« Mais qu'est-ce que vous avez donc,
vous, les Pieds Noirs, et avec vous, les Harkis, à
toujours pleurer, à toujours revendiquer, alors que
vous êtes installés en France, depuis maintenant
près d'un demi-siècle?...»
Ainsi parle hélas trop souvent notre
voisin qui pourtant nous porte une certaine sympathie. Et
c'est précisément parce qu'il nous porte une
certaine sympathie qu'il s'adresse à nous sans langue
de bois, qu'il révèle inconsciemment toute
la mesure de l'incompréhension que rencontrent dans
l'Hexagonc, les Français d'Algérie.
Pour lui répondre, il faudrait d'abord
être clair sur le vocabulaire utilisé : nous
ne sommes pas venus nous "installer" en France, même
si c'est ce que font aujourd'hui, quotidiennement, des dizaines
et des dizaines d'émigrés clandestins. Nous
"vivions" en France, dans des villes et des départements
de la République Française, soi-disant "une
et indivisible" et nous en avons été chassés
devant l'odieuse alternative de "la valise ou le cercueil".
Quel est le Français de l'Hexagone
qui, se voyant contraint - hypothèse surréaliste,
sauf pour un certain général et ses godillots
- contraint donc de renfermer toute une vie de travail,
de projets, d'épargne et de sacrifices, de privations
et d'abondances, d'échecs et de réussites,
dans une simple valise, ne se sentirait pas bafoué,
humilié, escroqué, volé et pillé
jusqu'à la moelle, et dans les conditions les plus
abjectes ?
Quel est le Français de métropole
qui ne se sentirait pas autorisé à clamer
son indignation, à cor et à cri, et à
manifester violemment pour obtenir ne serait-ce qu'un injuste
semblant de réparations ? Quand on voit l'ampleur
et la violence que prennent, dans les villes de l'Hexagone,
les revendications qui "descendent dans la rue"
pour la conservation du moindre privilège, on peut
aisément imaginer quelle aurait été
la réaction du "gentil petit métropolitain",
si raisonnable.
L'Echo de l'Oranie n'a nas la prétention comme serait
susceptible de faire n'importe qu'elle organization syndicale,
de preparer une descente dans la rue, ni l'intention de
regretter un mouvement de révolte qui n'a jamais
eu lieu : il voudrait seulement éclairer les idées
de ses compatriots "français", les tirer de leur
méconnaissance des faits tels qu'ils se sont produits,
et en même temps Ð ce qui n'est pas toujours inutile
Ð rafraîchir la mémoire de ses compatriotes
Pieds-Noirs ; il voudrait seulement répondre
à tous ceux qui trouvent qu'il est encore des Pieds-Noirs
qui pleurent et qui réclament sans cesse.
Il veut simplement rappeler pour justifier
ces "pleurs" et ces "réclamations",
tout ce que la France, notre mère patrie, n'a pas
"remboursé" de ce qu'elle nous doit très
légitimement.
Et lorsque l'Echo parle
de notre droit légitime, ce n'est pas seulement lui
qui s'exprime. Georges Vedel, le grand spécialiste
du droit français, n'a-t-il pas affirmé :
« il existe incontestablement un droit des Français
d'Algérie ayant subi des pertes ou des spoliations
à l'indemnisation directe de celles-ci par l'État
français... S'agissant d'une obligation juridique
de réparation et non de secours ou de mesures de
bienveillance, le quantum de la réparation est mesuré
par l'équivalence économique de la perte subie.
»
Ce point de la légitimité de
la "reparation" étant acquis, passons en revue tout
ce qui nous est dû, et sur le plan moral et sur le
plan matériel.
Sur le plan moral, la fin du refus de reconnaître
la responsabilité pleine et entière du gouvernement
de l'époque dans l'abandon de dix-sept départements
français. La fin du refus d'admettre la lourde responsabilité
du ou des dirigeants français dans les tragédies
qui ont précédé cet: abandon et notamment
pour les journées dramatiques du 26 mars à
Alger, où il a été permis à
certains éléments de l'armée de tirer
sur une foule désarmée et impuissante, et
du 5 juillet, où un chef militaire, à la tête
de vingt mille hommes, mais aussi à la botte de celui
qui dirigeait la France, a froidement laissé se perpétrer
l'assassinat de plusieurs milliers d'Oranais sous les yeux
de soldats interdits d'intervention. De Gaulle n'avait-il pas écrit : « Si ces gens se massacrent,
ce sera l'affaire des autorités algériennes
»... Ponce Pilate ou Machiavel ?
