N°305 - Juillet-août 2006

EDITORIAL

L'actualité de ces dernières semaines aurait aisément pu fournir plusieurs sujets polémiques pour alimenter l'éditorial de notre journal... Qu'en on juge plutôt...

C'est d'abord Abdelaziz Bouteflika qui persiste et qui signe, en accusant la France du génocide de l'identité algérienne. Remarquons au passage que l'objet du génocide a changé. Sans doute a-t-il fini par prendre conscience du ridicule qu'il y avait à affirmer que les Français, aussi bien ceux de l'Algérie française que ceux de l'hexagone, s'étaient livrés à un génocide du peuple algérien... Non pas que l'homme soit sensible à ce ridicule, car si l'on dit chez nous que le ridicule tue - ce qui reste à démontrer - il est sûr qu'il n'a aucun effet en Algérie. Dans le cas contraire, il y a longtemps que Bouteflika se serait tu... Alors, il faut croire que l'accumulation des arguments et des exemples révélant à ceux qui l'ignoraient encore, l'Ïuvre médicale et sociale des Français au bénéfice des populations algériennes, ou l'évidence des statistiques sur l'évolution démographique des algériens, ont obligé l'homme d'Alger à changer ses batteries. D'où l'invention d'un nouveau génocide, celui de l'identité algérienne.

Faut-il perdre son temps à démontrer à nouveau, qu'en 1830, à l'arrivée des Français, l'Algérie n'existait pas ; que c'était une mise en régence - pour ne pas dire une mise en gérance -par l'empire ottoman qui gardait tant bien que mal, sous la tutelle des deys et des beys, un conglomérat hétéroclite de tribus et d'ethnies aussi différentes que pouvaient l'être les Douairs de l'Oranais, des Kabyles des Aurès, des M'zabites des hauts-plateaux ou des Touaregs du désert ?...

Faut-il rappeler encore que Ferrat Abbas lui-même avouait qu'il n'avait trouvé nulle part l'existence d'une nation algérienne ?...

Monsieur Bouteflika persiste et signe encore, lorsque, après avoir accusé notre pays des pires maux, il a le front de revenir se faire suivre médicalement au Val de Grâce, à Paris... Loin de nous l'idée de critiquer les savants spécialistes penchés au chevet du malade. Ils font leur devoir et leur comportement est tout à l'honneur de la médecine française. Mais que dire des politiques français ?... Bouteflika - reconnaissons-lui cette qualité - ne s'y trompe pas. Tant qu'il aura en face de lui des interlocuteurs tels que nos éminents dirigeants, pourquoi ne pas en profiter ?

Deuxième sujet polémique qui aurait pu être exploité : la question du traité d'amitié franco-algérienne... Après le fiasco du voyage de notre minister  des affaires étrangères  à Alger, qui a bien cru - le na•f - qu'en prônant un « élan du cÏur », il allait ramener un traité signé en bonne et due forme, après l'humiliation subie - c'est le titre donné par plusieurs organes de presse - nous n'aurons pas la cruauté de répéter comme ce brave Monsieur Molière : « Mais qu'allait-il donc faire sur cette galère ? » (une galère barbaresque sans doute)... Mais nous nous accorderons le droit de demander : « Quel besoin si pressant a la France de conclure un traité d'amitié avec un Etat qui n'en veut pas, qui nous tient la dragée haute ; un Etat qui fait dire à son ambassadeur à Washington que « la France n'a pas le même poids que les Etats Unis qui sont notre premier client », et à son consul à Montpellier, que « le traité sera signé, quand les obstacles qu'on a mis sur sa route seront levés » ?...

Mais une fois encore, quelle a été la réaction des princes qui nous gouvernent ? Par quels propos bien sentis ont-ils répondu à tant d'outrecuidances ?... « Restons politiquement corrects, amis Pieds-noirs », nous diront-ils certainement. Oui, mais à partir d'un certain niveau de reculades, de dérobades et de compromissions, le politiquement correct devient le politiquement abject!

D'autres questions auraient été tout aussi polémiques, comme par exemple la course à la naturalisation française pratiquée de façon massive par les Algériens. Les démographes et les statisticiens s'accordent pour affirmer, bien que le sujet soit tabou, qu'en 2003, 49 % des nouveaux Français sont originaires du Maghreb. Selon un rapport sur les migrations méditerranéennes, cité par Valeurs Actuelles du 7 février 2006, les Algériens (dont plus de 42 % de femmes) constituent la population étrangère la plus nombreuse à être entrée en France depuis 1994. Savez-vous par exemple que sur 10 000 médecins étrangers qui exercent chez nous, 7 000 sont Algériens. On comprend aisément que Bouteflika ait eu du mal à trouver un praticien sur place...

