On a tué nos enfants !
En ces temps de commémoration d'un douloureux
cinquantenaire, de nombreux films, des conférences, des rencontres, des débats
sur ce que fut 1’Algérie française et sur les journées qui ont vu son agonie et
sa Þn, se sont multipliés. De nombreuses Villes, pour
des motivations que nous nous abstiendrons d’analyser, n’ont pas manqué d’apporter
leur contribution à l’organisation de colloques où sont accourus - sur
invitation - de nombreux historiens. Chacun de ces doctes personnages nous a
apporté sa version et son optique sur des faits dont la seule formulation du titre
contenait une forte charge polémique : « les accords d'Evian ›› ; « le cessez le
feu du 19 mars ›› ; « le 5 juillet à Oran» ; « les Harkis ››...
Ah ! Que de belles affirmations n’avons-nous pas entendues
! Ainsi, ce savant conférencier, venu avec force documents et statistiques, ne
nous a-t-il pas affirmé – fort maladroitement d’ailleurs – que les responsables
de l’exode des Français d'Algérie étaient « dans l’ordre ›› (sic) : 1 – l’OAS ;
2 – l’Armée française ; 3 – le FLN ; et cet autre attribuait aux exactions de
l’OAS, après le 19 mars, la poursuite des hostilités et le paroxysme terroriste
atteint
à Oran, au cours du printemps et de l’été 1962. Ces
affirmations - vous vous en doutez - ont soulevé un tollé d’indignation dans la
salle, provoquant le départ immédiat de nombreux assistants. Ces affirmations
oubliaient seulement les insidieuses manœuvres d’encerclement d’Oran
entreprises et continuées par le FLN, après le 19 mars et, contre lesquelles, le
seul recours d’auto-défense pour la population européenne, était l’OAS ; de même
que dans l’attribution des responsabilités à propos du chaos final, elles occultaient
la volonté froidement déterminée du locataire de l'Elysée, d’en finir avec l’Algérie
française.
Pourtant, nous nous étions rendus à ces réunions dans
l’espoir, certainement utopique de voir révélées des informations objectives,
de voir enfin découverts des pans d’une vérité à montrer en toute objectivité à
nos voisins, à nos amis niçois, à nos compatriotes, « Français de France », pour recueillir enfin, un peu de
compréhension. Mais, comment découvrir la vérité, lorsqu’on arrive à fausser
les documents sur lesquels on s’appuie ?... Dans un louable souci d’objectivité
– du moins, nous l'avons cru – on nous a présenté, en introduction à chaque
rencontre, un montage cinématographique tiré des archives de l’INA. Très vite,
il s’est avéré que ces montages sélectionnaient, comme le font les
documentaires et les reportages de nos chaînes télévisées, des images qui ne
pouvaient que désigner l’armée française et ceux qu’elle était censée protéger
au départ, les Pieds-Noirs, comme les méchants de l'Histoire ....
Vous en voulez des preuves ?... On nous a montré et
nous avons vu des rangées
d’Algériens abattus par les forces de l'ordre, et de
trop nombreuses exécutions sommaires d’une balle dans la tête. Ceci, hélas, a
bien eu lieu. Triste et indéniable conséquence d’une guerre barbare qui
n'avouait pas son nom. Mais, nous a-t-on montré l'une ou l’autre des
innombrables images de soldats français ou de harkis, alignés dans l’horreur de
leurs mutilations, égorgés, décapités, émasculés, énucléés, écorchés vifs ?...
Non ! Bien sûr ! Cela n’est politiquement pas correct.
Ici, les archives pêchent par omission. Mais,
ailleurs, elles pêchent par une manipulation éhontée des faits et de leur
authenticité. Le montage sur le 5 juillet à Oran, ne commence-t-il pas par une
déclaration qui affirme à peu près ceci :
Au cœur de la ville, des « éléments indéterminés », ont
tiré sur des « centaines de musulmans », ce qui a entraîné la réaction que l’on
sait, violente et spontanée. Réaction spontanée !!! Jusqu’où poussera-t-on
le cynisme, dans le rejet des responsabilités, alors que les témoignages sont
nombreux d’Oranais, prévenus dès la veille par des amis algériens, leur
demandant d'éviter de se rendre le lendemain sur leur lieu de travail.
Mais ne soyons pas injustes. Finalement, ces colloques
dans le débat d'idées qu’ils provoquaient, n’auront pas été inutiles.
Certes, le premier sur « le peuplement Pied-Noir ››,
prêtait à consensus entre les orateurs et l’auditoire. Nous ne le citons que
pour rappeler à notre intelligentzia française - parfois tellement peu intelligente – qu’elle a trop facilement
oublié que l'Algérie n’existait pas en tant qu’Etat, à l’arrivée des Français,
et que ses départements ont été abandonnés en 1962, dans la situation d'un pays moderne en plein essor économique, grâce à une
œuvre colonisatrice - pourquoi avoir peur des mots ? - dont les Pieds-Noirs et leurs descendants n’auront jamais à rougir.
