N°368 Mars-Avril 2017
En guise d’éditorial… Pâques d’autrefois
Camille Bender †, avril 1994

 

  Déjà, le dimanche des Rameaux, le monde chrétien a envahi les églises pour faire bénir le buis sacré ou les branches d’olivier, symboles des palmes que les juifs de Palestine agitaient au passage de Jésus, lors de son entrée à Jérusalem. Oh ! Les rameaux d’autrefois ! Enrubannés de tulle, rutilants de papier d’argent, surchargés de confiseries en sucre ou en chocolat, ils faisaient l’admiration des petits et des grands dans les vitrines des pâtisseries.

Et j’en connais plus d’un qui ne pouvait résister à la tentation gourmande de croquer poulettes, œufs, cloches et friandises de toutes sortes accrochées aux branches, pendant l’interminable office de la messe des Rameaux.

 

La Semaine Sainte, surtout marquée par la journée des “Reposoirs”, s’intercalait entre les deux dimanches. Je me souviens du ‘’Jeudi Saint” où l’on passait la journée à visiter les églises d’Oran, pour admirer l’agencement et l’ornementation des autels, transformés en parterres de fleurs, d’une richesse et d’un éclat extraordinaires. C’était à qui ferait le plus beau reposoir, et l’on comparait la grâce de l’un à la magnificence de l’autre, avec une petite pointe de partialité, suivant sa paroisse ou son quartier.

Puis venait le “Vendredi Saint” avec son austérité, son dépouillement et l’ado- ration du Crucifix, suivi du chemin de croix, dans un silence que les cloches, parties à Rome, ne troublaient plus.

Mais elles revenaient carillonner dès le lendemain pour triompher en ce matin de Pâques et annoncer la bonne nouvelle : Christ est ressuscité, alléluia, alléluia ! “Qui cherchez vous ? Jésus de Nazareth. Il n’est plus ici, il est ressuscité d’entre les morts”.

 

Pâques, même pour les non-croyants, c’était la fête de la “Résurrection”, celle de la nature, à défaut de celle du Christ ! Les jours sont plus longs, l’air plus léger, entre deux giboulées, entre deux rafales, les rayons du soleil se font plus chauds. Les pelouses reverdissent et les violettes, les primevères, les pâquerettes foisonnent. C’est le renouveau du printemps, l’éveil de la nature qui, depuis les profondeurs de la terre, fait circuler une sève nouvelle dans les racines de chaque plante. Une sensation indéfinie s’est emparée de tous les êtres vivants et modifie leur comportement. Mais c’est dans le monde des ailes que les effets de la poussée vitale sont les plus perceptibles et les plus spectaculaires. Pour tous les oiseaux, le printemps c’est l’époque des roucoulades, des nids, des amours et des œufs qui vont renouveler le miracle de la vie.

 

Ah ! Les œufs de Pâques ! Comme elle était touchante, cette coutume de les éparpiller à travers les buissons et les parterres des jardins, et de les faire chercher par les enfants, en leur disant que les cloches, revenant de Rome, les avaient semés pour eux ! Il y en avait en sucre, en chocolat, en pâte d’amande, en nougatine, ou tout simplement de vrais œufs de poule, coloriés de teintes différentes, bariolés ou pointillés, du plus heureux effet.

 

Mais pourquoi Pâques prodigue-t-il les œufs ? La coutume, qui remonte au Moyen Âge, n’est en réalité qu’une adoption chrétienne. Le culte de l’œuf remonte aux plus vieux temps de l’humanité. Chez les Égyptiens, on adorait les œufs lumineux que pondaient, au printemps, les oies célestes.

À Rome, lors des processions en l’honneur de Cérès, à l’époque de l’équinoxe, des jeunes filles, en défilant, portaient les plus beaux. Pour éloigner toute confusion dans cette origine païenne, l’Église prit l’habitude de bénir les premiers œufs pondus. Sans doute faut-il ajouter à cette raison pieuse un autre motif d’intérêt : c’était le meilleur moyen d’utiliser l’énorme réserve d’œufs accumulés pendant le carême. On en vint à les offrir en cadeaux, à la joie des enfants et des pauvres.

 

Ainsi l’œuf conservait chez les chrétiens la même force de symbole que dans les civilisations antiques. Les églises du Moyen Âge ont contribué à la maintenir ; dans leur trésor, on garda long temps des œufs d’autruche, ces mêmes œufs qui servaient d’ex-voto à Tyr et à Sidon. Non contents de les barioler, les enlumineurs du Moyen Âge exercèrent aussi leur talent sur les coques. On donnait des œufs porte-bonheur de teintes diverses et la jolie tradition a persisté de s’en offrir entre parents et amis.

Louis XIV offrait des œufs dorés finement peints qui était d’abord bénis par le grand aumônier. Sous Louis XVI, les œufs-surprises furent à la mode ; à la Révolution, l’œuf prit la cocarde tricolore et porta sur ses flancs les tourelles de la Bastille. Les confiseurs n’ont pas fait mieux, ils ont remplacé la poésie de la coutume par l’attrait de la gourmandise. Cependant l’œuf de poule n’en affirme pas moins sa primauté, c’est lui le véritable élu de Pâques, qui l’habille de couleurs vives.

Nous le retrouvons, nous, Pieds-Noirs, encastré dans notre mouna traditionnelle et c’est une des gourmandises que per- sonne n’oubliait d’emporter pour aller fêter, le lundi de Pâques, “la Saint- Couffin”, au bord de la mer, à la forêt des Planteurs, ou dans les bois de Misserghin.

 

Pâques d’autrefois ! Pourquoi en gardons-nous la nostalgie, puisque nous retrouvons ici aussi la douceur d’un air plus léger, la tiédeur d’un soleil, brillant dans un azur semblable au nôtre, les débuts d’une floraison qui nous émerveille par sa beauté et sa grâce ?

Oui, pourquoi ce pincement au cœur en respirant un parfum qui en rappelle d’autres ? N’aurons-nous donc jamais le goût du bonheur parfait, à cause des regrets que tant d’années n’ont pu effacer ?

 

Mon Dieu, comme il serait sage d’oublier et de jouir du rayonnement pascal, en toute quiétude ! Pourquoi toujours cette restriction, cette impalpable fêlure qui nous empêche d’être complètement heureux ? Il y a des blessures qui, même cicatrisées, continuent à faire mal…

 

Essayons de les oublier aujourd’hui... C’est pourquoi de tout mon cœur, chers amis, je vous souhaite de joyeuses Pâques, dans la lumière et le chant des alléluias, carillonnés par nos clochers.

 

Mis en page le 09/04/2017 par RP.