Arcachon le 10 décembre 2007
Monsieur CORBIN de MANGOUX
Préfet
Palais de l'Elysée
22 rue de l'Elysée
75008 - PARIS
Monsieur le Préfet,
Nous vous remercions
pour l'excellent accueil que vous nous avez accordé le
6 décembre 2007 au cours duquel nous avons évoqué
le dossier des enlevés portés disparus européens
de la guerre d'Algérie et nous vous avons fait part des
attentes des familles.
Nous vous avons rappelé
que Monsieur Nicolas SARKOZY, encore candidat, avait bien voulu
répondre à nos questions dans ses courriers des
3 et 18 avril 2007 joints à cette note.
Et l'extrait du discours
du Président que nous reproduisons, s'adressant à
la communauté rapatriée le 5 décembre 2007,
apporte enfin l'espoir d'un règlement de notre dossier ;
« Il faudra bien
un jour ou l'autre évoquer dans un esprit d'apaisement,
avec les autorités algériennes, le sort des civils
disparus, dans leur très grande majorité dans les
derniers mois de la souveraineté française en Algérie......
A tout ceux qui ont souffert, nous devons la vérité
parce que sans la vérité il ne peut pas y avoir
de sentiment de justice..... Il faut rendre à ces victimes
innocentes.... .l'hommage qui leur est dû, je pense notamment
à ceux qui après le 19 mars sont tombés victimes
d'un drame qui n'était pas achevé. Ils ont été
les victimes d'une histoire tragique. Ils n'en n'ont pas été
les coupables. »
Nous espérons
que les déclarations du Président de la République
nous concernant seront rapidement suivies d'effet et que les mesures
prises seront l'application de ce que nous demandons depuis de
nombreuses années :
1/ RECONNAISSANCE
DES SOUFFRANCES
Si nous reconnaissons l'avancée certaine de notre dossier
matérialisée par l'article 1 de la loi du 23 février
2005 dans lequel il est enfin reconnu officiellement les souffrances
éprouvées et les sacrifices endurés par les
disparus, l'hommage qui leur est dû est encore imprécis
malgré l'article 2 de la loi précitée.
Une plaque inaugurée au quai Branly en décembre
2006, n'est pas suffisante pour satisfaire nos attentes.
Nos disparus ont
droit à un mausolée, une stèle, comportant
leurs noms dans un lieu de recueillement afin de pouvoir les honorer
en même temps que les anciens combattants. Un aménagement
du quai Branly avait déjà été demandé.
Une gerbe est déposée
au pied des colonnes lumineuses consacrées aux combattants,
une autre gerbe pourrait être déposée devant
la plaque réservée à la mémoire des
disparus.
(inscription des noms
sur un monument public conformément à l'engagement
de M. SARKOZY dans son courrier du 18 avril 2007)
2/ RECONNAISSANCE DU DROIT DE
SAVOIR
Au cours de la campagne
électorale, Monsieur SARKOZY nous a écrit :
« La France doit
aussi aller au bout de son travail de mémoire, pour pouvoir
cicatriser les blessures de son passé..... Il est grand
temps que toute la lumière soit faite sur ces disparitions,
que des experts, historiens et chercheurs indépendants
puissent véritablement étudier le sort des disparus
et aider leurs familles à retrouver la paix. Il est grand
temps de connaître la vérité historique des
faits. »
Certes depuis Avril
2003, les familles peuvent obtenir, sur dérogation, prés
du Ministère des Affaires Etrangères la consultation
du dossier de leur parent disparu.
Mais persistent encore
de trop grandes zones d'ombre dans les réponses du
service des archives du Ministère des Affaires Etrangères :
-
les dossiers sont transmis mais les noms des témoins,
les lieux d'inhumation présumés sont occultés,
-
les informations contenues dans certains dossiers sont
quasiment inexistantes: la famille doit rechercher d'autres lieux
d'archives, cette quête du renseignement est bien éprouvante,
-
que faut il faire lorsque le dossier est inexistant ? :
le disparu n'est pas répertorié, enlevé par
exemple dans les premières années de la guerre d'Algérie
(il s'agit de tous les enlèvement traités par les
gendarmes ou les commissariats de police)
-
que faut-il penser de la réponse : « le
procès verbal de gendarmerie est introuvable »,
tant pour un dossier de militaire que pour un dossier de civil
?
