A PROPOS DU 24 JANVIER 1960
CHAPITRE II
Le
chapitre III constituera la matière de l'étude n°25
S'APPROCHE LE 50ème
anniversaire du 24 janvier 1960. Journée qui fut à l'origine de
la semaine des Barricades
d'Alger.
Cet événement FUT
SANS AUCUN DOUTE, LA MEILLEURE OCCASION DE SAUVER L'ALGERIE
FRANCAISE.
Cette étude n°
22, constitue donc LE DEUXIEME CHAPITRE D'UNE SERIE DE TROIS
ETUDES CONSACREES A CET EVENEMENT.
Nous
y étudierons le comportement du monde « Algérie-française »
à l'égard
du discours du 16 septembre 1959,
tout
particulièrement à Alger.
Après le discours
du 16 septembre 1959, dont le cinquantenaire est passé dans un
silence plus que frileux, il a fallu s'organiser à Alger.
Nous pensions en Algérie
et en Métropole que nombreux étaient ceux qui s'apprêtaient à
se soulever contre ce discours. Ceux qui allaient opposer un refus
efficace à l'abandon qui s'annonçait.
Mais nous qui étions
animés de la volonté de nous opposer au largage de l'Algérie,
avons eu à affronter un ennemi inattendu et d'une efficacité redoutable :
l'apathie du peuple pied-noir pour une fraction non négligeable
de son ensemble.
Il nous a fallu, aussi
et surtout, composer avec l'apathie comateuse dans laquelle se
complaisait notre armée.
Celle-ci avait remporté
et continuait de remporter de brillantes victoires dont elle pensait
qu'elles étaient définitives.
L'opération Jumelle,
en particulier, offrait un bilan flatteur, illustrant un brillant
succès technique. La wilaya 3 en Kabylie, en effet, était réduite
à quelques bandes éparses. Les Katibas erraient, complètement
déstructurées.
Il en allait de même
un peu partout. Nos soldats effectuaient avec efficacité et enthousiasme,
et surtout avec courage et héroïsme, une traque permanente contre
l'ALN de l'intérieur.
Mais ces mêmes soldats,
quand ils prenaient le risque de se faire tuer, ne connaissaient
pas le pourquoi réel de ces magnifiques opérations. Des opérations
menées sur les crêtes comme le soulignait Challe, le général
en chef.
Ils ne savaient pas
que ces opérations étaient conduites à la suite d'une conjuration
montée par De Gaulle et Ferhat Abbas, dans le but de se débarrasser
des maquis de l'intérieur.
S'en débarrasser pour
le plus grand bénéfice du GPRA qui, rappelons-le, existait
officiellement depuis le 18 septembre 1958. Sa naissance fut annoncée
officiellement au Caire par Ferhat Abbas lui-même au cours d'une
présentation à la presse internationale, en présence de deux émissaires
clandestins du général De Gaulle : l'écrivain Amrouche et
Abderrahmane Farès.
Qui aurait pu se permettre
de faire avaler à nos brillantes unités, que le FLN était en
train de gagner la guerre grâce à toutes SES batailles perdues !
Nous, les Français
d'Algérie, étions étreints par l'angoisse de l'abandon et pensions
avant toute chose, à notre destin, si l'armée française
et la nation française acceptaient la défaite que De Gaulle voulait
leur infliger. Le destin de ce peuple pied-noir, de ce peuple
qui s'interrogeait sur des lendemains qui ne chantaient pas.
« Que
vont devenir ma femme, mon travail, ma maison, mon jardin, mes
enfants, mes vieux parents ? Que vont-ils devenir lorsque
le FLN détiendra le pouvoir ? Faudra-t-il nous soumettre
à la loi de ceux qui exigeront de nous faire payer notre présence,
ici, en Algérie ?
Qui peut s'investir
du pouvoir de soumettre plus d'un million de Français d'Algérie,
plusieurs millions de Musulmans qui veulent être et plus
encore, qui veulent devenir réellement Français,
à une organisation révolutionnaire raciste et intégriste
qui avait déclenché la Révolution algérienne
pour le triomphe de l'arabisme et de l'islam (Ibrahim Bachir,
le 1/11/1954) ? Qui était suffisamment dépravé
dans son intellect pour prendre une décision qui contribuera
à porter atteinte en l'aggravant, à l'instabilité
pour ne pas dire à la fragilité géopolitique
de l'Occident chrétien ? ».
