Lorsque les Français d’Algérie, laissant tout
derrière eux, ont cru atteindre cette France mythique qu’un bon nombre d’entre
eux n’avaient jamais vue, même s’ils avaient appris à l’aimer avec dévotion sur
les bancs de l’école, et espéré trouver une halte réconfortante après la
tourmente dans laquelle les avait plongés le chevalier aux tristes étoiles,
reçurent l’accueil que chacun sait, grande fut leur stupéfaction, considérable
leur amertume, immense leur ressentiment.
Rien ne leur fut épargné. Depuis l’immersion
de bien modestes cadres contenant les pauvres objets et vêtements sauvés du
désastre, dans les eaux marseillaises, œuvre des grutiers et des dockers
cégétistes du vieux port, jusqu’aux
discours « va-t-en guerre » d’un Gaston Deferre, de
sinistre mémoire, condamnant ceux que l’on croyait accabler en les affublant du
titre de Pieds-Noirs, à aller se faire foutre
ailleurs.
Oubliés les vivats et les cris d’une foule en
délire, qui accueillait moins de vingt ans auparavant, dans ses libérateurs, un
bon nombre de ces « exilés ». Certes, il y eut bien quelques cafés chauds
distribués et quelques soupes réconfortantes. Ne minimisons pas le généreux
dévouement des personnes qui se multiplièrent pour apporter un peu de baume aux
profondes blessures des nouveaux arrivés. Mais il manqua à l’appel toutes les
voix de ces « bien-pensants » qui bêlent d’émotion devant l’exode actuel des «
migrants ».
Réjouissons-nous, on a encore la décence de ne
pas les appeler des « rapatriés ».
Que personne ne s’y trompe ! Nous compatissons
aux affres que connaissent ces malheureux ; mais, c’est parce que nous les
avons vécues, nous, parfois dans notre chair, toujours dans notre existence.
Rappelons-nous les rigueurs de l’hiver 1962,
le premier hiver vécu sur le sol métropolitain, alors que nos conditions de
logement étaient tellement précaires.
Où se trouvaient alors « les élans de
solidarité du pays des Droits de l’Homme » ?... Où se cachaient « les comités
d’accueil aux migrants » ?... Et dans les cas extrêmes, aboutissant quelques
fois hélas au suicide, où se tenaient « les cellules psychologiques » ?...
Les Pieds-Noirs ?...
« Ces pelés, ces galeux, d’où venait tout le mal », aurait dit ce bon monsieur
de La Fontaine. De la même façon que Don Quichotte les voyait dans son délire,
notre chevalier aux tristes étoiles considérait ces vagues de moutons
nouvellement débarqués, comme autant d’escadrons ennemis à l’assaut de
l’intégrité et de l’identité nationale. Que dirait-il, aujourd’hui, devant
l’abandon de tant de valeurs qui ont fait la grandeur de la France ?...
Prononcerait-il encore ces mots qu’il a
exprimés à l’encontre des Martinez, des Rodriguez et des Segura ou encore de «
ceux qui ne sont pas comme nous », déclarations qui le conduiraient, de nos
jours, immanquablement, devant les tribunaux, pour racisme, xénophobie ou, plus
efficace, islamophobie.
L’irrespect de la loi, n’en déplaise aux
déclarations des princes qui croient nous gouverner, est devenu permanent:
Ici, c’est l’exposition excessive et
provocatrice d’une identité religieuse, malgré les nombreux discours et les
colloques éloquents sur la laïcité ; là, avec les attaques virulentes contre
les crèches et les sapins de Noël c’est la destruction sournoise et
systématique de tout ce qui a fait de notre pays une nation à l’identité
judéo-chrétienne, héritière des deux Testaments et de leur message d’amour et
de tolérance ; ailleurs, c’est le discours d’un président d’assemblée locale,
dans une langue qui n’est pas le français, proclamé cependant dans la
Constitution de la République, comme langue
officielle de la nation…
Et personne ne s’en émeut !... Et personne ne
dit rien !... Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !...
Mais, revenons à ces sentiments de défiance -
d’hostilité parfois - du bon peuple de l’Hexagone, à l’égard des Pieds-Noirs… Certes, la propagande de qui vous savez ;
certes, les propos véhéments contre « un certain quarteron de généraux » qui avaient,
eux, conquis leurs étoiles au feu, avaient largement contribué à soulever les
populations contre ces « exploiteurs de burnous », qui venaient troubler leur
quiétude, après avoir fait envoyer leurs enfants au combat… Comme si
elles-mêmes réservaient les emplois privilégiés à la main d’œuvre de
« burnous » que l’on importait, à l’époque, en territoire métropolitain…
Comme si elles avaient oublié que d’autres s’étaient battus auparavant pour
leur libération et celle de leurs enfants.
Mais, si ces a priori, ces préjugés, avaient
pu se développer aussi facilement, n’était-ce pas, parce qu’il existait en
Métropole, un noyau de méfiance contre ces gens, dont on disait qu’ils
roulaient sur l’or, au détriment des peuples asservis par le colonialisme. Et
cette défiance, pour ne pas dire malveillance, n’existait elle pas depuis le
débarquement à Sidi-Ferruch, en 1830, ou à Mers-el-Kébir, en janvier 1831 ?...
Sur ce point, la lecture récente d’un de ces
livres écrits à la gloire de notre conquête et que nos tristes censeurs
d’aujourd’hui auraient certainement interdits avec horreur, paraît édifiante.
