Le docteur Jean-Claude PEREZ
Adhérent du Cercle Algérianiste de Nice et des Alpes Maritimes
Auteur des livres : « Le sang d'Algérie »
« Debout dans ma Mémoire »
« Vérités tentaculaires sur l'OAS et la guerre d'Algérie »
« L'Islamisme dans la guerre d'Algérie »
« Attaques et contre-attaques »
aux Editions Dualpha - BP 58, 77522 COULOMMIERS CEDEX

 

NOUS COMMUNIQUE SOUS LE N° 27 L'ETUDE SUIVANTE  dans le cadre de sa contribution à l'étude du Pourquoi et du Comment de l'assassinat de la France Sud-Méditerranéenne (Evian 18-19 mars 1962) :

A propos de

L'INEGALITE EN ALGERIE FRANCAISE

« ... ce n'est point de liberté qu'ils sont épris, ils n'aiment que l'égalité... »

(Chateaubriand)


CHAPITRE I

« ...ce n'est pas la même chose... »

1937. Un dimanche après-midi.

Une ou deux fois par mois, en automne et en hiver, mon père me conduit en promenade vers les « hauts d'Alger ». On dit plutôt sur les « hauteurs ».

Ce dimanche-là, les « hauteurs » c'est la partie terminale du boulevard de Verdun. Un autobus vous conduit par l'intermédiaire de cette voie, vers Birtraria. Puis, encore plus haut, vers El Biar. Vers le sud et le sud-ouest d'Alger.

Le boulevard de Verdun naît, à angle droit, de l'extrémité-ouest du boulevard de la Victoire. Celui-ci longe la limite sud de la Casbah. Comme si les gouvernants de l'Algérie française, à cette époque-là on dit tout banalement « l'Algérie », voulaient doter la Casbah, animée en permanence du grouillement des conjurations anti-françaises, du voisinage prestigieux de deux grandes artères-symboles. L'une évoquant la pseudo-victoire, la victoire-suicide de 1914/1918, l'autre la célèbre bataille de Verdun, 1916, qui arrêta définitivement les armées allemandes.

Bataille dont les hommes de pouvoir de ce pauvre Occident déjà moribond, n'ont pas voulu tirer le parti salutaire qu'offrait cette victoire : arrêter les hostilités, arrêter le génocide du peuple européen.

La promenade consiste à « descendre » le boulevard de Verdun. Pourquoi « descendre » ? Parce que lorsque l'on se met en mouvement à partir d'une « hauteur », c'est le plus souvent pour descendre. Et, à Alger, d'une « hauteur » on descend le plus souvent vers la mer. C'est-à-dire vers le nord. Vers la rive septentrionale du continent africain.

Tout au bas, vers le nord donc, le boulevard de Verdun se termine par des escaliers qui débouchent, encore plus loin, sur la limite ouest de la Casbah.

A la naissance de ces escaliers, sur la gauche en les descendant, une grande clinique : la clinique de la Croix Rouge, plus connue sous l'appellation de « clinique de Verdun ».

Un peu plus haut, on localise facilement l'hôpital d'El Kettar où l'on traite les maladies infectieuses... sous l'autorité scientifique du célèbre professeur Benhamou.

Tout près, naissent d'autres escaliers, les escaliers d'El Kettar. Ceux-ci longent la limite-est et nord-est d'un grand cimetière arabe, le cimetière d'El Kettar.

Ces escaliers aboutissent dans la partie terminale de la rue Mizon lorsqu'elle rejoint l'avenue du Frais Vallon. Avant que celle-ci ne se perde dans un quartier périphérique de Bab-El-Oued, le Climat de France. Car nous sommes à la limite sud et sud-ouest de Bab-El-Oued.

Plus tard, bien plus tard, à droite de ces escaliers longeant leur rebord oriental, va naître un ensemble immobilier à vocation sociale : la cité des Eucalyptus qui va surplomber une autre rue de mon enfance, la rue Soleillet.

L'avenue du Frais Vallon c'est l'aboutissement de notre promenade dominicale. Nous y habitons à cette époque, au numéro 30, à l'angle que forme cette avenue avec la partie terminale, c'est-à-dire la partie occidentale de la rue Vasco de Gama.

Cette avenue du Frais Vallon va changer de nom plus tard, dès la fin de la guerre 1939/1945. Elle deviendra l'avenue du général Verneau. La plaque annonciatrice de cette nouvelle identité nous apprendra que ce général est mort en 1944, en déportation à Buchenwald.

Cet officier, après juin 1940, occupe le poste de chef d'état-major de l'armée de l'armistice. C'est lui qui reçoit, durant l'été 1942, un rapport verbal transmis par le général Mast. Celui-ci assume, à cette époque, le commandement en second du 19ème Corps d'Armée, dont le PC est situé place Bugeaud à Alger. Par ce message, le général Mast REND COMPTE au chef d'état-major de l'armée de l'armistice, le général Verneau, des préparatifs mis en route à Alger pour faciliter un débarquement américain prévu pour l'automne 1942.

