Le docteur Jean-Claude PEREZ
Adhérent du Cercle Algérianiste de Nice et des Alpes Maritimes
Auteur des livres : « Le sang d'Algérie »
« Debout dans ma Mémoire »
« Vérités tentaculaires sur l'OAS et la guerre d'Algérie »
« L'Islamisme dans la guerre d'Algérie »
« Attaques et contre-attaques »
aux Editions Dualpha - BP 58, 77522 COULOMMIERS CEDEX

NOUS COMMUNIQUE SOUS LE N° 32 L'ETUDE SUIVANTE 

 

« LA FUREUR ULTIME DE L'O.A.S. »

« Il y a des malheureux qui ne croient à rien,

des énervés qui doutent sans cesse de la force,

des eunuques de cÏur qui cherchent la raison des choses viriles

et qui calomnient toute chose virile qu'ils ne comprennent pas ».

Alexandre Dumas

« De Paris à Cadix »


A la phase ultime du combat pour l'Algérie française, l'O.A.S n'a pas fait de quartier. C'est vrai. La détermination brutale qu'elle a manifestée lors des confrontations dramatiques que le destin lui imposa de connaître, constitue une réalité historique.

Cependant, il ne faut pas oublier que cette violence, qui animait des Français d'Algérie de toutes confessions, avait été notre enfer pendant plus de sept ans. Pendant sept ans et demi et même après le 1er juillet 1962 (massacres d'Oran, massacres des Harkis) les Français d'Algérie, chrétiens, juifs et musulmans, ont vécu sous l'emprise de la terreur du F.L.N.

Les forces gaullistes, en particulier la gendarmerie mobile et les polices parallèles chargées de nous abattre, mirent en Ïuvre elles-aussi, des techniques terroristes pour nous tuer.

-          Soit par action directe : plastiquages, arrestations arbitraires, tortures et assassinats.

-          Soit d'une manière indirecte en s'alliant purement et simplement, après le cessez-le-feu, avec le F.L.N.

Ce fut le cas tout particulièrement dans ce que l'on appelait la Zone Autonome dÔAlger (Z.A.A.).

Ce fut le cas aussi, dans l'Ouarsenis contre un commando de l'O.A.S.

Si notre comportement a pu être qualifié de sauvage, c'est parce que nos gouvernants ont permis à la sauvagerie de s'installer, de se développer et de s'exprimer en Algérie pendant 90 mois. On se rendra compte, dans ce qui va suivre, que cette terminologie est loin d'être exagérée.

La sauvagerie du F.L.N. en effet, s'est exercée aux dépens du peuple et plus particulièrement du petit peuple : meurtres individuels et collectifs, égorgements en masse, lynchages de femmes et d'enfants, suivis de mutilations atroces ; tortures et massacres de prisonniers, de soldats, dans des conditions odieuses, suivis de l'émasculation rituelle. Nous avons apporté en temps voulu les précisions nécessaires qui ont d'ailleurs été souvent décrites dans de nombreux ouvrages, mais qu'il est opportun de rappeler ici.

Je n'ai pas hésité à piller le travail de quelques auteurs anglo-saxons dont la sympathie, sans aucun doute possible, allait au F.L.N. J'ai puisé aussi dans l'énorme documentation historique qui a été regroupée et parfois diffusée sur les évènements d'Algérie. J'ai réactivé aussi ma propre mémoire, puisque je me suis trouvé souvent mêlé à ces tragédies.

Mais, que nous ayons été nous-mêmes soumis à la terreur n'est peut-être pas suffisant pour que l'on accepte notre violence.

Celle-ci ne peut pas se comprendre si l'on oublie le traumatisme psychologique terrible que nous subissions depuis des années.