Pour toutes ces raisons
il est demandé l'ouverture de toutes les archives et les
historiens devront répertorier ces pièces d'archives.
L'établissement
d'une liste de disparus officielle et incontestable ne pourra
se faire qu'en ouvrant toutes les archives, ce que reconnaît
M. SARKOZY, alors candidat à la Présidence
de la République lorsqu'il écrit :
«
je m'engage à ce que la fondation pour la mémoire
de la guerre d'Algérie ....demande à un comité
des sages, d'historiens d'établir la liste officielle des
disparus et que ceux-ci aient une reconnaissance de la Nation
par l'inscription de leurs noms sur un monument public. »
Nous souhaitons que
ce COMITE DES SAGES ou une autre structure administrative aide
à la recherche de la vérité :
Les familles des enlevés
portés disparus ont le DROIT de SAVOIR et donc de connaître
avec certitude et précision :
-
les
circonstances de l'enlèvement,
-
les
conditions de détention des enlevés portés
disparus,
-
les
circonstances et la date de l'exécution ou de la mort,
- les lieux d'inhumation
présumés des dépouilles (charniers et ossuaires ?)
(ce droit de savoir est
clairement reconnu dans l'article 24 de la Convention Internationale
de toutes les personnes sur les disparitions forcées, adoptée
par l'Assemblée générale de l'ONU le 20 décembre
2006 et entérinée par 60 pays à PARIS le
6 février 2007).
Les réponses
aux questions que se posent depuis plus de 40 ans les familles
des disparus doivent leur être données car pour accomplir
leur travail de deuil il est nécessaire de comprendre.
Oui LE DROIT DE SAVOIR est
dans l'actualité internationale, la convention précitée
dans son article 24 est le premier traité visant à
interdire, en toutes circonstances, la pratique «
des disparitions forcées », c'est à dire l'enlèvement
de personnes et leur détention dans des lieux secrets -souvent
accompagnée de tortures- et cela quels que soient les auteurs
de ces forfaits, qu'ils soient agents d'un Etat (police, armée)
ou tout autre groupe non étatique, telles milices ou autres.»
Nous avons d'ailleurs été
choqués par les déclarations du Ministre des Affaires
Etrangères de l'époque Monsieur DOUSTE BLAZY se
félicitant de cette avancée du droit humanitaire
à l'occasion de la signature de la convention à
Paris, sans mentionner une seule fois notre drame et nos attentes
et se contentant d'évoquer le drame des disparus d'Amérique
du Sud.
Très récemment,
Monsieur François FILLON, notre premier Ministre a rendu
hommage aux disparus de la « sale guerre »
des années 1976 en Argentine : « La
France sera toujours à vos côtés pour vous
aider à faire établir la justice »,
a également promis François Fillon à l'avocat
des familles des disparus français.
Notre
pays considère-t-il qu'il y a des bonnes et des mauvaises
victimes au point de ne jamais évoquer notre drame ?
3/ RECONNAISSANCE DES PREJUDICES
MORAUX ET MATERIELS SUBIS
Mais la reconnaissance
des souffrances et la reconnaissance du droit de savoir ne peuvent
être dissociées du droit à la réparation
matérielle car tout préjudice subi ouvre droit à
réparation matérielle.
La Convention précitée
prévoit également le droit à réparation
morale (Art 24 - 5 c - rétablissement de la dignité
et de la réputation) et matérielle des familles
de disparus.
Dans sa lettre en
date du 3 Avril 2007 le candidat Nicolas SARKOZY , devenu
Président de la République s'engage, s'il est élu,
« que dans un souci d'équité,il sera
mis un terme à l'empilement des dispositifsÉ..par un décret
unique abrogeant , remplaçant et complétant ceux
de 2000 et 2004 » (décrets ayant institués des mesures de réparation
pour les orphelins dont les parents ont été victimes
de persécutions antisémites ou victimes d'actes
de barbarie durant la deuxième guerre mondiale.) « ce
décret instituera une mesure de réparation pour
tous les orphelins de guerre qui n'auraient pas bénéficié
des précédentes mesures »
Nous attendons que
l'expression de la solidarité nationale se manifeste en
faveur des familles traumatisées car, encore une fois,
il ne peut y avoir de bonnes et de mauvaises victimes dans un
conflit.
En vous remerciant
encore pour votre écoute, veuillez agréer, Monsieur
le Préfet, l'expression de toute notre considération.
Colette
DUCOS ADER