Pour la majorité d'entre
nous, la réflexion politique ne s'était encore, hélas, pas révélée
nécessaire. Défendre l'Algérie, nos maisons, nos situations, la
vie de nos proches, éviter une servitude infâmante pour nos femmes,
nos mères, nos surs et nos filles, représentaient une raison
suffisante et exhaustive de prendre les armes. Certes, l'armée,
la police, la vigueur militaire de la France, s'exprimaient encore,
pour défendre une partie du territoire national, pour défendre
un peuple de France.
Mais il nous était
imposé, à nous, Français d'Algérie, de nous inclure dans ce
combat : dans la clandestinité, dans la violence. Car l'Algérie
française méritait bien que l'on risquât pour elle, sa liberté
et sa vie.
Oui, il existait un
risque de mort pour ces quelques clandestins qui, dès 1955, ont
souvent joué leur vie et leur liberté dans des opérations illégales
auxquelles ils ont activement participé. Une poignée.
Pour l'honneur du
peuple pied-noir. Tant pis pour ceux qui ont préféré nous regarder.
Mais, il nous a fallu
élargir nos connaissances, découvrir des horizons. On ne prend
pas « COMME A » du jour au
lendemain, le risque de tuer ou de faire tuer des hommes. Il nous
a fallu donc comprendre d'abord. Et faire comprendre ensuite,
la nécessité du combat en faveur de l'Algérie française. Un combat
auquel devait s'intégrer au moins, l'élite du peuple pied-noir
de Marnia à Tabarka.
Pour nous conférer
le droit de le faire, il a fallu accéder à un savoir politique :
par l'étude, puis par l'explication que nous avons tenté de donner
à ceux qui voulaient comprendre et savoir pourquoi nous les invitions
au combat.
Et c'est pour conduire
au mieux possible cette volonté d'expliquer la dimension réelle,
planétaire de la guerre d'Algérie, que personnellement, j'ai joué
quotidiennement les Enjolras
dans les caves d'Alger et d'ailleurs, pour expliquer que le discours
du 16 septembre 1959 ne laissait aucun doute quant à la volonté
du général De Gaulle d'abandonner l'Algérie. Quel que fût le drame
qui s'en suivrait pour ses concitoyens d'Algérie, de toutes
confessions.
Nous avons dû affronter
cependant, un ennemi puissant : le coma dans lequel était
plongée notre armée française, unique espoir dans lequel se réfugiait
la plus grande partie du peuple pied-noir, après le discours du
16 septembre 1959.
Un coma qui paraissait
affecter aussi notre « élite socio-économique ».
Les oligarchies financières
d'Algérie, en effet, se sont toutes comportées en complices de
De Gaulle et de l'abandon. Elles étaient déjà complices, financièrement,
et même opérationnellement, du FLN depuis des années.
Blachette, le mentor
de Jacques Chevallier avec ses libres exploitations des champs
d'Alpha, n'était qu'un exemple parmi d'autres. Il en existait
qui rendaient compte par radio à Lotfi en Oranie, de leurs collectes
de fonds parmi quelques gros propriétaires terriens et certains
industriels européens. Comme ailleurs en Algérie.
Mais dans le cadre
de Lotfi qui commandait la wilaya 5 en Oranie, les choses avaient
connu une évolution bien particulière. Lotfi fut tué au cours
d'une opération et son dispositif radio tomba intégralement entre
les mains de nos services spéciaux. Le général Jacquin (colonel
à l'époque) qui commandait le B.E.L. (bureau d'études et de liaisons)
disposa, à la suite de cette opération, des codes radio de Lotfi.
C'est ainsi qu'il fut le destinataire réel des messages
transmis par les traîtres qui finançaient l'ALN. Ceux-ci en effet,
étaient persuadés correspondre avec les responsables du FLN local.
Nous fûmes informés, ainsi, du rôle néfaste joué par un fonctionnaire
de la sous-préfecture de Paul Cazelles, de celui de tel jésuite
de Pérrégaux, et du rôle de quelques autres.
Ces anomalies de
comportement étaient évidemment retrouvées dans toute l'Algérie
et c'est l'épisode Lotfi qui nous a permis d'avoir des renseignements
très précis quant à l'identité de certains pourvoyeurs de fonds
du FLN.
C'est dans cette ambiance,
au milieu de ces trahisons, dont nous ne savions rien, qu'il nous
a fallu réagir au discours du 16 septembre 1959.