Il y eut d'abord les ambiguïtés de la IVe République auxquelles succédèrent la duplicité, la félonie destructrice et criminelle de la Ve République. La duplicité gaulliste surtout, par son cynisme méprisant, par son arrogance cruelle, a constitué la plus perverse des agressions mentales. Elle a été planifiée pour nous déstabiliser moralement, je dirais même psychiquement et c'est à cause d'elle que nous sommes devenus des « desesperados ».Je sais que ce terme hyper-galvaudé peut comporter une nuance de romantisme, mais dans notre cas ce n'était pas de roman qu'il s'agissait, loin de là !

Adossés à la mer, aux prises avec une police qui avait mission de nous tuer et un F.L.N. qui attendait l'heure de l'hallali, que pouvions-nous faire, plongés dans cette tragique réalité, sinon nous battre à mort ? Cette mort qui a régné en maîtresse absolue sur l'Algérie à partir de 1954, évoque en moi ce vers désespéré de Musset : « Oh, Dieu juste pourquoi la mort ? ». Oui, pourquoi ? Parce que nous étions devenus fous d'amour : des fous d'amour de la France et de l'Algérie française. Nous refusions comme des forcenés « le malheur aux vaincus » auquel on nous destinait. Nous refusions la mort à laquelle on nous condamnait.

Notre patriotisme viscéral et inconditionnel à cette époque, notre volonté de défendre notre terre, de sauver nos vies et celles de ceux qui restaient fidèles à la grande France, voilà ce qui nous interdisait de subir la loi du vainqueur, du nouvel envahisseur, du nouvel occupant qui allait descendre des montagnes sous le regard triste mais honteusement neutre de l'armée française.

Car l'armée et le peuple de France nous ont tourné le dos au moment où nous dûmes affronter l'ultime épreuve.

Nos concitoyens de la mère-patrie n'étaient pas sourds à nos appels. Mais ils se bouchaient les oreilles pour ne pas entendre. Ils se voilaient les yeux pour ne rien voir et pour la grande majorité d'entre eux, ils ne voulaient pas réfléchir à un drame dont ils pensaient qu'il ne les concernait pas.

Cette attitude a permis de jeter un jour nouveau sur les défaites subies par la France dans un passé encore récent. Mais « quelles défaites ? »me rétorque-t-on avec une note d'incrédulité agressive.

Ils ont oublié la débâcle de 1940. Même si la guerre de 39-45 nous a vus installés dans le camp des vainqueurs, grâce aux énormes moyens de nos alliés, la déroute de 1940 a fait de nous au XXe siècle, un pays vaincu en quelques semaines.

Heureusement, pour l'honneur de la France, des actions d'éclat ont atténué la honte de cette débandade. Parmi celles-ci, retenons le glorieux sacrifice des élèves de l'Ecole de Saumur, les prouesses de certains régiments coloniaux. Parmi ceux-ci, le 8ème Régiment d'Infanterie coloniale du Maroc (8ème R.I.C.M.) Rappelons le courage des manifestants du 11 novembre 1940 à l'Etoile, qui tinrent à célébrer, malgré la présence de l'occupant, la victoire de l'autre guerre.

Je ne peux citer toutes les actions brillantes qui se sont données pour mission spirituelle d'effacer la honte de cette débâcle. C'est le moment de rappeler le rôle de l'Armée d'Afrique avec ses contingents de Musulmans et de Pieds-Noirs qui surent, au « chant des Africains »montrer que l'honneur militaire existait au sud de Marseille.

Puis survinrent le désastre d'Indochine et la chute de Dien-Bien-Phu. Je suis de ceux qui ont ressenti cette défaite par une violente douleur physique. Je suis de ceux qui avaient pressenti que la défaite de Dien-Bien-Phu annonçait les agressions dont allaient devenir l'objet « les territoires des anciennes colonies »qui, selon la Constitution de 1946, faisaient partie de la République française. C'est une notion que l'on a trop souvent oubliée et il nous arrivera d'en reparler. Dien-Bien-Phu ! Combien de fois avons-nous entendu des personnalités gaullistes, de hauts fonctionnaires gaullistes, des généraux gaullistes affirmer à haute voix qu'ils n'en subiraient jamais un autre en Algérie !

