Le Conseil constitutionnel aveuglé par le droit
On
ne fait pas de bons livres avec de bons sentiments selon le propos prêté à
André Gide, l’auteur des Nourritures terrestres. On ne fait pas toujours, non
plus, de bonnes décisions de justice avec les grands principes du droit,
fussent-ils de valeur constitutionnelle. C’est cette conclusion qu’il nous faut
tirer de la récente décision du 8 février 2018 par laquelle le Conseil
constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots ‘’ de
nationalité française’’ figurant à l’article 13 de la loi du 31 juillet 1963,
modifié par l’article 12 de la loi du 26 décembre 1964.
Cet
article 13 a ouvert un droit à pension aux personnes et à leurs ayants cause de
nationalité française à la date de promulgation de la loi, soit au 31 juillet
1963. L’indemnisation ainsi créée était destinée aux victimes de dommages
physiques résultant d’attentat ou d’acte de violence en relation avec les
évènements survenus en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962
(1). En étaient toutefois exclus les dommages dus à une faute inexcusable de
leurs victimes, de même que les personnes, ou leurs ayants cause, ayant
participé à l’organisation ou à l’exécution de tels actes, ou encore ayant
incité à les commettre.
Le
même article censuré a prévu l’intervention de règlements d’administration
publique pour fixer les règles de calcul de la pension à sa date d’entrée en
jouissance ainsi que l’attribution d’allocations et avantages accessoires susceptibles
d’y être rattachés.
Il
s’agit, plus précisément, de décrets d’application devant définir : ‘’ les conditions dans lesquelles certaines personnes ne possédant pas la
nationalité française pourront être admises au bénéfice des dispositions du
présent article.’’ dispositions ignorées par la décision en cause et
maintenues en vigueur sans que celle-ci les aient annulées, qui ouvrent
également aux étrangers le droit à indemnisation.
En
statuant comme il l’a fait, au grand dam de tous les Français d’Algérie, le
Conseil constitutionnel a appliqué de stricte manière le principe d’égalité,
solennellement affirmé ainsi dans la Déclaration des droits de 1789 : ‘’ La loi doit être la même pour tous soit qu’elle protège soit qu’elle punisse’’.
Repris dans le Préambule de la Constitution de 1946 sous diverses formes, ce
principe est invoqué fréquemment par les auteurs de saisines, comme ce fut le
cas de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui a donné lieu à
la décision dont nous mesurons ici l’effet indésirable.
Le
motif principal de la déclaration d’inconstitutionnalité est ainsi
rédigé : ‘’ le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe
d’égalité, établir, au regard de l’objet de solidarité de la loi, une
différence de traitement entre les victimes françaises et celles de nationalité
étrangère résidant sur le territoire français au moment du dommage subi.’’
Et
c’est sur la même motivation que le Conseil constitutionnel s’était
précédemment appuyé dans sa décision du 23 mars 2016 par laquelle, saisi d’une
QPC identique portant sur le même article 13 de la loi du 31 juillet 1963, il a
déclaré contraires à la Constitution les termes : ‘’ à la date de la
promulgation de la présente loi’’ termes précédés des mots les personnes‘’ de nationalité française’’, objet de l’annulation du 8 février 2016 que
nous venons de rappeler. A deux reprises il a ainsi jugé, dans les mêmes termes
et sur un même fondement juridique, que cette indemnisation, relevant de
règlements d’administration publique à intervenir, était destinée aux victimes,
ou à leurs ayant cause, sans distinction de nationalité.
En
statuant de la sorte les mêmes auteurs, gardiens de la Constitution, ont
considéré que la loi avait instauré entre les personnes concernées une
différence de traitement qui n’était justifiée ni par une différence de
situation, ni par l’objectif de solidarité poursuivi par le législateur. Ainsi,
pour eux, le bénéfice de la solidarité nationale ne pouvait être limité aux
seuls citoyens français mais devait s’étendre à toutes les victimes, ou leurs
ayants cause.
Il
n’en demeure pas moins que l’égalité devant la loi, érigée en grand principe du
droit par le Conseil d’Etat et transposée au contrôle de constitutionalité par
les 9 sages de la rue de Montpensier, a fait l’objet d’aménagements qui, en
l’espèce, n’ont pas prévalus à leurs yeux.
Car,
d’une part, par une décision des 30 et 31 octobre 1981 fondée sur ce principe
ils ont déclaré ‘’qu’il ne fait pas obstacle à ce qu’à des situations
différentes puissent être appliquées des règles différentes’’ et que ces
règles différentes selon les personnes, ou catégories de personnes physiques ou
morales, trouvent leur justification dans la différence de situation des
intéressés au regard de l’objet poursuivi par la loi.
Ainsi,
par exemple, en matière de liberté de la presse, le Conseil constitutionnel a
admis que la législation soit moins protectrice du pluralisme pour les
quotidiens régionaux que pour les quotidiens nationaux, regardés comme deux
catégories de publications de caractère différent ( n° 84-181 DC des10 et
11 octobre 1984).
De
même a-t-il considéré, en matière sociale, que les règles visant à limiter le
cumul d’une rémunération d’activité et d’une pension de retraite puissent
concerner uniquement les agents de l’Etat, ou des personnes morales de droit
public (n°81-134 DC du 5 janvier 1982), qu’elles soient moins rigoureuses pour
les personnes qui exercent à titre accessoire des activités littéraires ou
scientifiques (n°83-156 DC du 28 mai 1983),ou ne s’appliquent pas aux
professions libérales (n° 85-200 DC du 16 janvier 1986).