La célèbre opération qui se déroulera le 8 novembre 1942.

Ce compte-rendu opérationnel est transmis verbalement au général Verneau dans une petite ville de l'Allier, Etroussat, pas loin de Vichy.

Le porteur du message c'est le colonel Raymond, qui commande à cette époque le 45ème Régiment de Transmissions, cantonné à Maison Carré, à l'est d'Alger. Cet officier s'est rendu d'Alger à Etroussat pour assister sa mère qui vit ses derniers instants. Le général Mast qui exerce les fonctions de chef du complot militaire d'Alger, saisit l'occasion du drame familial vécu par le colonel Raymond pour utiliser celui-ci comme officier de liaison auprès du général Verneau.

J'ai rapporté dans mon livre « L'ISLAMISME DANS LA GUERRE D'ALGERIE », les circonstances de cette rencontre. J'y reviendrai dans une étude ultérieure. Car, c'est un événement d'une importance insoupçonnée, ou plutôt d'une importance étonnamment négligée par nos historiens, perpétuels « manichéens ».

POURQUOI ?

Parce que le gouvernement du maréchal Pétain est ainsi parfaitement informé, dès cette époque, durant l'été 1942, des préparatifs de ce débarquement allié en AFN. Préparatifs qui sont tenus secrets évidemment par les destinataires du compte-rendu opérationnel transmis par le général Mast au général Verneau, par l'intermédiaire du colonel Raymond, dans la petite ville d'Etroussat.

Ce que je veux souligner, c'est ceci : ce compte-rendu opérationnel ne fera jamais l'objet d'un rapport ou d'une information transmis à l'occupant par le gouvernement de Vichy.

Le général Verneau paiera de sa vie sa collaboration au plan de débarquement allié en AFN, puisqu'il sera déporté à Buchenwald et qu'il y mourra.

Revenons à Alger et à cette promenade dominicale de 1937.

Cette artère, c'est encore l'avenue du Frais Vallon. Notre famille y réside, je l'ai dit, dans un petit immeuble de trois étages que mon père a fait construire.

Ce chemin du retour nous impose de passer, avant d'emprunter, pour les descendre, les escaliers d'El Kettar, devant la célèbre prison de Barberousse.

Je ne sais pas, à cette époque-là, en 1937, que l'allais y séjourner vingt ans plus tard, en 1957, à cause de mon engagement dans l'action anti-terroriste pour défendre la France en Algérie.

Avant Barberousse, notre promenade nous impose de longer la caserne d'Orléans. Y sont cantonnés le 13ème R.T.S., 13ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, et le 9ème Zouaves. Cette dernière unité fait partie du dispositif militaire de la Division Territoriale d'Alger. En temps de paix c'est un gros bataillon d'instruction. Il devient un régiment d'infanterie en cas de mobilisation.

L'heure de la promenade, le milieu de l'après-midi, coïncide souvent avec une sonnerie militaire qui nous parvient depuis l'intérieur de la caserne. Elle annonce le deuxième temps d'une cérémonie biquotidienne, qui se déroule dans toutes les casernes de France. La cérémonie « aux couleurs » puisque notre drapeau va être ramené en fin de journée jusqu'au lendemain matin... jusqu'à l'heure du « lever des couleurs ».

Cette cérémonie, ce rituel militaire, sont accompagnés d'une sonnerie de clairon, qui affirme que la France est là.... bien présente, au sud de la Méditerranée.

Comme chaque fois, mon père s'arrête dès les premiers accords du clairon. Il se tourne alors vers la caserne, se découvre, figé dans un garde-à-vous ou plutôt dans une attitude de recueillement pleine de piété. Il attend, sur le trottoir, la fin de la sonnerie pour se couvrir à nouveau. Nous reprenons alors notre promenade vers les escaliers d'El Kettar.

Je me souviens que ce dimanche-là, « un arabe », c'est comme ça que l'on dit à cette époque, s'arrête à côté de mon père. Il se fige lui-aussi dans un garde-à-vous impeccable, pour reprendre sa marche en direction d'El Biar, dès la fin de la sonnerie, après avoir échangé avec mon père, un salut discret dans lequel j'ai pu capter une nuance de complicité. Plus encore, un geste de connivence.

Mais, le jeune garçon de 9 ans que je suis, est littéralement outré. J'apostrophe mon père avec véhémence en lui demandant :

« Tu as vu ? ».

Je suis sûr aujourd'hui de ne pas l'avoir dit comme ça. Je suis sur d'avoir dit plutôt :

« T'ias vu ? ».