Je me suis consacré,
avec vigueur et constance, à fédérer des énergies, par l'intermédiaire
de notre mouvement, le Front National Français. J'en assurais
la responsabilité du service intérieur, plus particulièrement
de ce que j'ai appelé « les unités de choc ».
Nous avons obtenu
un concours inespéré, que nous pensions être de valeur inestimable
pour notre implantation dans le département d'Alger, de la part
du général Massu, commandant du Corps d'Armée d'Alger. Je rappelle
que le colonel Argoud occupait les fonctions de chef d'état-major
de ce même corps d'armée.
Aujourd'hui encore,
à propos de l'appui octroyé par Massu, je suis partagé entre deux
hypothèses.
Ce concours,
- l'a-t-il
concédé dans l'espoir de voir De Gaulle plier devant
l'enthousiasme patriotique des Français d'Algérie ?
- l'a-t-il
concédé au contraire, dans le but de nous contrôler
pour éventuellement nous neutraliser ?
Je pense qu'il a été
assailli, à un moment donné, par un doute sérieux.
Sans me préoccuper
outre mesure de ces interrogations, j'ai organisé au mieux possible,
les unités intérieures du FNF en groupes de militants très actifs.
Massu, par l'intermédiaire
du commandant Navarro du cabinet militaire de la préfecture d'Alger,
m'a autorisé à faire du recrutement au sein des effectifs des
UT (Unités Territoriales) ainsi qu'au sein du DPU (Dispositif
de Protection Urbaine).
Ce dernier, avait
été créé durant la bataille d'Alger, en 1957 et faisait appel
à des volontaires.
Après ma sortie de
la prison de Barberousse, le 1er avril 1957, je m'étais
présenté au PC d'Alger-Sahel près de la cathédrale d'Alger, rue
Bruce. Je prétendais bien sûr, solliciter un poste de responsabilité
au sein du DPU algérois.
Je fus reçu par un
officier particulièrement actif de la lutte anti FLN, le lieutenant
Darcet. Celui-ci m'a déclaré être enchanté, au nom de son commandement,
de la collaboration que je lui offrais. Il connaissait tous mes
antécédents et c'est en frère d'armes qu'il m'a reçu ce jour là.
Oui. Mais. Silence
radio. Je ne fus jamais autorisé à faire partie du DPU.
Une opposition supérieure
s'était manifestée en silence, mais surtout avec ténacité.
Après le discours
du 16 septembre 1959, Massu me donne donc l'autorisation d'incorporer
mon dispositif au quadriage du DPU. En fait, implicitement, il
m'autorisait à incorporer le DPU à mon propre effectif opérationnel.
Il ne l'a pas nié
au procès des barricades, puisqu'à la question du Président du
tribunal :
« Connaissez-vous
personnellement les accusés ? »
Il répondit :
« Ils
ont tous été sous mes ordres ».
Et à propos des groupes
d'actions du FNF, il a précisé en substance :
« Oui,
je savais qu'ils étaient commandés par le Docteur PEREZ »
Donc Massu ?
Une équivoque ? Un tourment ? Un « Que
vais-je faire » permanent et angoissé ? NON.
Malgré son indiscutable
attachement à l'Algérie française, il restera en dernière option,
fidèle au général De Gaulle, comme il l'avait exprimé, d'une manière
définitive, avant le voyage du général De Gaulle à Alger en juin
1958.
Il l'avait exprimé
auprès de ses anciens frères d'armes qui venaient, depuis Paris,
solliciter son concours pour neutraliser l'homme de Colombey.
Un ancien officier
parachutiste, qui en 1961-1962 s'approcha très près de l'OAS mais
qui ne s'y intégra pas, Botella, m'a déclaré un jour à Argenteuil,
c'était en 1974 :
« En
mai 1958, nous étions avertis depuis longtemps au sein des services,
de la détermination anti-Algérie française de De Gaulle. Certains
services de police, spécialisés, avaient constitué des dossiers
depuis 1956, établissant les contacts entre De Gaulle et l'organisation
extérieure de la rébellion algérienne. Ces contacts se nouaient
par l'intermédiaire de Me Boumendjiel du barreau de Paris, de
l'ambassadeur de Tunisie à Paris, de Rosenberg un journaliste
autrichien, et surtout par l'intermédiaire de Palewski, ambassadeur
de France à Rome.
Il y avait largement
de quoi inculper De Gaulle d'atteinte à la sûreté extérieure et
intérieure de l'Etat.