Et,
d’autre part, le Conseil constitutionnel a admis, après les juges du Palais
royal dont il s’inspire souvent, que l’égalité puisse céder devant des
considérations d’intérêt général. Il a ainsi estimé que, sans méconnaître le
principe d’égalité, le législateur avait pu exclure les banques au capital
social appartenant à des non-résidents, bien qu’ayant le même statut juridique
que les autres banques, mais dont la nationalisation aurait compromis l’intérêt
général attaché aux objectifs poursuivis par la loi (n°82-131 DC du 16 janvier
1982).
En
considérant que les personnes indemnisables visées par la loi du 31 juillet
1963 étaient toutes placées dans la même situation le juge constitutionnel n’a
fait aucune différence entre les victimes d’attentat ou d’acte de violence, y
incluant celles qui avaient pu prendre part au combat livré de toutes les manières
possibles, à commencer par le terrorisme, contre la France et son armée. Mais,
parce que le législateur de 1963 poursuivait un objectif de solidarité
nationale, le droit à pension qu’il a créé ne pouvait viser que les attentats
et actes de violence perpétrés contre des citoyens français, au nombre desquels
les Harkis restés fidèles à la France et tous ceux qui n’ont pas opté pour la
nationalité algérienne après l’indépendance de l’Algérie
Or
les auteurs des QPC du 23 mars 2016 et du 8 février 2018, MM Chérif Y. et
Abdelkader K. ce dernier blessé par balle en 1958, n’étaient pas recevables à
prétendre au bénéfice de l’indemnisation prévue par la loi du 31 juillet 1963,
dès lors qu’ils ne possédaient plus la nationalité française à la date d’entrée
en vigueur de la loi et qu’ils ne remplissaient pas les conditions
d’attribution fixées par ses décrets d’application pour les citoyens ne
possédant pas la nationalité française.
Les
décisions critiquées leur ouvrent pourtant cette voie.
Plus
largement, elles ouvrent aussi le même droit à pension à ceux qui, ayant
combattu par tous les moyens de 1954 à 1962 pour l’indépendance de l’Algérie,
auraient subi dans leur combat contre la France des dommages corporels qu’ils
voudraient faire reconnaître comme des attentats ou des actes de violence
imputables aux forces françaises, ou à la résistance armée des Pieds-Noirs face à l’abandon de l’Algérie au FLN.
Comment
ne pas réprouver ces décisions ?
Osons
une transposition pour mieux voir leur portée :
Imaginons
qu’au lendemain de la seconde Guerre mondiale, après la capitulation allemande,
le Parlement français ait voté pareil texte de loi promulgué par le premier
président de la IVème République, Vincent Auriol, ouvrant droit à pension au
bénéfice de tout citoyen français victime d’attentat ou d’acte de violence en
relation directe avec les faits de guerre qui se sont produits sur l’ensemble
du territoire français pendant la période allant du 3 septembre 1939 au 8 mai
1945.
En
vertu du principe d’égalité, tel que l’a mis en œuvre le Conseil
constitutionnel, ce texte là n’aurait pu légalement s’appliquer aux seuls
nationaux français mais, au regard d’une trop large appréciation portée sur son
objet, aurait ouvert droit à indemnisation à toutes les personnes placées dans la
même situation sur le territoire français, quelle que soit leur nationalité,
sans exclure alors les soldats de la Wehrmacht victimes d’actes accomplis par
l’armée de l’ombre de la Résistance.
Ainsi,
en se prononçant comme il l’a fait sur le droit à pension résultant de la loi
de 1963, le Conseil constitutionnel a donné à cette loi une interprétation
excluant que l’intérêt général puisse justifier une différence de traitement
entre les victimes, ou leurs ayants cause, alors même qu’elle n’excluait pas de
son bénéfice les personnes ne possédant pas la nationalité française, dans les
conditions prévues aux décrets d’application.
En
refusant de reconnaître à son objet un caractère d’intérêt général, il n’a pas
voulu non plus admettre qu’elle a été adoptée par les parlementaires dans un
but de solidarité nationale visant principalement à soulager la détresse de
leurs compatriotes victimes de ceux qui, dans le camp adverse, ont changé de
citoyenneté tout en aspirant à bénéficier de cette solidarité nationale de laquelle
ils se sont volontairement exclus !
Ces
deux décisions indissociables, critiquables dans leur esprit, ont soulevé l’incom- préhension et la réprobation générales des Pieds-Noirs et Harkis qui considèrent légitimement qu’elles
contribuent à entretenir dans l’opinion cette fâcheuse volonté de repentance,
qui, malheureusement, anime encore trop de responsables politiques de notre
pays et complait aux dirigeants algériens se refusant toujours à reconnaître
leurs propres crimes au détriment de la paix des mémoires.
Dans
une envolée juridique, Jean Rivero, éminent
professeur de droit public, a comparé le principe d’égalité ‘’ à ces piliers
de cathédrales qui évoquent la ligne du palmier, en un bouquet de nervures dont
chacune supporte sa part de la voûte’’.
Reprenant
l’image du palmier pour qualifier les deux décisions du Conseil
constitutionnel, nous dirons qu’à la différence de l’arbre du voyageur elles ne
montrent pas le chemin d’un avenir apaisé pour la paix des mémoires.
A
nous qui souffrons toujours de la même incompréhension des dirigeants et des
élus de la Nation, ces décisions rappellent malheureusement celle du 29
novembre 2012 par laquelle les 9 sages ont admis la constitutionnalité de la
loi scélérate du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme
journée du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes de la guerre
d’Algérie*.
L’Echo
de l’Oranie
(1) date de la passation des pouvoirs de l’Exécutif provisoire à l’Assemblée
nationale
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