Mais laissons de côté ces questions d'actualité, si irritantes soient-elles, pour faire place au souvenir, à nos souvenirs. En éditant ce numéro du mois de juillet, comment ne pas se rappeler ces tristes jours du début de l'été 1962 qui ont vu s'achever l'épopée civilisatrice de la France en Algérie.

Dans les articles qui suivent, des pages sont consacrées au douloureux exode qui fat le nôtre, lorsque lâchement abandonnés par un pouvoir en qui nous avions mis notre confiance, il nous fallut laisser derrière nous et notre terre natale et le fruit du labeur et des sacrifices de nos pères ; d'autres pages reviendront encore une fois, afin que nul n'oublie, sur le massacre du 5 juillet à Oran...

Notre journal, pour sa part, a extrait de ses archives le tract D.G.A. (Délégation Générale de l'Algérie) n° 38, précédant notre éditorial. Il est le témoignage irréfutable des mensonges éhontés, de l'hypocrisie monumentale, du mépris cinglant, de la duplicité criminelle des autorités gaulliennes.

Que dit ce tract ?

« Si l'Algérie choisit l'indépendance, ce sera en coopération avec la France »... Qu'en pensent, aujourd'hui, nos dirigeants, incapables d'obtenir le plus petit traité d'amitié - fort inutile d'ailleurs - après lequel pourtant, ils aspirent et courent si ardemment.

« Vos libertés seront sauvegardées »... Les enlevés du 5 juillet n'ont pas été privés de liberté, eux ; ils ont été hélas purement et pas simplement, mais horriblement assassinés, sous le regard impassible, indifférent, de ceux qui avaient soi-disant mission de les protéger et de sauvegarder ces précieuses libertés.

« Vous pourrez pratiquer la religion de votre choix »... C'est ce qu'ont cru, parce qu'ils étaient des hommes de foi, l'évêque d'Oran, Monseigneur Claverie, et les moines de Tihirine, avant de tomber sous les coups des fanatiques.

« Vous pourrez choisir l'école de vos enfants »... C'était sans compter, sans doute, sur le fait que Boumédiène et ses successeurs s'empresseraient d'arabiser l'enseignement, ce qui a obligé les élites algériennes elles-mêmes, à scolariser leurs enfants en France. Quant aux Pieds-noirs, les problèmes de choix d'école et de périmètre scolaire étaient réglés une fois pour toutes, par leur exode massif

« Vos biens seront protégés par la loi... Ils ne pourront être expropriés sans une indemnisation »... Soyons sérieux ! ... Seuls les négociateurs français à Evian pouvaient faire preuve ou d'une telle stupide crédulité ou d'une telle mauvaise foi coupable... Comment n'ont-ils pas prévu ce que le bon sens pied-noir voyait venir « gros comme une maison » : les nationalisations spoliatrices de Ben Bella.

« Vous aurez accès à tous les emplois... Vous pourrez librement créer des syndicats »... Ici l'aveuglement imbécile sur ce qu'allaient être les réalités de la vie dans une Algérie indépendante atteint son point culminant, et si la situation n'avait pas été si tragique, on se serait permis d'ironiser : « Tu parles... Charles » ( même s'il s'agit d'une expression populaire, le prénom ici n'a rien à voir avec la rime : c'est bien à Charles que ça s'adresse)...

Malheureusement, en ces 26, 27, 28, 29 et 30 juin 1962, les événements ne prêtaient nullement au sourire. La capitale de l'Oranie française agonisait sous les nuages de fumée des dépôts de carburant qui brûlaient sur les quais, alors que les meubles qu'on ne pouvait emporter s'écrasaient dans les rues, que les téléviseurs, balancés des fenêtres, explosaient au sol, que des voitures étaient précipitées dans les eaux du port, que les gens, pris de panique, fuyaient de toutes parts...

Et, comme si cela ne suffisait pas dans la tragédie, le général Katz allait mettre un point d'orgue à son cynisme hypocrite et méprisant: tandis que ses hauts-parleurs diffusaient des messages demandant à la population européenne de rester sur place, assurant que la France était encore là pour la protéger, des convois de G.M.C. dévalaient la route du port, évacuant dans l'urgence, les familles et les biens des officiers « loyaux ».

Cinq jours plus tard, des milliers d'Oranais allaient découvrir dans l'horreur du massacre, comment les Algériens respectaient la parole donnée et surtout comment la France des Katz et des De Gaulle assurait la protection de ses ressortissants.

Comment après avoir vécu ces heures dramatiques, peut-on venir nous parler d'oubli, de pardon, de traité d'amitié...

- A quoi bon répéter tout cela », diront certains. « Il faut savoir tourner la page ! »... Sans doute ! ... sans doute ! ... mais avant de la tourner, il faut l'avoir lue... et bien lue.

L'Echo de l'Oranie