Le docteur Jean-Claude PEREZ
Adhérent du Cercle Algérianiste de Nice et des Alpes Maritimes
Auteur du livre « ATTAQUES ET CONTRE-ATTAQUES »
aux Editions Dualpha - BP 58, 77522 COULOMMIERS CEDEX

NOUS COMMUNIQUE SOUS LE N° 21 L'ETUDE SUIVANTE :

 

Contribution à l'étude du pourquoi et du comment de l'assassinat de la France Sud Méditerranéenne (Evian 18-19 mars 1962)

DE COLLO... DANS LE NORD CONSTANTINOIS, AUX « VEPRES SICILIENNES » (30 mars 1282)...

D'après le livre « L'Islamisme dans la guerre d'Algérie »

Je fais souvent référence à un homme, Ramon Llull[1] qui, durant toute sa vie, voulut établir un dialogue avec ce qui restait de la mouvance intégriste almohade dans le Maghreb. Il prétendait opposer au dogme de l'Unité Divine Absolue, prêchée par cette force islamo-berbère intégriste, le dogme de la Sagesse Unitaire de Dieu, qu'il défendait lui-même sur les places publiques de Berbérie, par le raisonnement, par une savante technique dialectique qu'il avait parfaitement élaborée. Tout cela au prix, parfois, d'humiliations et de violences que l'on a peine à imaginer.

Ramon Llull, majorquin, est né au début du XIIIème siècle. Vraisemblablement le 25 janvier 1235. Marié, il eut deux enfants et on peut écrire qu'il mena tout d'abord la vie d'un gentilhomme catalan très dissipé. « Juerguista y mujeriego », c'est-à-dire noceur et coureur de jupons !

Comme il l'a précisé plus tard vers 1275, durant cette période de sa vie « il oublia Dieu et suivit les voies de la chair ».

Il poursuivait de ses assiduités, à l'âge de 35 ans, une dame génoise, Ambrosia de Castello. Célèbre courtisane très mondaine de Majorque, elle se refusait obstinément à ce prétendant un peu « pot de colle », qui n'hésitait pas à la relancer partout de ses pulsions perverses. Parfois, à l'intérieur même de la cathédrale Sainte Eulalie de Majorque. Cette nouvelle Marie-Madeleine y tentait certainement de se mettre en règle avec le Divin Créateur.

Un jour, sous la pression d'une sollicitation un peu trop imbibée de testostérone de la part de Ramon, elle invita son noble soupirant à l'accompagner dans un recoin obscur de la cathédrale. Sans aucune gêne, elle se dénuda partiellement et exhiba sous le nez de son dragueur éberlué, un sein fortement entamé par un cancer, parvenu au stade terminal de son évolution locale. Et elle lui déclara : « Regarde la réalité en face : voilà ce qui est l'objet de ton amour, la mort...., le néant ».

Il subit un traumatisme psychique d'une violence inouïe. Et ce choc sentimental le conduisit à établir, nous dit-on, un contact intime et définitif avec Dieu.

En réalité, il est très important de préciser que ce passage de la luxure la plus débridée au service total et exclusif de Dieu, ne s'est pas effectué immédiatement. C'est tout au contraire, après une période de longue réflexion silencieuse, presque trois ans, qu'il s'est engagé résolument dans cette nouvelle et définitive orientation de sa vie. Il est âgé de 40 ans à cette époque, à peu de chose près. Ce n'est plus un jeune « foldingue » dirait-on familièrement.

Il semble -la suite de ses réflexions transcrites dans l'énorme production littéraire, scientifique, philosophique et religieuse qu'il nous a laissée en langue catalane le démontre- qu'il soit resté, après cet amour inassouvi, face à une interrogation à laquelle il lui a fallu trouver une réponse.

