats seront livrés par l'armée française contre les rebelles. Au cours de cette révolte un officier subalterne français, est sévèrement blessé. Il s'appelle : Raoul Salan.

En 1926 un tribunal militaire français le condamne à mort par contumace.

Chekib Arslan s'installe alors, à Genève où il organise un comité suprême pour la « libération » de l'Afrique du Nord Française. Mais fidèle à la nahdah, qu'il continue d'animer, il fonde une revue « el Ouma », « la Nation Arabe »

A partir de Genève, de l'Egypte et des territoires non français du Proche-Orient, il prêche le jihad contre la France. Il est en contact permanent avec les grands indépendandistes berbères d'Algérie qu'il avait connus antérieurement, avant la guerre de 1914, lorsque ces derniers étaient venus accomplir des stages de formation au Hedjaz et dans tout le Proche-Orient. En particulier, il va connaître Abdelhamid Ben Baddis, Berbère de Constantine, et El Bachir El Ibrahimi, un Berbère du Constantinois, des Hauts-Plateaux sétifiens, né en 1889 à Tocqueville, Ras-El-Oued, pas loin de Sétif et Borj-Bou-Arreridj. Ce dernier détail est d'une importance cruciale pour comprendre la genèse du 8 mai 1945. Ces deux hommes ont fait partie en 1920, à l'échelon directionnel, de la première organisation religieuse fondamentaliste algérienne, anti-française, peu connue, mais dont le rôle sera déterminant, fondé par un Berbère, Omar Smaïl.

1920 ?

Pourquoi, 1920 ?

Parce que c'est l'année qui suit 1919.

Que s'est-il passé, en 1919 ?

C'est le 4 février, de cette année-là qu'ont été publiés dans le journal officiel les décrets d'application d'une nouvelle loi.

La loi du 4 février 1919.

Elle reprend les données du sénatus-consulte de Napoléon III du 14 juillet 1865, concernant l'accession des musulmans d'Algérie à la citoyenneté française, mais en simplifiant considérablement la procédure d'accession. Il suffira désormais de passer par le bureau d'un juge de paix, de satisfaire à un questionnaire, et la citoyenneté française est octroyée à celui qui la demande.

C'est donc une loi de très grande importance qui engage évidemment, mais on l'ignore à cette époque, l'avenir de l'Algérie française, celui de la France, de l'Europe et aussi l'avenir de l'Occident tout entier.

Mais le sait-on à cette époque ?

Non,  soulignons-le une fois de plus.

Car, onze semaines après l'armistice, à la fin à l'imbécile boucherie de 14-18, qui est préoccupé, en France de l'accession ou de la non-accession des musulmans à la citoyenneté française ?

Personne .

En France on panse les plaies subies par la Patrie et par notre peuple, et surtout on aspire à la paix. Les Arabes d'Algérie ? Ca n'intéresse personne à ce moment-là.

En réalité nous nous inscrivons parmi ceux qui considèrent avec conviction, plus encore avec une certitude absolue, et nous le démontrons dans notre nouvelle conférence[1], que cette loi illustre une astucieuse et savante provocation.

Elle a pour but réel de déclencher une réaction en Algérie dans la perspective de voir s'édifier sur cette terre, un appareil de riposte à partir duquel va se structurer progressivement un organe de guerre, dans le but de provoquer l'expulsion de la France d'Algérie.

Dans cette nouvelle optique, Omar Smaïl, un négociant berbère, islamiste convaincu, réunit en 1920 des oulémas, berbères comme lui, dans une toute nouvelle et première association tout à fait légale. C'est-à-dire conforme aux exigences de la loi de 1901 sur les associations, la très célèbre loi de Waldeck-Rousseau.

Des oulémas, nous voulons dire des imams, des muftis et des cadis.

Ce sont les Cénacles, ainsi s'appelle cette nouvelle association.

Dans le cadre de ces Cénacles, en observance des statuts, Omar Smaïl va demander deux choses à ces oulémas, et pas une de plus.