Les autres thèmes, même s’ils abordaient des sujets
davantage polémiques, n'auront pas été inutiles non plus. Ils nous auront
apporté la confirmation que quoi que nous puissions dire, quelle que soit l’indéniable
authenticité de nos témoignages, certains mêmes achevés dans l’étouffement de
larmes impossibles à contenir, la réponse de nos historiens, se drapant dans leur fraîche notoriété de chercheurs,
aura été : « Oui ! Cela a pu se passer comme vous le dites... ›› - (merci pour
la confiance accordée aux traumatismes subis et soignés pendant de longues
années, merci pour les cruelles séparations et les deuils atroces dont
souffrent encore certaines de nos familles) - « mais ce que vous affirmez n’est pas un « fait scientifique ›› ! ›› (resic).
Et, c’est là que le bât blesse, Messieurs. C’est de là
que surgit l’incompréhension entre des « scientifiques ››, titre dont
l’un d’entre vous s’est paré, le répétant à plusieurs reprises, sans doute pour
opposer ses arguments d’homme de science et de culture, face aux propos
véhéments de certains compatriotes Pieds-Noirs dont
chacun sait, dans notre hexagone intellectuel, qu’ils sont ignares et
braillards.
C’est de là que proviennent malentendus et contentieux
; c’est dans la différence du discours et de l’interprétation, entre des
universitaires, confortés par le « politiquement correct ›› ambiant, qui ne
jurent que par la poussière des archives qu’on a bien voulu leur laisser
soulever et par la froide virtualité de statistiques qui ne laissent voir que
ce qu’on veut bien découvrir et dont ils nourrissent pourtant leurs
convictions, et les récits-témoignages de ceux qui ont vécu les événements,
avec leurs actions exaltées et leurs erreurs, sans cloute, mais aussi avec leur
passion, leurs larmes, leurs tripes et leur sang...
Pourtant, les affirmations de ces derniers ne sont
toujours pas des « faits scientifiques ›› !...
Ah ! Si ils avaient été de ces braves combattants du
FLN racontant leurs malheurs ou leurs exploits contre un oppresseur qui ne
cessait d’ouvrir des lits d'hôpital dans les villes et des classes dans le
bled, ils auraient bénéficié de l’écoute de nos médias. Avez-vous besoin de
vous en convaincre ?... Parcourez nos programmes de télévision et vous en aurez
une idée. Ici vous entendrez parler de génocide, alors que la population
algérienne n’a fait qu’augmenter depuis les débuts de la présence française ;
et là, vous apprendrez, sur les ondes d’une radio périphérique, sans que
l’intervenant ne souffre la moindre tentative de démenti, malgré l’indéniable
existence de milliers d’intellectuels algériens formés par la France, « que ses
parents sont restés analphabètes parce que l’école leur était interdite en
Algérie ››.
Ah ! Que voila des « faits scientifiques ›› !...
Et cependant, non ! Vraiment ! Ces colloques
n’auront pas été inutiles... Le bénéfice, le grand bénéfice que nous en avons
retiré, c’est que, au fil des interventions, l'image de celui qui nous « avait
compris ››, se délitait. Ses mensonges officiels s’éclairaient et s’affichaient
au grand jour, lentement mais sûrement. Ici, on apprenait par des confidences
de son entourage, que ce n'est qu’involontairement qu’il s’était laissé aller à
crier : « Vive l’Algérie française ››, ce qu’il ne pensait pas, et qu’il avait
balayé d’un revers de main, toutes les conséquences à venir, de son cri.
Là, on soulignait, par le rappel d’allusions bien
antérieures aux « événements ››, la sombre détermination qui motivait chacun de
ses actes, n’en déplaise à ceux qui nous ont parlé des hésitations que la
conjoncture lui imposait. Plus loin encore, on insistait lourdement sur son
empressement à brader l’Algérie, téléphonant chaque soir à ses « négociateurs
›› d'Evian, qui se trouvaient
pris entre la hâte de celui qui voulait lâcher, sans
discuter, tout et tout de suite, et les mœurs diplomatiques de ceux qui, ne
représentant pas grand-chose alors, exigeaient tout, sans se laisser atteindre
par l'idée de concessions à faire. Et le chef d’orchestre approuvait chaque soir,
les reculades de la France, vouant les fameux « accords ›› à une honteuse
précarité. Les historiens des générations futures diront pourquoi la France a
abandonné, sans exiger de contreparties, sans s’assurer de garanties sérieuses,
un ensemble de départements français avec leurs incommensurables richesses de
pétrole et de gaz naturel, et les populations, toutes les populations, qui lui
restaient fidèles au péril de leur vie.