En effet, cet amour pour Ambrosia, Ramon l'avait sincèrement éprouvé. C'était un amour profond, mais surtout un amour total, pour lequel, à un moment de sa vie, il fut prêt à tout sacrifier. Sa famille, sa situation de gentilhomme de la cour, son rang de sénéchal du roi d'Aragon, l'honneur de son nom[2] illustré par son père, qui avait accompagné le roi Jacques 1er d'Aragon à la conquête des Baléares sur les Maures. C'est-à-dire sur des insulaires convertis à l'islam depuis quatre à cinq siècles.

Il était prêt, aussi et surtout, à jouer son âme dans le vécu de cette aventure sentimentale.

Après la révélation, dans toute sa cruauté anatomique, du désastre sanitaire dont souffrait la belle Ambrosia, Ramon s'est refusé au reniement de cet amour. Tout au contraire, il l'a transfiguré. Il l'a transcendé, il l'a transmuté. Il l'a extirpé des contingences de la vie. C'est-à-dire qu'il lui a attribué une valeur inaltérable en projetant cet amour dans l'Absolu. En prenant le risque de faire un usage imprudent d'une terminologie philosophique, disons qu'il a élevé cet amour au niveau d'une abstraction. Pour Ramon, l'Absolu c'était Dieu. Ce  ne pouvait être que Dieu.

Dans le but de rester fidèle à cet amour sans pour autant renier Dieu, il n'hésita pas à établir une relation de filiation hiérarchique, scientifique, voire même mathématique entre l'amour qu'il vouait à Ambrosia et l'amour suprême qu'il vouait à Dieu.

Par cette recherche, notre dragueur s'inscrivit dans un contact spirituel intime avec le Créateur. Il renonça désormais à toutes les autres joies de la vie. Car son but, et en même temps sa seule chance de joie et de bonheur, c'était de découvrir le chemin qui allait lui permettre de Le servir.

Se soumettant dorénavant à cet amour divin exclusif, il s'attribua une mission prioritaire imposée par le moment historique au milieu duquel il évoluait : la conversion des musulmans. Tout spécialement, des musulmans du Maghreb.

Dans le même effort, il voulut se consacrer à la conversion au christianisme des Tartares qui nomadisaient à l'Est de l'Europe. Sur ces derniers, qui étaient encore païens pour une proportion non négligeable de leurs peuples, s'exerçaient différentes influences et pressions confessionnelles pour obtenir leur conversion.

-       Une première pression était catholique romaine.

-       Une deuxième était chrétienne de rite oriental. Une pression qui émanait de l'église byzantine qui ne voulait rien connaître de Rome depuis 1204, c'est-à-dire depuis le sac de Constantinople (anciennement Byzance) par les croisés.

-       La troisième pression était musulmane. Paradoxalement, à un moment donné, cette dernière bénéficia d'un appui imprévu octroyé par l'église d'Orient, qui préféra voir les Tartares se convertir en masse à l'islam plutôt qu'au christianisme romain, qui était sur le point de conclure à son profit ce « marché spirituel ». Les conséquences lointaines et contemporaines de cet imprudent comportement, sont illustrées aujourd'hui par les évènements tragiques que l'on a connus récemment et qui se déroulent encore en Afghanistan et ailleurs. C'est-à-dire à l'intérieur de cet espace territorial que nous avons appelé, à maintes reprises, le « glacis turcoman ».

A cette époque, la conversion des musulmans se trouve en permanence à l'ordre du jour au sein des nations ibériques continentales et insulaires. Quelques dizaines d'années auparavant, la grande bataille de Las Navas de Tolosa avait été remportée en 1212 par le roi de Castille, Alphonse VIII le Noble. Ce monarque est le père de Blanche de Castille, donc le grand-père de Saint-Louis. Nous sommes déjà à la naissance du siècle de Saint-Louis, le roi Louis IX de France, mort devant Carthage le 25 août 1270.

Durant cette même période, la péninsule ibérique est en train d'être conquise par les chrétiens, et non pas reconquise comme on s'entête à le dire aujourd'hui encore. Au fur et à mesure du développement de cette conquête, se met en mouvement comme un rouleau compresseur, un processus synchrone et simultané de conversion obligatoire des musulmans et des autres non-chrétiens qui vivaient sur le terrain nouvellement occupé par ces mêmes chrétiens.

