ETUDE 23 bis
Une question se posait à l'époque
de l'OAS, et se pose aujourd'hui encore :
les membres de l'OAS étaient-ils
tous partisans de « l'Algérie française » ?
C'est-à-dire étaient-ils
tous partisans de l'intégration de la province-Algérie
à l'ensemble des provinces françaises ?
La réponse est NON.
Je dis bien NON.
En septembre 1961, le général
SALAN fut de retour à Alger. Il avait passé un été
tranquille dans la Mitidja où il s'était refait
santé et tonus.
En octobre 1961, SALAN accepta que
CARUANA, SUSINI et DEGUELDRE se rendissent chez Jacques CHEVALLIER
dans sa maison d'El-Biar.
Je ne sais pas si le général
SALAN avait donné son accord pour cette prise de contact.
Il ne me l'a jamais dit. Où plutôt, il m'a affirmé
que non, lorsque je l'ai revu après l'amnistie dans son
logement parisien de la rue Théodore de Banville, en décembre
1968.
Mais que SUSINI, DEGUELDRE et CARUANA
aient pris contact, dès cette époque avec l'ancien
maire FLN d'Alger, c'est maintenant quelque chose d'établi.
Un événement qui fut en quelque sorte tenu secret
jusqu'en 1975.
Au départ, il existait ainsi
plusieurs fausses notes dans le comportement d'anciens responsables
de l'OAS.
Mon rôle à la tête
de l'O.R.O. nationale était d'observer, de contrôler
et de prendre garde ...
L'OAS en réalité, était
née beaucoup trop tard. Je l'ai dit et je le redis. C'est
au plus tard dès 1956 que le peuple d'Algérie aurait
dû s'organiser en armée secrète avec tout
ce que cela comportait comme changement de psychologie individuelle,
et de mentalité.
En 1961, l'OAS d'Algérie, est
apparue comme un bébé né après une
grossesse pathologiquement prolongée : ridé,
fripé, vieilli, fatigué.
Son manque initial de structuration,
son manque de recul, la rendait fragile. Et c'est de cette fragilité
que naquit la possibilité pour SUSINI d'organiser une entrevue
avec Jacques CHEVALLIER. Mais pour une initiative de cette gravité,
il avait besoin de l'acquiescement de Roger DEGUELDRE.
Je l'ai su en son temps. La lutte
à mort était déjà engagée.
Les convictions « Algérie française »
du général SALAN s'étaient largement
confirmées et exprimées.
Ce thème était redevenu
le support idéologique unique de notre action. Il ne m'appartenait
plus, en demandant des comptes pour ces contacts avec un ennemi
de notre cause, de porter atteinte à l'unité d'un
appareil de combat que nous avions eu tant de peine à mettre
sur pied.
Plus tard, se manifesta un autre déviationnisme
aussi dangereux et cela pour plusieurs raisons :
1. parce
qu'il était inspiré par les gaullistes,
2. parce
que ses partisans voulurent l'imposer par un coup de force à
l'intérieur de l'OAS,
3. parce
qu'il s'agissait de la partition, ineptie géopolitique
s'il en fut.
Je souligne aujourd'hui encore, que
je n'aurais pas joué une seconde de ma liberté sur
ce projet.
Cette fois, SUSINI n'était
pas concerné. Le général en chef, SALAN,
préconisa des sanctions contre les affiliés à
cette nouvelle conjuration anti-OAS. Ces hommes n'étaient
pas des traîtres. Ils eurent le tort néanmoins :
1. de
désobéir à un moment très difficile
pour l'organisation ;
2. d'avoir
été assez naïfs pour se laisser séduire
par des hommes politiques plus ou moins mandatés par des
services secrets qui n'aspiraient qu'à les manipuler ;
3. de
vouloir imposer leur point de vue par la force.
Le drame d'une organisation clandestine
c'est qu'en cas de dysfonctionnement grave, il n'existe pas de
sanctions punitives bénignes. Il n'existe pas « d'arrêts
de rigueur » ni d'incarcération possible. L'adhésion
à la doctrine du général en chef, était
d'une absolue nécessité, sans nuance.
Est intervenu dans cette conjuration,
un curieux personnage : le préfet PETITBON.
Celui-ci fut appelé par Jean
MORIN, délégué général du gouvernement
français en Algérie. Officiellement, PETITBON avait
manifesté l'intention de s'occuper des jeunesses algériennes.
Comme on le voit, le moment était
bien choisi en 1961, pour s'orienter dans ce style d'activité !
On lui attribua néanmoins la direction d'un SFJA (Service
de Formation de la Jeunesse en Algérie). Service qui, curieusement,
dépendait de l'autorité du premier ministre, Michel
DEBRE. Plus exactement, de l'autorité des services spéciaux
qui fonctionnaient sous sa direction. Sans perdre de temps, à
la fin de l'année 1961 et dès le début de
l'année 1962, PETITBON prit l'initiative de contacter certains
hommes de l'OAS.
En réalité, il mit en
Ïuvre d'une manière très technique, une opération
de noyautage et de division à l'intérieur de notre
appareil de combat.
Il promit monts et merveilles à
quelques uns. Il s'engagea à fournir armes et moyens de
guerre à une fraction juxtaposée de l'OAS.
Celle du Front Nationaliste. Celui-ci était dirigé
par LEROY, qui avait toujours refusé, je le redis, son
allégeance aux organes de commandement de notre organisation.
Il se considérait comme un allié de l'OAS et non
pas comme un effectif intégré au dispositif opérationnel
de l'OAS.
PETITBON, grâce à certaines
fournitures d'armes, réussit à circonvenir LEROY,
que je connaissais bien, et SARRADET que je n'ai jamais connu.
