N°366 Septembre-Octobre2016

En guise d'éditorial...

Le 5 juillet à travers une inauguration et des discours

Monsieur le maire, Mesdames,

Messieurs les élus,

Messieurs les présidents d’associations,

Mes chers compatriotes,

Cette stèle du souvenir, dont l’inauguration nous rassemble aujourd’hui dans le recueillement, témoigne de la force de nos sentiments à l’égard des morts et disparus de la guerre d’Algérie vécue par

 la plupart d’entre nous, et dont nous garderons toujours les blessures.

C’est un grand honneur qui m’échoit de représenter ici les Amitiés Oraniennes et d’exprimer mon émotion autant que ma reconnaissance à la commune de Sausset-les-Pins, et d’abord à Éric Diard, son maire, à Roland Soler et l’ANRO, ainsi qu’à tous ceux qui ont voulu l’existence de ce monument.

Remémorons-nous cette journée noire du 5 juillet 1962, à Oran, devant cette stèle à la mémoire des nôtres, arrachés à la vie dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies mais dont l’horreur nous poursuit toujours.

54 ans après le drame de notre exode, la tragédie du 5 juillet évoque pour nous, horriblement, les derniers et les pires moments de notre présence sur la terre d’Algérie, terre de France durant 132 ans.

Plus de 2.000 des nôtres, nous n’en connaîtrons jamais exactement le nombre, ont été enlevés, torturés et ont péri dans une mort affreuse sous les coups les plus sauvages, sans que les gouvernants de notre pays ne s’en soient jamais plaint officiellement auprès des autorités algériennes.

Ils sont nos martyrs, victimes de l’aveuglement coupable des membres du Gouvernement de l’époque et de l’inconséquence grave des exécutants dela politique algérienne de la France, au premier rang desquels est à aligner devant l’Histoire un certain général Katz, soldat du rang, galonné pour sa servilité, et qui dans une obéissance sans conscience a enlevé à la population d’Oran la protection de l’armée pour la livrer au pire.

Ils sont aussi les victimes de tous ceux qui, n’aimant pas l’Algérie pour ce qu’elle était, une terre française, ont considéré avec leur chef, d’un cœur léger, que Pieds-Noirs et Harkis n’étaient pas des Français à part entière, dignes de toute la solidarité de leurs compatriotes quand, plongés dans la détresse de l’abandon, ils ont été atteints dans leur chair et ont perdu la vie.

Souvenons-nous : ce 5 juillet tragique, le ciel d’Oran immuablement bleu a été violemment rougi par un déchaînement de haine. Les nombreux témoignages recueillis depuis, auxquels il faut donner foi et qui ont été largement diffusés, sans toucher toutefois beaucoup de cœurs en Métropole, attestent du sort funeste que les nôtres ont subi. Ils sont tombés sous les coups de groupes d’Algériens armés, encadrés par des éléments de l’ALN, qui ont parcouru la ville, exaltés par les youyou de leur indépendance, sans rencontrer la moindre opposition des militaires de notre armée cantonnés dans leurs casernes, sauf à de rares exceptions où des soldats courageux, comme le capitaine Rabah-Kheliff, sont intervenus, désobéissant aux ordres, pour empêcher les enlèvements.

Des hordes ainsi livrées à leur soif de tuerie ont violenté et massacré hommes, femmes, enfants sans défense. Et ceux qui ne furent pas tués sur place furent enlevés et ne sont plus reparus.

Pour que leur sort tragique ne soit pas oublié avec la dénaturation de notre histoire, le nom des victimes de ces atrocités a été inscrit, pour un grand nombre d’entre eux, sur le mémorial aux disparus élevé à Perpignan, et leurs sacrifices, comme ceux de tous les autres morts de la guerre d’Algérie, sont heureusement rappelés par un certain nombre de monuments érigés par des communes patriotes, comme celui que nous inaugurons.

Inclinons-nous à nouveau aujourd’hui devant le sacrifice de nos morts, conservons leur mémoire et continuons à refuser qu’autour de nous trop d’historiens, d’intellectuels, tout autant que trop de responsables politiques, se complaisent dans la dénonciation de la colonisation française qu’ils confondent, par ignorance autant que par mauvaise foi, avec le pillage des ressources et l’anéantisse - ment des cultures ancestrales des peuples colonisés.

Il importe que dans une même union, Pieds-Noirs et Harkis, nous dénoncions, sans relâche, le parti de l’anti-France et la trahison dont nous fûmes les victimes il y a 54 ans, devant laquelle beaucoup de Français gardent encore les yeux fermés.

