Un nouveau cycle d’études : chapitre 2
LE CYCLE DE L’ADIEU
CHAPITRE II
DU CIMETIERE D’EL KETTAR
AU CENTRE DE BAB-EL-OUED
L’agonie des cathédrales
Alger…. Un soir de printemps
en 1956
La nuit est en train de tomber. Nous sommes en embuscade
avenue du général Verneau
[i], à Bab-El-Oued.
Nous attendons de voir apparaître notre objectif que
des exigences vitales de notre combat nous imposent de détruire.
Nous évoluons en voiture, au pied du cimetière musulman
d’El Kettar. Tout près de l’usine Ronda.
Nous longeons un mur de séparation au-delà duquel est
installé le Service de Nettoiement de la ville d’Alger.
Nous ne sommes pas éloignés de la rue Mizon, qui se termine
à l’instant même où elle rejoint l’avenue du général Verneau. Celle-ci constitue
le site géographique de notre opération. Cette avenue est née vers le nord, à partir
de l’avenue de la Bouzaréah, en plein coeur de Bab-El-Oued. Elle se prolonge
vers ce que l’on appelait « le Moulin Saint-Louis ». Il y a peu de temps encore,
c’était un site de promenade dominicale. On disait alors « faire le tour du moulin
».
La nuit va tomber. Notre effectif de 4 hommes, est réparti
en 2 voitures. Nous sommes en embuscade, dans la perspective banale, à cette époque,
d’exécuter un homme.
Peu importe le verbe employé : exécuter, tuer, assassiner,
flinguer, dégrouper, autant de termes utilisés pour exprimer la volonté d’ôter la
vie à quelqu’un dont nous avons la certitude qu’il représente un danger de mort
pour notre communauté.
La communauté des Pieds-Noirs dont le génocide, nous le pressentions, était sereinement accepté par ceux, hostiles
ou indifférents, qui ne voulaient pas défendre l’Algérie française. Qui étaient
déjà résignés au drame de voir l’Afrique plonger en grande partie sous la domination
islamiste fondamentaliste.
La domination de l’islamisme conquérant que nous ne confondons
pas et n’avons jamais confondu avec la religion musulmane.
Que l’on ne vienne pas nous juger en fonction de critères juridiques ou moraux. Nous ne connaissions pas en 1956, le luxe de dénoncer cet homme à notre justice. De le faire arrêter. Cet homme était chargé de transmettre à des tueurs regroupés et cachés à Fontaine Fraîche, des ordres de tuer des Français. Nous n’avions pas le temps de lui démontrer qu’il se trompait en exécutant les ordres auxquels il s’était soumis.
Cette portion de
l’avenue du général Verneau, site de notre embuscade, donnait naissance effectivement
à un chemin non carrossable situé sur notre gauche quand nous nous dirigions vers
le Moulin Saint-Louis. Ce chemin permettait d’accéder à Fontaine Fraîche.
C’était donc tout près de cet embranchement que nous attendions
notre objectif.
La première de nos deux voitures est à l’arrêt. Tout près
de l’endroit où doit s’exécuter notre opération. Son rôle : démarrer à toute allure,
dès les coups de feu, en direction du Moulin Saint-Louis, et rejoindre Bab-El-Oued par le boulevard de Champagne et la place Dutertre.
Je conduis la deuxième voiture, orientée en sens contraire.
C’est-à-dire que je tourne le dos au chemin qui conduit vers Fontaine Fraîche. Je
circule très lentement en direction du croisement de la rue Mizon avec l’avenue
du général Verneau. J’ai libéré entre temps mes deux camarades-tireurs qui s’approchent
de l’objectif.
Quelques coups de feu.
Mes deux flingueurs, après une course d’une vingtaine
de mètres, reprennent leur place dans la voiture.
« C’est fait », me disent-ils.
Je m’en doutais un peu.
Jusque-là, rien de sensationnel n’est à signaler dans
cette opération du printemps 1956. Elle était banale, presque routinière, dépourvue
de panache.
Comme prévu j’emprunte le trajet de notre repli : la rue
Mizon en direction de la Rampe Vallée, c’est-à-dire vers l’est.
Mais à l’instant même où je m’engage dans la rue Mizon,
nous tombons en plein milieu d’une fusillade intense. La surprise est totale ! Les
tirs partent de ma droite, c’est-à-dire d’un chemin qui relie la rue Mizon à la
rue Soleillet, au pied d’une colline qui a vu s’implanter
la Cité des Eucalyptus.
J’entends crier, depuis l’immeuble qui se situe à l’intersection
de ce chemin avec la rue Mizon :
« Tirez sur la traction ! »
Dire que nous sommes surpris n’est pas suffisant pour
exprimer ce que nous ressentons. Le tir est nourri et les gens hurlent. Par-dessus
le marché, la traction que les tireurs désignent comme objectif c’est tout
banalement ma voiture !
J’accélère prudemment en direction de la Rampe Vallée. La rue Mizon est libre, je laisse sur ma droite la naissance de la rue Soleillet.