« Pas de Dien-Bien-Phu, ni militaire, ni diplomatique ! ».

Voilà ce qu'ils hurlaient dans ce qui semblait être un nouvel appel à la résistance contre l'ennemi qui s'attaquait au territoire de la République française !

Ces défaites expliquent peut-être la perte de combativité de la majorité du peuple de France qui ne nous a pas défendus. Au contraire, au milieu des rafales d'armes automatiques et des explosions de bombes, semblait nous parvenir comme un écho tragique, cette horrible condamnation : « Qu'ils s'en aillent ou qu'ils crèvent ! ».

Qu'une telle attitude ait été possible me semble aujourd'hui hallucinant. Qu'avait l'Algérie française de si mauvais ? Quelle « peste »portaient en eux ces Pieds-Noirs pour avoir été l'objet d'une telle détermination à les détruire ? Vous allez me dire que la passion m'égare et que comme toutes les passions, ainsi disait Chamfort, « elle exagère ». Je suis passionné, c'est vrai, mais une constatation est là : elle est historique, elle se réfère à un événement qui porte une date, c'est le référendum du 8 janvier 1961. Nous avons démontré en maintes occasions, que ce référendum fut le résultat d'une véritable conjuration, organisée de l'Elysée et exécutée sur le terrain par des hommes comme Louis Joxe, Morin, aidé de son conseiller politique Coulet, puis Christian Fouchet et enfin Ailleret, ces deux derniers dans un temps ultérieur. En effet, cette consultation électorale donna une majorité écrasante au gouvernement gaulliste pour, non seulement engager des négociations avec le F.L.N. mais aussi pour préparer l'installation de ce dernier en Algérie, après la défaite.

Les Français, par ce référendum, ont donné un blanc-seing à De Gaulle pour livrer l'Algérie à une organisation révolutionnaire et terroristequi, dès le mois d'août 1956, avait officiellement fait connaître ses exigences au congrès de la Soummam. Cet état passionnel a développé en nous une sensibilité animale qui nous faisait capter dans sa cruelle totalité, l'indifférence de la majorité de nos concitoyens à l'égard de notre avenir de vie ou de mort. Cette perception animale nous a jetés dans un état de fureur désespérée.

D'escalade en escalade, nous accédâmes à un comportement de jusqu'au-boutisme,qui était l'expression guerrière d'un idéalisme passionné.

-          « Qu'ils crèvent ! ». J'ai entendu cette injonction cruelle. A qui s'adressait cette malédiction ? A plus d'un million de Français, ouvriers, artisans, petits exploitants agricoles, petits commerçants, à tous ceux que j'ai désignés, à maintes reprises, comme une fraction vivante de la nation française.

-          « Qu'ils s'en aillent ! ».Cette alternative était le cadeau que l'on adressait à des gens de condition modeste. C'était à une fuite, à un exode auxquels on les condamnait devant un conquérant massacreur de femmes et d'enfants.

Nous cherchions partout notre Jeanne d'Arc, notre sainte Geneviève, nous cherchions aussi notre légendaire Kahena qui, à la fin du VIIe siècle, dans les Aurès, s'est battue jusqu'à la mort pour ne pas subir une conversion islamique dont elle ne voulait pas. Personne n'est venu à notre secours. Après le cessez-le-feu, les katibas, détruites, démantelées, se reconstituaient grâce à des volontaires dépourvus de toute expérience du combat, qui volaient au secours de la victoire. Elles restaient cependant à portée des armes automatiques des militaires français. Pas un général, pas un colonel, pas un capitaine n'a eu le cran d'enfreindre une dégradante obéissance pour détruire en quelques heures les résidus de l'A.L.N.[1]. qui, soulignons-le, au jour du cessez-le-feu, ne dépassaient pas dans toute l'Algérie, l'effectif de quatre mille hommes. Bien sûr, c'était un acte grave, c'était un acte de rébellion, mais l'occasion de rompre le cessez-le-feu était là. Ce fut la dernière occasion de choisir entre la voie de l'obéissance et la voie de l'honneur. Et surtout, la voie de la vie française en Algérie.

