« LA FUREUR ULTIME DE L'O.A.S. »
« Il y a des malheureux qui ne croient à rien,
des énervés qui doutent sans cesse de la force,
des eunuques de cÏur qui cherchent la raison des
choses viriles
et qui calomnient toute chose virile qu'ils ne
comprennent pas ».
Alexandre Dumas
« De Paris à Cadix »
A la phase ultime
du combat pour l'Algérie française, l'O.A.S n'a pas fait de quartier.
C'est vrai. La détermination brutale qu'elle a manifestée lors
des confrontations dramatiques que le destin lui imposa de connaître,
constitue une réalité historique.
Cependant, il ne faut
pas oublier que cette violence, qui animait des Français d'Algérie
de toutes confessions, avait été notre enfer pendant plus de sept
ans. Pendant sept ans et demi et même après le 1er
juillet 1962 (massacres d'Oran, massacres des Harkis) les Français
d'Algérie, chrétiens, juifs et musulmans, ont vécu sous l'emprise
de la terreur du F.L.N.
Les forces gaullistes,
en particulier la gendarmerie mobile et les polices parallèles
chargées de nous abattre, mirent en Ïuvre elles-aussi, des techniques
terroristes pour nous tuer.
-
Soit par action directe : plastiquages, arrestations
arbitraires, tortures et assassinats.
-
Soit d'une manière indirecte en s'alliant purement et simplement,
après le cessez-le-feu, avec le F.L.N.
Ce fut le cas tout
particulièrement dans ce que l'on appelait la Zone Autonome dÔAlger
(Z.A.A.).
Ce fut le cas aussi,
dans l'Ouarsenis contre un commando de l'O.A.S.
Si notre comportement
a pu être qualifié de sauvage, c'est parce que nos gouvernants
ont permis à la sauvagerie de s'installer, de se développer et
de s'exprimer en Algérie pendant 90 mois. On se rendra compte,
dans ce qui va suivre, que cette terminologie est loin d'être
exagérée.
La sauvagerie du F.L.N.
en effet, s'est exercée aux dépens du peuple et plus particulièrement
du petit peuple : meurtres individuels et collectifs, égorgements
en masse, lynchages de femmes et d'enfants, suivis de mutilations
atroces ; tortures et massacres de prisonniers, de soldats,
dans des conditions odieuses, suivis de l'émasculation rituelle.
Nous avons apporté en temps voulu les précisions nécessaires qui
ont d'ailleurs été souvent décrites dans de nombreux ouvrages,
mais qu'il est opportun de rappeler ici.
Je n'ai pas hésité
à piller le travail de quelques auteurs anglo-saxons dont la sympathie,
sans aucun doute possible, allait au F.L.N. J'ai puisé aussi dans
l'énorme documentation historique qui a été regroupée et parfois
diffusée sur les évènements d'Algérie. J'ai réactivé aussi ma
propre mémoire, puisque je me suis trouvé souvent mêlé à ces tragédies.
Mais, que nous ayons
été nous-mêmes soumis à la terreur n'est peut-être pas suffisant
pour que l'on accepte notre violence.
Celle-ci ne peut pas
se comprendre si l'on oublie le traumatisme psychologique terrible
que nous subissions depuis des années.
Il y eut d'abord les
ambiguïtés de la IVe République auxquelles succédèrent la duplicité,
la félonie destructrice et criminelle de la Ve République. La
duplicité gaulliste surtout, par son cynisme méprisant, par son
arrogance cruelle, a constitué la plus perverse des agressions
mentales. Elle a été planifiée pour nous déstabiliser moralement,
je dirais même psychiquement et c'est à cause d'elle que nous
sommes devenus des « desesperados ».Je sais que
ce terme hyper-galvaudé peut comporter une nuance de romantisme,
mais dans notre cas ce n'était pas de roman qu'il s'agissait,
loin de là !
