N°363 Mars-Avril 2016

Faut-il crier sans cesse dans le désert ?…

Lorsque les Français d’Algérie, laissant tout derrière eux, ont cru atteindre cette France mythique qu’un bon nombre d’entre eux n’avaient jamais vue, même s’ils avaient appris à l’aimer avec dévotion sur les bancs de l’école, et espéré trouver une halte réconfortante après la tourmente dans laquelle les avait plongés le chevalier aux tristes étoiles, reçurent l’accueil que chacun sait, grande fut leur stupéfaction, considérable leur amertume, immense leur ressentiment.

Rien ne leur fut épargné. Depuis l’immersion de bien modestes cadres contenant les pauvres objets et vêtements sauvés du désastre, dans les eaux marseillaises, œuvre des grutiers et des dockers cégétistes du vieux port,  jusqu’aux discours « va-t-en guerre » d’un Gaston Deferre, de sinistre mémoire, condamnant ceux que l’on croyait accabler en les affublant du titre de Pieds-Noirs, à aller se faire foutre ailleurs.

Oubliés les vivats et les cris d’une foule en délire, qui accueillait moins de vingt ans auparavant, dans ses libérateurs, un bon nombre de ces « exilés ». Certes, il y eut bien quelques cafés chauds distribués et quelques soupes réconfortantes. Ne minimisons pas le généreux dévouement des personnes qui se multiplièrent pour apporter un peu de baume aux profondes blessures des nouveaux arrivés. Mais il manqua à l’appel toutes les voix de ces « bien-pensants » qui bêlent d’émotion devant l’exode actuel des « migrants ».

Réjouissons-nous, on a encore la décence de ne pas les appeler des « rapatriés ».

Que personne ne s’y trompe ! Nous compatissons aux affres que connaissent ces malheureux ; mais, c’est parce que nous les avons vécues, nous, parfois dans notre chair, toujours dans notre existence.

Rappelons-nous les rigueurs de l’hiver 1962, le premier hiver vécu sur le sol métropolitain, alors que nos conditions de logement étaient tellement précaires.

Où se trouvaient alors « les élans de solidarité du pays des Droits de l’Homme » ?... Où se cachaient « les comités d’accueil aux migrants » ?... Et dans les cas extrêmes, aboutissant quelques fois hélas au suicide, où se tenaient « les cellules psychologiques » ?...

Les Pieds-Noirs ?... « Ces pelés, ces galeux, d’où venait tout le mal », aurait dit ce bon monsieur de La Fontaine. De la même façon que Don Quichotte les voyait dans son délire, notre chevalier aux tristes étoiles considérait ces vagues de moutons nouvellement débarqués, comme autant d’escadrons ennemis à l’assaut de l’intégrité et de l’identité nationale. Que dirait-il, aujourd’hui, devant l’abandon de tant de valeurs qui ont fait la grandeur de la France ?...

Prononcerait-il encore ces mots qu’il a exprimés à l’encontre des Martinez, des Rodriguez et des Segura ou encore de « ceux qui ne sont pas comme nous », déclarations qui le conduiraient, de nos jours, immanquablement, devant les tribunaux, pour racisme, xénophobie ou, plus efficace, islamophobie.

L’irrespect de la loi, n’en déplaise aux déclarations des princes qui croient nous gouverner, est devenu permanent:

Ici, c’est l’exposition excessive et provocatrice d’une identité religieuse, malgré les nombreux discours et les colloques éloquents sur la laïcité ; là, avec les attaques virulentes contre les crèches et les sapins de Noël c’est la destruction sournoise et systématique de tout ce qui a fait de notre pays une nation à l’identité judéo-chrétienne, héritière des deux Testaments et de leur message d’amour et de tolérance ; ailleurs, c’est le discours d’un président d’assemblée locale, dans une langue qui n’est pas le français, proclamé cependant dans la Constitution de la République, comme langue officielle de la nation…

Et personne ne s’en émeut !... Et personne ne dit rien !... Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !...

Mais, revenons à ces sentiments de défiance - d’hostilité parfois - du bon peuple de l’Hexagone, à l’égard des Pieds-Noirs… Certes, la propagande de qui vous savez ; certes, les propos véhéments contre « un certain quarteron de généraux » qui avaient, eux, conquis leurs étoiles au feu, avaient largement contribué à soulever les populations contre ces « exploiteurs de burnous », qui venaient troubler leur quiétude, après avoir fait envoyer leurs enfants au combat… Comme si elles-mêmes réservaient les emplois privilégiés à la main d’œuvre de « burnous » que l’on importait, à l’époque, en territoire métropolitain… Comme si elles avaient oublié que d’autres s’étaient battus auparavant pour leur libération et celle de leurs enfants.

Mais, si ces a priori, ces préjugés, avaient pu se développer aussi facilement, n’était-ce pas, parce qu’il existait en Métropole, un noyau de méfiance contre ces gens, dont on disait qu’ils roulaient sur l’or, au détriment des peuples asservis par le colonialisme. Et cette défiance, pour ne pas dire malveillance, n’existait elle pas depuis le débarquement à Sidi-Ferruch, en 1830, ou à Mers-el-Kébir, en janvier 1831 ?...

