Hommage
à Nathan André CHOURAQUI
Un grand historien, un généreux
humaniste, un pionnier de l'Ïcuménisme vient de nous
quitter.
Nathan André Chouraqui, après
de longs mois de maladie, s'est éteint le 9 juillet
2007, entouré des siens, de son épouse, de
ses enfants et petits-enfants, dans la paix et la sérénité
de ceux qui croient, comme à l'a écrit lui-même,
que « nos corps sortiront
de nos tombes revêtus de lumière. »
Dans la préface de son autobiographie,
"L'amour fort comme la mort", il disait dejà
: «Ma tombe, je l'espère, se situera sur le
Mont des Oliviers», paroles prémonitoires ou
vu pieusement exaucé par sa famille, André
Chouraqui repose au Mont des Oliviers, dans ce cimetière
que les juifs croyants appellent Beit Ha-Haïm, la Maison
des Vivants. La pierre tombale, posée selon la tradition
hébraïque, porte cette inscription:
Nathan André Chouraqui
Ain-Témouchent, 11 août 1917
Jérusalem, 9 juillet 2007
Les historiens et les exégètes
de la littérature, de l'histoire et de la pensée
juive ne manqueront pas de revendiquer un jour, pour la
France ou pour Israël, un peu de la gloire qui auréole
l'Ïuvre de ce grand penseur.
Dans le concert d'hommages et de louanges
qui accompagne sa disparition, I'Echo de l'Oranie se devait,
parmi les premiers, de faire entendre une voix, sans doute
plus modeste, mais non moins exigeante pour rappeler qu'André
Chouraqui, fils dAïn-Témouchent, enfant de notre
Algérie, n'a jamais cessé, tout au long de
son oeuvre, d'exprimer son amour passionné pour la
terre qui l'a vu naître. Pour en convaincre les sceptiques,
s'il en est, il suffirait de relire ces quelques lignes:
«J'ai passionnément aimé
mon Algérie natale, Ain-Témouchent, son ciel
de feu, ses vignobles, sa terre rouge, épaisse, fertide, ses cactus et son azur, ses oliviers et le
cri de ses chacals, la nuit, sa mer toute proche, ma Méditerranée,
infiniment présente, nourricière. Des heures
entières, je nageais dans ses eaux ou m'offrais sur
ses plages aux brulures de son soleil. Ses rives, ses genets,
la variété de sa faune et de sa flore, ses
aurores et ses crépuscules; n'ont cessé d'inspirer
et d'exalter mon adolacence. Je ne me suis jamais lassé
de ses paysages, comme de sa culture et de ses traditions,
celles des peuples qui l'occupèrent dont je lisais
l'histoire sur les pierres de nos campagnes »
Que cet hommage, pourtant, que nous voulons
rendre à ce grand Oranien, pour l'amour qu'il portait
au pays natal, à notre Algérie, ne nous autorise
pas à oublier la dimension internationale de cet
immense humaniste. Un rapide survol de cette vie qui fut
la sienne serait là pour nous la rappeler.
Certes, c'est au cours de son enfànce
et de son adolescence algériennes que son goùt
pour les études lui avait fait acquérir cette
connaissance des langues qui devait faire de lui, comme
on a pu le définir, «l'homme des trois mondes.
L'hébreu et l'araméen, qui l'introduiront
dans l'intimité et la science des textes sacrés;
l'arabe, qui sera pour lui un moyen de communication et
de compréhension vis à vis du monde musulman
qui l'entoure et enfin, le français qu'il perfectionne
sur les bancs de ce lycée Lamoricière d'Oran,
dont il lira avec plaisir le bulletin des anciens élèves
jusqu'à son dernier jour.
C'est peut-être encore au cours de
sa toute petite enfanÏ, quand il commençait à
balbutier les mots du Talmud-Tora, quand il fréquentait
le jardin d'enfants des soeurs salésiennes d'Ain-Témouchent,
quand il entendait l'appel du muezzin pour la prière
quotidienne, c'est sans doute à ce moment, que naitront
les prémices d'une volonté de tolérance
et d'Ïcuménisme qui marqueront toute sa vie.
