ÉDITORIAL ÉCHO DE L'ORANIE N°325 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE
2009
Le temps s'en va... Le temps s'en va à pas de géant
- surtout pour les femmes et les hommes de notre génération
- et l'année 2012, qui marquera l'anniversaire d'un demi-siècle
d'exil, sera bientôt là. Combien serons-nous pour
la saluer ?..
Il serait donc grand temps que
les associations de rapatriés, surmontant des incompatibilités
d'humeur, des rivalités de personnes, des divergences de
points de vue, des différences d'objectifs, s'unissent
dans une même réflexion pour marquer avec éclat
ce cinquantenaire de notre arrachement au sol de nos pères,
à la terre qui nous a vu naître.
Car, que restera-t-il de l'épopée
de l'Algérie française, après que les uns
et les autres nous aurons quitté ce bas monde ?..
Voilà la grande question...
- Nos uvres de l'autre
côté de la Méditerranée... », dira-t-on...
Ah ! Oui, bien sûr...
Mais, dites-nous, dans quel état ceux qui sont retournés
là-bas, dans l'espoir de retrouver le mirage de leur vie
passée, ont-ils trouvé les grandes réalisations
de la présence française ?... Ports désertés
par la grande navigation internationale ; aéroports
au trafic aérien réduit ; grands barrages partiellement
ensablés, comme celui de Beni-Bahdel, ou asséchés,
faute de dragages, comme celui des Cheurfas ; hôpitaux
dans un état lamentable, comme nous l'a montré la
télévision, à propos de l'infrastructure
de l'hôpital militaire Baudens ; édifices religieux
ruinés ou squattérisés comme l'ancienne Cathédrale
Saint-Louis ; quartiers autrefois débordant d'une
vie joyeuse, comme les bas-quartiers d'Oran, aujourd'hui effacés...
Que reste-t-il des grandes exploitations
agricoles qui faisaient la richesse du pays et donnaient du travail,
en milieu rural, à tant de fellahs ?... Que
reste-t-il des vignes de Rio-Salado et d'Aïn-Témouchent,
voire de Mascara ? Des orangers et des citronniers de Perrégaux
et de Relizane ?.. Dans quel état de jachères
se trouvent tant et tant de terres si durement conquises sur les
marécages et le maquis, si péniblement asséchées,
débroussaillées, défoncées, mètre
carré par mètre carré, et rendues propres
à la grande culture ?..
- Il paraît que les « colons »
faisaient « suer le burnous »... Ah !
La belle réponse que voilà ! Elle est digne
de vous, pères la morale, vous qui dénigrez l'uvre
« colonisatrice » des Pieds-Noirs en Algérie,
parce que c'est la mode des repentances, c'est dans l'air du temps,
c'est politiquement correct, et surtout c'est parce que, abreuvés
d'idées préconçues, vous n'avez pas voulu
voir ce qui s'était accompli là-bas.
La réalité, c'est
que, aujourd'hui, réfugiés dans les villes, nos
fellahs qui n'en sont plus, n'ont plus besoin de personne pour
se faire suer, eux et leur burnous, « à tenir
les murs », selon l'expression arabe si appropriée,
dans une oisiveté misérable, dans un chômage
endémique... Et la police locale ne manque pas de réprimer
ceux qui soupirent après la « colonisation »
française, car il y en a toujours, parmi ceux qui n'ont
pas encore réussi à passer en France. Qu'ils patientent
encore un peu, la France, grande, humaine et généreuse,
ne tardera pas à les accueillir.
