crédit:
http://babelouedstory.com (Entretien avec Gilles Pérez)
|
|
A
propos du film Les Pieds Noirs, Histoire d'une blessure :
Entretien avec Gilles Pérez, le réalisateur.
|
|
|

Présentation du documentaire
Les
Pieds Noirs, Histoire d'une blessure
au Théâtre National de la Criée à Marseille
|
S'agit-il d'un film « de
plus » sur l'histoire de l'Algérie?
C'est un film de mémoire. Mémoire partagée, entrelacée,
qui s'entrechoque, trébuche quelque fois.
Et cela représentait un défi majeur que d'accoucher
ces mémoires-là, dans la mesure où la communauté
Pied noir est restée traumatisée par les drames de la
fin de la guerre d'Algérie et la façon dont elle a été
perçue à son arrivée en Métropole. Il
s'agissait donc de faire ressurgir des mémoires enfouies, souvent
refusées par l'extérieur, souvent tues à leur
propre famille par volonté acharnée de s'intégrer
à la France. Il nous fallait aussi aller au-delà du
folklore, de l'accent et de la gestuelle, pour rencontrer la sincérité. |
|
Pourquoi cette mémoire-là,
l'histoire de cette communauté-là ? Est-ce pour
vous inscrire dans le débat actuel sur la colonisation ?
Effectivement. Et c'est aussi pour apporter à l'analyse politique
et aux passions qui l'accompagnent un élément supplémentaire
: l'élément humain. Celui qui donne une place aux
hommes et aux femmes qui ont vécu cette histoire. Il leur
aura fallu le temps du deuil. Il aura fallu qu'ils mettent enfin
de côté leur obsession de « l'après 1962 »,
c'est-à-dire cette volonté forcenée de s'intégrer,
de se fondre dans la masse. 45 ans après, le temps est venu
pour eux de parler parce qu'ils sont à l'aube de la retraite
ou y sont entrés ; moment privilégié pour opérer
un retour en arrière, un retour sur leur vie, leur comportement,
l'histoire de leur famille, leur généalogie, un regard
enfin débarrassé des scories passionnelles de l'époque.
Il s'agit bien de la dernière génération de
Pieds noirs. Il ne fallait pas manquer ce moment-là.
Pourquoi avoir attendu la dernière
génération ?
Le problème c'est qu'on a souvent stigmatisé cette
communauté, à travers des slogans, en la jugeant collectivement
responsable et coupable. Elle est jugée coupable d'avoir
voulu que l'Algérie reste terre française. Elle est
jugée coupable d'avoir exploité les Algériens,
de s'être enrichie sur leur dos. Et ensuite, arrivée
en France, elle est jugée coupable de la montée de
la délinquance, de la multiplication des mauvaises manières,
de se comporter en « lobby », de la montée
du racisme, de la poussée du Front national...
|

Gilles Pérez
|
Ce film prouve
le contraire ?
Il démontre que les Pieds noirs étaient à 97%
(selon l'historienne Germaine Tillon) une population de petites gens,
pour la plupart immigrés économiques ou politiques du
pourtour méditerranéen ou déportés et
« racolés » par la France afin de peupler cette
nouvelle terre.
Grâce aux films de famille que les Pieds noirs nous ont prêtés
et qui illustrent ce documentaire, on voit bien à qui l'on
a à faire. Des pique-niques dans les bois, des parties de pétanque
mémorables, des gamins qui jouent dans la rue, des Européens
et des Algériens qui partagent un repas... Il est bien question
de petites gens et de petits plaisirs, comme la Métropole en
connaissait dans ces années 50, la mixité ethnique en
moins. Et puis, on a découvert, au travers des témoignages,
qu'une grande majorité d'entre eux souhaitaient rester en Algérie
malgré l'Indépendance. Ce qui montre bien leur attachement
à cette terre.
Par ailleurs, le film met également en lumière des faits
historiques volontairement tus par les autorités françaises,
à savoir les trois milles Européens d'Algérie
disparus et officiellement" recensés, les massacres d'Européens
commis le 5 juillet 1962 à Oran, les tirs de l'Armée
française contre des civils européens le 26 mars 1962
à Alger, entre autres |
|
A quel titre personnel avez-vous
ressenti le besoin de réaliser ce film ?
Parce que pendant très longtemps j'ai eu honte de dire que
j'étais moi-même Pieds-Noirs. Je « zappais »
une génération de mon histoire familiale, parlant plus
volontiers de mes racines andalouses que du passage de mes ancêtres
en Algérie. Parce que, à ce mot, sont attachées
une honte et une culpabilité. Parce qu'idéologiquement,
à l'école, puis dans les milieux tant professionnels
que politiques où j'ai évolué ensuite, il faut
être du côté du persécuté et, dans cette
histoire, le persécuté, c'est communément l'Algérien.
Je reste du côté du persécuté. Je garde la justice
chevillée à l'âme. Je suis pour l'indépendance
des peuples et le respect de l'être humain. Et les années
de reportage m'ont appris que les histoires humaines racontent mieux
que n'importe quelle analyse politique un conflit, une crise. On n'avait
jamais donné la parole aux Pieds noirs, si ce n'est pour les
stigmatiser. Jusque là, j'acceptais qu'ils aient souffert au
moment du rapatriement mais je ne voulais surtout pas savoir comment
ils avaient vécu là-bas parce que je m'attendais à
découvrir des comportements de « salauds » parmi
mes ancêtres. Par ce film, en remontant l'histoire familiale
et collective, j'ai découvert un petit peuple essentiellement
issu de la classe ouvrière dont il a toujours défendu
les valeurs et les droits, y compris ceux des Algériens. ««»
Comment s'est déroulé le tournage
?
C'est un processus long. Il faut arriver à les convaincre de
parler, qu'ils acceptent la présence d'une caméra et
surtout qu'ils l'oublient. En fait ces entretiens ont été
construits comme une longue discussion qu'ils auraient avec leurs
enfants. Ils ont d'ailleurs tous réclamé les rushs pour
les montrer ensuite à leur famille à qui, pour 40 d'entre
eux, ils n'avaient jamais parlé. Emotionnellement c'était
très dur parce qu'ils avaient étouffé leurs fêlures
pendant 45 ans. Alors le jour où ils ont réussi à les
faire sortir, lors du tournage, c'est sorti de manière douloureuse.
J'ai été, par exemple, très étonné
de les voir revivre physiquement ces histoires tues. Je les ai vus
secoués de spasmes, incapables de poursuivre en repensant aux
amis et à la maison qu'ils avaient laissé ou bien, au
contraire, redevenir des gamins en mimant les tirs de lance-pierre
de leur enfance, rougir comme des ados à l'évocation
des subterfuges mis en uvre pour draguer les jeunes filles...
On risque de vous reprocher de n'avoir rencontré que des Pieds
noirs pour raconter cette page de l'Histoire...
Malgré les interventions d'historiens dans le film et le travail
de recherche historique qui a été fait avant le tournage,
je répète qu'il ne s'agit pas d'un film historique,
mais d'un film humain, d'un film de mémoire. C'est aux historiens
maintenant d'utiliser ces mémoires comme matériau vivant
et de les confronter, avec d'autres matériaux, aux faits historiques
pour pouvoir écrire sereinement l'histoire de l'Algérie
et de la présence européenne en Algérie. J'aimerais
d'ailleurs que mon prochain film revienne sur cette même page
d'histoire, mais, cette fois-ci, racontée par les « Chabanis
», les vieux Algériens. |
|
|
|