Très vite, cependant, Aïn-Témouchent,
puis Oran, ne seront plus qu'un tremplin pour l'étudiant
acharné qui mène de front, à Paris,
ses études juridiques et ses études hébraïques
à la Sorbonne et à l'école rabbinique.
La guerre éclate. Malgré son
inscription au barreau d'Oran, il retourne en France et
s'engage dans la résistance contre la persécution
nazie. C'est dans l'adversité du régime de
Vichy qu'il entreprend de découvrir ses racines,
d'approfondir son identité juive.
René Cassin,
prix Nobel de la paix, devient son ami. André Chouraqui
travaille auprès de lui comme délégué
permanent de l'Alliance Israélite Universelle, pour
laquelle il multiplie ses missions; ses inspections; ses
écrits et ses conférences.
Finalement, il s'installe en Israël
où le président Ben Gourion met à contribution
la sagesse de ses conseils, car ce familier de la Tora,
du Pentateuque et du Talmud n'est pas seulement un contemplatif,
il est aussi un homme d'action.
ƒlu maire adjoint de la Jérusalem
terrestre, il met son sens de la tolérance et de
la justice, après la Guerre des Six Jours, à
la reconstruction matérielle et morale de la Ville
Sainte, où doivent coexister israélites, chrétiens
et musulmans.
Homme de foi, il consacre
son ceuvre écrite à la réconciliation
de tous les enfànts d'Abraham, quel que soit leur
culte. Il traduit la Bible et Malraux salue cette Ïuvre
comme "une grandiose aventure de l'esprit». Pour
se fàire apôtre de la réconciliation
entre Israël et les Eglises, il ne ménage ni
son temps, ni sa peine. Il vient plusieurs fois à Rome et rencontre tous les papes, de Pie XII
à Jean-Paul II Il rédige ses lettres "à
un ami Chrétien" comme à "un ami arabe". Les
Etats-Unis le saluent comme celui qui semble capable de
réunir dans la paix les tenants des trois religions
et voient en lui, à l'instar de tous les hommes de
bonne volonté de toutes les nations qu'il a visitées,
un des plus grands oecuménistes de notre temps.
Et cependant, ni les gratte-ciel de New-York,
ni le dôme du Vatican, ni la Grande Mosquée
d'Omar, ni les splendeurs des capitales du monde, dont pu
fàire oublier à Nathan André qu'il
était enfant d'Aïn-Témouchent, de cette
petite cite oranienne don't il garde la nostalgie au plus
profound de son cÏur, et qu'il a voulu revoir avant le grand
depart.
Les Oranais et les Oraniens, les Pieds-Noirs
qui souffrent d'une meme nostalgie, qu'ils soient retournés
ou non là-bas retrouver la maison de leur naissance,
comprendront l'émotion qui anime ces lignes :
«La clé tremble à
peine dans ma main quand je l'enfonce dans la serrure de
la maison natale, à l'angle du boulevard de la Révolution
et de la rue Pasteur, à Aîn-Témmchenit
Près d'un quart de siècle j'avaîs révé
à cet instant, celui de mon retour
au lieu où je suis né et où j'ai vécu
toute ma jeunesse. «Tu éclateras en sanglots
en revoyant l'Algérie, m'avaient prédit les
rares amis au courant de mon projet de voyage : en vérité,
les larmes coulent en moi, mais à l'intérieur
Cette clé, mon père me l'avait donnée
le jour anniversaire de mes dix ans: "Tu es un homme, voici
la clé de ta maison Garde la bien". je la possède
encore, c'est même le seul bien matériel que
j'ai gardé des siècla d'enracinement de ma
famille au Maghreb. La serrure qu'elle ouvrait était
restée la même."
Aujourd'hui, c'est
avec un immense respect que notre journal et tous les Oraniens
avec lui, s'inclinent sur cette tombe toute fraîche
du Mont des Oliviers où repose un juste parmi les
justes.
Que le chant d'Adon 'Olam qui célèbre
Elohim, Seigneur de l'Univers, Créateur du ciel,
de la terre et des hommes, l'accompagne dans son éternité.