Mais, un des patrons
des polices spécialisées, était muselé par le pouvoir de la IVème
République, et par des influences occultes menaçantes. En désespoir
de cause, il manda à Alger deux officiers parachutistes, anciens
compagnons d'armes de Massu et de Botella. Ils se sont présentés
à Massu après le 13 mai 1958, avant le voyage algérois de De Gaulle
pour lui demander de neutraliser l'homme du 18 juin. Car il venait
à Alger, ont-ils affirmé, pour liquider l'Algérie française ».
Massu s'est dérobé
devant cette mission officieuse, que lui confiaient ses anciens
compagnons de la France libre.
Il est resté, comme
il l'a dit lui-même « con et gaulliste ».
Mais parfois le doute est venu l'assaillir. Il aurait bien voulu
voir De Gaulle s'orienter dans l'autre sens. Il aurait bien voulu
lui communiquer, éventuellement, l'enthousiasme patriotique de
l'Algérie française.
Mais hélas pour
nous ! L'enthousiasme patriotique des Français d'Algérie,
connut à cette époque là, à l'automne 1959, une expression
lénifiante désastreuse, illustrée par un manque de mordant
et de détermination, qui explique l'échec ultérieur du 24 janvier
1960.
Car, dans l'événement
connu sous la rubrique « les Barricades d'Alger »,
il faut distinguer deux phases d'identité différente.
Première phase :
les journées des 23
et 24 janvier 1960 à Alger : c'était ça la véritable essence
du 24 janvier 1960.
Deuxième phase :
la semaine des Barricades,
à partir du lundi 25 janvier, 1 heure du matin, ne fut qu'une comédie. Mais une comédie qui aurait pu, néanmoins, avoir
un dénouement fatal pour De Gaulle si nos chefs militaires ne
s'étaient pas laissé manipuler par Delouvrier. Encore une fois, nos brillants officiers
patriotes n'ont pas osé. Encore une fois, l'amour sacré
de la patrie n'était pas suffisamment ressenti pour que le
général Challe prît la résolution de donner un coup de frein définitif
à l'abandon.
« L'Algérie
française », « la France », « l'Occident »,
illustraient des concepts immensément riches, trop riches peut-être
de vérité politique pour que ces officiers d'élite acceptassent
de donner le coup de balai qui s'imposait.
Des officiers à qui
le pouvoir faisait croire qu'ils étaient en train de gagner la
guerre.
Challe a tout raté
le 25 janvier 1960 parce que les « autres »,
colonels et généraux, ont refusé de le pousser dans la décision
salvatrice qu'il fallait prendre, ce fameux lundi 25 janvier.
Il était encore temps.
Nous développâmes
donc notre implantation au sein de la garde territoriale. Ce qui
était inéluctable puisque la majorité de nos adhérents et militants
étaient des territoriaux. Mais ce ne fut pas facile, en raison
du comportement, disons timoré, de la majorité des officiers de
réserve qui commandaient la territoriale.
Il y avait dans le
grand Alger, 22.000 territoriaux disposant de 2.200 armes, les
gardes s'effectuant tous les dix jours. L'ensemble de cette garde
ne représentait pas une véritable unité de combat. Mais dans l'éventualité
salutaire o se serait développé en son sein, un esprit identique
au nôtre, le regroupement de ces territoriaux, en armes et en
uniforme, soutenus par la masse du peuple d'Alger, en aurait fait
une force d'appoint inestimable pour ceux qui jouaient leur vie
et leur liberté pour que vive l'Algérie française.
J'étais un de ceux-là.
Le capitaine Ronda,
secrétaire général de la Fédération des Unités Territoriales,
de création toute récente, faisait partie du bureau directeur
du FNF. Il avait l'accord de son président le commandant Sapin-Lignières,
chef d'un bataillon U.T. dont le PC était installé dans la Casbah.
Il fut l'un des rares officiers des U.T., avec le capitaine Jourdes
et les officiers de la compagnie opérationnelle des U.T., à prendre
position dès le 24 janvier.
Revenons au déroulement
des évènements.
Au mois de janvier
1960, d'odieux attentats avaient été perpétrés par le FLN en Oranie
et dans l'Algérois. Ces drames avaient poussé à l'extrême la tension
psychologique de la population française d'Algérie, de toutes
confessions.
C'est dans cette ambiance
que survint l'affaire Massu. Je vous la rappelle de façon succincte.
Le général Massu avait
reçu, à la demande du général Challe, un journaliste allemand
du nom de Kempski, devant lequel il tint des propos imprudents
qui furent publiés le 18 janvier 1960 dans un grand quotidien
allemand.