Il nous faut toujours redire que le massacre du 5 juillet aurait pu être évité si les négociateurs d’Évian, entièrement aux ordres du chef de l’État d’alors, avaient reçu pour mission d’imposer à la partie algérienne la volonté de la France d’assurer en toutes circonstances la protection en Algérie des ressortissants français de toutes confessions, dès le lendemain de la capitulation d’Évian comme après la proclamation de l’indépendance de l’Algérie. Or les accords scélérats signés à Évian ne furent pas respectés sur ce point, comme sur d’autres, par la faute des autorités françaises.

Il nous faut dire aussi que dans tout État où, comme en France, le droit doit triompher de l’autoritarisme, les crimes des gouvernants doivent être dénoncés et la responsabilité de l’État retenue pour les fautes imprescriptibles que les gouvernants ont pu commettre en son nom.

Ainsi du crime commis en faisant tirer sur la foule de patriotes qui manifestaient pacifiquement à Alger le 26 mars 1962 rue d’Isly, devant la Grande Poste, pour que les militaires français lèvent le siège de Bab-el-Oued ; ainsi d’avoir donné de Paris l’ordre aux forces armées de rester dans leur casernement ce terrible 5 juillet à Oran, livrant de la sorte des Français à la sauvagerie des hordes ennemies.

Et le caractère exceptionnel des circonstances où ces fautes furent commises ne suffit pas, en droit, à exonérer l’État français de sa responsabilité à l’égard de nos victimes, de leurs parents et leurs ayants-droit.

Mais au lieu de reconnaissance officielle de cette responsabilité de l’État, nous avons assisté l’an passé aux génuflexions de la repentance devant les autorités algériennes, à Sétif de la part d’un secrétaire d’État aux anciens combattants et à Alger de la part du président de la République lui-même.

Devant ces abaissements une certitude doit nous guider : même si nous reconnaissons que notre passé colonial n’a pas toujours été exempt de fautes, nous n’accepterons jamais d’être culpabilisés, comme nous le sommes régulièrement, pour les prétendus crimes commis par nos ainés, tout comme nous n’approuverons jamais les actes répétés de la repentance et de l’auto-flagellation, car l’apaisement des mémoires ne peut procéder que d’un effort partagé de réconciliation, et donc de reconnaissance, de part et d’autre, des erreurs et des crimes commis.

Nous ne pouvons tendre nos mains qu’à d’autres mains tendues.

Combien de temps faudra-t-il attendre encore pour qu’une vraie réconciliation puisse se produire ? Il est fort à craindre que de notre vie nous ne la voyons.

Crions enfin, à tous ceux qui nous traitent de nostalgiques, ignorant qu’un peuple qui tourne le dos à son passé se renie et se voue à disparaître, que nous garderons haut et fier le beau flambeau de notre Algérie d’hier, jusqu’à la fin de nos jours.

Jean-Claude Simon,

Président des Amitiés Oraniennes

 

Monsieur le Maire, Mesdames,

Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs porte-drapeaux et anciens combattants,

Mesdames et Messieurs les présidents d’associations,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi, Monsieur le Maire, au nom des Rapatriés d’Algérie, de leurs associations, du conseil d’administration de l’ANRO que je préside, de vous exprimer ainsi qu’à la municipalité et à  tous les Saussetois, nos vifs remerciements, pour l’édification de cette stèle, à la mémoire des martyrs du massacre d’Oran, il y a 54 ans le jeudi 5 juillet 1962. Nous associons également à cette commémoration, toutes les autres victimes françaises de la guerre d’Algérie, civils, militaires et harkis.

Je tiens ici à remercier les élus, tous les élus ici présents ou représentés, les anciens combattants, ainsi que tous nos invités venus avec empressement s’associer, pour donner à cette manifestation du Souvenir le caractère particulier qu’elle mérite et en rehausser l’éclat.

C’est pour honorer la mémoire des martyrs du 5 juillet 1962 et de tous nos disparus que nous sommes réunis ; c’est pour les glorifier et perpétuer leur souvenir que vous avez accepté voilà plusieurs mois, Monsieur le Maire, d’ériger cette stèle et de surcroît fixer l’inauguration pour le jour anniversaire du massacre d’Oran.