Ramon Llull, du fait de ses origines et parce qu'il est majorquin, ne s'inscrit pas politiquement dans cette conquête de la péninsule. Il se comporte en insulaire, c'est-à-dire que, bien avant les autres, il observe, il ressent, il voit le monde dans sa totalité. Il perçoit, grâce à cette sensation, qu'il est d'une importance primordiale pour la chrétienté romaine d'exercer son effort de conversion simultanément sur deux pôles religieux :

-  le premier, à l'est de l'Europe, dans le sud de la Russie et de la Sibérie, dans le Caucase, au nord du Moyen-Orient ;

-  le second, au sud de la Méditerranée occidentale, donc sur la rive nord-ouest du continent africain, plus précisément en Berbérie.

Non découragé par l'abandon des Tartares qui ne seront pas chrétiens à cause de l'influence négative de l'église d'orient, il se consacre en toute priorité à une mission de haute portée spirituelle : la conversion des musulmans du Maghreb, en particulier ceux de la future Algérie, en choisissant comme point d'impact de cette opération, la partie orientale du pays. Celle qui, grosso modo, correspond au Nord-Constantinois. Un territoire dont le centre culturel et spirituel se situe dans la ville de Bougie, « capitale » de la région de Constantine au XIVème siècle. Un territoire tout particulièrement défini par ce triangle que nous avons évoqué à maintes reprises, dont la base relie Bougie à la frontière tunisienne et dont le sommet est conventionnellement représenté par la ville de Sétif.

Toutefois, il nous paraît d'un intérêt primordial de souligner que cette mission d'apostolat se trouve enrichie en « sous-main », c'est-à-dire à l'insu de Ramon, certains diront même « souillée » en sous-main, par une ambition temporelle de son roi. Expliquons-nous.

Ramon Llull est indiscutablement de culture catalane. Son père, nous l'avons dit, avait accompagné le roi Jacques 1er lors de la conquête des îles Baléares. A cette époque, le destin des Catalans est lié, institutionnellement, à celui des rois d'Aragon. Il est vraisemblable que l'élan mystique de Ramon Llull a bénéficié des appuis d'un consortium occulte. Nous n'osons pas dire d'un service secret de l'époque. Un consortium qui projetait de damer le pion aux Castillans en les prenant de vitesse sur le territoire de la Berbérie.

En effet, la nation catalano-majorquino-aragonaise nourrit des ambitions plutôt vers l'est et le sud-est de la Méditerranée occidentale. Les îles italiennes, l'Italie elle-même, la Sicile et aussi l'est de la Berbérie, sont l'objet de la convoitise des monarques aragonais. Ceux-ci ont déjà structuré des bases opérationnelles sérieuses dans ce dernier pays. Les Aragonais aimeraient y précéder les Castillans, quitte à abandonner à ces derniers la conquête de la péninsule ibérique dans sa totalité. Ainsi que celle de l'ouest de la Berbérie, c'est-à-dire le Maroc et la partie occidentale de la future Algérie.

Ce comportement pragmatique avant tout des Aragonais, ne correspond pas à une hypothèse ni à une vue de l'esprit. Tout au contraire, on peut dire qu'il est inscrit dans leurs gènes. Bien que la bannière de la foi chrétienne soit arborée en permanence, ils ne laissent pas s'éteindre pour autant leurs appétits territoriaux, qu'ils prétendent assouvir à n'importe quel prix. Parfois même, contre le christianisme dont ils se réclament constamment.

Rappelons, pour illustrer notre propos, que le roi d'Aragon, Pierre II, intervient avec un fort contingent armé à la bataille décisive de Las Navas de Tolosa en 1212 pour défendre la Croix contre les Almohades. Mais l'année suivante, il se fera tuer à Muret en Haute-Garonne, pour conserver un territoire qu'il risque de perdre au nord des Pyrénées. Il n'hésitera pas en cette circonstance, à s'allier aux hérétiques cathares contre les troupes très chrétiennes du roi Philippe-Auguste.