Le colonel Argoud
dans son livre « La Décadence, l'Imposture et la
Tragédie » rejette
la thèse du piège dans lequel serait tombé Massu. Selon lui, Massu
était d'humeur fantasque. La rencontre avec Kempski, s'était déroulée
un jour o Massu s'était réveillé anti-gaulliste. C'est une hypothèse.
D'après Argoud, le général Massu aurait dit de lui-même, rappelons-le,
qu'il était toujours « con et gaulliste ».
Je ne ferai pas l'effort de savoir si chacun de ces adjectifs
a une valeur en soi ou si l'un est obligatoirement complémentaire
de l'autre. Nous voulons espérer, aujourd'hui encore, qu'il
n'a pas volontairement tenu des propos anti-gaullistes au cours
de cette interview, dans le but établi à l'avance, de provoquer
son départ d'Alger.
De toute façon, l'occasion
ne fut pas ratée par De Gaulle. Il mit à la tête du Corps d'armée
un autre officier qui ne fera pas de manière pour être
complice de la liquidation de l'Algérie.
Si Massu avait refusé
d'obtempérer le 19 janvier, que se serait-il passé ? Il nous
est impossible de répondre. Mais à l'appel de Massu, c'est un
véritable raz-de-marée qui se serait déclenché en Algérie. Raz-de-marée
dont Challe aurait pris la tête. Cela supposait évidemment que
nos généraux fussent des généraux révolutionnaires, attachés à
la thèse révolutionnaire de l'Algérie française et non
pas soumis à l'homme qui piétinait ce même idéal.
Massu obéit. Il abandonna
l'Algérie. Il favorisa ainsi, volontairement ou non, l'accélération
donnée à la politique d'abandon.
Il était de la plus
haute importance qu'une opération de sauvetage fût tentée dans
les plus rapides délais, car il restait encore en Algérie une
majorité d'officiers généraux et de commandants de secteurs, fidèles à l'idéal de l'intégration.
Réunions, recrutement, partout o c'était possible, visites aux
commandements des unités territoriales, contacts très fréquents
avec le colonel Gardes, tout cela fut mon travail quotidien.
Ortiz restait en communication
étroite avec le colonel Argoud, chef d'état major du Corps d'Armée
d'Alger et le capitaine Filippi qui faisait partie de l'état major
de Massu.
Une manifestation
de masse fut décidée pour le dimanche 24 janvier. Le 22 au soir,
une réunion importante se tint chez Ortiz. Tout le bureau directeur du FNF était
rassemblé.
Le capitaine Filippi
nous fit part de deux coups de téléphone qu'Argoud aurait reçus
de Paris de la part de son ancien chef.
Lors du second appel
téléphonique, Massu aurait fait le commentaire suivant :
« De Gaulle est complètement fou, je vous donne
carte blanche ».
Je quittai la réunion
pour préparer les effectifs du FNF qui étaient déjà chauffés à
blanc. Je me souviens de maître Jean Trape, me disant lors de mon départ :
« Tout repose sur vous, je vous en supplie, ne vous
faîtes pas prendre avant ! ».
Que devait-il se
passer en théorie ?
- un
appel à la population pour une grande manifestation à
la Grande Poste, en fin de matinée, ce fameux dimanche
24 janvier 1960 ;
- obtenir
des 22.000 UT, qu'ils participent en formation militaire, en
uniforme et avec leur armement, même réduit ;
-
obtenir une extension de ce mouvement par contagion, à
toutes les grandes villes d'Algérie ;
-
obtenir des organisations métropolitaines un soutien
à notre manifestation par tout ce qu'elles pouvaient mobiliser
comme moyens.
Le 23 janvier, ce
fut le jour de réunion de l'assemblée générale constitutive de
la toute nouvelle Fédération des Unités Territoriales d'Algérie.
Le commandant Sapin-Lignières
fut élu président et le capitaine Ronda, secrétaire général.
J'ai participé, depuis
le fond de la salle de réunion, à la fin de cette assemblée générale.
Et je fus scandalisé de l'attitude d'un chef de bataillon UT,
d'Alger-centre, ancien combattant héroïque des campagnes d'Italie
et de France, qui déclara à Sapin-Lignières et à Ronda, devant
moi, son opposition à la participation des UT en corps constitués
à la manifestation du lendemain matin. Ce brillant officier de
réserve, compte tenu de son prestige fut suivi dans cette volonté
de désertion, par les autres chefs de bataillon, à l'exception
de Sapin-Lignières. Lui et les autres, portent une grave responsabilité
dans le dénouement dramatique de la journée du 24 janvier 1960.