1°/ Imperméabiliser la communauté des croyants à l'égard des effets possibles de la francisation et de l'assimilation. Et il ajoute, contre toute logique : protéger aussi la communauté des croyants contre l'évangélisation ! Comme si le gouvernement de la IIIème République était préoccupé de la christianisation des Musulmans ! C'est d'autant plus aberrant, en apparence seulement, que les conversions collectives sont interdites par la IIIème République.

Aberrant, en apparence seulement, avons-nous dit.

Pourquoi ?

Parce que cette illogique et inutile recommandation va permettre à Omar Smaïl et aux oulémas des cénacles, de forger, dès cette époque, l'arme maîtresse de la guerre d'Algérie.

Guerre d'Algérie qui est en train de se mettre en place cette année-là. Une arme révolutionnaire que, plus tard, nos grands spécialistes de la guerre subversive et de la guerre psychologique ignoreront totalement dans leur souci de "chinoiser" à outrance la guerre d'Algérie. Il s'agit tout banalement de l'arme de la malédiction divine. Car ce que veut exprimer Omar Smaïl c'est ceci : « la France veut faire de vous, des citoyens français, mais ce qu'elle prétend en réalité c'est faire de vous des chrétiens et vous subirez en temps voulu les effets de la malédiction divine ». La malédiction divine, voilà la menace brandie contre ceux qui refuseraient de suivre la Révolution algérienne.

2°/ Mais Omar Smaïl demande aux oulémas des cénacles une seconde chose : « il vous appartient dorénavant d'exercer votre action en faisant un usage exclusif de la langue arabe littérale »

Il s'adresse à des oulémas presque tous, Berbères comme lui. Il exige d'eux qu'ils s'expriment en arabe littéral. Mais il sait que cela ne pose aucun problème à ses interlocuteurs, étant donné le niveau culturel exceptionnel des hommes auxquels il s'adresse.

En prenant cette décision il recherche et obtient un double résultat :

- il impose la nouvelle arabité de l'Algérie pour faciliter le combat contre la France, la fameuse « arabité rénovée » sur laquelle nous sommes très peu nombreux à insister ;

- il incorpore ainsi ce combat dans les exigences culturelles de la nahdah, dont l'émir libanais Chekib Arslan est le principal animateur, nous le savons déjà.

Cette action des cénacles dure cinq ans et en 1925 il peut se permettre d'aller plus loin. Il fonde une deuxième association : le « nadi at taraqui », « le cercle du progrès ».

Dans cette nouvelle association, il attribue au statut personnel des musulmans d'Algérie une valeur de plate-forme révolutionnaire ultime, sur laquelle la France finira par se casser les dents.

En 1931, enfin, il créée une troisième et dernière association, au cours de deux cérémonies solennelles :

- la première le 5 mai 1931 : il fonde ce jour-là l'association des oulémas d'Algérie, le conseil supérieur des docteurs de la foi coranique ;

- la seconde le 7 mai : il fait élire, à la présidence de l'association Abdelhamid Ben Baddis, mufti de Constantine et à la vice-présidence un autre Berbère des Hauts-Plateaux sétifiens, l'homme de Tocqueville-Ras El Oued, El Bachir El Ibrahimi ou Ibrahim Bachir Cheikh.

Or ces deux Berbères, comme tous les autres de l'association, sont depuis longtemps sous l'influence spirituelle de l'émir Cheikib Arslan, le Druze ennemi de la France depuis 1922, condamné à mort par contumace en 1926, qui a milité ouvertement pour le génocide arménien en 1915, et qui dirige depuis l'étranger le combat islamiste contre la France.

Après la déclaration de guerre (septembre 1939), Ben Baddis est astreint à résidence surveillée dans un camp de concentration français. Il y meurt le 23 avril 1940.

El Bachir El Ibrahimi, le vice-président de l'association, l'homme des Hauts-Plateaux sétifiens, bien qu'assigné à résidence dans la petite ville d'Aflou, près de Tiaret, devient le président "de facto". Astreint à résidence certes, mais libre de ses mouvements et de ses contacts dans les limites de cette ville.