Et mon père, étonné de ma véhémence, de me répondre par une autre question :

« J'ai vu quoi ? »

« Il n'a pas fait comme toi » lui dis-je. « Toi tu enlèves ton chapeau mais lui il garde sa chechia ».

« Tu comprendras plus tard » me dit mon géniteur. Mais devant mon air boudeur et pas du tout satisfait de la réponse, il précise :

« Lui et moi, ce n'est pas la même chose ».

Ce dimanche après-midi, en 1937, je ne peux me rendre compte de l'importance que revêt cette observation de mon père, répétons-le,

«Lui et moi, ce n'est pas la même chose ».

C'est ce « ce n'est pas la même chose » qui aurait exigé, pendant des décennies, une réflexion permanente de la part de ceux qui exerçaient le pouvoir.

Cette réflexion paternelle évoquait une différence. Mais une différence qui finalement, par résignation, j'ose dire aujourd'hui par paresse intellectuelle, s'identifiait à un point de non-rencontre entre eux et nous.

Un point de non-rencontre, c'est une proposition que je refuse de formuler aujourd'hui. Pourquoi ?

Parce que si cette rencontre était impossible hier, là-bas, cette rencontre serait impossible aujourd'hui, ici, en France.

Or, elle est possible aujourd'hui, au nord de la Méditerranée, comme elle était possible là-bas au sud de la Méditerranée, à l'intérieur des limites de ce territoire qui faisait partie de la France Sud-Méditerranéenne.

Et pour démontrer cette possibilité, il me faut répondre à une interrogation :

en quoi consistait, en Algérie française, ce fondement de notre république : L'EGALITE ?

 

CHAPITRE II

Le délire du « Royaume arabe »

On ne peut pas dire de Napoléon III qu'il était doué d'un génie politique éblouissant. Il a réfléchi, certainement à maintes reprises, au problème qui était posé à la France par la gestion du phénomène historique « Algérie française ».

Jusqu'au jour où il aurait affirmé que l'Algérie était un « royaume arabe ».

Un royaume arabe... et les voilà tous grisés par ce propos allégué. « Royaume arabe », propos dépourvu de tout fondement. Napoléon III, en effet, n'a jamais dit :

« L'Algérie, c'est un royaume arabe ».

En 1851, il s'exprime ainsi :

« L'Algérie est un boulet attaché à la France ».

Le « boulet » est une notion qui exprime, qui prétend évoquer ce que sont, en réalité, la responsabilité et la gravité des décisions à prendre. Décisions, mais lesquelles ?

En 1852, il précise :

« L'Algérie est un royaume arabe que la France doit assimiler ».

Par cette expression, il croit avoir compris. Il fait une synthèse entre deux constatations :

1. L'Algérie ce n'est pas un territoire arabe. Il sait que 95 % au moins de sa population, n'est pas arabe. Mais il s'est rendu compte de la réalité de la phénoménologie arabe et de son emprise sur les Musulmans d'Algérie.

2. La phénoménologie arabe se manifeste en Algérie avec un éclat tout particulier. C'est elle qui va alimenter constamment le fondement du combat anti-français. Et c'est l'Algérie imbibée de la phénoménologie arabe que la France doit assimiler. C'est-à-dire qu'elle doit neutraliser le pouvoir révolutionnaire de cette phénoménologie. L'affirmation « l'Algérie c'est un royaume arabe » c'est l'évocation, presqu'ésotérique, de l'écueil n° 1 que la France devra faire sauter.

En 1862 enfin, il fait une synthèse qui lui paraît nécessaire pour prendre une décision : « L'Algérie est un royaume arabe, une colonie européenne, un camp français ».

Cette dernière affirmation de Napoléon III doit s'interpréter comme un constat d'échec. Il évoque ce qui identifiait le danger à cette époque, pour l'avenir de l'Algérie. Ce danger correspond à celui que nous connaissons aujourd'hui. Il menace l'avenir socio-religieux de la France métropolitaine, de l'Europe et de l'Occident tout entier. Car la phénoménologie arabe jouit d'un pouvoir de contagion puis d'étatisation que l'on a peine à imaginer aujourd'hui, en terres d'Occident.

Comme on le voit, ce propos de Napoléon III est loin d'être précis.

Ces différentes formulations expriment avant tout un énorme doute, pas mal de désinvolture mais aussi une interrogation permanente :

« Que faire de l'Algérie ? »

Ce doute ou plutôt cette réflexion constante, n'empêche pas Napoléon III de prendre une décision. Et de répondre à la question : « les Arabes d'Algérie, c'est quoi ? »

Le 14 juillet 1865, c'est le célèbre Senatus-Consulte qui prétend répondre à cette interrogation.