Il s’agit des Cahiers du Sergent Walter, écrit par Loevenbruck et Hellin et édité chez Tallandier en 1930, à l’occasion du Centenaire de l’Algérie. Après avoir fait campagne en
Algérie, le héros revient en France où, débarquant à Marseille (Tiens ! Tiens
!), il découvre « l’insolence des gabelous qui prétendaient nous faire payer
des droits pour les babioles que nous rapportions de là-bas ». Devant ce pays
devenu indifférent à son œuvre en terre algérienne, il écrit une phrase dans
laquelle tous les Pieds-Noirs, tous les Harkis, se
reconnaîtront : « Mon corps était là, mais mes pensées étaient demeurées de
l’autre côté de l’eau ». Et il va de découverte en découverte pénible… « Eh
quoi ! Tous ces gens nous considéraient comme des bêtes curieuses et se
moquaient de nous, parce que nos pantalons rouges avaient déteint, parce que
nos capotes étaient trouées, nos shakos bosselés et lamentables, se
doutaient-ils seulement de ce que les troupiers de l’armée d’Afrique, avaient
fait pour la patrie ?... Je ne le crois pas ; bien au contraire même, car ils
nous considéraient avec suspicion, et, pour un peu, nous auraient traités de
factieux et de mauvaises têtes… » (On connait ça !... Avec l’évolution du
vocabulaire, n’avons nous pas été traités de fascistes, de réacs et de nazis
?...).
Certes, nous direz-vous, à l’instar de tous
ces politiciens qui nous écoutent sans s’émouvoir d’un pouce après nous avoir
entendus, mais pourquoi ce déferlement de ressentiment obsessionnel, et ce
depuis plus d’un demi-siècle ?... Tout simplement, parce que depuis plus d’un
demi-siècle, nous crions après l’injustice qui nous accable.
Voulez-vous des exemples ?
Nous venons de vivre le drame du vendredi 13
septembre 2015 ; 130 innocents ont trouvé la mort. Quel être humain peut-il
rester indifférent à cette odieuse tragédie, 130 vies tranchées en un éclair
par la folie sanguinaire d’une poignée d’assassins ? Comme tous les Français,
nous avons pleuré ces victimes de la barbarie. Comme tous les Français, nous
nous sommes associés aux minutes de silence, aux manifestations de soutien, à
« l’exhibition » du drapeau tricolore (même si, à la différence de la «
bien pensance » nationale, nous arborions nos
trois couleurs, bien avant ces tristes événements et chantions la Marseillaise,
sous les ricanements de ceux qui nous traitaient de « réacs attardés, de fachos
au patriotisme démodé ». Aujourd’hui, pour les besoins de la cause - la cause
de qui ? - alléluia ! Il est de bon aloi d’être patriote.
Mais, qui a pleuré pour les milliers de morts
des 26 mars 1962, à Alger, du 5 juillet, à Oran, et des assassinats de Harkis,
lâchement abandonnés au couteau des bourreaux ?... Qui a manifesté la moindre
émotion dans la rue ?... Qui a chanté la Marseillaise en hommage aux victimes
innocentes - sont-elles seulement mortes pour la
France ?... Dans les plus hautes sphères de
l’État, qui a décidé de mettre en berne les drapeaux de la République ?...
Ce n’est pas la première fois hélas que nos
éditoriaux déplorent ces « deux poids, deux mesures » !...
Un autre exemple ? Nous apprenions
dernièrement, même si l’information n’a pas tourné longtemps en boucle, que, à
la fin de la guerre, quelques dizaines de tirailleurs sénégalais auraient été
massacrés par l’armée française, pour avoir réclamé un arriéré de solde. Le
chef de l’État - rendons-lui cette justice – aurait immédiatement
diligenté une enquête.
Comment ne pas s’associer à cette recherche de
la vérité ?...
Mais, à quelles démarches rigoureuses et
impartiales, les autorités françaises se sont-elles livrées pour connaître
seulement le sort des centaines de Français d’Algérie disparus ?... À quelles
quêtes de vérité ont-elles eues recours, ne serait-ce que pour s’informer sur la
fin tragique de milliers de Harkis ?...
Et cependant, ne vous y trompez pas. En écrivant
ces lignes, L’Écho de l’Oranie reste fidèle à sa
ligne apolitique. Aucun parti, trouvât-il des points communs avec ses propres
récriminations ou sa profession de foi, ne peut et ne doit les revendiquer.
Notre journal respecte trop les opinions et convictions de chacun de ses
lecteurs. Il poursuit seulement ici son combat contre l’indifférence et
l’injustice nationales… et c’est tout.
Alors, comprenez-vous, Français de l’Hexagone,
pourquoi notre ressentiment ne s’est pas éteint, après plus d’un demi-siècle
d’exil ?... Pourquoi notre clameur, même si elle retentit encore dans le désert
de votre indifférence, deviendra un jour, la voix, certainement plus pondérée
et plus sage que la nôtre, mais tout aussi implacable, qui nous rendra justice
devant l’Histoire de l’Humanité. Le comprenez-vous ?...
Vous le faire admettre, c’est là notre dernier
espoir, même si, comme l’affirmait Albert Einstein : « Il est plus difficile de
briser un préjugé qu’un atome ».
L’Écho de l’Oranie