Certains pourront s'exaspérer
de ce que le tableau est sans cesse noirci par nos soins. « Après
tout, les choses ne vont pas si mal qu'on veut bien l'écrire,
à l'Écho de l'Oranie ». C'est ce que
pensaient en tout cas, les quelques milliers d'intellectuels -
de gauche évidemment - qui sont venus s'installer chez
nous, à notre place, après juillet 1962, dans
l'illusion qu'ils allaient participer, non pas à la construction
ou à la reconstruction d'un pays - nous avons laissé
trois provinces françaises en bon état de marche
-, mais qu'ils allaient prendre la place des dirigeants, des cadres,
des entrepreneurs, des spécialistes. N'en déplaise
à leur idéologie, les places des Pieds-Noirs « colonialistes »
devaient être bonnes à prendre. Mais, on allait voir
ce que l'on allait voir. Ils n'arrivaient pas, eux, pour s'enrichir,
comme leurs affreux prédécesseurs, mais apporter
les lumières que les Algériens attendaient, dynamiser
une société nouvelle, et faire de l'Algérie
un Eldorado socialiste.
Ils sont là, donc, instituteurs,
professeurs, ingénieurs, architectes, médecins,
artistes, spécialistes en tous genres. Que l'on ne s'y
trompe pas. Il ne s'agit pas des fonctionnaires que la France
enverra plus tard au titre de la Coopération. Ils sont
pour la plupart, la fine fleur de ceux qui tiraient dans le dos
de l'armée française et contribuaient aux attentats
contre les populations civiles : les porteurs de valise,
les déserteurs. Ah ! Ils sont heureux ces chrétiens
de gauche, ces anarchistes, ces trotskistes et autres marxistes.
Enfin, ils vont pouvoir savourer les fruits de leur victoire.
En fait, ils ne vont pas tarder
à découvrir, à leur tour, la noirceur du
tableau. Au lieu d'une belle illusion, c'est une triste réalité,
un sinistre cauchemar qu'ils vont vivre. Ils vont découvrir
les innombrables contraintes, les mille et une difficultés,
au milieu desquelles ont vécu les Pieds-Noirs.
La corruption, par exemple...
Ont-ils voulu créer des Comités de gestion ?..
Ceux-ci sont vite devenus, selon le mot d'un Algérien qui
ne manquait pas d'humour, des « Comités de digestion »...
Le manque de démocratie ?.. Eux qui rêvaient
de donner la parole au peuple ! Les conditions des murs
et de la vie orientale ?.. Eux et elles qui souhaitaient
être à la naissance de l'émancipation de la
femme musulmane !.. Le poids de l'intégrisme religieux ?..
Eux qui, pour la plupart athées, venaient libérer
les âmes de « l'opium du peuple » !...
Enfin le poids du mépris des Algériens pour ces
« francaouis » qui n'avaient même
pas à leurs yeux, l'excuse d'être Pieds-Noirs...
Oh ! Ils ne sont pas restés
longtemps en Algérie, ceux que les Pieds-Noirs, par mépris
et aussi, peut-être par dépit, avaient surnommés
les « Pieds-Verts », à cause des
couleurs de la nation qu'ils avaient l'ambition de recréer,
et que les journalistes de chez nous, mieux informés de
leurs idéaux politiques, avaient qualifiés de « Pieds-Rouges »...
Laissons-les à la honte
d'un départ précipité qui leur a fait goûter
à l'amertume de l'échec, de la désillusion
et de la mise à la porte pure et simple. Laissons-les cacher
dans un silence honteux, le poids de leurs erreurs. Peut-être,
« cette sous-espèce d'oiseaux migrateurs »,
selon le mot de Catherine Simon, dans une enquête du Monde,
bénéficiera-t-elle un jour de la thèse confidentielle
d'un étudiant en mal de sujet. Il aura bien du mérite
celui-là, car ces oiseaux n'ont pratiquement rien raconté
- et pour cause - de leur expérience en terre d'Algérie,
sinon que l'un d'entre eux, reprenant la formule de Lénine,
a pu dire qu'ils avaient été « les idiots
utiles » du F.L.N.
Ces « idiots utiles »
nous ont éloignés - même si ce que nous en
avons dit valait le détour - de notre approche première :
le demi-siècle de notre exil qui va se boucler en 2012.