Celui-ci concerne, nous le savons, l'identité définitive à attribuer aux nationaux français d'Algérie non citoyens de confession juive d'une part, et en même temps, aux nationaux français non citoyens de confession musulmane d'autre part.

Que propose t-il aux Musulmans ?

Rappelons, en insistant, que le Senatus-Consulte impérial est très précis. Par dessus le marché il est laconique. Sans fioriture :

« l'indigène algérien de confession musulmane est de nationalité française. Il est Français. »

Accordez-moi tout votre pardon pour la terminologie dont je vais faire usage : « Un Arabe d'Algérie, c'est un Français ». Ce qui veut dire ... quoi ?

S'agit-il d'une décision qui vient d'être prise ce jour-là, le 14 juillet 1865 par Napoléon III ?

Non. Certainement pas.

Il s'agit de la constatation d'un fait vieux de 35 ans. Il s'agit d'une réalité. La réalité de la nationalité française dont sont titulaires obligatoirement les indigènes musulmans d'Algérie. Les « Arabes » d'Algérie. Par quel procédé, par quel processus ont-ils accédé à la nationalité française ? Au nom de quel principe ?

Tout banalement en vertu du principe des vases communicants. Ne jouissant sur leur terre natale d'aucune nationalité avant l'arrivée des Français, ils étaient apatrides sur leur propre terre. Il faut souligner, en effet, que la Porte Ottomane s'est opposée à en faire des Turcs. A en faire des sujets d'un monarque qui ne voulait pas d'eux. Et c'est ce refus de la nationalité turque qui a fait des indigènes musulmans d'Algérie, des Arabes d'Algérie, des apatrides sur leur propre terre, jusqu'à l'arrivée des Français.

La nationalité française fut obligatoirement du voyage en Algérie, avec le drapeau de la France. Elle a comblé un vide. Celui qui était illustré par l'absence indiscutable d'une nationalité propre aux habitants de ce territoire, jusqu'en 1830.

Napoléon III, dans ce Senatus-Consulte du 14 juillet 1855, ne donne rien. Il prend acte d'un fait, il constate une réalité.

« Le musulman d'Algérie ne peut être que national français puisqu'il n'était rien d'autre avant l'arrivée des Français ».

Cela entraîne une première conséquence immédiate. En tant que national français, l'indigène musulman va connaître une première obligation : celle d'être soumis au seul droit pénal français. S'il commet un délit, il est jugé par un tribunal correctionnel français. S'il commet un crime, il est jugé par une cour d'assises française.

« Tout cela est vrai » m'a-t'on fait observer. « Mais si les musulmans se voyaient incorporés dans la nationalité française, c'était en réalité pour mieux les condamner ».

Il est facile de répliquer à cette observation tendancieuse et partisane, car cette égalité devant le code pénal permettait avant tout de faire échapper un justiciable de confession musulmane à la justice confessionnelle qui était loin d'être tendre et qui parfois, ne se privait pas d'être mutilante.

Dans ce Senatus-Consulte, Napoléon III ne se contentait pas de cette affirmation. Par le second alinéa, il précise ce qui est, peut-être, son aspiration. Je dis son aspiration parce que l'expression même de ce qu'offre Napoléon III est dépourvue d'enthousiasme. Dépourvue tout banalement de conviction.

« L'indigène algérien de confession musulmane est citoyen français. Il est soumis aux exigences du code Napoléon dans tous les domaines de son exercice ».

Voilà un résumé de ce qu'exprime Napoléon III. Le citoyen français musulman va bénéficier dans cette circonstance, des avantages inhérents à la citoyenneté française. Il subira tout naturellement les sanctions prévues par le code civil français, en cas de non-observance de nos lois.

Ce Senatus-Consulte fait une offre que l'on peut schématiser ainsi : la citoyenneté française en échange d'une renonciation implicite, systématique, obligatoire dans le cadre de la citoyenneté, au statut personnel des musulmans. Au statut coranique.

Evidemment, une réaction ne s'est pas fait attendre. Polymorphe. Désordonnée. D'autant plus que la masse des musulmans d'Algérie, fut très mal informée de cette possibilité que leur offrait Napoléon III. Une réaction que l'on peut synthétiser dans la réflexion suivante, mille fois entendue :

« Avec les Arabes, ce n'est pas possible. Le ficq c'est sacré ».

C'est avec ce « ce n'est pas possible » répété sans cesse, sous des formes multiples, que l'on va tuer l'Algérie française.