Ce 23 janvier, une
grève se déclencha à Belcourt puis au Champ de Manuvre. Elle
s'étendit lentement à toute la ville mais d'une manière assez
incomplète. C'était une initiative spontanée, indépendante de
tout ordre donné et reçu.
Je me cachai pendant
la soirée du 23 au 24.
Le 24 au matin, je
rejoignis le siège de la Fédération des UT qui était situé dans
l'immeuble de la Compagnie Algérienne, à l'angle de la rue Charles-Péguy
et du boulevard Laferrière. C'est là que se situera, par la suite,
ce que l'histoire appellera « le PC Ortiz ».
Ce 24 janvier au matin,
je fus étreint par une impression désastreuse. La foule n'était
pas là. Des groupes épars, arrivés sur place malgré les barrages
de gendarmerie, se manifestaient en chahutant. Ils provenaient
presque tous de ces valeureux quartiers d'Alger que sont :
le Ruisseau, le Hamma, Belcourt et le Champ de Manuvre. Mes adjoints
du FNF, responsables de ces quartiers, Armand Maigues et son épouse
Mimi, Arlandis, Merkel, Conte et d'autres, essayaient de maintenir
un tonus révolutionnaire sur cette place de la Grande Poste.
Mais il manquait l'essentiel :
la foule. Je refusai de rester en place, avec les membres
du nouveau bureau directeur de notre mouvement. J'estimai indispensable
de me rendre à Bab El Oued o, Place de l'Horloge, un gros rassemblement
s'était constitué et m'attendait.
Tout était prêt pour
un gros cortège. Plusieurs centaines de mes camarades du FNF étaient
en tenue de la garde territoriale et portaient casque lourd.
Ils se trouvaient
à la tête de plusieurs milliers d'hommes et de femmes. Bras-dessus,
bras-dessous, à mon signal, nous nous engageâmes dans l'avenue
de la Bouzaréah. A ce moment là survint un incident grotesque
mais significatif. Le chef de bataillon des UT de Bab El Oued,
accompagné de son chef d'Etat major, le capitaine D.B. me fit
observer violemment qu'il exigeait le retrait des uniformes. Il
hurla à l'illégalité. Je lui rétorquai avec un peu de hauteur :
« Ne
vous inquiétez-pas, ce n'est pas vous qui prendrez 20 ans si cela
tourne mal, ce sera moi ».
Il se retira piteusement
de la manifestation. Il ne se rallia pas au mouvement, même en
tenue civile. Et nous entreprîmes notre progression vers le centre
ville. Pas un seul officier de ces deux bataillons UT, celui de
B.E.O. et celui de la Kasbah, ne prît part à ce défilé.
Nous arrivâmes très
rapidement avenue de la Marne. L'une des extrémités, marque la
fin de Bab El Oued. L'autre extrémité débouche sur une place o
se situent face à face, le lycée Bugeaud et la caserne Pélissier,
siège du Corps d'armée d'Alger.
Cette avenue était
occupée d'un bout à l'autre, par plusieurs rangées de parachutistes
du 3ème R.P.I.M.A., du colonel Bonnigal, qui nous interdisaient
le passage.
Ce fut une bagarre
d'une demi-heure. Je dis bien il y eut lutte et combat. Si ces
parachutistes avaient voulu nous interdire le passage, ils auraient
dû nous mitrailler pour le faire. Ils n'ont pas osé. Si nous avions
renoncé à ce stade, devant la résistance sévère qu'opposèrent
les parachutistes à notre progression, la journée du 24 janvier
se serait terminée à ce moment là. Il n'y aurait pas eu de Semaine
des Barricades.
Car là-bas, à la Grande
Poste, c'était toujours « Bonjour tristesse ».
Alors que dans notre cortège, derrière moi, cheminaient des hommes
et des femmes, par milliers, de B.E.O. mais aussi de Saint-Eugène,
de Notre-Dame d'Afrique et ceux du quartier Nelson : ces
derniers s'intégrant à l'effectif du bataillon UT du commandant
Sapin-Lignières, qui lui était présent au PC Ortiz.