Adossés à la mer,
aux prises avec une police qui avait mission de nous tuer et un
F.L.N. qui attendait l'heure de l'hallali, que pouvions-nous faire,
plongés dans cette tragique réalité, sinon nous battre à mort ?
Cette mort qui a régné en maîtresse absolue sur l'Algérie à partir
de 1954, évoque en moi ce vers désespéré de Musset : « Oh,
Dieu juste pourquoi la mort ? ». Oui, pourquoi ?
Parce que nous étions devenus fous d'amour : des fous
d'amour de la France et de l'Algérie française. Nous refusions
comme des forcenés « le malheur aux vaincus » auquel
on nous destinait. Nous refusions la mort à laquelle on nous condamnait.
Notre patriotisme
viscéral et inconditionnel à cette époque, notre volonté de défendre
notre terre, de sauver nos vies et celles de ceux qui restaient
fidèles à la grande France, voilà ce qui nous interdisait de subir
la loi du vainqueur, du nouvel envahisseur, du nouvel occupant
qui allait descendre des montagnes sous le regard triste mais
honteusement neutre de l'armée française.
Car l'armée et le
peuple de France nous ont tourné le dos au moment où nous dûmes
affronter l'ultime épreuve.
Nos concitoyens de
la mère-patrie n'étaient pas sourds à nos appels. Mais ils se
bouchaient les oreilles pour ne pas entendre. Ils se voilaient
les yeux pour ne rien voir et pour la grande majorité d'entre
eux, ils ne voulaient pas réfléchir à un drame dont ils pensaient
qu'il ne les concernait pas.
Cette attitude a permis
de jeter un jour nouveau sur les défaites subies par la France
dans un passé encore récent. Mais « quelles défaites ? »me
rétorque-t-on avec une note d'incrédulité agressive.
Ils ont oublié la
débâcle de 1940. Même si la guerre de 39-45 nous a vus installés
dans le camp des vainqueurs, grâce aux énormes moyens de nos alliés,
la déroute de 1940 a fait de nous au XXe siècle, un pays vaincu
en quelques semaines.
Heureusement, pour
l'honneur de la France, des actions d'éclat ont atténué la honte
de cette débandade. Parmi celles-ci, retenons le glorieux sacrifice
des élèves de l'Ecole de Saumur, les prouesses de certains régiments
coloniaux. Parmi ceux-ci, le 8ème Régiment d'Infanterie
coloniale du Maroc (8ème R.I.C.M.) Rappelons le courage
des manifestants du 11 novembre 1940 à l'Etoile, qui tinrent à
célébrer, malgré la présence de l'occupant, la victoire de l'autre
guerre.
Je ne peux citer toutes
les actions brillantes qui se sont données pour mission spirituelle
d'effacer la honte de cette débâcle. C'est le moment de rappeler
le rôle de l'Armée d'Afrique avec ses contingents de Musulmans
et de Pieds-Noirs qui surent, au « chant des Africains »montrer
que l'honneur militaire existait au sud de Marseille.
Puis survinrent le
désastre d'Indochine et la chute de Dien-Bien-Phu. Je suis de
ceux qui ont ressenti cette défaite par une violente douleur physique.
Je suis de ceux qui avaient pressenti que la défaite de Dien-Bien-Phu
annonçait les agressions dont allaient devenir l'objet « les
territoires des anciennes colonies »qui, selon la Constitution
de 1946, faisaient partie de la République française. C'est une
notion que l'on a trop souvent oubliée et il nous arrivera d'en
reparler. Dien-Bien-Phu ! Combien de fois avons-nous entendu
des personnalités gaullistes, de hauts fonctionnaires gaullistes,
des généraux gaullistes affirmer à haute voix qu'ils n'en subiraient
jamais un autre en Algérie !
« Pas de Dien-Bien-Phu,
ni militaire, ni diplomatique ! ».
Voilà ce qu'ils hurlaient
dans ce qui semblait être un nouvel appel à la résistance contre
l'ennemi qui s'attaquait au territoire de la République française !