Un interlocuteur musulman s'est adressé à moi avec conviction. Il prétendait me démontrer l'inapplicabilité de ce Senatus-Consulte :

« En réalité, vous ne vous rendiez pas compte hier, comme vous le faites d'ailleurs aujourd'hui, de ce que vous demandiez aux musulmans d'Algérie ! Vous attendiez que par l'exercice de notre seul libre-arbitre, nous fissions table rase du fondement religieux de notre foi. Celui-ci nous apprend que le Qoran c'est la parole de Dieu. A partir de ce fondement, se dégage une valeur théologale, la foi. La foi toute simple qui s'exprime par la schahada : il n'y a de dieu que Dieu et Mohamed est l'envoyé de Dieu. Dans l'enseignement du Qoran, c'est Dieu qui s'exprime à travers la parole de notre prophète, ou plutôt de notre rasoul, c'est-à-dire, je vous le rappelle, l'envoyé de Dieu ».

Mon interlocuteur décide de me soumettre à un cours d'instruction religieuse simplifié. Il veut me faire toucher du doigt le bien fondé de cette prétendue impossibilité :

« Le Seigneur ne s'est pas adressé au Prophète directement. Comme l'a écrit votre professeur Henry Corbin, qui s'appuie sur une Sourate et les versets correspondants, il n'est pas donné à l'homme que Dieu lui parle, sinon par une communication de derrière un voile, ou bien il envoie un ange. Dieu s'est adressé à notre rasoul par l'intermédiaire d'un archange. L'archange Gabriel, Djebril. C'est cet archange qui, chez vous les chrétiens, est l'archange de l'Annonciation. C'est Djebril qui annonce à Marie sa future et divine maternité. Pour les catholiques romains, Marie fut élue entre toutes les femmes par un choix du Seigneur. Devenant par décision divine le véhicule charnel de la volonté divine, elle est exonérée auparavant, elle est vierge, du péché originel.

Marie, tout logiquement, s'entend dire par l'archange, que le fruit de ses entrailles est béni puisqu'elle est élue, préalablement, entre toutes les femmes, ».

Mon interlocuteur poursuit sa leçon :

« C'est ce même Djebril qui s'est adressé à Mohamed et qui lui a transmis le qoran, c'est-à-dire la propre parole du Seigneur. Et Mohamed, le rasoul, l'a répercutée vers le peuple par l'intermédiaire de deux enseignements.

-  Le premier enseignement résulte du tahdit, c'est-à-dire d'un entretien développé entre d'une part, Mohamed, le récepteur, et d'autre part Djebril, le transmetteur, qui répercute vers le rasoul, c'est-à-dire vers l'envoyé de Dieu, la parole divine. Cette transmission de la volonté divine est transcrite dans le Qoran. Celui-ci définit la substance de la parole divine.

-  Le deuxième enseignement est beaucoup plus compliqué. Il va s'illustrer par une formulation immensément riche et variée de la parole du Prophète. Un entrelacement de propos entre Djebril et Mohamed, celui-ci interrogeant celui-là. Cet entrelacement de propos, d'une grande richesse, a constitué la substance des Traditions Mahométanes.

En celles-ci, est réunie toute la matière première du hadit, terme dont la traduction a été donnée par le professeur Jacques Berque. Le hadit, c'est l'adage prophétique. On nous enseigne que ces traditions mahométanes ont atteint à un moment donné le chiffre de 600.000 environ. Au IXème siècle, le califat estima nécessaire d'effectuer un tri dans ce capital de traditions mahométanes. C'est-à-dire dans ce capital de paroles du Prophète. Cette mission fut confiée au cheikh traditionniste Al Bukhari. Celui-ci étudia avec un grand esprit critique ces 600.000 traditions mahométanes. Il en retint 7.275 qui furent regroupées dans un ouvrage écrit. Il s'agit du sahih, le livre correct, qui contient tout le hadit, c'est-à-dire le capital des paroles du Prophète. Capital résumé, condensé, sélectionné et synthétisé par Al Bukhari, sur injonction du califat. Ce sahih, ce livre correct, constitue la base de la sunna. C'est-à-dire du courant majoritaire de l'Islam. Al Bukhari est mort en l'an 870 ».

Après m'avoir étourdi de son enseignement, mon répétiteur musulman tient à m'apporter quelques précisions :

« Il est facile de comprendre que les indigènes algériens de confession musulmane, bien que jouissant de facto de la nationalité française, aient été dans leur quasi totalité, réfractaires à la citoyenneté française. Ils ont préféré en 1865, persister dans leur condition de sujets français. Ils ont opté volontairement pour la condition de sujets contre la condition de citoyens, pour obéir à la parole de Dieu, telle qu'elle est transmise par le Prophète. La qualité de « sujets » n'exprime rien d'autre que le choix délibéré de leur statut »..

Si j'ai bien compris le message de mon enseignant occasionnel, le musulman d'Algérie a voulu conserver un privilège. Celui de rester soumis à la loi de Dieu et à elle seule. Un privilège auquel il n'a pas voulu renoncer par une décision de son libre-arbitre. Selon toute vraisemblance, je dis même selon toute logique, on peut affirmer que c'est une responsabilité qu'il n'osait pas prendre.