J’avais dépassé
auparavant, sur ma gauche, une arrivée d’escaliers par laquelle la rue Suffren débouchait
dans la rue Mizon. Je réintègre le coeur de Bab-el-Oued par la rue Livingstone. Je libère mes deux camarades
au croisement de la rue Barras et de la rue Montaigne.
Je ne prends pas le temps de m’informer sur l’origine
de cette fusillade qui est venue enrichir notre opération d’un imprévu auquel je
n’ai rien compris à ce moment-là.
Je rejoins mon domicile familial situé sur la commune
de la Bouzareah, tout près de la lisière-sud de la forêt
de Baïnem.
Une heure plus tard environ, je reçois un coup de téléphone
de mon jeune frère Jacques, plus connu sous le prénom de Jacky. Je l’avais mis dans
la confidence de cette opération en raison de la proximité de notre domicile familial
avec le site prévu de notre intervention. Y vivaient mes parents, mes deux soeurs et Jacky lui-même, avenue du général Verneau donc, à
quelques dizaines de mètres du lieu de notre « flingage ».
« Ta journée s’est bien passée ? » interroge-t-il.
« Oui, tout va bien » fut ma réponse.
« Imagine-toi » me précise-t-il, « qu’ici nous nous sommes trouvés en plein milieu d’une fusillade particulièrement
nourrie ! »
« Une fusillade ? Où ça ? » fut bien évidemment
mon innocente réplique.
« Rue Mizon, tout près d’un chemin qui rejoint la rue Soleillet … une fusillade précédée de coups de feu entendus
quelques secondes auparavant près de l’usine Ronda ».
Il complète son récit sans me laisser le temps de commenter
son information.
« A ce même moment, une autre fusillade éclatait dans
le centre de Bab-El-Oued. Un jeune homme a été tué. Il
s’appelle Levy. Pratiquement au même moment, un policier français a été sévèrement
blessé rue Mizon, tout près de notre avenue général Verneau …. ».
Il observe un silence lourd d’une interrogation qu’il
n’ose pas formuler. Je lève son angoisse immédiatement :
« cet attentat que tu décris s’est déroulé assez loin du secteur dans lequel j’avais des patients à visiter. Je ne sais absolument rien ».
C’est le lendemain
matin, une fois rendu à mon cabinet, que j’ai pu obtenir des informations policières sur cette soirée qui ne s’était pas déroulée comme prévu.
J’ai pris l’initiative de contacter un de mes vieux amis
Janvier. Il était l’officier de police judiciaire, l’OPJ, du commissariat du 5ème
arrondissement d’Alger, situé tout près de mon cabinet. Il n’était pas informé de
mes activités mais il connaissait ma volonté d’engagement.
« Je passe vous voir immédiatement » me dit-il.
« Quelle soirée !» me déclare-t-il
dès son arrivée.
« Bab-El-Oued a été l’objet
d’une tentative d’attaque généralisée du FLN, hier dans la soirée. Une attaque qui
manifestement ne s’est pas déroulée comme l’avaient prévu les exécutants ».
Après un silence d’une minute environ, il reprend.
« Une attaque s’est déroulée en plein centre. Un jeune
homme, Lévy, s’est fait tuer. Lorsque les policiers sont allés prévenir ses parents,
sa mère, dans sa douleur indescriptible a déclaré en hurlant : « dites-moi qu’il
est blessé, ne me dites surtout pas qu’il est mort ! ».
Janvier s’arrête un instant.
« A l’instant même de cet attentat », poursuit-il, « un de nos collègues du commissariat s’est
fait attaquer en remontant chez lui. Il s’appelle Alvès
[ii]me précise-t-il. «
C’est un nom d’origine portugaise. Il rentrait chez lui en empruntant la rue Suffren,
à pied. Tout au bout de cette rue qui se termine par un escalier dans la rue Mizon
il est allé vers la droite pour rejoindre la ruelle qu’il empruntait chaque soir,
à la même heure, pour atteindre son domicile de la rue Soleillet.
A cet instant-là, il s’est passé quelque chose d’inattendu ».
Il me fit alors un compte-rendu de ce qu’il croyait avoir
compris du drame qui s’était déroulé la veille au soir.
Des tueurs du FLN étaient en embuscade dans la ruelle
que devait emprunter le policier pour rejoindre son domicile. Ils avaient l’intention
de l’assassiner. Au moment où les tueurs s’apprêtaient à exécuter Alvès, ils furent surpris par un tir qui s’est déclenché un
peu plus loin, à quelques dizaines de mètres dans l’avenue du général Verneau, au
pied du cimetière d’El-Kettar.
Il s’agissait, on l’aura compris, de notre tir.
« Et » précisa Janvier, « on voit à travers le déroulement de cet évènement ce que peut provoquer l’imprévision opérationnelle de ces tueurs.