Peut-être, dans la tourmente du monde actuel était-il
inéluctable que nous partions... Encore eût-il fallu le faire la tête haute,
dans la dignité et non dans les larmes et le sang, avec un drapeau souillé que
les égorgeurs du 5 juillet traînaient dans les rues d’Oran, au nez et à la
barbe des soldats de qui vous savez - ce ne pouvait être
les soldats de la France.
Quoi qu’il en soit, les colloques auront eu leur
utilité. « Ce qui est fait est fait ››, dit la sagesse arabe. Mais ce qu`il
reste à faire, doit nous mobiliser.
Oranais, Pieds-Noirs,
prenons notre part, inlassablement, dans ce combat pour éclairer nos voisins et
compatriotes. Ne nous laissons pas gagner par la morosité ou le découragement
qui peuvent naître du spectacle insolite que nous offre une certaine place de
Nice. Les yeux s'ouvrent. L’heure n'est pas à la désespérance. Petit à petit la
vérité sur l’homme qui a dupé tout un peuple se fait jour. L’opinion publique
est versatile. Elle est toujours disposée à brûler aujourd’hui ce qu’elle
encensait hier. Il y a quelques mois, un haut dignitaire de l’Eglise
envisageait, au grand scandale d’un bon nombre de croyants, de faire canoniser
un certain Charles de Lorraine. Ce 26 mars dernier, dans une cérémonie à la
mémoire des victimes de la fusillade d’Alger, à Notre Dame de Paris, le
prédicateur a déclaré très clairement, que « la résistance devenait
insupportable au pouvoir qui avait décidé de se parjurer et d’abandonner coûte
que coûte cette terre ›› et qu’« il ›› aurait pu épargner les derniers
fusillés de la Guerre d’Algérie. Quel revirement !
Oui ! Ne nous décourageons pas. La statue du
Commandeur est en train de se déboulonner toute seule.
L’Echo de l’Oranie ne
pouvait clore cet éditorial, sans évoquer un moment particulièrement douloureux
de l’actualité qu’il ne serait pas déplacé d’intituler : « On a tué nos enfants
››.
Au-delà des conventionnelles formules de condoléances
dont on a dû accabler nos camarades de
classe, nos copains de jeux, nos amis juifs de là-bas, l’Echo voudrait, si les
mots ont encore quelque valeur et quelque force, prendre toute sa part dans
l’expression de notre compassion, de notre peine, à l’égard de ceux que l’on a
meurtris, encore une fois, dans leur affection, dans leur chair, dans leur foi.
En dédiant ce message à leur intention, l’Echo ne
saurait être taxé de rechercher un quelconque intérêt, ce qui serait indécent ;
pas plus que de vouloir récupérer une seule voix en ces temps de quête
électorale, ce qui serait sordide. Mais c'est parce que bon nombre d’entre
nous, hélas, ont connu l’horreur de voir un être cher - a fortiori, lorsqu’il
s’agissait d’un enfant - quitter la maison, plein de vie et d’espérance de
retour, et d’avoir été informés qu'on l’avait froidement, lâchement, abattu,
sur le chemin de l’école, au coin d’une rue ou à l’extrémité d’un champ, et
qu'il ne reviendrait plus, c'est parce qu’ils ont connu cette atroce douleur et
qu’ils ont pu voir, alors, combien leurs voisins, chrétiens, juifs, et même
musulmans, partageaient leur affliction, que l'Echo voudrait trouver des mots,
pour atténuer, tant soit peu, leur incommensurable chagrin.
Les événements d’il y a un demi-siècle, que la folie
des hommes avait chargés de toutes les noirceurs et de tous les crimes que peut
susciter une guerre et que les tentatives de justification des oublieux et des
« politiquement corrects ››, ne cessent, aujourd’hui, de remplir d’impostures
et de calomnies, ont fini par créer, en cinquante ans d’exil, une nouvelle
communauté qui s’efforce, malgré parfois de cruelles incompréhensions,
d'effacer les anciennes rancœurs et les anachroniques clivages d’origine et de
religion : la Communauté des Français d’Algérie. C’est parce que nous avons
tous, Européens et Harkis, le sentiment profond d’appartenir à cette
communauté, que l’Echo peut crier sa révolte, avec la sincérité d’un désespoir
que certains ne peuvent ou ne veulent pas comprendre : « On a tué nos enfants ! ››.
Sortirons-nous de cette triste et douloureuse épreuve
davantage unis !... Que l’Eternel exauce cette prière et accueille nos
victimes, toutes nos innocentes victimes dans la Jérusalem céleste.
L’ECHO DE L'ORANIE 340 | MAI-JUIN 2012 | 5