Certes, en Algérie, il n'y avait pas que de petites gens. Il existait de grosses fortunes industrielles, foncières et commerciales. Ces grandes fortunes nous ont-elles aidés ? Un peu, mais elles avaient déjà ménagé leurs arrières.

Ne jetons pas la pierre systématiquement à ceux qui ont su prévoir le pire et préparer leur repli sur le territoire de la mère-patrie. Certains l'ont fait tout en accomplissant leur devoir jusqu'à la limite du possible. A propos de ces grandes fortunes, je ne m'inscris pas dans le camp de ceux qui les condamnent, qui les envient ou leur attribuent une part de responsabilité majeure dans le déroulement des affaires d'Algérie.

Souvenons-nous qu'il a été dit et redit que c'est en peuplant les cimetières d'enfants morts de maladies, en particulier de typhus, de typhoïde, de paludisme, de toxicoses, de tuberculose, que certaines familles ont accédé à un niveau d'aisance et de richesse qui, une fois atteint, pouvait provoquer des commentaires haineux, dès lors qu'on avait oublié le prix du sang qu'elles avaient payé. Je dis, néanmoins, qu'une très faible proportion des gens riches d'Algérie, ont pris une part active au combat. Dans la phase ultime de ce combat, ils ne furent qu'une infime minorité. C'est, je le répète, le peuple français d'Algérie et je n'hésite pas à le préciser, le prolétariat français d'Algérie, qui a donné les centaines de combattants qui ont constitué l'essentiel des effectifs de l'O.A.S.

Voilà ce dont vous devez vous convaincre -et pardonnez-moi d'insister d'une manière plus triviale- ce que vous devez vous mettre dans la tête : l'Armée Secrète en Algérie, je parle évidemment de ceux qui ont combattu dans la clandestinité, de ceux qui ont tourné le dos à leur profession, à leur vie familiale, ce n'était que ça : quelques centaines d'hommes.Ces hommes, encadrés par des chefs civils et quelques sous-officiers ou officiers de qualité, ont avant tout considéré comme un impératif d'honneur, de ne pas subir la défaite, sans présenter leur note, leur addition de sang aux ennemis de l'Algérie française et à leurs complices gaullistes, sans lesquels les rebelles n'auraient jamais pu atteindre leur but.

« Mais pourquoi ce sang puisque tout semblait perdu ? »

Cette question ne m'a pas été épargnée. La réponse, la voici : jusqu'à la dernière minute notre volonté était d'interdire l'entrée dans Alger à ceux que Salan avec Allard, puis Challe, avaient écrasés dans les djebels. Cette victoire militaire, indiscutable et maintes fois acquise sur le terrain, fut annihilée du jour au lendemain par De Gaulle, qui plia l'échine devant le F.L.N. et fit de ce dernier le vainqueur historique de la guerre d'Algérie.

L'O.A.S. ne voulait ni ne pouvait accepter cette défaite nationale. Avec de pauvres effectifs, de modestes moyens d'armement, elle accepta, elle subit l'ultime combat dans l'attente -et Corneille nous pardonnera de lui voler quelques mots- « qu'un noble désespoir alors la secourût ».

Car tout devait être tenté. Tant que les armes parlaient, l'Algérie française vivait. Ce qu'il fallait éviter, c'était le silence des armes, car il aurait signifié pour nous la défaite, peut-être la mort, en tout cas la honte et le désespoir.

Et le jour où par surprise, par naïveté, par traîtrise, à la fin du mois de mai 1962, quelqu'un réussit à convaincre les Delta qu'il ne fallait plus tirer, ce jour-là, l'Algérie française cessa historiquement de vivre.

Jean-Claude PEREZ

Le 19 juin 2010

D'après le livre « Le Sang d'Algérie »
Aux éditions Dualpha
Disponible à Primatice Diffusion



[1] A.L.N. : Armée de Libération National

Mis en page le 22/06/2010 par RP