Pendant le déroulement du conflit mondial, le mufti de Jérusalem, Asmine El Husseïni, rejoint Adolphe Hitler à Berlin. L'émir Chekib Arslan le suit très peu de temps plus tard. Il va participer, par la voix radiophonique allemande, à la préparation d'un soulèvement des musulmans d'AFN. Il est fait prisonnier par les alliés à la fin de la guerre, en même temps qu'Asmine El Husseïni devenu depuis son séjour en Allemagne le grand mufti de Jérusalem. On les "laisse" s'évader et Chekib Arslan donne le signal de l'insurrection le jour de la capitulation effective de l'armée allemande, c'est-à-dire le 7 mai 1945.

Nous avons apporté, par ce parcours très schématique et nécessairement incomplet, une explication au « pourquoi » de la date du 8 mai. Il fallait que l'insurrection se déclenchât alors que l'essentiel de l'armée d'Afrique se trouvait encore en Allemagne, ou répartie dans des centaines de garnisons de France, d'Afrique du Nord et du Proche-Orient. Il ne restait dans le Constantinois qu'un effectif de forces militaires classiques extrêmement restreint. Donc le 8 mai, c'était vraiment la date limite favorable à l'insurrection, avant le rapatriement d'effectifs militaires plus conséquents, habitués au combat depuis 1943.

Mais pourquoi cet appel dont le résultat, bien que sanguinaire, fut un fiasco complet, s'est-il révélé efficace sur le territoire des Hauts-Plateaux sétifiens et à Guelma ? Et sur ces territoires seulement ?

Pour deux raisons sur lesquelles d'une part nos accusateurs et d'autre part nos défenseurs, à la combativité ramollie, ne veulent pas insister.

Première raison : le 23 avril 1945 se déroulent dans le Constantinois des manifestations destinées à commémorer d'une façon spectaculaire le cinquième anniversaire de la mort de Ben Baddis, décédé en 1940 dans un camp de concentration français. "Assassiné" par les Français, vont dire les organisateurs de cette commémoration. Et c'est, dans un climat passionnel tout à fait exceptionnel, d'une extrême violence, que va se dérouler cette célébration.

Si l'on ne veut pas connaître et retenir cette phase préalable de l'événement, il est inutile de prétendre à défendre notre peuple pied-noir contre les attaques dont il est l'objet. A plus forte raison, il est impossible, dans l'éventualité de ce comportement, de contre-attaquer sur le drame du 8 mai 1945.

Au cours de ces cérémonies, la haine de la France fut non seulement proclamée mais, surtout elle fut psalmodiée : c'est-à-dire qu'elle fut chantée, modulée en cadence au nom de Dieu, accompagnée du rituel balancement latéral et rythmé de la partie supérieure du corps. La haine connut ainsi, une expression physiologique, sous la forme d'une transe collective ressentie biologiquement par une foule littéralement envoûtée. Les scouts musulmans ont joué un rôle décisif dans la transmission des mots d'ordre et dans la préparation psycho-religieuse de l'action. C'était   le « cantique des cantiques de la haine et du sang ».

Deuxième raison : tout cela se déroulait sur la terre de l'exécuteur en chef, le cheikh El Bachir El Ibrahimi, né à Tocqueville-Ras El Oued, président en fonction à cette époque de l'association des oulémas. C'est-à-dire qu'en lui s'illustrait le père spirituel et militaire de la révolte. "qatlan ensara", « tuez » les chrétiens, voilà le cri de guerre psalmodié en cadence.

Le jour de la manifestation du 8 mai 1945, autorisée par le gouverneur général Chataigneau dans toute l'Algérie bien qu'il fût informé par son bureau militaire du déclenchement d'une insurrection le jour même de la capitulation allemande, tout était prévu pour, qu'au premier incident, quel qu'il fût, se déclenchât le massacre.

Un massacre non pas localisé dans la ville de Sétif, mais répandu sur le territoire des Hauts-Plateaux avec une extension à Guelma. Pour les déclencheurs, une généralisation à l'ensemble du territoire était espérée.