Nous ne sommes pas les seuls à
le constater... Une effervescence de publications sur l'Algérie
des « événements », se produit
aujourd'hui chez les romanciers. Comme si ce demi-siècle,
avec l'éloignement spatio-temporel qu'il a entraîné,
permettrait maintenant de reprendre avec plus de sérénité
et avec plus d'objectivité, ce qui s'est passé là-bas.
C'est du moins ce qu'affirment les critiques littéraires.
Le sujet est délicat, ce
n'est pas nous qui dirons le contraire, et nombreux sont les auteurs,
modestes ou célèbres, Pieds-Noirs pour la plupart,
qui ont livré leurs souvenirs. L'an dernier encore, c'était
Mathieu Belezzi qui écrivait un roman chargé d'émotion
et que la critique a qualifié de « poignant ».
Le titre à lui seul ne pouvait nous laisser indifférents :
C'était notre Terre.
Cette année, c'est une
floraison d'ouvrages qui a été éditée.
Signalons à nos lecteurs, à titre d'exemples, Des
Hommes de Laurent Mauvignier, La Solitude de la Fleur blanche
d'Annelise Roux, L'Aimé de Juillet de Francine de Martinoir,
ou La Citerne de Marc Bressant.
Certains de ces écrivains,
sans être Pieds-Noirs, ont vécu la guerre d'Algérie,
comme Francine de Martinoir venue enseigner au Lycée Bugeaud
d'Alger ou Marc Bressant appelé comme sous-lieutenant.
D'autres ont recueilli les souvenirs de leur père rappelé,
comme Laurent Mauvignier ou de leur famille née là-bas,
comme Annelise Roux. Tous affirment qu'il leur a fallu un certain
temps de maturation, pour écrire avec « objectivité »
Qu'il nous soit permis de considérer
cette « objectivité » avec circonspection,
lorsque celui-ci s'interroge pour savoir si le suicide de son
père n'est pas dû à la guerre d'Algérie
- peut-être ignore-t-il le nombre de Pieds-Noirs qui se
sont suicidés à leur arrivée dans l'hexagone ?
- ; et quand celle-là fait de son personnage masculin,
un valeureux officier français « guère
convaincu du bien-fondé de la cause des Français
d'Algérie », et de son héroïne,
une intellectuelle dont les camarades, acquis à la cause
algérienne, pratiquent des « activités
clandestines ».
Quoi qu'il en soit, il est grand
temps pour nous aussi d'entrer en effervescence. Ne nous laissons
pas ravir par d'autres le devant de la scène, en cette
veille de 2012. Ne laissons pas surtout les « intellos »,
historiens, journalistes, et autres romanciers nous ravir le droit
de parler de ce que - heureusement ou malheureusement - nous connaissons
mieux qu'eux. Chacun de nous a un devoir de témoignage
et d'explication ; et chacun de nous, avec ses moyens, à
son niveau, peut faire quelque chose. Le délai qui nous
est imparti n'est guère trop long, si nous voulons, nous,
Pieds-Noirs, par mille et une initiatives, commémorer ce
cinquantenaire, avec brio, avec éclat, pour ne pas être
les trop vite oubliés de l'Histoire.
D'ores et déjà,
il nous faut réfléchir individuellement, dans nos
familles, dans nos associations, aux formes que pourra prendre
cette commémoration : expositions sur l'uvre
colonisatrice de l'Algérie ?.. Colloques, avec l'appui
de journalistes et d'universitaires ?.. Conférences
multipliées ?.. Contributions cinématographiques ?..
Numéros spéciaux de nos revues, comme l'Algérianiste,
l'Écho de l'Oranie, la Mémoire Vive et tant d'autres ?
Interventions auprès des pouvoirs publics ?.. Appel
aux personnalités politiques ?
Peu importent les formes choisies,
pourvu qu'elles permettent à ce que fut notre Algérie
française, à notre terre natale, de revivre encore
et encore et de s'ancrer plus profondément dans la mémoire
de ceux qui nous suivront, non seulement nos enfants et les enfants
de nos enfants, mais encore les hommes de bonne volonté
qui auront voulu chercher avec nous, la Vérité.
L'Écho de l'Oranie