Ces défaites expliquent
peut-être la perte de combativité de la majorité du peuple de
France qui ne nous a pas défendus. Au contraire, au milieu des
rafales d'armes automatiques et des explosions de bombes, semblait
nous parvenir comme un écho tragique, cette horrible condamnation :
« Qu'ils s'en aillent ou qu'ils crèvent ! ».
Qu'une telle attitude
ait été possible me semble aujourd'hui hallucinant. Qu'avait l'Algérie
française de si mauvais ? Quelle « peste »portaient
en eux ces Pieds-Noirs pour avoir été l'objet d'une telle détermination
à les détruire ? Vous allez me dire que la passion m'égare
et que comme toutes les passions, ainsi disait Chamfort, « elle
exagère ». Je suis passionné, c'est vrai, mais une constatation
est là : elle est historique, elle se réfère à un événement
qui porte une date, c'est le référendum du 8 janvier 1961. Nous
avons démontré en maintes occasions, que ce référendum fut le
résultat d'une véritable conjuration, organisée de l'Elysée et
exécutée sur le terrain par des hommes comme Louis Joxe, Morin,
aidé de son conseiller politique Coulet, puis Christian Fouchet
et enfin Ailleret, ces deux derniers dans un temps ultérieur.
En effet, cette consultation électorale donna une majorité écrasante
au gouvernement gaulliste pour, non seulement engager des négociations
avec le F.L.N. mais aussi pour préparer l'installation de ce dernier
en Algérie, après la défaite.
Les Français, par
ce référendum, ont donné un blanc-seing à De Gaulle pour livrer
l'Algérie à une organisation révolutionnaire et terroristequi,
dès le mois d'août 1956, avait officiellement fait connaître ses
exigences au congrès de la Soummam. Cet état passionnel a développé
en nous une sensibilité animale qui nous faisait capter dans sa
cruelle totalité, l'indifférence de la majorité de nos concitoyens
à l'égard de notre avenir de vie ou de mort. Cette perception
animale nous a jetés dans un état de fureur désespérée.
D'escalade en escalade,
nous accédâmes à un comportement de jusqu'au-boutisme,qui
était l'expression guerrière d'un idéalisme passionné.
-
« Qu'ils crèvent ! ». J'ai entendu
cette injonction cruelle. A qui s'adressait cette malédiction ?
A plus d'un million de Français, ouvriers, artisans, petits exploitants
agricoles, petits commerçants, à tous ceux que j'ai désignés,
à maintes reprises, comme une fraction vivante de la nation française.
-
« Qu'ils s'en aillent ! ».Cette alternative
était le cadeau que l'on adressait à des gens de condition modeste.
C'était à une fuite, à un exode auxquels on les condamnait devant
un conquérant massacreur de femmes et d'enfants.
Nous cherchions partout
notre Jeanne d'Arc, notre sainte Geneviève, nous cherchions aussi
notre légendaire Kahena qui, à la fin du VIIe siècle, dans les
Aurès, s'est battue jusqu'à la mort pour ne pas subir une conversion
islamique dont elle ne voulait pas. Personne n'est venu à notre
secours. Après le cessez-le-feu, les katibas, détruites, démantelées,
se reconstituaient grâce à des volontaires dépourvus de toute
expérience du combat, qui volaient au secours de la victoire.
Elles restaient cependant à portée des armes automatiques des
militaires français. Pas un général, pas un colonel, pas un
capitaine n'a eu le cran d'enfreindre une dégradante obéissance
pour détruire en quelques heures les résidus de l'A.L.N.[1].
qui, soulignons-le, au jour du cessez-le-feu, ne dépassaient pas
dans toute l'Algérie, l'effectif de quatre mille hommes. Bien
sûr, c'était un acte grave, c'était un acte de rébellion, mais
l'occasion de rompre le cessez-le-feu était là. Ce fut la
dernière occasion de choisir entre la voie de l'obéissance et
la voie de l'honneur. Et surtout, la voie de la vie française
en Algérie.