Aurait-il accepté de prendre cette responsabilité, en se soumettant par voie administrative c'est-à-dire par voie d'autorité, comme l'ont fait les juifs plus tard, en 1870 lors du décret Crémieux ?

La question restera sans réponse. Puisque jamais la pratique du décret ne fut utilisée par les gouvernants français pour faire de l'Algérie une terre française et totalement laïque.

Car la citoyenneté française offrait un confort de vie qui aurait permis à la communauté musulmane de s'épanouir dans des conditions nouvelles certes, mais qui n'étaient pas incompatibles avec l'observance de son culte.

A la fin du chapitre II de cette étude n° 27, l'on comprend ce que peut signifier le propos tenu par Napoléon III en 1862 :

« L'Algérie c'est un royaume arabe, puisque les Algériens veulent rester soumis à la phénoménologie arabe.

L'Algérie c'est une colonie européenne puisque seuls les Européens sont capables de faire jaillir de son sol tout le bien, toute la richesse, tout le confort, tout le génie qui peut s'en extirper.

L'Algérie c'est un camp français puisque la France y est installée avec son drapeau, son armée, sa civilisation, son génie, accompagnés de toutes les mesures sociales qui enrichissent le concept de citoyen français et dont les musulmans n'ont pas voulu tirer profit ».

CHAPITRE III

.... L'ATTAQUE ....

Tout logiquement, nous faisons l'objet, nous qui avons défendu l'Algérie française, de l'attaque suivante :

« Lorsque vous parlez d'intégration, vous vous révélez être des escrocs.

En effet, toute l'histoire de l'Algérie française démontre que vous avez tout fait pour que ne s'instaure jamais en Algérie française, ce fondement de l'ordre républicain : l'égalité ».

Il s'agit d'une grave accusation. Il faut l'affronter sans complexe, mais avec la meilleure efficacité possible. Car elle est encore actuelle. Depuis plus de cinq ans, il est beaucoup question en France de l'égalité des chances. Une égalité des chances qui ne se bâtira que sur du sable, dans les conditions actuelles. Les conditions actuelles, nous voulons dire l'ensemble des agressions auxquelles est soumise notre citoyenneté, du fait des exigences des islamistes intégristes.

De la même manière, en Algérie française, on n'aurait bâti l'intégration que sur du sable : car auparavant, il fallait institutionnaliser une harmonisation citoyenne rigoureuse, entre la pratique religieuse musulmane d'une part, et la citoyenneté française d'autre part.

Si on prend le temps de réfléchir sur les fondements de l'ordre républicain, Liberté-Egalité-Fraternité, on se rend compte que l'ultime conquête de ce fondement c'est précisément, l'Egalité.

Celle-ci ne peut-être atteinte que dans la mesure où sont préalablement instaurées la liberté et la fraternité. Car l'une et l'autre sont indispensables à l'établissement, et surtout l'épanouissement de l'égalité.

Atteindre l'égalité c'est parachever la maturité d'une société moderne.

Dans les départements français d'Algérie, il n'existait pas de liberté pour la majorité de la population. A cause de l'intransigeance religieuse qui soumettait les croyants, en toute circonstance, aux exigences du qoran. Celui-ci était considéré, comme il l'est aujourd'hui au sein de l'intégrisme musulman conquérant, comme le recueil exclusif des lois auxquelles un musulman devait obéir.

Cet état de fait était paradoxal. Pourquoi ? Parce que cette situation s'est développée en Algérie, puis elle s'y est confirmée, au sein d'une société qui jouissait de la nationalité française.

Certains ont dit que les musulmans ont refusé la nationalité française en 1865, à l'occasion du Senatus-Consulte de Napoléon III.

C'est une contre-vérité.

Nous l'avons fortement souligné, nous estimons nécessaire de le souligner encore. La nationalité française était acquise pour les indigènes algériens de confession musulmane depuis l'arrivée de la France. Napoléon III n'a rien fait d'autre que prendre acte de la nationalité française acquise par les musulmans d'Algérie, en vertu du principe des vases communiquant, comme nous l'avons souligné au chapitre précédent.

Napoléon III ne propose rien. Il n'offre rien. Il constate un fait. C'est tout. Il l'enregistre d'une manière officielle et solennelle.

Mais ... il n'en allait pas de même avec la citoyenneté.

Le constat et non pas l'octroi de la nationalité française, entraîna des conséquences pratiques.

L'une, immédiate, nous l'avons souligné : c'est la soumission des musulmans français au code pénal français.

La seconde, fut plus tardive : c'est la possibilité de mobilisation des nationaux français de confession musulmane en cas de guerre. C'est-à-dire leur soumission au devoir de conscription. Ce fut en 1912.

