N°304 - Mai-juin 2006

Laissons la parole aux Algériens

Ces derniers temps, les Islamistes se sont encore signalés en Algérie par leurs tristes exploits, faits d'attentats, de rapines et de meurtres. Au moment où nous mettons sous presse, les médias annoncent l'assassinat dans une embuscade de treize douaniers... Ceci, diront à juste titre nos lecteurs, est désormais une affaire arabo-algérienne...

Et si, justement, en guise d'éditorial, nous laissions la parole aux Algériens, pour nous décrire cette Algérie qui devait s'épanouir avec l'indépendance et loin « des effets négatifs de la colonisation »...

Dans son édition du dimanche 8 août 2004, Le Quotidien d'Oran, sous la signature d'El-Houari Dilimi, dans un article consacré à Tiaret, à propos du lancinant problème que pose partout en Algérie, le problème de l'eau, écrit, citant un vieux Tiarétien : « Qu'il est loin le temps où la légendaire Aïn El-Djenane abreuvait généreusement de son eau limpide comme le sourire d'un bébé, toute une population trahie jusque dans ses symboles les plus sacrés... Il y a déjà une éternité que la source qui a nourri de sa sève bienfaisante des générations entières de Tiaretis, est morte, assassinée par la main souillée de l'homme ».

Plus loin, commentant un projet de piscine, le reporter poursuit: « En gestation depuis plus de deux décennies, le vieux rêve de ce qui devait être la seule piscine olympique de la région a été enterré sous les décombres de la charpente qui s'est affalée de tout son poids, il y aquelques semaines de cela, blessant trois employés du chantier interminable. Alors, pour « noyer » leur ennui, des rejetons s'aventurent dans les oueds et autres bassins d'infortune. Depuis le début de l'été, trois enfants ont payé de leur vie, l'envie irrépressible de faire trempette. Ils sont morts, leurs corps frêles aspirés par les eaux traîtresses ».

Décrivant la grande Place de Tiaret, le chroniqueur ne peut s'empêcher de constater/

« Autrefois, lieu où il faisait bon y faire un tour en famille, celui que l'on appelait « le parc d'attractions et de loisirs » est devenu en quelques années, pour les Tiaretis, le « coin » de toutes les répulsions... »

Evoquant les plaisirs d'autrefois, pendant la saison d'été, le journal expose sous un sous-titre ironique : « Tiaret, tout s'arrête ! » : « La mer, les vacances, le plaisir inaccessible de se shooter (sic) au soleil au bord de la grande bleue, c'est faire un sacrilège que de penser à tout cela dans un bled où survivre est la première des priorités »... « Il faut dire que la pénurie chronique d'eau pour de nombreux quartiers défavorisés de lavilleprend les allures d'une véritable traversée du désert »... « Dans une ville où se hasarder à parler culture, sans risquer de passer pour un « écervelé », le mot distraction est banni du vocabulaire local. Les jeunes comme les moins jeunes font feu de tout bois pour échapper au vide mortel « enlaçant » Tiaret de tous côtés »... « A Tiaret, l'on ne souhaiterait pas d'y passer un week-end à... son pire ennemi. Au point où, paraît-il, « rouh Allah yaatick weekend fit Tiaret ! » reste le plus redouté des mauvais sorts qu'on pourrait jeter à quelqu'un qu'on voudrait presque envoyer... aux enfers ».

Faisons maintenant un bond de deux ans, dans le temps et dans l'espace. Passons à Oran... Peut-être les choses se sont-elles améliorées, après les travaux « tape à l'Ïil » et précipités pour l'accueil de Jacques Chirac et les récits dithyrambiques de certains de nos compatriotes en mal de voyages.

