N°319 Novembre-Décembre 2008

EDITORIAL


“Le temps s'en va, Madame, le temps s'en va... et nous passons”, s'est écrié le poète (1), il y a de cela fort longtemps.

Pour les femmes et les hommes de notre génération, hélas, ce constat évident et banal est devenu d'une vérité criante.

Hier encore, nous présentions nos vÏux de nouvel an... et voilà que déjà, nous publions le numéro de l'Écho de l'Oranie des mois de novembre et décembre.

Les mois s'égrènent avec leurs jours heureux et malheureux, mais chacun d'entre eux offre à ceux qui n'oublient pas l'occasion de commémorer un souvenir.

En ce mois de novembre, dans le culte pieux que nous vouons à nos chers disparus, nous n'aurions garde d'oublier que notre tragédie, le drame de l'Algérie Française, l'atroce déchirement qui nous a séparés de notre terre natale bien aimée a commencé, il y a maintenant plus d'un demi-siècle, dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre 1954.

Cette nuit-là, des groupes terroristes - qui étaient bien loin de représenter l'ensemble de la population algérienne (cela tout le monde le savait, seul De Gaulle ne voulait pas le savoir) -  commencèrent leur affreuse besogne de désolation et de mort. Ce fut la Toussaint Rouge, de triste mémoire.

Les historiens ont retenu, comme premières victimes du terrorisme, le nom du couple Monnerot, ce jeune instituteur français venu dans les Aurès avec son épouse, apporter un peu de son savoir aux petits kabyles, et qui, pour toute récompense, a été froidement et lâchement abattu, dans un assassinat qu'aucune cause ne saurait justifier.

Mais, pour nous, Oranais et Oraniens, la toute première victime s'appelle Laurent François. Au cours de l'horrible nuit, au village de Cassaigne, ce jeune homme à qui la vie souriait, n'a pas hésité à abandonner sa voiture et la route qui le ramenait chez lui, avec son ami Jean-François Mendez, pour courir donner l'alerte aux gendarmes, sauvant ainsi des dizaines de personnes, du massacre qui se préparait à Cassaigne et aux alentours. Hélas ! S'exposant à la porte de la gendarmerie, à la vue et aux balles des tueurs qu'il avait surpris, il a payé de sa vie, le prix de son héroïsme.

Aux heures de recueillement de la Toussaint, souvenons-nous de son sacrifice.

À ce souvenir d'une mort individuelle, l'Écho de l'Oranie et nos lecteurs, ne peuvent manquer d'associer le souvenir douloureux et impérissable de l'immense foule des femmes et des hommes qui sont tous tombés, dans l'illusion suprême qu'ils offraient leur sang pour que vive l'Algérie Française, le souvenir de ceux qui furent fauchés, trop nombreux, le 26 mars à Alger et de ceux, encore plus nombreux, qui furent assassinés, le 5 juillet à Oran.

Qu'importe “le temps qui s'en va”, l'éloignement ne pourra jamais apporter l'oubli, car l'oubli, disait Jean Brune, “c'est la seule défaite irréparable”.

Dernièrement, Madame Suzy Simon-Nicaise affirmait à Perpignan, en évoquant les morts du 5 juillet : “Depuis le carnage dans toute la ville, un compteur s'est déclenché - le jour du discours, il marquait 16 802 jours - qui pour toutes les familles ne s'arrêtera, hélas ! Jamais”.

Qu'il nous soit permis d'ajouter que pour tous les Oranais, pour tous les Oraniens, qui s'associent à ces familles, dans leur douloureux souvenir, le compteur non plus ne s'arrêtera jamais.”

Oui ! Souvenons-nous de “ceux qui, pieusement, sont morts”... pour l'Algérie. Ils ne seront jamais disparus, tant que leur mémoire vivra dans nos esprits et dans nos cÏurs.

Et puis, voilà le mois de décembre qui arrive...

Le 5 décembre, l'Écho de l'Oranie s'associera aux célébrations commémoratives de la journée nationale d'hommage aux morts pour la France, pendant la guerre d'Algérie.

Certains se demandent pourquoi le 5 décembre, sans plus. Il en est d'autres, esprits chagrins, qui rejettent cette date, car elle n'a pour eux “aucun rapport avec le conflit franco-algérien”. Ceux-là veulent nous imposer le 19 mars.

Ceux-là... ce sont, sans doute, les mêmes qui proclamaient haut et fort, n'avoir rien à faire en Algérie ; ne pas vouloir se battre pour des Pieds-Noirs, pleins aux as, dont la principale occupation, à les entendre, aurait été de “faire suer le burnous”. Ce sont ceux qui ont oublié trop facilement la dette sacrée que la France a contractée envers ces gars d'Afrique du Nord qui sont partis mourir pour la libération d'un pays qu'ils étaient nombreux à ne même pas connaître ; ou encore ceux qui ont “payé” aux colons, chaque verre d'eau qu'ils buvaient, oubliant comme à Perrégaux, ou ailleurs, que ces colons avaient fait installer (à leur frais) un système de douches, pour les débarrasser de cette terre d'Algérie, qu'ils ont fini par laisser “à la semelle de leurs souliers”.

Non, nous garderons le 5 décembre, parce qu'il est l'anniversaire de l'élévation, au quai Branly, à Paris, d'un mémorial qui conserve le nom gravé dans la pierre, des soldats français et des harkis morts en Algérie, parce qu'il a été reconnu par le Secrétariat d'État aux anciens combattants comme journée nationale d'hommage à la mémoire des plus de 22 000 militaires français et harkis, supplétifs de l'armée française, tués dans la tourmente algérienne.

Oui ! Nous rejetons le 19 mars, parce qu'il est la date que le F.L.N a choisie pour célébrer “sa victoire sur la France” et, parce qu'il ne peut en aucun cas, signifier la fin des hostilités en Algérie. Si certains l'oublient, nous, nous n'oublierons jamais les dizaines de milliers de victimes civiles françaises de toutes origines, parmi lesquelles plus de 100 000 harkis, pas plus que nous n'oublierons ceux qui furent assassinés, parce qu'ils étaient Européens et ceux qui furent livrés à leurs tortionnaires, parce qu'ils étaient harkis “trahis, désarmés, maintenus sur place et massacrés dans d'atroces souffrances”.

Mois de novembre, mois de décembre, mois d'automne et d'hiver, mois de grisaille, de la couleur des polémiques pénibles dont on nous accable et des souvenirs trop cruels dont souffrent certaines familles.

Que nos malheurs passés, que notre peine présente, ne nous empêchent pas égoïstement, d'avoir une pensée émue pour les dix foyers qui ont perdu un père, un mari, un fils, tombés en Afghanistan, contre ce même fanatisme que nous avons connu.

Et pourtant, puisse la joie de Noël, en cette fin de décembre, apporter un peu d'apaisement à la peine de tous ceux qui pleurent un être cher disparu.

“Le temps peut s'en aller, Madame”, les souvenirs des Oranais et des Oraniens, demeureront vivaces.

Les Pieds-Noirs sont des gens qui n'oublient jamais.

L'Echo de l'Oranie

1/ Pierre de Ronsard