Certes, en Algérie,
il n'y avait pas que de petites gens. Il existait de grosses fortunes
industrielles, foncières et commerciales. Ces grandes fortunes
nous ont-elles aidés ? Un peu, mais elles avaient déjà ménagé
leurs arrières.
Ne jetons pas la pierre
systématiquement à ceux qui ont su prévoir le pire et préparer
leur repli sur le territoire de la mère-patrie. Certains l'ont
fait tout en accomplissant leur devoir jusqu'à la limite du possible.
A propos de ces grandes fortunes, je ne m'inscris pas dans le
camp de ceux qui les condamnent, qui les envient ou leur attribuent
une part de responsabilité majeure dans le déroulement des affaires
d'Algérie.
Souvenons-nous qu'il
a été dit et redit que c'est en peuplant les cimetières d'enfants
morts de maladies, en particulier de typhus, de typhoïde, de paludisme,
de toxicoses, de tuberculose, que certaines familles ont accédé
à un niveau d'aisance et de richesse qui, une fois atteint, pouvait
provoquer des commentaires haineux, dès lors qu'on avait oublié
le prix du sang qu'elles avaient payé. Je dis, néanmoins, qu'une
très faible proportion des gens riches d'Algérie, ont pris une
part active au combat. Dans la phase ultime de ce combat, ils
ne furent qu'une infime minorité. C'est, je le répète, le peuple
français d'Algérie et je n'hésite pas à le préciser, le prolétariat
français d'Algérie, qui a donné les centaines de combattants qui
ont constitué l'essentiel des effectifs de l'O.A.S.
Voilà ce dont vous
devez vous convaincre -et pardonnez-moi d'insister d'une manière
plus triviale- ce que vous devez vous mettre dans la tête :
l'Armée Secrète en Algérie, je parle évidemment de ceux qui ont
combattu dans la clandestinité, de ceux qui ont tourné le dos
à leur profession, à leur vie familiale, ce n'était que ça :
quelques centaines d'hommes.Ces hommes, encadrés par des
chefs civils et quelques sous-officiers ou officiers de qualité,
ont avant tout considéré comme un impératif d'honneur, de ne pas
subir la défaite, sans présenter leur note, leur addition de sang
aux ennemis de l'Algérie française et à leurs complices gaullistes,
sans lesquels les rebelles n'auraient jamais pu atteindre leur
but.
« Mais pourquoi
ce sang puisque tout semblait perdu ? »
Cette question ne
m'a pas été épargnée. La réponse, la voici : jusqu'à la dernière
minute notre volonté était d'interdire l'entrée dans Alger à ceux
que Salan avec Allard, puis Challe, avaient écrasés dans les djebels.
Cette victoire militaire, indiscutable et maintes fois acquise
sur le terrain, fut annihilée du jour au lendemain par De Gaulle,
qui plia l'échine devant le F.L.N. et fit de ce dernier le vainqueur
historique de la guerre d'Algérie.
L'O.A.S. ne voulait
ni ne pouvait accepter cette défaite nationale. Avec de pauvres
effectifs, de modestes moyens d'armement, elle accepta, elle subit
l'ultime combat dans l'attente -et Corneille nous pardonnera de
lui voler quelques mots- « qu'un noble désespoir alors
la secourût ».
Car tout devait être
tenté. Tant que les armes parlaient, l'Algérie française vivait.
Ce qu'il fallait éviter, c'était le silence des armes, car il
aurait signifié pour nous la défaite, peut-être la mort, en tout
cas la honte et le désespoir.
Et le jour où par
surprise, par naïveté, par traîtrise, à la fin du mois de mai
1962, quelqu'un réussit à convaincre les Delta qu'il ne fallait
plus tirer, ce jour-là, l'Algérie française cessa historiquement
de vivre.
Jean-Claude PEREZ
Le 19 juin 2010
D'après le
livre « Le Sang d'Algérie »
Aux éditions Dualpha
Disponible à Primatice Diffusion