Après avoir disloqué
par une poussée irrésistible les barrages du 3ème R.P.I.M.A, nous
arrivâmes devant le Corps d'armée d'Alger. Les camions du régiment
étaient disposés les uns contre les autres et constituaient une
barrière redoutable, qui ne fut pas suffisante pour nous interdire
d'aller plus loin. Il nous a fallu cependant déplacer les camions
en les soulevant pour rejoindre
l'avenue du 8 novembre. Le colonel Argoud, à la page 209 de son
livre, écrit : « 11 heures, des fenêtres
du Corps d'armée, nous assistons à l'arrivée des premières colonnes
de manifestants. Bonnigal tient parole ».
Il a vraiment très
mal vu ! Si Bonnigal a tenu parole, c'est parce qu'il n'a
pas voulu nous tirer dessus ! Mais ses paras se sont battus
et nous aussi. Plusieurs dizaines parmi les nôtres eurent les
arcades sourcilières ouvertes et souffrirent de contusions costales.
Malgré cette opposition, notre bélier de 200 casques lourds, avait réussi à enfoncer le dispositif du colonel
Bonnigal. Et nous voilà enfin avenue du 8 novembre !
Arrivés devant le
siège de la Fédération des Anciens Combattants d'Algérie, nous
fûmes rejoints par Auguste Arnould et beaucoup de notables de ces organisations.
Je me sentais moins
seul en tête du cortège !
Pour rejoindre la
Grande Poste par le bas du Plateau des Glières, ce fut une affaire
beaucoup plus sérieuse. Plusieurs escadrons de gendarmerie mobile
étaient disposés en profondeur tout le long de la rue Alfred Lelluch.
Ce fut une bagarre épique. Les coups de crosse pleuvaient au cours
d'une véritable mêlée. Mais ce ne fut qu'une bagarre. Pas de coup
de feu. Pas de provocation malsaine. Nous en sortîmes vainqueurs
puisque les gendarmes refluèrent et finirent par nous abandonner
le passage.
Cette échauffourée,
qui, physiquement avait marqué beaucoup d'entre nous et moi en
particulier, appelle deux remarques.
- Nous
étions encore à l'heure loyale du 24 janvier, puisqu'aucun coup de feu ne fut tiré.
-
Ces deux obstacles, bien que franchis avec succès,
avaient semé le doute parmi le peuple qui nous suivait.
Mais la détermination du bélier des 200 casques
lourds, ouvrit le passage et nous permit d'arriver sur la place
de la Grande Poste.
J'ai résumé tout cela
à l'essentiel. Car, malgré les coups reçus et donnés, ce qui fut
dramatique pour nous, était représenté par la vacuité presque
totale du lieu de rassemblement. C'était misérable. Quelques
centaines de personnes. O étaient nos 22.000 UT ? O étaient
Alger, El Biar, Birmandreïs, Hussein-Dey, Kouba, Birkadem, Maison-Carré ?
O était le peuple pied-noir ? On m'arracha littéralement
du cortège. A qui je donnais la mission de se répandre sur la
place, pour la remplir et l'animer au mieux possible. En boitant,
je me rendis au PC Ortiz o se trouvaient réunis tous les membres
du Bureau directeur de notre mouvement.
Je boitais, parce
que j'avais les ongles des gros orteils sévèrement traumatisés
par les coups de crosse des gendarmes, lors de la bagarre précédente.
Méningaud se jeta
littéralement sur moi en me disant : « On ne
sait plus que crier pour faire arriver la foule. Vas-y, dis leur
quelque chose ».
Les seuls mots que
je pus prononcer avec ce qui me restait de vigueur furent ceux-ci :
« Allez
chercher les pantouflards qui sont restés chez eux et conduisez-les
ici. L'Algérie française a besoin de tout son peuple ! ».
A quoi était due cette
première phase, ou plutôt cet échec illustré par la défection
de la population algéroise ? Peut-être à la lassitude. Peut-être
que mes compatriotes ne croyaient-ils plus en rien. Mais une réflexion
me vient à l'esprit.
Dans les Nouvelles
américaines Volkoff écrit qu'il existe une différence entre les
Anglo-Saxons et les Français pour formuler une question. Là o les seconds demandent pourquoi, les premiers demandent comment ?
Et bien, les Pieds-Noirs
demandaient :
« Pourquoi ?
Comment ? Avec qui ? »
Pour eux, Ortiz, Sussini,
Lagaillarde, le docteur Pérez n'étaient pas des gens de notoriété
telle qu'un peuple descendît dans la rue à leur simple appel.
Il leur fallait autre chose
J'avais vu Lagaillarde
à plusieurs reprises, en particulier la veille, le 23 janvier.