La citoyenneté, c'est un autre concept. C'est celle-ci qui fut proposée par Napoléon III aux indigènes algériens de confession musulmane : l'indigène algérien est citoyen français, il est soumis au code civil français. C'est la substance du second alinéa.

C'est clair. C'est net. C'est laconique. C'est même exagérément bref.

Dans cet esprit, Napoléon III aurait pu se permettre d'ajouter : « C'est comme ça, parce que c'est comme ça et si vous n'êtes pas contents... ».

Aucune tentative d'explication. Aucun « concile laïc », aucune tentative de défendre au sein des musulmans le concept de citoyen français. Aucune tentative pour faire découvrir avec les notables du culte musulman, le capital de liberté, d'égalité que portait en elle-même la notion de citoyenneté française.

Une évolution était possible. Vers quoi ?

Nous l'avons maintes fois exprimé : vers une sécularisation de l'islam.

Certains grands spécialistes de l'islam, la majorité peut-être, expriment que celle-ci est impossible, car l'islam ne connaît pas « le phénomène église ». Nous ne sommes pas obligés de nous ranger à cette affirmation. Il faut préciser trois notions :

1. Le sécularisme : celui-ci défend la doctrine de l'absolutisation des valeurs matérielles et du refus de les soumettre à Dieu.

2. La sécularité : elle reconnaît l'existence et l'importance des valeurs matérielles de la vie, mais elle ne les absolutise pas, elle les soumet à Dieu.

3. La sécularisation : c'est l'ensemble des attitudes et du cheminement qui permettent de parvenir à la sécularité.

Accéder à la sécularité, c'est vivre librement sa foi, ou son absence de foi, dans le cadre de la laïcité. Peut-être aurait-il fallu, dès 1865, sans attendre les écrits du professeur Jacques Berque, que j'ai rappelés dans mon étude n° 26, mettre en Ïuvre avec les imans, les muftis et les cadis, les rénovations de l'islam prévues par le Prophète. Rénovations qui auraient dû s'accomplir au moins une fois par siècle, si l'on se réfère à un écrit de Jacques Berque.

Le Sénatus-Consulte de 1865, c'était l'occasion d'une magnifique rénovation qui aurait pu permettre aux fidèles du guerrier de Yatrib, d'échapper à l'influence de ceux qui se considéraient et qui se considèrent toujours comme des experts en religions. Qui conduisent les croyants par le moyen de la passion et du fanatisme. Qui prétendent les incarcérer dans des organisations d'état gérées par des gouvernements injustes. C'était l'occasion de prendre appui sur le « prêche d'adieu de Mohamed », tel que nous l'avons rappelé dans l'étude n° 26. Il fallait impérativement construire en Algérie une société qui aurait imposé une convivialité inter-religieuse entre tous les nationaux français qui y vivaient.

Mais.... Satan veillait, je l'ai déjà exprimé dans une étude précédente. C'est lui qui a conduit le bal. L'islamisme est apparu comme le moyen nécessaire et suffisant à ceux qui étaient animés du souci prioritaire de freiner d'abord, d'interdire ensuite, une évolution chrétienne possible et partielle des populations d'Algérie.

On a ouvert la voie à l'islamisme fondamentalisme sur ce territoire. On a interdit les missions d'apostolat.

On rejeta, par ce moyen de l'ostracisme religieux, les musulmans hors de la citoyenneté, ... au nom de Dieu... ou à cause de Dieu.

L'islamisme en Algérie a fait de l'islam une arme de guerre sur cette terre. Illustrée par cette constatation : d'accord pour la nationalité, puisque « c'est comme ça » mais citoyenneté, non.

Le statut coranique des musulmans d'Algérie, est devenu un Ksar : leur citadelle idéologique.

En 1936, la loi insensée de Blum-Violette proposa d'attribuer aux musulmans la citoyenneté française, tout en leur concédant le droit de rester soumis au statut coranique. C'était une telle aberration que cette loi fut mise sous l'éteignoir par le pouvoir et les élus de la IIIème République.

Le statut coranique exigé tout le temps par les fondamentalistes, s'identifie au cancer de l'Algérie française. Pourquoi ?

Parce que cette exigence définissait en elle-même le fondement de l'inégalité. Elle en constituait la substance.

Il nous paraît évident qu'il ne pouvait et qu'il ne peut se concevoir une égalité entre deux collectivités :

1.  l'une qui acceptait et qui accepte civilement de se soumettre aux exigences du code Napoléon ;

2.  celle qui rejetait et qui rejette aujourd'hui encore, ce même code Napoléon au nom de convictions religieuses.

Il a donc existé une inégalité de fait, générée par l'inégalité de statut. En réalité, une inégalité opportuniste.