Sur ce point, la lecture récente d’un de ces livres écrits à la gloire de notre conquête et que nos tristes censeurs d’aujourd’hui auraient certainement interdits avec horreur, paraît édifiante. Il s’agit des Cahiers du Sergent Walter, écrit par Loevenbruck et Hellin et édité chez Tallandier en 1930, à l’occasion du Centenaire de l’Algérie. Après avoir fait campagne en Algérie, le héros revient en France où, débarquant à Marseille (Tiens ! Tiens !), il découvre « l’insolence des gabelous qui prétendaient nous faire payer des droits pour les babioles que nous rapportions de là-bas ». Devant ce pays devenu indifférent à son œuvre en terre algérienne, il écrit une phrase dans laquelle tous les Pieds-Noirs, tous les Harkis, se reconnaîtront : « Mon corps était là, mais mes pensées étaient demeurées de l’autre côté de l’eau ». Et il va de découverte en découverte pénible… « Eh quoi ! Tous ces gens nous considéraient comme des bêtes curieuses et se moquaient de nous, parce que nos pantalons rouges avaient déteint, parce que nos capotes étaient trouées, nos shakos bosselés et lamentables, se doutaient-ils seulement de ce que les troupiers de l’armée d’Afrique, avaient fait pour la patrie ?... Je ne le crois pas ; bien au contraire même, car ils nous considéraient avec suspicion, et, pour un peu, nous auraient traités de factieux et de mauvaises têtes… » (On connait ça !... Avec l’évolution du vocabulaire, n’avons nous pas été traités de fascistes, de réacs et de nazis ?...).

Certes, nous direz-vous, à l’instar de tous ces politiciens qui nous écoutent sans s’émouvoir d’un pouce après nous avoir entendus, mais pourquoi ce déferlement de ressentiment obsessionnel, et ce depuis plus d’un demi-siècle ?... Tout simplement, parce que depuis plus d’un demi-siècle, nous crions après l’injustice qui nous accable.

Voulez-vous des exemples ?

Nous venons de vivre le drame du vendredi 13 septembre 2015 ; 130 innocents ont trouvé la mort. Quel être humain peut-il rester indifférent à cette odieuse tragédie, 130 vies tranchées en un éclair par la folie sanguinaire d’une poignée d’assassins ? Comme tous les Français, nous avons pleuré ces victimes de la barbarie. Comme tous les Français, nous nous sommes associés aux minutes de silence, aux manifestations de soutien, à « l’exhibition » du drapeau tricolore (même si, à la différence de la « bien pensance » nationale, nous arborions nos trois couleurs, bien avant ces tristes événements et chantions la Marseillaise, sous les ricanements de ceux qui nous traitaient de « réacs attardés, de fachos au patriotisme démodé ». Aujourd’hui, pour les besoins de la cause - la cause de qui ? - alléluia ! Il est de bon aloi d’être patriote.

Mais, qui a pleuré pour les milliers de morts des 26 mars 1962, à Alger, du 5 juillet, à Oran, et des assassinats de Harkis, lâchement abandonnés au couteau des bourreaux ?... Qui a manifesté la moindre émotion dans la rue ?... Qui a chanté la Marseillaise en hommage aux victimes innocentes - sont-elles seulement mortes pour la France ?... Dans les plus hautes sphères de l’État, qui a décidé de mettre en berne les drapeaux de la République ?...

Ce n’est pas la première fois hélas que nos éditoriaux déplorent ces « deux poids, deux mesures » !...

Un autre exemple ? Nous apprenions dernièrement, même si l’information n’a pas tourné longtemps en boucle, que, à la fin de la guerre, quelques dizaines de tirailleurs sénégalais auraient été massacrés par l’armée française, pour avoir réclamé un arriéré de solde. Le chef de l’État - rendons-lui cette justice – aurait immédiatement diligenté une enquête.

Comment ne pas s’associer à cette recherche de la vérité ?...

Mais, à quelles démarches rigoureuses et impartiales, les autorités françaises se sont-elles livrées pour connaître seulement le sort des centaines de Français d’Algérie disparus ?... À quelles quêtes de vérité ont-elles eues recours, ne serait-ce que pour s’informer sur la fin tragique de milliers de Harkis ?...

Et cependant, ne vous y trompez pas. En écrivant ces lignes, L’Écho de l’Oranie reste fidèle à sa ligne apolitique. Aucun parti, trouvât-il des points communs avec ses propres récriminations ou sa profession de foi, ne peut et ne doit les revendiquer. Notre journal respecte trop les opinions et convictions de chacun de ses lecteurs. Il poursuit seulement ici son combat contre l’indifférence et l’injustice nationales… et c’est tout.

Alors, comprenez-vous, Français de l’Hexagone, pourquoi notre ressentiment ne s’est pas éteint, après plus d’un demi-siècle d’exil ?... Pourquoi notre clameur, même si elle retentit encore dans le désert de votre indifférence, deviendra un jour, la voix, certainement plus pondérée et plus sage que la nôtre, mais tout aussi implacable, qui nous rendra justice devant l’Histoire de l’Humanité. Le comprenez-vous ?...

Vous le faire admettre, c’est là notre dernier espoir, même si, comme l’affirmait Albert Einstein : « Il est plus difficile de briser un préjugé qu’un atome ».

L’Écho de l’Oranie