N°313 - Novembre-Décembre 2007

 

Hommage à Nathan André CHOURAQUI

Un grand historien, un généreux humaniste, un pionnier de l'Ïcuménisme vient de nous quitter.

Nathan André Chouraqui, après de longs mois de maladie, s'est éteint le 9 juillet 2007, entouré des siens, de son épouse, de ses enfants et petits-enfants, dans la paix et la sérénité de ceux qui croient, comme à l'a écrit lui-même, que « nos corps sortiront de nos tombes revêtus de lumière. »

Dans la préface de son autobiographie, "L'amour fort comme la mort", il disait dejà : «Ma tombe, je l'espère, se situera sur le Mont des Oliviers», paroles prémonitoires ou vœu pieusement exaucé par sa famille, André Chouraqui repose au Mont des Oliviers, dans ce cimetière que les juifs croyants appellent Beit Ha-Haïm, la Maison des Vivants. La pierre tombale, posée selon la tradition hébraïque, porte cette inscription:

Nathan André Chouraqui
Ain-Témouchent, 11 août 1917
Jérusalem, 9 juillet 2007

Les historiens et les exégètes de la littérature, de l'histoire et de la pensée juive ne manqueront pas de revendiquer un jour, pour la France ou pour Israël, un peu de la gloire qui auréole l'Ïuvre de ce grand penseur.

Dans le concert d'hommages et de louanges qui accompagne sa disparition, I'Echo de l'Oranie se devait, parmi les premiers, de faire entendre une voix, sans doute plus modeste, mais non moins exigeante pour rappeler qu'André Chouraqui, fils dAïn-Témouchent, enfant de notre Algérie, n'a jamais cessé, tout au long de son oeuvre, d'exprimer son amour passionné pour la terre qui l'a vu naître. Pour en convaincre les sceptiques, s'il en est, il suffirait de relire ces quelques lignes:

«J'ai passionnément aimé mon Algérie natale, Ain-Témouchent, son ciel de feu, ses vignobles, sa terre rouge, épaisse, fertide, ses cactus et son azur, ses oliviers et le cri de ses chacals, la nuit, sa mer toute proche, ma Méditerranée, infiniment présente, nourricière. Des heures entières, je nageais dans ses eaux ou m'offrais sur ses plages aux brulures de son soleil. Ses rives, ses genets, la variété de sa faune et de sa flore, ses aurores et ses crépuscules; n'ont cessé d'inspirer et d'exalter mon adolacence. Je ne me suis jamais lassé de ses paysages, comme de sa culture et de ses traditions, celles des peuples qui l'occupèrent dont je lisais l'histoire sur les pierres de nos campagnes »

Que cet hommage, pourtant, que nous voulons rendre à ce grand Oranien, pour l'amour qu'il portait au pays natal, à notre Algérie, ne nous autorise pas à oublier la dimension internationale de cet immense humaniste. Un rapide survol de cette vie qui fut la sienne serait là pour nous la rappeler.

Certes, c'est au cours de son enfànce et de son adolescence algériennes que son goùt pour les études lui avait fait acquérir cette connaissance des langues qui devait faire de lui, comme on a pu le définir, «l'homme des trois mondes. L'hébreu et l'araméen, qui l'introduiront dans l'intimité et la science des textes sacrés; l'arabe, qui sera pour lui un moyen de communication et de compréhension vis à vis du monde musulman qui l'entoure et enfin, le français qu'il perfectionne sur les bancs de ce lycée Lamoricière d'Oran, dont il lira avec plaisir le bulletin des anciens élèves jusqu'à son dernier jour.

C'est peut-être encore au cours de sa toute petite enfanÏ, quand il commençait à balbutier les mots du Talmud-Tora, quand il fréquentait le jardin d'enfants des soeurs salésiennes d'Ain-Témouchent, quand il entendait l'appel du muezzin pour la prière quotidienne, c'est sans doute à ce moment, que naitront les prémices d'une volonté de tolérance et d'Ïcuménisme qui marqueront toute sa vie.