L'égalité administrative était matériellement impossible à instaurer, dans les conditions de survivance du droit coranique.

L'égalité administrative, qui aurait complété l'égalité pénale, ne pouvait pas voir le jour. Ceux qui ont prôné d'octroyer la citoyenneté française aux musulmans d'Algérie, assise sur le statut personnel, c'est-à-dire sur le statut coranique, se sont rangés à une attitude irresponsable et condamnable. Même lorsqu'ils s'appelaient Alain de Sérigny et Jean Brune.

A la fin de ce chapitre III de l'étude n° 27, je me permets d'exprimer une conviction : un culte, une foi ressentie, sont d'autant plus respectables qu'ils s'expriment dans une société laïque.

C'est, en dernière analyse, ou plutôt en analyse actuelle, la liberté du choix qui confère toute sa valeur de sincérité aux croyants. Celui qui vit sa foi à l'intérieur d'une société théocratique, à l'intérieur de laquelle on a peur de commettre un péché, sous peine de mort parfois, est moins responsable que celui qui, par un choix lucide et libre, a fait l'élection du chemin qui le conduira peut-être vers la connaissance de Dieu.

Aujourd'hui, c'est ce problème-là qui se pose à la France.

Rechercher la voie d'une égalité des chances dans les banlieues, dans l'ensemble du monde citoyen de confession musulmane, impose, avant toute chose, à faire accepter la laïcité par tout le monde.

Faire échapper aujourd'hui, comme il aurait fallu le faire hier en Algérie, les musulmans à l'inquisition religieuse, à l'enseignement des Epitres djihadiens qui prétendent les soumettre. Là se trouve la clé de l'égalité des chances, de l'égalité tout simplement.

« Nous sommes un géant qui est en train de se mettre debout » a déclaré, il y a quelques années, un iman de la région parisienne. Il aurait pu enrichir son propos en reprenant l'avertissement donné en 1957 par Larbi M'Hidi : « Et, vous aurez l'Algérie de Tamanrasset à Dunkerque ».


CONCLUSION : La nouvelle dhimmitude à redouter.

En Algérie, l'acceptation du code civil français, c'était la condition nécessaire et indispensable à l'attribution de la citoyenneté française.

L'égalité n'était concevable que dans le cadre de cette dernière.

Mais nous l'avons dit et il faut le redire : le choix de la soumission exclusive au droit coranique, qui fut adopté par les nationaux français musulmans, dans leur immense majorité, ne traduisait rien d'autre qu'un refus volontariste et en même temps une auto-exclusion obligatoire de la citoyenneté française. Donc, de l'égalité.

D'autant plus que cette dualité administrative a donné naissance, tout logiquement à une dualité terminologique :

1.  les citoyens français étaient soumis au droit constitutionnel, au droit pénal et au code civil. Ils jouissaient du statut de citoyen intégral.

2.  les sujets français, c'est-à-dire les nationaux français non citoyens, étaient automatiquement soumis au droit constitutionnel et au droit pénal français mais s'excluaient du code civil, du code Napoléon. Ils s'excluaient volontairement de la citoyenneté française.

Cette appellation de « sujets français » correspondait à une appellation motivée par le refus de la citoyenneté. Ce n'était en rien une appellation évoquant la subordination d'une collectivité à une autre. Elle évoquait la jouissance d'un privilège.

Finalement et tout logiquement, cette dualité administrative a fini par générer une dualité identitaire. « Eux et nous, ce n'est pas la même chose », m'avait dit mon père en 1937 comme je l'ai rappelé dans le chapitre I de cette étude 27.

Dualité identitaire, c'est en ces termes que peut s'exprimer le risque qui menace la société française. Se satisfaire d'une dualité administrative, acceptée de facto, qui permet progressivement aux musulmans intégristes d'imposer la charria dans tous les domaines d'exercice de leur foi, et de donner naissance à une nouvelle société de dhimmis. Ces derniers s'identifiant aux citoyens français de confession non musulmane ainsi que les citoyens français qui revendiquent la qualité de non-croyants.

La nouvelle dhimmitude, voilà ce que nous devons redouter dans un avenir moyen. Pour l'interdire, il faut être capable de combattre l'islamisme fondamentaliste, dans une langue impitoyablement laïque. Rien ne sert de faire une étude craintive du nombre respectif de « cathédrales et de minarets », si on n'est pas capable de définir ce que doit être le comportement « citoyen » de tous ceux qui jouissent de cette qualité en France.

Et de l'imposer à tous.

Jean-Claude PEREZ
Nice, le 5 janvier 2010

D'après les livres :

« Attaques et contre-attaques »
Et
« l'islamisme dans la guerre d'Algérie »

Bonne année à tous

Mis en page le 06/01/2010 par RP