Quelques dizaines d'années plus tard, en 1282, alors que Ramon Llull fait connaître sa volonté de convertir les musulmans de la future Algérie, son apostolat va coïncider avec une opération militaire déclenchée contre un prince du sang français. Il s'agit de Charles Ier d'Anjou, frère de Saint-Louis, roi de Sicile par la volonté du chef de l'église romaine. Or, les siciliens, sentimentalement, ne veulent pas de ce prince français et sollicitent l'appui du roi Pierre IV d'Aragon, suzerain de Majorque. Ce monarque, parce qu'il est l'époux de Constance de Hohenstauffen, fille de Manfred, le précédent roi de Sicile, jouit de la faveur du peuple de Palerme. Sûrs de l'appui du roi d'Aragon, les Palermitains se révoltent le 30 mars 1282. Ils massacrent tous les Français accessibles, au poignard et à l'épée. Ce sont les fameuses « Vêpres Siciliennes », célébrées beaucoup plus tard dans l'opéra de Guiseppe Verdi.

Avant ce massacre, dans le but de porter secours aux Siciliens, le roi d'Aragon avait concentré une flotte et une armée tout près de Collo. En effet, il est très important de savoir qu'il est aussi suzerain d'un roi musulman de Berbérie, dont le territoire s'étend autour de cette ville. Nous sommes, je le rappelle, dans le Nord-Constantinois. Et c'est à partir du royaume maure de Collo, mais royaume vassal de la Couronne d'Aragon, qu'il va mettre le cap sur la Sicile pour incorporer ce dernier territoire à sa couronne, après avoir fait la guerre à Charles d'Anjou. Participera à cette campagne une formidable infanterie catalano-aragonaise, les Almugavares. Ceux-ci s'illustreront avant tout comme les véritables conquérants de la Sicile. Puis, la paix revenue sur cette île italienne, au tout début du XIVème siècle, grâce à un mariage opportuniste, ils seront en quelque sorte « licenciés » par leurs employeurs et contraints de quitter la Sicile mais non rapatriés. Ils se déplaceront vers la Grèce et le Proche-Orient où ils s'illustreront au cours de prestigieuses conquêtes et batailles.

Ces précisions ont été apportées pour souligner que l'Ïuvre d'apostolat de Ramon Llull, rigoureusement focalisée dans la partie orientale de la Berbérie, entreprise à partir de 1280 grosso modo, c'est-à-dire en plein milieu de la guerre sicilienne et qui va se poursuivre jusqu'à sa mort en 1314, s'inscrit dans le droit fil des intérêts de la couronne d'Aragon.

Il n'est donc pas déraisonnable de soupçonner fortement que derrière Ramon Llull manÏuvre, comme nous l'avons antérieurement souligné, un état-major secret qui appuie sa volonté messianique de convertir les musulmans maghrébins. Mais, en réalité, grâce à cette manÏuvre, cet état-major nourrit l'espoir de damer le pion aux Castillans en les précédant sur la terre de Saint-Augustin. Car, en toute logique, et les Aragonais ne l'ignorent pas, dans l'esprit des rois de Castille la « christianisation » de la péninsule ibérique doit obligatoirement se compléter par la « rechristianisation », c'est-à-dire par la conquête de toute la Berbérie.

Pour se consacrer avec une pleine efficacité à sa vocation de missionnaire, Ramon se plonge dans l'étude. Il atteint un niveau de connaissance inimaginable. Il devient un expert de la langue arabe et de tous les dialectes pratiqués par les musulmans méditerranéens.

Il réussit à obtenir l'autorisation pontificale pour l'ouverture d'un institut d'enseignement de l'arabe et des langues orientales à Miramar, tout près de Palma. Il demandera aux papes successifs, il en connaîtra trois, de favoriser le développement de ces instituts pour enseigner la langue arabe. Ce qui, à cette époque, est d'une audace folle, d'une imprudence très risquée. Car, au XIIIème siècle, cela revient à demander que l'on enseigne « una lengua arrepticia, pues solo en el infierno podia tener origen », c'est-à-dire « une langue démoniaque dont l'origine ne pouvait se situer qu'en enfer ».