Nous avons dit qu'El Bachir El Ibrahimi était à Aflou. Mais il y résidait librement. De la même manière que Messali Hadj était assigné à résidence à Revel-Chelala à l'ouest d'Alger. Il ne porte aucune responsabilité personnelle dans le déclenchement de l'émeute. Au contraire, à Aflou, le président de l'association des oulémas recevait des messagers et transmettait depuis la fin avril les consignes émanant de l'émir Chekib Arslan, soutenu lui-même par Asmine El Husseïni, qui depuis son ralliement à Hitler était devenu le Grand Mufti de Jérusalem. Prisonnier des alliés depuis quelques semaines il s'est évadé. Il se rend à Genève et sera plus tard remis aux autorités françaises. Après un séjour confortable au château de Rambouillet il s'évadera une fois de plus pour rejoindre d'autres sites plus accueillants dans le but de continuer son combat contre les Juifs et contre la France, car pour lui c'est le même combat. Beaucoup plus tard, en octobre 1962, il assistera à Alger aux cérémonies commémoratives du 45ème anniversaire de la révolution bolchévique et on le photographiera en train de serrer la main de l'ambassadeur soviétique. De Hitler aux soviéts il y avait un petit pas à franchir et ce pas passait par Sétif, les Hauts-Plateaux, par nos concitoyennes violées et massacrées, nos frères écharpés, tout cela sous l'indulgence béate des ennemis de l'Algérie française d'hier et d'aujourd'hui.

Le début des massacres de Sétif, des Hauts-Plateaux et de Guelma fut d'une atrocité obscène. En quelques heures, sur tout ce territoire des hommes furent littéralement lynchés par dizaines, des enfants tués et disons-le une fois de plus des femmes violées collectivement avant d'être éventrées et d'avoir les seins coupés.

Le « fait de tuer » avait été sublimé, en quelque sorte « consacré », par les incantations et les psalmodies des jours précédents. C'est-à-dire pendant la période du 23 avril au 8 mai 1945 et les quelques jours qui ont suivi.

C'est au nom de Dieu que l'on a voulu humilier les Français d'Algérie de toutes confessions, comme si l'on avait voulu projeter une malédiction sur un peuple de Français d'Algérie qui, depuis toujours, avait établi d'excellentes relations avec les Berbères. Et je fais partie de ceux qui attribuent aux malheureuses femmes violées le rang de saintes martyres de notre terre.

Aucune justification sociale, économique ou tout banalement humaine ne pouvait être invoquée. C'était encore une époque coloniale certes, mais tout à fait légitime et légale, au cours de laquelle les relations entre les peuples étaient déterminées par des règles différentes des règles modernes, qui ont vu le jour par la suite. Règles imposées par la logique et par la raison. Et auxquelles nous avons adhéré.

Mais rien ne justifiait une fureur animale de cette envergure. En particulier on ne pouvait invoquer « la faim ». Car il s'agissait de terres à blé et les populations qui y vivaient étaient les mieux nourries d'Algérie. C'est au nom de Dieu, au cri de jihad que fut déclenché le massacre de notre peuple français. Le génocide amorcé des Français avait été l'expression choisie de la foi en Dieu.

Il fallait arrêter le massacre. Donc il a fallu riposter.

La riposte fut terrible.

Oui. C'est vrai. 4 000 morts, chiffre le plus vraisemblable.

Et heureusement.

Pour être efficace elle se devait d'être violente, cruelle même, en tout cas spectaculaire. Car en quelques heures il était devenu nécessaire de se comporter en égorgeurs pour ne pas être égorgés ! Au diable la timidité, les fausses pudeurs, la lâcheté et les manifestations méprisables de pitié a posteriori. Le moment était une terrible tragédie.

Il fallait la réduire à sa plus faible durée. Il fallait survivre d'abord, ensuite protéger la vie de nos concitoyens menacés de mort, de lynchage, de dépeçage et de viols.

Une question, la dernière, doit être posée. Qui est responsable de l'explosion de l'islamisme fondamentaliste en Algérie française ? Qui est responsable de l'intronisation, c'est-à-dire de la consécration laïque de l'association intégriste des oulémas dont le rôle fut déterminant dans cette émeute ? Dans ces horreurs ?