Très vite, cependant, Aïn-Témouchent, puis Oran, ne seront plus qu'un tremplin pour l'étudiant acharné qui mène de front, à Paris, ses études juridiques et ses études hébraïques à la Sorbonne et à l'école rabbinique.

La guerre éclate. Malgré son inscription au barreau d'Oran, il retourne en France et s'engage dans la résistance contre la persécution nazie. C'est dans l'adversité du régime de Vichy qu'il entreprend de découvrir ses racines, d'approfondir son identité juive.

René Cassin, prix Nobel de la paix, devient son ami. André Chouraqui travaille auprès de lui comme délégué permanent de l'Alliance Israélite Universelle, pour laquelle il multiplie ses missions; ses inspections; ses écrits et ses conférences.


Finalement, il s'installe en Israël où le président Ben Gourion met à contribution la sagesse de ses conseils, car ce familier de la Tora, du Pentateuque et du Talmud n'est pas seulement un contemplatif, il est aussi un homme d'action.

ƒlu maire adjoint de la Jérusalem terrestre, il met son sens de la tolérance et de la justice, après la Guerre des Six Jours, à la reconstruction matérielle et morale de la Ville Sainte, où doivent coexister israélites, chrétiens et musulmans.

Homme de foi, il consacre son ceuvre écrite à la réconciliation de tous les enfànts d'Abraham, quel que soit leur culte. Il traduit la Bible et Malraux salue cette Ïuvre comme "une grandiose aventure de l'esprit». Pour se fàire apôtre de la réconciliation entre Israël et les Eglises, il ne ménage ni son temps, ni sa peine. Il vient plusieurs fois à Rome et rencontre tous les papes, de Pie XII à Jean-Paul II Il rédige ses lettres "à un ami Chrétien" comme à "un ami arabe". Les Etats-Unis le saluent comme celui qui semble capable de réunir dans la paix les tenants des trois religions et voient en lui, à l'instar de tous les hommes de bonne volonté de toutes les nations qu'il a visitées, un des plus grands oecuménistes de notre temps.

Et cependant, ni les gratte-ciel de New-York, ni le dôme du Vatican, ni la Grande Mosquée d'Omar, ni les splendeurs des capitales du monde, dont pu fàire oublier à Nathan André qu'il était enfant d'Aïn-Témouchent, de cette petite cite oranienne don't il garde la nostalgie au plus profound de son cÏur, et qu'il a voulu revoir avant le grand depart.

Les Oranais et les Oraniens, les Pieds-Noirs qui souffrent d'une meme nostalgie, qu'ils soient retournés ou non là-bas retrouver la maison de leur naissance, comprendront l'émotion qui anime ces lignes :

«La clé tremble à peine dans ma main quand je l'enfonce dans la serrure de la maison natale, à l'angle du boulevard de la Révolution et de la rue Pasteur, à Aîn-Témmchenit Près d'un quart de siècle j'avaîs révé à cet instant, celui de mon retour au lieu où je suis né et où j'ai vécu toute ma jeunesse. «Tu éclateras en sanglots en revoyant l'Algérie, m'avaient prédit les rares amis au courant de mon projet de voyage : en vérité, les larmes coulent en moi, mais  à l'intérieur Cette clé, mon père me l'avait donnée le jour anniversaire de mes dix ans: "Tu es un homme, voici la clé de ta maison Garde la bien". je la possède encore, c'est même le seul bien matériel que j'ai gardé des siècla d'enracinement de ma famille au Maghreb. La serrure qu'elle ouvrait était restée la même."

Aujourd'hui, c'est avec un immense respect que notre journal et tous les Oraniens avec lui, s'inclinent sur cette tombe toute fraîche du Mont des Oliviers où repose un juste parmi les justes.

Que le chant d'Adon 'Olam qui célèbre Elohim, Seigneur de l'Univers, Créateur du ciel, de la terre et des hommes, l'accompagne dans son éternité.

 

L'Echo de l'Oranie