N'oublions pas que nous sommes au Moyen-âge et que cette appréciation fait partie de ce que l'on appelle aujourd'hui, avec une très imprudente désinvolture, les « sottises » d'époque.

Sottises d'époque qui n'altèrent en rien la volonté de Ramon Llull. Il écrit de nombreux ouvrages en catalan, rarement en arabe, exceptionnellement en latin médiéval. Il devient, avec d'autres, un commentateur d'Aristote. Il est considéré comme le premier écrivain en prose de la langue catalane. Des poèmes, des romans, de la philosophie, de la médecine, de l'alchimie (c'est-à-dire la chimie de l'époque), et bien sûr, des Ïuvres mystiques constituent l'armature de ses écrits. Une Ïuvre évaluée par l'écrivain espagnol Menendez y Pelayo, à plus de 500 ouvrages.

Sa vie est porteuse d'un message que l'on peut énoncer ainsi : le Maghreb s'identifie au territoire d'élection sur lequel pourra s'exercer, dans toute sa plénitude, sa vocation de missionnaire. En réalité, il pose un diagnostic géopolitique, plus encore un diagnostic « géospirituel » : il découvre dans cette contrée exceptionnelle une terre offerte par Dieu à ceux qui nourriront l'ambition d'organiser une Sainte Rencontre entre les trois religions qui se revendiquent du Dieu d'Abraham.

Pour remplir cette mission, à laquelle il consacre sa vie désormais, il se rend en Afrique du nord à trois reprises. Un sauf-conduit délivré par un monarque tunisien, sur intervention du très influent roi d'Aragon, lui permet de voyager dans l'est algérien. Il y subit des menaces, des agressions. Mais il ne recule pas car il est convaincu que C'EST LA, et non ailleurs, que doit s'établir le contact. Nourri de la nécessité absolue de son apostolat, il veut porter témoignage. Il veut laisser son message à la chrétienté toute entière. Dans ce but, lors de son troisième et dernier voyage, il recherche volontairement le martyre. Il le rencontre à Bougie, la Saldae des Romains, Bedjaïa aujourd'hui, ou tout près de cette ville, en 1314 ou 1315. Il y est lapidé à mort puis ramené dans l'île de Majorque par des marins génois. Il sera béatifié dès l'arrivée de son corps dans la capitale majorquine.

Cependant, son apostolat, entre-temps, avait failli être payant. Il avait bénéficié en effet, d'une écoute attentive de la part des hommes de foi. Devant eux il ne baissait jamais la garde. Il parlait ... il parlait... on ne parvenait pas à lui imposer silence Alors qu'a-t-on fait ? On lui envoya la canaille, car grâce au rayonnement de son verbe, il était devenu dangereux. Ils l'ont éliminé pour cette seule raison. Déjà s'observait au début du XIVème siècle un phénomène qui se déroule aujourd'hui sous nos yeux : l'intégrisme est latent, il se cache. Et lorsqu'il s'exprime, c'est sous la forme d'actions violentes et cruelles qui servent de semonce contre ceux des croyants, qui seraient tentés par un dialogue interconfessionnel.

La Sagesse Unitaire de Dieu prêchée par Ramon Llull, n'est pas très compréhensible pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec la langue arabe. Je suis très, très loin d'être spécialiste en histoire de l'islam et beaucoup moins encore, en littérature et en langue arabes. Dans ce domaine, comme dans le reste de mes connaissances, j'ai appréhendé la réalité des choses à la manière d'un praticien. Suffisamment en tout cas pour comprendre ceci : Ramon Llull était, quant à lui, un arabisant de connaissance supérieure. Lui aussi avait appris à « lire »... le Coran. Il ne pouvait donc ignorer qu'en arabe le mot « sagesse » peut offrir une ambiguïté de sens. Cette dernière fait apparaître en effet une notion de « ruse » associée à la notion de « sagesse ».