C'est le général De Gaulle lui-même qui, en 1943, en tant que Président du CFLN (Comité Français de Libération Nationale) depuis le mois d'août de cette année-là, autorise plus tard Ferhat Abbas à déposer les statuts de son nouveau parti l'AML. C'est-à-dire l'Association du Manifeste de la Liberté. Statuts rejetés par le général Giraud au printemps 1943.

Il officialisera ainsi cette organisation révolutionnaire née de la réunion tactique de quatre partis politiques :

1° - le PCA (Parti Communiste Algérien),

2° - le PPA (Pari du Peuple Algérien),

3° - le premier parti de Ferhat Abbas, "le manifeste algérien de la Liberté",

4° - enfin l'association des oulémas, qui existe depuis le 5 mai 1931 et qui en 1943 est présidée par El Bachir El Ibrahimi, l'homme des Hauts-Plateaux sétifiens depuis la mort de Ben Baddis le 23 avril 1940. Il transmettra l'ordre du Jihad qui aboutira au drame du 8 mai 1945.

Dans la continuité de son action El Bachir el Ibrahimi, le jour de la Toussaint Rouge, c'est-à-dire le 1er novembre 1954, dont je ne veux pas évoquer ici la manière indigente dont le 50ème anniversaire a été évoqué par nos médias et nos associations en 2004, El Bachir El Ibrahimi donc, réfugié au  Caire depuis 1952, proclame ce jour-là que le combat est engagé pour « le triomphe de l'arabisme et de l'Islam ».

Il définit ainsi à cette occasion, pour ceux qui sont capables de comprendre, la projection extra-africaine de la Révolution algérienne.

Aujourd'hui encore cette proclamation définit l'identité de cette nouvelle révolution qui se développe progressivement au niveau des trois sites géopolitiques qui nous intéressent, parce qu'ils sont prioritaires : la France, l'Europe et l'Occident.

Pour le « triomphe de l'arabisme et de l'Islam », voilà la nouvelle formulation de l'actuelle Révolution Mondiale.

En Algérie, en 1945, nous étions encore en situation de riposter. Protéger notre peuple partout, c'était difficile. Mais en toutes circonstances nous étions en mesure de punir les agresseurs, ceux qui osaient lyncher nos anciens et violer nos mères, nos épouses, nos sÏurs et nos filles. Par la suite le pouvoir capitulard s'emploiera à nous priver des moyens de riposter. La dernière riposte, traduction de la vigueur de notre peuple, s'est illustrée à Philippeville le 20 août 1955. Après le massacre odieux de Français sans défense la punition fut rapide, terrible et collective.

Puis revint le général De Gaulle qui s'emploiera à nous amputer des moyens de riposte, soumettant ainsi notre peuple à la violence libérée des ennemis de la France, de l'Europe et de l'Occident.

Privés de moyens de nous défendre nous subirons l'assassinat collectif du 26 mars 1962 à Alger, les massacres d'Oran du 5 juillet 1962, les enlèvements de nos concitoyens.

Nous ne pouvions plus nous défendre, car nous étions désarmés et abandonnés de nos concitoyens de la métropole, qui ont envisagé notre génocide avec une quiétude... surprenante. Il fallait partir d'une terre qui avait changé d'identité.

Je prends acte de la mort de l'Algérie française et je n'éprouve aucune envie de la retrouver dans l'Algérie d'aujourd'hui.

Mais la vérité doit être enseignée.

C'est notre combat.

Fin

Références de l'Auteur :

« l'Islamisme dans la guerre d'Algérie » du docteur Jean-Claude PEREZ - publié en 2004 par Dualpha-Diffusion - B. P 58 - 77522 COULOMMIERS CEDEX - Tél./Fax : 01 64 65 50 23.

« ATTAQUES ET CONTRE-ATTAQUES » chez le même éditeur : 39 Û + 6 Û de port.



[1] « La dimension géopolitique de la guerre d'Algérie » : Conférence de l'année 2007