Dans le journal Le Soir d'Algérie, du 21 février 2006, dans sa rubrique consacrée à la Région Ouest, sous le titre : « Oran : une ville qui fait peur », M. E. Safi commente : « Aujourd'hui... un spectacle de désolation, d'insalubrité, un manque d'hygiène flagrant, favorisés par la négligence, le laisser-aller de certains responsables qui se cantonnent derrière leurs bureaux, à l'abri de la chaleur, bercés par la fraîcheur de climatiseurs.
Ajoutez à cela le climat d'insécurité qui vous glace le dos, surtout si vous écoutez des récits et des témoignages sur les agressions de toutes sortes. Faudrait-il une deuxième alerte à la peste pour se réveiller enfin et réagir ?

Si l'on en croit le journaliste, le problème de l'eau que nous avions évoqué dans notre dernier éditorial, ne semble toujours pas résolu : « Les choses vont mal à « Wahran ». Les habitants de certains quartiers ne reçoivent l'eau qu'une fois tous les trois jours, parfois cela dure plus d'une semaine... L'alimentation en eau douce est un mirage... L'eau transportée la plupart du temps dans des citernes en tôle galvanisée est d'une hygiène douteuse. Et dire que les Romains construisirent des viaducs (sic, pour aqueducs), qui desservaient cette denrée rare ! »

Nos lecteurs auront remarqué dans cette exclamation historique, toute la délicatesse du commentateur qui, pour ne pas ajouter aux regrets des Pieds-Noirs, a pudiquement passé sous silence, les immenses travaux de barrages, comme Beni-Badhel, de pompages, comme Brédéah, de forages et de canalisations de toutes sortes... Mais, gardons-nous d'interrompre le rédacteur si bien parti pour nous brosser un tableau de l'Oran d'aujourd'hui...

« Partout, devant les immeubles, les maisons individuelles, d'énormes tas d'immondices et d'ordures ménagères jonchent le sol. Même les éboueurs se prêtent au jeu et ne ramassent que ce qu'ils veulent, laissant le reste aux rongeurs, véritables diables de Tasmanie. Des rôdeurs nocturnes éventrent les sacs et répandent leur contenu. Les conducteurs inconscients grillent les sens interdits. Les enfants colonisent les rues (Que voilà un aspect négatif de la colonisation !) en s'adonnant à leur jeu favori : le foot... Les routes défoncées et parsemées de « dos d'‰ne », rendent la conduite difficile ... venant à bout des amortisseurs les plus performants. Même les grandes avenues et les grands boulevards... n'échappent pas à cet état de fait. Parcourir les rues de M'dina D'jdida, la Bastille, la Cité Lescure, renseigne sur la triste réalité oranaise. Tout règne dans le désordre. L'environnement est défiguré. Se garer quelque part pour faire ses emplettes relève du défi. Vous êtes obligé d'avoir recours à ces « vigiles » armés de matraques. Autrement, à votre retour, la surprise fait mal et les cardiaques flancheront. Car s'il y a vol, personne ne viendra à votre secours. Souvent des personnes sont tabassées avant d'être délestées de leur véhicule. La corruption fait rage et le plus vieux métier du monde se pratique au vu et au su de tout le monde. Les services de sécurité ont beau multiplier les rafles et les rondes, les pick-pockets poussent comme des champignons. Nul n'est à l'abri. La population est livrée à elle même ».

N'allons pas plus loin, mais laissons encore aux journalistes algériens le droit de conclure... M. E. Safi, pour sa part, regrette : « Certes, jadis, [Oran était] une ville radieuse, enivrante, captivante, elle l'est toujours. Ses monuments, ses sites et ses vestiges en témoignent. Ses ruines aussi. Mémoire d'un passé glorieux, Capitale de l'Ouest, deuxième ville d'Algérie qui rivalise avec la Capitale. Ceux qui l'ont connue, il y a quelques décennies, vous le diront et vous le confirmeront : Wahran était une ville magnifique, superbe et attrayante ».

Quant à El-Houari Dilimi, il ne peut s'empêcher de soupirer : « Autres temps, autre ville, autres gens... »... Ce n'est pas nous qui dirons le contraire...

(N.D.L.R. : L'Echo de l'Oranie jure ses grands dieux qu'il n'a en aucun cas inspiré, sollicité ou rémunérés de tels commentaires et surtout de tels regrets ... )

L'Echo de l'Oranie