Tout cela pourrait signifier que Ramon Llull appelait les hommes, sans aucun doute, à plus d'humilité dans leur comportement lors des missions spirituelles dont ils se croyaient investis : « Dieu est suffisamment avisé pour reconnaître parmi les humains ceux qui vivent selon Ses lois ou selon Son éthique ». Voilà qui pourrait traduire sa pensée.

En réalité, ce qui animait Ramon Llull sans qu'il l'ait exprimé, car il ne pouvait connaître ce terme à cette époque, c'était déjà l'espérance d'une sécularisation de l'islam.

Sécularisation de l'islam ! Voilà une terminologie qui, aujourd'hui encore, soulève de véritables ouragans de protestations. Parce qu'on la trouve blasphématoire : « mais qu'osez-vous dire là ! C'est impossible ! Ce que vous demandez, c'est la négation même de l'islam ! ».

La véhémence du propos est telle qu'on éprouve presque de la honte à employer ce terme de sécularisation. En réalité, de quoi s'agit-il ? Comment peut-on la définir ?

La réponse simplifiée et schématique que nous vous proposons, est la suivante : il s'agit de l'ensemble des mesures et des décisions qui permettent d'inclure la pratique d'une religion dans un cadre politico-administratif laïc. C'est-à-dire, théoriquement, dans des conditions telles que le vécu quotidien de cette foi ne constitue par une entrave à la laïcité, avec ses corollaires de liberté, de fraternité et enfin d'égalité.

Il faudra bien, en ce qui concerne la religion musulmane, qu'elle se résolve à accepter un jour cette sécularisation, de la même manière que le judaïsme et le christianisme l'ont antérieurement acceptée. C'est la condition nécessaire et indispensable pour que naisse un dialogue générateur dans un deuxième temps d'entente interconfessionnelle. Celle-ci traduira avant tout une grande humilité à l'égard de Dieu, pour ceux qui ont la chance de croire en Lui. Elle exprimera, en même temps, le respect que l'on doit à ceux qui ne sont pas croyants.

C'est pour rendre ce dialogue possible que Ramon Llull a recherché le martyre. Comme nous l'avons souligné précédemment. Pour nous, Français d'Algérie, l'aventure de ce « vieillard » [3] est riche d'un message géo-politico-spirituel qui, jusqu'à ce jour, n'a jamais retenu l'attention : il avait détecté, affirmons-le une fois de plus, dans la Petite Kabylie, près de Bougie à l'ouest du cap Aokas, la terre de la Sainte Rencontre. C'est-à-dire, ce triangle dont nous avons fait ressortir l'importance. Sa base part de Bougie jusqu'à la frontière tunisienne, son sommet se situe à Sétif. C'est pour cela qu'il est mort. Car on ne voulait pas que son message fût enseigné. On craignait qu'il portât dans l'avenir ses fruits de paix et de bonheur.

Cette notion de la Sainte Rencontre n'a jamais été enseignée aux Français d'Algérie. On s'est bien gardé de nous apprendre que l'Algérie avait déjà été détectée au Moyen-âge comme la « terre unique ». La seule terre où, à un moment donné, fût réalisable la convergence spirituelle des trois religions d'Abraham : la juive, la chrétienne et la musulmane.

Le vieux Ramon, quant à lui, avait découvert que cette rencontre ne pouvait se dérouler qu'en Algérie, la Berbérie de l'époque.

-       Pour cette raison ils l'ont tué en 1314 ou 1315.

-       Pour cette raison, ils ont tué l'Algérie française en 1962.

-       Pour cette raison, ils nous injurient, nous, anciens de l'OAS qui avons représenté la quintessence de l'élite combattante de la France en Algérie.

Jean-Claude PEREZ
Nice, le 25/09/2009

[1] Ramon Llull en catalan. Raimondo Lullio en castillan. Raymond Lulle en français.

[2] A l'origine le patronyme véritable de sa famille était AMAT.

[3] A Bougie existait une « rue du Vieillard ». Je rappelle que c'est ma ville natale.

 

Mis en page le 25/09/2009 par RP