Déjà, le dimanche des Rameaux, le monde
chrétien a envahi les églises pour faire bénir le buis sacré ou les branches
d’olivier, symboles des palmes que les juifs de Palestine agitaient au passage
de Jésus, lors de son entrée à Jérusalem. Oh ! Les rameaux d’autrefois ! Enrubannés
de tulle, rutilants de papier d’argent, surchargés de confiseries en sucre ou
en chocolat, ils faisaient l’admiration des petits et des grands dans les
vitrines des pâtisseries.
Et j’en connais plus d’un qui ne pouvait résister à la tentation gourmande
de croquer poulettes, œufs, cloches et friandises de toutes sortes accrochées
aux branches, pendant l’interminable office de la messe des Rameaux.
La Semaine Sainte, surtout marquée par la journée des
“Reposoirs”, s’intercalait entre les deux dimanches. Je me souviens du ‘’Jeudi
Saint” où l’on passait la journée à visiter les églises d’Oran, pour admirer
l’agencement et l’ornementation des autels, transformés en parterres de fleurs,
d’une richesse et d’un éclat extraordinaires. C’était à qui ferait le plus beau
reposoir, et l’on comparait la grâce de l’un à la magnificence de l’autre, avec
une petite pointe de partialité, suivant sa paroisse ou son quartier.
Puis venait le “Vendredi Saint” avec son
austérité, son dépouillement et l’ado- ration du Crucifix, suivi du chemin de
croix, dans un silence que les cloches, parties à Rome, ne troublaient plus.
Mais elles revenaient carillonner dès le lendemain pour triompher en ce
matin de Pâques et annoncer la bonne nouvelle : Christ est ressuscité,
alléluia, alléluia ! “Qui cherchez vous ? Jésus de Nazareth. Il n’est plus ici,
il est ressuscité d’entre les morts”.
Pâques, même pour les non-croyants, c’était la fête de la “Résurrection”,
celle de la nature, à défaut de celle du Christ ! Les jours sont plus longs,
l’air plus léger, entre deux giboulées, entre deux rafales, les rayons du
soleil se font plus chauds. Les pelouses reverdissent et les violettes, les
primevères, les pâquerettes foisonnent. C’est le renouveau du printemps,
l’éveil de la nature qui, depuis les profondeurs de la terre, fait circuler une
sève nouvelle dans les racines de chaque plante. Une sensation indéfinie s’est
emparée de tous les êtres vivants et modifie leur comportement. Mais c’est dans
le monde des ailes que les effets de la poussée vitale sont les plus
perceptibles et les plus spectaculaires. Pour tous les oiseaux, le printemps
c’est l’époque des roucoulades, des nids, des amours et des œufs qui vont
renouveler le miracle de la vie.
Ah ! Les œufs de Pâques ! Comme elle était
touchante, cette coutume de les éparpiller à travers les buissons et les
parterres des jardins, et de les faire chercher par les enfants, en leur disant
que les cloches, revenant de Rome, les avaient semés pour eux ! Il y en avait
en sucre, en chocolat, en pâte d’amande, en nougatine, ou tout simplement de
vrais œufs de poule, coloriés de teintes différentes, bariolés ou pointillés,
du plus heureux effet.
Mais pourquoi Pâques prodigue-t-il les œufs
? La coutume, qui remonte au Moyen Âge, n’est en réalité qu’une adoption
chrétienne. Le culte de l’œuf remonte aux plus vieux temps de l’humanité. Chez
les Égyptiens, on adorait les œufs lumineux que pondaient, au printemps, les
oies célestes.
À Rome, lors des processions en l’honneur de Cérès, à
l’époque de l’équinoxe, des jeunes filles, en défilant, portaient les plus
beaux. Pour éloigner toute confusion dans cette origine païenne, l’Église prit
l’habitude de bénir les premiers œufs pondus. Sans doute faut-il ajouter à
cette raison pieuse un autre motif d’intérêt : c’était le meilleur moyen
d’utiliser l’énorme réserve d’œufs accumulés pendant le carême. On en vint à
les offrir en cadeaux, à la joie des enfants et des pauvres.
Ainsi l’œuf conservait chez les chrétiens
la même force de symbole que dans les civilisations antiques. Les églises du
Moyen Âge ont contribué à la maintenir ; dans leur trésor, on garda long
temps des œufs d’autruche, ces mêmes œufs qui servaient d’ex-voto à Tyr et à Sidon.
Non contents de les barioler, les enlumineurs du Moyen Âge exercèrent aussi
leur talent sur les coques. On donnait des œufs porte-bonheur de teintes
diverses et la jolie tradition a persisté de s’en offrir entre parents et amis.
Louis XIV offrait des œufs dorés finement
peints qui était d’abord bénis par le grand aumônier. Sous Louis XVI, les
œufs-surprises furent à la mode ; à la Révolution, l’œuf prit la cocarde tricolore
et porta sur ses flancs les tourelles de la Bastille. Les confiseurs n’ont pas
fait mieux, ils ont remplacé la poésie de la coutume par l’attrait de la
gourmandise. Cependant l’œuf de poule n’en affirme pas moins sa primauté, c’est
lui le véritable élu de Pâques, qui l’habille de couleurs vives.
Nous le retrouvons, nous, Pieds-Noirs, encastré dans
notre mouna traditionnelle et c’est une des
gourmandises que per- sonne n’oubliait d’emporter pour aller fêter, le lundi de
Pâques, “la Saint- Couffin”, au bord de la mer, à la forêt des Planteurs, ou
dans les bois de Misserghin.
Pâques d’autrefois
! Pourquoi en gardons-nous la nostalgie, puisque nous retrouvons ici aussi la
douceur d’un air plus léger, la tiédeur d’un soleil, brillant dans un azur
semblable au nôtre, les débuts d’une floraison qui nous émerveille par sa
beauté et sa grâce ?
Oui,
pourquoi ce pincement au cœur en respirant un parfum qui en rappelle d’autres ?
N’aurons-nous donc jamais le goût du bonheur parfait, à cause des regrets que
tant d’années n’ont pu effacer ?
Mon Dieu,
comme il serait sage d’oublier et de jouir du rayonnement pascal, en toute
quiétude ! Pourquoi toujours cette restriction, cette impalpable fêlure qui
nous empêche d’être complètement heureux ? Il y a des blessures qui, même
cicatrisées, continuent à faire mal…
Essayons
de les oublier aujourd’hui... C’est pourquoi de tout mon cœur, chers amis, je
vous souhaite de joyeuses Pâques, dans la lumière et le chant des alléluias,
carillonnés par nos clochers.