N°340 Mai-Juin 2012

On a tué nos enfants !

 

En ces temps de commémoration d'un douloureux cinquantenaire, de nombreux films, des conférences, des rencontres, des débats sur ce que fut 1’Algérie française et sur les journées qui ont vu son agonie et sa Þn, se sont multipliés. De nombreuses Villes, pour des motivations que nous nous abstiendrons d’analyser, n’ont pas manqué d’apporter leur contribution à l’organisation de colloques où sont accourus - sur invitation - de nombreux historiens. Chacun de ces doctes personnages nous a apporté sa version et son optique sur des faits dont la seule formulation du titre contenait une forte charge polémique : « les accords d'Evian ›› ; « le cessez le feu du 19 mars ›› ; « le 5 juillet à Oran» ; « les Harkis ››...

Ah ! Que de belles affirmations n’avons-nous pas entendues ! Ainsi, ce savant conférencier, venu avec force documents et statistiques, ne nous a-t-il pas affirmé – fort maladroitement d’ailleurs – que les responsables de l’exode des Français d'Algérie étaient « dans l’ordre ›› (sic) : 1 – l’OAS ; 2 – l’Armée française ; 3 – le FLN ; et cet autre attribuait aux exactions de l’OAS, après le 19 mars, la poursuite des hostilités et le paroxysme terroriste atteint à Oran, au cours du printemps et de l’été 1962. Ces affirmations - vous vous en doutez - ont soulevé un tollé d’indignation dans la salle, provoquant le départ immédiat de nombreux assistants. Ces affirmations oubliaient seulement les insidieuses manœuvres d’encerclement d’Oran entreprises et continuées par le FLN, après le 19 mars et, contre lesquelles, le seul recours d’auto-défense pour la population européenne, était l’OAS ; de même que dans l’attribution des responsabilités à propos du chaos final, elles occultaient la volonté froidement déterminée du locataire de l'Elysée, d’en finir avec l’Algérie française.

Pourtant, nous nous étions rendus à ces réunions dans l’espoir, certainement utopique de voir révélées des informations objectives, de voir enfin découverts des pans d’une vérité à montrer en toute objectivité à nos voisins, à nos amis niçois, à nos compatriotes, « Français de France », pour recueillir enfin, un peu de compréhension. Mais, comment découvrir la vérité, lorsqu’on arrive à fausser les documents sur lesquels on s’appuie ?... Dans un louable souci d’objectivité – du moins, nous l'avons cru – on nous a présenté, en introduction à chaque rencontre, un montage cinématographique tiré des archives de l’INA. Très vite, il s’est avéré que ces montages sélectionnaient, comme le font les documentaires et les reportages de nos chaînes télévisées, des images qui ne pouvaient que désigner l’armée française et ceux qu’elle était censée protéger au départ, les Pieds-Noirs, comme les méchants de l'Histoire ....

Vous en voulez des preuves ?... On nous a montré et nous avons vu des rangées d’Algériens abattus par les forces de l'ordre, et de trop nombreuses exécutions sommaires d’une balle dans la tête. Ceci, hélas, a bien eu lieu. Triste et indéniable conséquence d’une guerre barbare qui n'avouait pas son nom. Mais, nous a-t-on montré l'une ou l’autre des innombrables images de soldats français ou de harkis, alignés dans l’horreur de leurs mutilations, égorgés, décapités, émasculés, énucléés, écorchés vifs ?... Non ! Bien sûr ! Cela n’est politiquement pas correct.

Ici, les archives pêchent par omission. Mais, ailleurs, elles pêchent par une manipulation éhontée des faits et de leur authenticité. Le montage sur le 5 juillet à Oran, ne commence-t-il pas par une déclaration qui affirme à peu près ceci : Au cœur de la ville, des « éléments indéterminés », ont tiré sur des « centaines de musulmans », ce qui a entraîné la réaction que l’on sait, violente et spontanée. Réaction spontanée !!! Jusqu’où poussera-t-on le cynisme, dans le rejet des responsabilités, alors que les témoignages sont nombreux d’Oranais, prévenus dès la veille par des amis algériens, leur demandant d'éviter de se rendre le lendemain sur leur lieu de travail.

Mais ne soyons pas injustes. Finalement, ces colloques dans le débat d'idées qu’ils provoquaient, n’auront pas été inutiles.

Certes, le premier sur « le peuplement Pied-Noir ››, prêtait à consensus entre les orateurs et l’auditoire. Nous ne le citons que pour rappeler à notre intelligentzia française - parfois tellement peu intelligente – qu’elle a trop facilement oublié que l'Algérie n’existait pas en tant qu’Etat, à l’arrivée des Français, et que ses départements ont été abandonnés en 1962, dans la situation d'un pays moderne en plein essor économique, grâce à une œuvre colonisatrice - pourquoi avoir peur des mots ? - dont les Pieds-Noirs et leurs descendants n’auront jamais à rougir.