Mesdames, Messieurs, dans cette solennelle circonstance il me revient l’honneur d’interpréter la pensée qui s’exhale de cette magnifique assistance, des autorités et des personnalités qui ont bien voulu apporter aux familles des victimes, l’hommage de leur sympathie. Pour traduire aussi fidèlement que possible, les impressions que je ressens en raison de cette touchante manifestation, qu’il me soit permis d’évoquer l’histoire et de tirer quelques déductions…

Peu de Français savent de nos jours, au moment où nous nous recueillons, ce qui s’est passé en Algérie après la signature des accords d’Évian le 18 mars 1962 établissant logiquement l’arrêt des combats et le cessez-le-feu pour le 19 mars. Malgré cet accord, 300 militaires français furent encore tués. Il y eut également la folie meurtrière de la rue d’Isly à Alger, le 26 mars, 80 civils tués, le carnage des Harkis abandonnés par la France.

Le 5 juillet au matin, Radio-Oran invite les habitants à rouvrir les magasins, les bureaux et à reprendre normalement leurs activités. Mais, vers 10h, une foule excitée, menaçante, visiblement encadrée par la nouvelle police, des ATO (Auxiliaires Temporaires Occasionnels), déferlent en direction du cœur de la ville ; de la place Karguentah vers la Place d’Armes.

C'est le début d'un carnage. Une chasse aux Français commence ; sauvage, systématique, elle s’étend dans toute la ville. On égorge, on tue au revolver, à la mitraillette, on prend des rues en enfilade, tuant tout ce qui bouge. On pénètre dans la Grande Poste, dans les restaurants, les magasins, les appartements, abattant les pauvres gens avec des raffinements de cruauté. On vient enlever des étudiants, fichés par des barbouzes quelques mois plus tôt, et dont les noms furent transmis aux futurs maîtres. Les Européens prisonniers sont emmenés par longs cortèges vers le commissariat central où vers « le petit lac » à la périphérie de la ville. Ils sont battus et tués. Notre armée, pourtant présente, avec plus de 10.000 hommes, est hors-jeu.

Elle avait reçu l’ordre de ne pas intervenir, les RG informaient Paris du cours des évènements. De nos jours, on appellerait cela de la « non-assistance à personnes en danger. »

La tuerie dura près de 7 heures. Lorsque, vers 18 heures, les gendarmes mobiles français sortent enfin dans la rue, le calme revient aussitôt. Les cadavres jonchent la ville. Les militaires français les ramassent par camions et les couvrent de chaux vive. Nul ne sait le bilan précis de ce massacre, qui est certainement autour des 2.000 tués et disparus. Face à ces évènements, pire qu’une fosse, il y a un vide historique… La presse et la RTF de l’époque n’en ont pratiquement pas parlé. Certes le 5 juillet, depuis 54 ans, est pour nous, un jour de deuil…

Victor Hugo écrivait : « Les habits du deuil peuvent s’user et blanchir mais le cœur lui, reste noir ».

C’est aussi un jour de honte, pour tous ceux complices, qui ont couvert ces assassinats de leur silence. Toutes nos requêtes, toutes nos aspirations, sont orientées depuis 54 ans, vers la recherche de la vérité historique connue, mais toujours dissimulée.

Il faut aujourd’hui, garder aux évènements du 5 juillet 1962 à Oran cette notion de l’émotion partagée. Nous recherchons, non pas une vérité vengeresse, nous recherchons la vérité qui soulage, qui reconnaît et qui dit que ce 5 juillet 62, à Oran, effectivement, il s’y vécut la pire des indignités pour nos compatriotes, telles que l’on n’avait pas connus depuis la Seconde Guerre mondiale.

54 ans plus tard, devrions-nous encore faire comme si rien ne s’était passé ? Qui doit-être épargné dans ces malheurs, pour qu’enfin courageusement, la Vérité, avant toute autre considération, soit établie. Il faut l’ouverture des archives, de part et d’autres, qui permettront effectivement de faire le deuil, et rendre officiellement hommage à celles et ceux qui ont payé de leur vie le simple fait de se trouver à Oran ce jour-là et d’être Français.

Certains voient seulement, dans le 5 juillet, la date de l’indépendance et les réjouissances à Alger, mais occultent totalement le massacre d’Oran. Il faut donner toute la dimension tragique des évènements du 5 juillet 1962, en lui gardant toute sa dignité, car c’est justement dans la dignité que nous aurons la force d’être reconnus par ceux qui ne se sentent pas

concernés, mais qui pourraient le devenir, parce que le malheur qui a frappé celles et ceux qui ont été les victimes du 5 juillet 62 à Oran, c’est un malheur dans lequel toutes les Françaises et tous les Français peuvent s’identifier et doivent se reconnaitre.