Il fit miroiter une possibilité de solution de secours
que nous avons évoquée dans les paragraphes précédents :
celle d'une partition de l'Algérie.
Une partie de la terre algérienne
allait rester sous l'administration française et le reste
sous l'administration du FLN ! Ce fut une manÏuvre d'intoxication
affectée d'un ridicule indiscutable. Mais elle fut redoutable,
car elle faillit provoquer un éclatement de ce qui restait
de l'OAS.
J'eus personnellement, à propos
de cette option à laquelle il adhérait, un entretien
sérieux avec LEROY. Je sais que je l'ai déjà
dit. Je me suis employé à le convaincre de la signification
réelle de la manÏuvre à laquelle il souscrivait.
Cette manÏuvre consistait à
noyauter et à détruire l'OAS, avec laquelle il avait
combattu jusqu'alors, même si ce n'était qu'en tant
qu'allié. Je l'ai mis en garde contre une opération
intérieure de police qu'il nous obligeait à
prévoir. Je lui ai proposé de faire marche arrière.
Je lui ai offert une place d'adjoint
au commandement national de l'O.R.O. J'avais déjà
obtenu l'adhésion de l'un de ses subordonnés SCHAMBIL
qui occupait depuis quelques jours un poste de responsabilité
au sein du BCR national.
LEROY était un homme sincère,
courageux et il était convaincu d'être loyal. J'éprouvais
pour lui une fraternelle amitié. Malheureusement, il était
tombé entre les mains de Matignon, par l'intermédiaire
de celui qui coordonnait le fonctionnement des services secrets.
Le drame était inéluctable.
J'affirme que je n'aurais jamais ordonné
ou accepté l'exécution de LEROY si j'avais été
tenu informé de l'opération qui fut décidée
et déclenchée à mon insu.
DEGUELDRE sous l'influence d'un cadre
de l'OAS, ancien ami très personnel de LEROY et qui tenait
encore SALAN sous son influence, fit exécuter LEROY en
même temps que VILLARD.
Pourquoi VILLARD ?
Parce « qu'on »
ne trouva pas SARRADET, qui était à la fois le premier
contact et surtout, le contact le plus sérieux du préfet
PETITBON.
Ne trouvant pas SARRADET, Le PIVAIN
exécuta VILLARD par ce « qu'on »
lui avait certifié que VILLARD était engagé
dans cette conjuration.
Quelques jours plus tard, Le PIVAIN
fut informé du mal fondé de son opération.
Il manifesta à haute voix sa volonté de faire rendre
des comptes à l'inspirateur qui avait manipulé DEGUELDRE
pour faire exécuter LEROY et VILLARD, dans le seul but
d'annexer le Front Nationaliste pour son propre compte.
Le PIVAIN, en raison de ses imprudences
verbales, fut « donné » aux forces
de l'ordre. Il tomba dans une embuscade très opportuniste
tendue par des exécuteurs gaullistes qui l'attendaient
là où il fallait l'attendre.
Ce fut un grand drame de l'OAS.
Seulement... seulement quoi ?
J'étais le chef de l'O.R.O. J'ai donc assumé hiérarchiquement
la responsabilité de ces deux opérations, bien que
ne les ayant pas ordonnées, pour deux raisons.
Première raison :
je n'avais pas été en mesure d'interdire ces exécutions.
Elles ont été réalisées, par une branche
subalterne de l'O.R.O. Je ne fus informé qu'après
coup.
Deuxième raison : il
me fallait à tout prix et de toute urgence couvrir DEGUELDRE.
De manière à garantir l'homogénéité
de la BAO que DEGUELDRE commandait. Nous avions besoin de tout
le monde. De tous ceux qui restaient. J'ai donc officiellement
déchargé DEGUELDRE de la responsabilité de
ces deux exécutions.
J'étais violent, je le concède.
Il m'est arrivé parfois d'être expéditif dans
l'extrême-urgence. Mais j'étais loin d'être
sanguinaire. Si LEROY m'avait fait confiance, il aurait évité
le drame qu'il a connu.
S'il avait rejoint un poste d'adjoint
au commandement de l'O.R.O. que je lui ai proposé, personne
n'aurait osé s'attaquer à quelqu'un qui fut sous
mes ordres. J'étais intraitable sur ce point très
précis. Comment a réagi LEROY à ma proposition.
Je l'ai déjà relaté :
« Si tu ne marches pas
avec nous, tu trinqueras comme les autres ».
Il avait oublié à qui
il parlait. Il se croyait intouchable parce qu'il était
manipulé par le patron des services secrets de Matignon.
Ce fut un drame. Un de plus parmi
ceux que j'ai vécus.
Comme j'envie, aujourd'hui encore,
les spectateurs pieds-noirs qui sont restés bien quiets
chez eux ! Qui nous ont jugés ! Qui nous ont
condamnés ! Et qui, aujourd'hui, nous oublient !
Je n'ai jamais voulu tuer ces hommes.
Leur seule protection c'était l'O.R.O. Là, personne
ne les aurait touchés.
SCHAMBIL l'avait compris puisque,
comme je vous l'ai rappelé ci-dessus, il est venu apporter
son concours volontairement au fonctionnement du BCR au sein duquel
il fut traité en frère d'armes.
Ce fut un drame de l'OAS.... Que je
déplore. Je n'en suis pas l'ordonnateur. Mais il faut essayer
de se remettre dans l'ambiance de l'époque pour comprendre
l'atmosphère dramatique au sein de laquelle nous évoluions,
surtout moi, à la tête de cette O.R.O. nationale
à qui incombaient les décisions les plus graves
à prendre pour tenter de sauver ce qu'il était encore
possible de sauver.
Jean-Claude PEREZ
Nice, le 24 octobre 2009