Les autres thèmes, même s’ils abordaient des sujets davantage polémiques, n'auront pas été inutiles non plus. Ils nous auront apporté la confirmation que quoi que nous puissions dire, quelle que soit l’indéniable authenticité de nos témoignages, certains mêmes achevés dans l’étouffement de larmes impossibles à contenir, la réponse de  nos historiens, se drapant dans leur fraîche notoriété de chercheurs, aura été : « Oui ! Cela a pu se passer comme vous le dites... ›› - (merci pour la confiance accordée aux traumatismes subis et soignés pendant de longues années, merci pour les cruelles séparations et les deuils atroces dont souffrent encore certaines de nos familles) - « mais ce que vous affirmez n’est pas un « fait scientifique ›› ! ›› (resic).

Et, c’est là que le bât blesse, Messieurs. C’est de là que surgit l’incompréhension entre des « scientifiques ››, titre dont l’un d’entre vous s’est paré, le répétant à plusieurs reprises, sans doute pour opposer ses arguments d’homme de science et de culture, face aux propos véhéments de certains compatriotes Pieds-Noirs dont chacun sait, dans notre hexagone intellectuel, qu’ils sont ignares et braillards.

C’est de là que proviennent malentendus et contentieux ; c’est dans la différence du discours et de l’interprétation, entre des universitaires, confortés par le « politiquement correct ›› ambiant, qui ne jurent que par la poussière des archives qu’on a bien voulu leur laisser soulever et par la froide virtualité de statistiques qui ne laissent voir que ce qu’on veut bien découvrir et dont ils nourrissent pourtant leurs convictions, et les récits-témoignages de ceux qui ont vécu les événements, avec leurs actions exaltées et leurs erreurs, sans cloute, mais aussi avec leur passion, leurs larmes, leurs tripes et leur sang...

Pourtant, les affirmations de ces derniers ne sont toujours pas des « faits scientifiques ›› !...

Ah ! Si ils avaient été de ces braves combattants du FLN racontant leurs malheurs ou leurs exploits contre un oppresseur qui ne cessait d’ouvrir des lits d'hôpital dans les villes et des classes dans le bled, ils auraient bénéficié de l’écoute de nos médias. Avez-vous besoin de vous en convaincre ?... Parcourez nos programmes de télévision et vous en aurez une idée. Ici vous entendrez parler de génocide, alors que la population algérienne n’a fait qu’augmenter depuis les débuts de la présence française ; et là, vous apprendrez, sur les ondes d’une radio périphérique, sans que l’intervenant ne souffre la moindre tentative de démenti, malgré l’indéniable existence de milliers d’intellectuels algériens formés par la France, « que ses parents sont restés analphabètes parce que l’école leur était interdite en Algérie ››.

Ah ! Que voila des « faits scientifiques ›› !...

Et cependant, non ! Vraiment ! Ces colloques n’auront pas été inutiles... Le bénéfice, le grand bénéfice que nous en avons retiré, c’est que, au fil des interventions, l'image de celui qui nous « avait compris ››, se délitait. Ses mensonges officiels s’éclairaient et s’affichaient au grand jour, lentement mais sûrement. Ici, on apprenait par des confidences de son entourage, que ce n'est qu’involontairement qu’il s’était laissé aller à crier : « Vive l’Algérie française ››, ce qu’il ne pensait pas, et qu’il avait balayé d’un revers de main, toutes les conséquences à venir, de son cri.

Là, on soulignait, par le rappel d’allusions bien antérieures aux « événements ››, la sombre détermination qui motivait chacun de ses actes, n’en déplaise à ceux qui nous ont parlé des hésitations que la conjoncture lui imposait. Plus loin encore, on insistait lourdement sur son empressement à brader l’Algérie, téléphonant chaque soir à ses « négociateurs ›› d'Evian, qui se trouvaient pris entre la hâte de celui qui voulait lâcher, sans discuter, tout et tout de suite, et les mœurs diplomatiques de ceux qui, ne représentant pas grand-chose alors, exigeaient tout, sans se laisser atteindre par l'idée de concessions à faire. Et le chef d’orchestre approuvait chaque soir, les reculades de la France, vouant les fameux « accords ›› à une honteuse précarité. Les historiens des générations futures diront pourquoi la France a abandonné, sans exiger de contreparties, sans s’assurer de garanties sérieuses, un ensemble de départements français avec leurs incommensurables richesses de pétrole et de gaz naturel, et les populations, toutes les populations, qui lui restaient fidèles au péril de leur vie.