La fin des lenteurs, pour ne pas dire de
l'indifférence des autorités, quant aux enquêtes
à mener sur les disparitions et les assassinats des
personnes civiles, sur les enlèvements massifs et
les massacres d'Européens et de Harkis, qui se produisaient
quotidiennement, notamment après le 19 mars, que
certains, parmi lesquels un secrétaire d'État
récemment nommé, auraient voulu nous imposer
comme date de la fin de la guerre d'Algérie. Faut-il
rappeler encore l'absence de soutiens psychologiques, tellement
à l'ordre du jour aujourd'hui, et l'absence d'aide
matérielle ou financière aux femmes et aux
enfants don't le chef de famille avait disparu.
La fin du politiquement correct et des calumnies
qui vont de la declaration de Sartre affirmant que «
lorsque un européen est abattu, c'était un
opprimé qui naissait à la liberté.
»; jusqu'à la campagne de dénigrement
systématique de l'Ïuvre colonisatrice accomplie par
la France, campgne entammée par les politiciens et
relayée par les manuels scolaires "bien pensants"
qui ne parlent que de l'exploitation brutale et inhumaine
des populations locales.
La fin des tracasseries administratives et
des humiliations faites à tout Français d'Algérie,
né en territoire français, d'avoir à
apporter la preuve de sa nationalité et d'avoir à
la demander à Nantes à des services dépendants
des Affaires étrangères.
Le droit pour les Harkis qui ont combattu
à nos côtés, et qui ont payé
lourdement le tribut du sang versé, de circuler librement
entre la France et l'Algérie, comme les combattants
du FLN ont le droit de circuler entre l'Algérie et
la France.
Le droit pour les Harkis de souche européenne
- il y en avait - engagés dam des unités supplétives,
de ne pas être exclus des mesures prises ou pour les
combattants européens, ou pour les combattants musulmans.
Après toutes ces revendications sur
le plan moral - et la liste est loin d'être exhaustive
- il semblerait que les demandes sur le plan matériel
soient dérisoires.
Alors, nous nous bornerons à réclamer
comme une juste reconnaissance de dette, l'indernaisation
des biens spoliés ou perdus.
La valise que
nous avons ramenée ne pouvait contenir grand chose.
Les biens mobiliers et immobiliers que chacun d'entre nous
a laissés là-bas, représentent un capital,
que nous laisserons aux experts le soin de chiffrer mais
qui n'a jamais été remis dans son intégralité,
à l'immense majorité du peuple Pieds-Noirs
pour "s'installer" et rebâtir une vie digne et
courageuse dans l'Hexagone.
Ainsi, à tous ceux qui nous reprochent
de répéter et de répéter sans
cesse nos récriminations, de parler encore et encore
du pays perdu, rappellerons-nous deux citations offertes
par le CLAIR (Comité de Liaison des Associations
Indépendantes et Revendicatives de Rapatriés).
La première est du Bachaga Boualem
: « Montrer aux Français d'aujourd'hui qui l'ignorent. à ceux de
demain qui pourraient ne pas le lire dans les manuels d'histoire,
l'Algérie telle qu'ell fut, telle qu'elle était
hier, celle que ses Pieds-Noirs ont bàtie sans contrainte,
avec des erreurs parfois, des retouches souvent, mais avec
amour dans la fraternisation »
La seconde, du grand officier que fut Hélie
de Saint Marc
«
C'est la dernière responsabilité qui nous
incombe : éviter que nos enfants aient un jour les
dents gàtées par les raisins verts de l'oubli. Ecrire et raconter inlassablement,
non pour juger mais pour expliquer. Ouvrir la porte à
ceux qui cherchent une trace du passé et qui refusent
le silence, repiquer chaque matin le riz de nos souvenirs...
Ne pas lâcher prise. jamais, pour celui qui est demeuré
dans le Bien et dont l'amour est resté là-bas
dans une colline de l 'Alma... »