Car le premier
tir les a surpris comme il a surpris et a fait sursauter notre collègue. Le tir
des agresseurs d’Alvès a manqué de précision et devant
la réaction des habitants d’un immeuble voisin, mis en alerte par le premier tir,
ils ont abandonné le terrain et n’ont pas eu la possibilité d’achever notre camarade
grièvement blessé à la tête ».
Il se tait pendant quelques secondes et précise aussitôt
:
« Voyez-vous, le premier attentat de l’avenue du général
Verneau, au pied du cimetière d’El-Kettar, a désorganisé
le plan opérationnel du FLN en annihilant la synchronisation prévue. Car c’est ce
premier tir qui mit en alerte la totalité du service d’ordre à l’échelon de tout
le secteur de Bab-El-Oued. De ce fait, les agresseurs
d’Alvès et les assassins du jeune Levy ainsi que leurs
complices répartis dans tout le quartier, ont jugé prudent d’abandonner le terrain
».
J’écoute avec attention évidemment, la relation de mon
ami Janvier. Tout particulièrement son dernier commentaire, que je rappelle :
« En réalité, c’est le premier attentat qui a sauvé la
vie d’Alvès et qui a sûrement évité que d’autres attentats
se déroulent comme prévu, à une plus grande échelle, dans tout le secteur de Bab-El-Oued. Car l’alerte, je viens de vous le dire, s’est déclenchée
quelques minutes plus tôt que ne l’avaient prévu les agresseurs et un massacre espéré
à grande échelle par nos ennemis, fut évité ».
Je ne peux m’empêcher de souligner qu’à ce moment-là,
j’ai éprouvé un grand soulagement devant la relation que me fait Janvier au lendemain
de cette soirée.
Nous avions évité, par hasard, une tuerie dans Bab-El-Oued. Voilà ce que je ne pouvais m’empêcher de
retenir de cet épisode.
Néanmoins deux victimes étaient à déplorer.
Un policier grièvement blessé certes par un tueur FLN, mais il ne fut pas achevé, grâce à nous. J’ose le dire, près de 60
ans plus tard.
Le jeune Levy assassiné, en plein centre de Bab-El-Oued.
Ce que je viens de rappeler s’est déroulé en 1956.
Cinq ans plus tard, le 20 novembre 1961, ce drame va connaître un rebondissement inattendu. A travers la mort de William Levy, tué par l’OAS, le 20 novembre 1961, en violation des ordres que j’avais donnés personnellement à Achard, responsable du secteur OAS de Bab-El-Oued, le secteur Orléans-Marine.
[i]Général Verneau : ancien chef d’Etat-major de l’armée de l’armistice
après 1940, mis dans la confidence du complot d’Alger du 8 novembre 1942 par le
général Mast, commandant en second du XIXème Corps d’armée
d’Alger. Ce général demanda au colonel Raymond, commandant le 45ème Régiment de
Transmissions de Maison Carré, de transmettre personnellement un message confidentiel
au général Verneau à Etroussat, tout près de Vichy. Le
général Verneau est mort à Buchenwald en 1944.
[ii]Par discrétion, je préfère utiliser un pseudonyme
En prévision
: le chapitre III de ce cycle d’études, intitulé «de la visite de Georges Bidault
à Alger » (19 décembre 1959) « à la prière d’adieu du Prophète », vous sera proposé
début janvier.
N’hésitez-pas à consulter le site du Cercle Algérianiste de Nice et des Alpes Maritimes et tout particulièrement,
la classification et études de Raphaël PASTOR et Hervé CUESTA.
L’assassinat
de l’Algérie française, terreau de la conquête islamiste actuelle. 2012
Un des livres du cinquantenaire, à lire et à
faire lire.
Vérités
tentaculaires sur l’OAS et la guerre d’Algérie
Stratégies
et tactiques, 2006 ; 2e Edition
Cet
ouvrage a été d’un grand recours dans la rédaction de cette étude
L’islamisme
dans la guerre d’Algérie
Logique de
la Nouvelle Révolution Mondiale, 2004
Le sang
d’Algérie
Histoire
d’une trahison permanente, 2006 ; 2e édition
Debout dans
ma mémoire
Tourments et
tribulations d’un réprouvé de l’Algérie française, 2006 ; 2e édition
Attaques et
Contre-attaques
Vérités
tentaculaires sur l’OAS et la guerre d’Algérie II, 2008
Editions Dualpha
Boite 37
16 bis rue d’Odessa
75014 PARIS
Tel. : 09 52 95 13 34 -
Fax : 09 57 95 13 34
Mail : infos@dualpha.com
Site internet : www.dualpha.com
Vous pouvez prendre connaissance des deux interview accordées par Jean-Claude PEREZ : - la première à Monsieur Olivier CAZEAUX : sur Internet tapez « OAS, le docteur PEREZ parle » ; - la
seconde, à Monsieur BESSOU dans le cadre de la préparation d’un film. Monsieur
BESSOU a livré à Jean-Claude PEREZ tout le matériau de son exposé visible sur
le site www.jean-claude-argenti-sauvain.com.
Mis en
page le 18/12/2015 par RP |