Peut-être, dans la tourmente du monde actuel était-il inéluctable que nous partions... Encore eût-il fallu le faire la tête haute, dans la dignité et non dans les larmes et le sang, avec un drapeau souillé que les égorgeurs du 5 juillet traînaient dans les rues d’Oran, au nez et à la barbe des soldats de qui vous savez - ce ne pouvait être les soldats de la France.

Quoi qu’il en soit, les colloques auront eu leur utilité. « Ce qui est fait est fait ››, dit la sagesse arabe. Mais ce qu`il reste à faire, doit nous mobiliser.

Oranais, Pieds-Noirs, prenons notre part, inlassablement, dans ce combat pour éclairer nos voisins et compatriotes. Ne nous laissons pas gagner par la morosité ou le découragement qui peuvent naître du spectacle insolite que nous offre une certaine place de Nice. Les yeux s'ouvrent. L’heure n'est pas à la désespérance. Petit à petit la vérité sur l’homme qui a dupé tout un peuple se fait jour. L’opinion publique est versatile. Elle est toujours disposée à brûler aujourd’hui ce qu’elle encensait hier. Il y a quelques mois, un haut dignitaire de l’Eglise envisageait, au grand scandale d’un bon nombre de croyants, de faire canoniser un certain Charles de Lorraine. Ce 26 mars dernier, dans une cérémonie à la mémoire des victimes de la fusillade d’Alger, à Notre Dame de Paris, le prédicateur a déclaré très clairement, que « la résistance devenait insupportable au pouvoir qui avait décidé de se parjurer et d’abandonner coûte que coûte cette terre ›› et qu’« il ›› aurait pu épargner les derniers fusillés de la Guerre d’Algérie. Quel revirement !

Oui ! Ne nous décourageons pas. La statue du Commandeur est en train de se déboulonner toute seule.

L’Echo de l’Oranie ne pouvait clore cet éditorial, sans évoquer un moment particulièrement douloureux de l’actualité qu’il ne serait pas déplacé d’intituler : « On a tué nos enfants ››.

Au-delà des conventionnelles formules de condoléances dont on a dû accabler nos  camarades de classe, nos copains de jeux, nos amis juifs de là-bas, l’Echo voudrait, si les mots ont encore quelque valeur et quelque force, prendre toute sa part dans l’expression de notre compassion, de notre peine, à l’égard de ceux que l’on a meurtris, encore une fois, dans leur affection, dans leur chair, dans leur foi.

En dédiant ce message à leur intention, l’Echo ne saurait être taxé de rechercher un quelconque intérêt, ce qui serait indécent ; pas plus que de vouloir récupérer une seule voix en ces temps de quête électorale, ce qui serait sordide. Mais c'est parce que bon nombre d’entre nous, hélas, ont connu l’horreur de voir un être cher - a fortiori, lorsqu’il s’agissait d’un enfant - quitter la maison, plein de vie et d’espérance de retour, et d’avoir été informés qu'on l’avait froidement, lâchement, abattu, sur le chemin de l’école, au coin d’une rue ou à l’extrémité d’un champ, et qu'il ne reviendrait plus, c'est parce qu’ils ont connu cette atroce douleur et qu’ils ont pu voir, alors, combien leurs voisins, chrétiens, juifs, et même musulmans, partageaient leur affliction, que l'Echo voudrait trouver des mots, pour atténuer, tant soit peu, leur incommensurable chagrin.

Les événements d’il y a un demi-siècle, que la folie des hommes avait chargés de toutes les noirceurs et de tous les crimes que peut susciter une guerre et que les tentatives de justification des oublieux et des « politiquement corrects ››, ne cessent, aujourd’hui, de remplir d’impostures et de calomnies, ont fini par créer, en cinquante ans d’exil, une nouvelle communauté qui s’efforce, malgré parfois de cruelles incompréhensions, d'effacer les anciennes rancœurs et les anachroniques clivages d’origine et de religion : la Communauté des Français d’Algérie. C’est parce que nous avons tous, Européens et Harkis, le sentiment profond d’appartenir à cette communauté, que l’Echo peut crier sa révolte, avec la sincérité d’un désespoir que certains ne peuvent ou ne veulent pas comprendre : « On a tué nos enfants ! ››.

Sortirons-nous de cette triste et douloureuse épreuve davantage unis !... Que l’Eternel exauce cette prière et accueille nos victimes, toutes nos innocentes victimes dans la Jérusalem céleste.

 

L’ECHO DE L'ORANIE 340 | MAI-JUIN 2012 | 5