Il m'avait emmené
à la Faculté o il commençait à se retrancher avec plusieurs de
ses amis. Je lui avais fait connaître ce qui nous avait été promis,
de la part du Corps d'armée d'Alger : les
régiments parachutistes devaient en principe nous laisser passer
et jouer un rôle tampon entre les manifestants et les gardes mobiles.
Il m'avait fait part de son intention de ne pas participer aux
cortèges et d'attendre, à l'intérieur de la Faculté, la suite
des évènements.
Les notables d'Alger
sont restés bien discrets durant cette première partie de la journée
du 24 janvier. Les élus en particulier, et par-dessus tout, je
le souligne pour la millième fois, les officiers UT du Grand Alger.
On les attendra .on
les verra plus tard, quand ils croiront l'affaire gagnée.
Après mon appel au
micro du PC Ortiz, le stade municipal, les cinémas furent vidés
de leurs spectateurs par nos militants. Petit à petit, la foule
devint plus dense. Entre le boulevard Saint-Saens et la Grande
Poste, il était difficile de circuler. Soudainement, le Plateau
des Glières était devenu plus facile d'accès pour nos manifestants,
comme si les barrages avaient été levés.
Il s'était en effet
passé quelque chose.
Je ne l'ai appris
que plus tard, au cours du procès des Barricades, lors de la déposition
du commissaire central d'Alger, monsieur Troujat. Le PC d'Alger-Sahel
avait transmis à toutes les forces de maintien de l'ordre, la
consigne de ne plus s'opposer au passage des manifestants.
Pourquoi ?
Pour deux raisons.
I Pour le général
Crépin et le colonel Fonde, cette manifestation était un échec
pour nous. Il fallait donc rendre ce fiasco encore plus éclatant
en conférant tout son relief à la désaffection apparente du peuple
d'Alger.
II Ils avaient
pris, entre temps, la décision de regrouper les forces de gendarmerie
mobile pour tenter une opération de dispersion qu'ils préparaient
à l'insu du général en chef, le général Challe.
Mais pendant ce temps,
la population affluait enfin. Le rassemblement devenait progressivement
réel, compact, impressionnant. La manifestation s'affirmait, enthousiaste,
militante. Quelques élus se montrèrent enfin, couverts de leur
écharpe. Le « Chant des Africains »,
la « Marseillaise » retentirent, entrecoupés des cris « Algérie
française », « De
Gaulle, trahison ! ».
Perclus de douleurs
consécutives aux coups de crosse reçus pendant les bagarres du
matin, j'éprouvai le besoin de me retirer quelques minutes dans
un appartement « ami » o je pus me soigner.
Aspirine, bandage des orteils traumatisés. Je savais que la nuit
allait être longue et qu'il fallait s'y préparer. J'étais relativement
rassuré sur le déroulement de la manifestation. En effet, la foule
continuait d'arriver et jusqu'ici, personne n'avait perdu son
sang froid. J'insiste sur ce dernier détail parce qu'il prouve
l'absence de provocateurs parmi les hommes que j'avais conduits
à la Grande Poste.
Rien ne laissait supposer
l'évolution tragique de la manifestation. C'est le bruit de
la fusillade qui me fit bondir dans la rue et rejoindre le PC
Ortiz.
CONCLUSION DE CETTE
ETUDE N 22, c'est-à-dire de ce chapitre II consacré aux Barricades
d'Alger.
Un destin généreux,
ou plutôt une chance inouïe, a joué en ma faveur ce 24 janvier
1960. Les coups de crosse généreusement distribués par les gendarmes
du matin aux dépens de mon anatomie, m'ont sauvé du peloton d'exécution,
plus tard, au moment du procès des Barricades. Grâce au témoignage
de mon hôtesse, enregistré sur commission rogatoire émanant du
juge d'instruction parisien, le Pouvoir s'est trouvé dans l'impossibilité
de m'inculper dans l'affaire de la fusillade d'Alger.
Ce jour-là, mon ange
gardien ne m'a pas fait faux-bond. Il aura l'occasion de se manifester
encore à maintes reprises, lors d'épisodes ultérieurs et très
compliqués de ma vie.
D'après le livre
« Le Sang d'Algérie »
Le 3ème
et dernier chapitre de l'étude consacrée aux Barricades d'Alger,
constituera la substance de l'étude n 25. « VERITES
SUR LA FUSILLADE D'ALGER, LE 24 JANVIER 1960 ».
Jean-Claude PEREZ
Le 5 octobre 2009