Merci ! Mesdames, Messieurs, pour l’hommage rendu ce jour. Il faut le perpétuer, ici et ailleurs, car c’est dans des manifestations de cette nature, par notre acharnement, que nous forcerons notre destin. Une étape décisive est franchie aujourd’hui, dans la reconnaissance du drame du 5 juillet 62 à Oran et cela grâce à Monsieur le Maire de Sausset-les- Pins ! Je souhaite formuler un vœu devant vous tous… Que d’autres responsables politiques, courageux, emboitent le pas, suivent l’exemple de M. Éric Diard, à qui nous réitérons tous nos remerciements.

Soyons toujours solidaires, ce sera notre meilleure arme dans ce combat !

Vive la République ! Vive la France !

Merci à tous.

Roland Soler, président de l’ANRO

 

 

 Qu’il est triste de devoir parler de « courage » à propos de l’acte de reconnaissance d’une tragédie et d’un hommage aux Morts et aux Disparus !

Mais il en est ainsi dans notre pays aujourd’hui.

Il y a des faits qui doivent être cachés, des faits qui ne doivent pas être connus et donc pas enseignés. Je dirais même qu’il y a des faits irréfutables que l’Histoire ne doit pas connaître. Il a donc fallu du courage au maire de Sausset-les-Pins, au conseil municipal de la ville, pour braver l’omerta et prendre la décision qui a été prise.

La Vérité est que le 5 juillet 1962 à Oran, se déroula une horrible tragédie comparable à celle qu’a connue Oradour-sur-Glane mais qui a fait un nombre de victimes encore bien plus important qu’à Oradour. Des centaines et des centaines de personnes massacrées, des milliers d’autres enlevées, dont nous attendons toujours aujourd’hui des pouvoirs publics qu’ils nous informent sur le sort qu’elles ont connu. Mais les gouvernements successifs ont toujours marqué bien plus de compassion pour les disparus d’autres pays, allant même jusqu’à accueillir à Paris une conférence internationale consacrée à cette question - ce que, a priori, nous ne pouvions qu’apprécier - mais au cours de laquelle il n’a jamais été question des « disparus » d’Oranie.

Des témoignages nous disent que les « disparus » ont vécu un enfer. Pourtant des familles les attendent toujours. Elles veulent et elles doivent savoir.

La Vérité est que le 5 juillet fut un abominable abandon de ressortissants français par les autorités françaises qui ont donné l’ordre aux troupes de notre pays de ne pas porter secours.

La Vérité, est qu’un petit groupe d’hommes a voulu tuer un peuple ou tout au moins lui faire comprendre qu’il n’avait plus sa place sur sa propre terre.

Ce groupe d’hommes a voulu anéantir les très minces espoirs qui pouvaient subsister et signifier de façon définitive qu’il n’y avait plus de possibilité pour les communautés d’Algérie – musulmane (constituée de Berbères et d’Arabes), juive et chrétienne - de vivre ensemble.

Et pourtant ces communautés le voulaient farouchement. Même huit années de guerre - qui, contrairement à ce qui est si souvent écrit, n’a pas été une guerre civile - n’avaient pu les séparer.

Jamais une communauté n’a eu le désir d’en exclure une autre.

Cette Algérie-là avait un grand avenir mais le peuple n’a pu s’exprimer librement.

Ainsi, au mépris du droit à sa terre, près d’un million et demi de Français, de toutes confessions, ont dû quitter le sol sur lequel ils étaient nés. Une poignée d’hommes désireux de s’emparer du pouvoir avait voulu en arriver là ; leur stratégie avait été : fomenter la haine, pratiquer la terreur en commettant des attentats, en brûlant des villages, en massacrant des populations.

L’indépendance de l’Algérie proclamée le 5 juillet 1962 a été un grand ratage qui n’a fait que des orphelins de part et d’autre de la Méditerranée, pour en arriver au résultat que nous connaissons aujourd’hui. Voilà ce qu’est la Vérité.

De tout cœur merci à M. Éric Diard, maire de Sausset-les-Pins, merci au conseil municipal, merci à la population de la ville, merci à l’ANRO et à son président Roland Soler, merci d’avoir voulu rendre cet hommage.

L’acte que vous accomplissez est d’une grande portée ; par cet acte, vous ouvrez le chemin par lequel l’Histoire, la Grande Histoire, devra passer.

Denis Fadda, président du CLAN-R

 

Mis en page le 27/10/2016 par RP.