N°317 Juillet-Août 2008

« Oublier c'est commencer à mourir » François Fillon

Le 24 avril dernier, dans toutes les villes de France où elle se trouve implantée, la communauté arménienne commémorait les massacres du 24 avril 1915. Ce jour-là, et les jours qui suivirent la soldatesque ottomane et le parti des jeunes Turcs assassinèrent un million et demi d'arméniens.œ

Pourquoi rappeler ici, cette sombre page de l'histoire ?... Parce que, inévitablement, pour nous Pieds-Noirs, d'autres commémorations viennent s'imposer à nos esprits : la fusillade du 26 mars à Alger, le massacre du 5 juillet à Oran.

Certes, il n'est pas dans nos intentions de vouloir comparer le génocide arménien, avec ses centaines de milliers de morts, aux crimes de même nature perpétrés en Algérie.

Non ! Bien sûr ! Encore que, au-delà du quantitatif, pour les parents, les frères, les sœurs, les amis de ceux qui sont tombés sur la Place de la Grande Porte à Alger, de ceux qui ont été assassinés, sans pitié, dans les rues d'Oran, de ceux qui ont été enlevés et ont disparu à jamais, la dimension de leur drame humain soit le même.

Mais, ce que l'Écho de l'Oranie voudrait souligner, c'est la différence, l'immense différence, qui existe dans la façon de traiter la commémoration de ces douloureux évènements.

Prenons l'exemple de ce qui se passe à Nice le 26 mars et le 5 juillet de chaque année. Un groupe de vieux, de très vieux algérianistes se forme pour déposer une gerbe, écouter un discours et se recueillir devant un monument niçois qui joue le rôle de symbole du souvenir de la guerre d'Algérie. Ensuite, constitués en cortège - et à chaque rencontre, on peut constater que le groupe s'amenuise - les « anciens » vont jusqu'à l'église de Saint Pierre d'Arène, où deux prêtres, nés en Algérie, célèbrent la messe du souvenir.

Le monde politique "urbain" délègue l'adjointe aux rapatriés, rapatriée elle-même. Quant à la représentation du gouvernement, elle brille par son absence. A moins que l'on considère comme une délégation du Ministère de l'Intèrieur, la présence de quelques policiers qui assurent un service d'ordre débonnaire, compréhensif et bienveillant. Ils savent trop bien que les Pieds-Noirs qui sont là, ne vont pas manifester comme on le fait aujourd'hui. Pour ce qui est de la violence subie, ils ont déjà payé !

Jetons un œil, maintenant, sur la commémoration du génocide arménien et sur la présence de ceux qui tenaient à figurer dans le cortège.

En tête, outre la participation tout à fait normale de personnalités arméniennes, on pouvait remarquer le député maire de la ville, président du Conseil général, trois autres députés de la République, le vice-président du Conseil régional, cinq conseillers généraux, toutes tendances politiques confondues, deux adjoints au maire, quatre conseillers municipaux, des maires des communes voisines et pour marquer la présence de l'Etat, un sous-préfet, représentant le préfet du département. Enfin, le monde religieux était là lui aussi : les prêtres de l'Eglise arménienne, mais aussi les membres des confessions juive, orthodoxe, catholique et protestante.

Répétons-le. Aucune prétention chez nous à vouloir comparer le génocide arménien - 1 500 000 martyrs méthodiquement et froidement abattus - aux sanglants assassinats de nos compatriotes.

Mais, devant le nombre sans cesse diminué de ceux qui, chez nous, veulent encore se souvenir et rendre hommage, force est de constater que le « politiquement correct », la falsification de l'Histoire, la désinformation systématique, ont été, de façon incontestable, les causes profondes de l'indigence des cortèges pieds-noirs.

Qui voudrait s'associer aujourd'hui à "ces colons qui ont fait suer le burnous" ?

Cependant, tout en nous efforçant de surmonter notre amertume, balayons, nous aussi, devant notre porte.

Ce qui nous a frappé et qui, avouons-le a provoqué notre envie, dans cette commémoration célébrée par la Communauté arménienne à laquelle nous exprimons notre sympathie, ce n'est pas la présence des personnalités civiles et religieusesÉ Non, ce n'est  pas "l'accompagnement" officiel de la cérémonie, mais la présence d'enfantsÉ de nombreux enfants d'origine arménienne.

Laissons la parole au journaliste : "Des poussettes, des enfants perchés sur les épaules de leurs parents, d'autres serrant des bouquets, des jeunes déployant des banderolesÉ"

Regardons maintenant la photo que le journal a consacré à l'évènement : des garçons en habits du dimanche, des filles aux cheveux sagement nattés, émus devant une plaque de marbre, et derrière eux, de jeunes parents, hommes et femmes recueillis, marquant le lien entre les générations d'anciens, très proches du drame, et ceux qui représentent l'avenir.

Chez nous, combien de nos enfants viennent se recueillir au pied d'une stèle pour honorer le souvenir de nos morts d'Algérie ? Combien de nos adolescents ont le souci de venir déposer ne serait-ce qu'une rose, comme le font les adolescents de la communauté arménienne ? Combien de nos jeunes adultes s'expriment comme l'a fait Marine Gyulumyan : "tout jeune Arménien doit perpétrer la mémoire et le souvenir de ces tristes évènements. C'est un devoir de mémoire que nous devons accomplir, car si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour nousÉ C'est très dur de vivre avec cette douleur de tout un peuple dans nos cœurs, mais il ne nous est pas possible d'oublier ".

Devant cette carence des générations de l'avenir chez nous, ne fuyons pas nos responsabilités. Au-delà des anecdotes d'humour pied-noir, au-delà d'un certain folklore, au-delà des expressions de là-bas, entretenues dans l'intimité des familles, ouvrons nos yeux de grands-parents, car nous ne sommes plus qu'une génération de grands-parents.

Combien de grand-pères et de grand-mères se font accompagner de leurs petits-enfants et associent leurs propres enfants aux cérémonies du souvenir ?

Et là, la persistance des mensonges des milieux intellectuels de gauche - pardonnez le pléonasme - sur l'Histoire de l'Algérie Française, l'excuse du "black-out" maintenu par le "politiquement correct", sont certainement des arguments réels, mais ils ne suffisent pas à expliquer ce désintérêt de nos jeunes. Au sein de nos foyers, aucune censure des médias ne saurait intervenir.

Alors ? É

Alors, il est grand temps de réagir. Enterrons nos divergences internes. Bannissons les "chicayas" entre nos différentes associations (ce mot, appris là-bas est malheureusement devenu la ligne de conduite de trop de Pieds-Noirs).

De grâce, cessons nos querelles de personnesÉ Et consacrons nos efforts, tous nos efforts, à former, à forger, une jeunesse capable de prendre le relais dans le souvenir, dans la mémoire, dans la gloire de tout ce que nous avons vécu.

Pour une fois - une fois n'est pas coutume - nous avons pris pour titre de cet éditorial, une citation du Chef du gouvernement : "Oublier, c'est commencer à mourir".

Eh bien ! Pour que ne meurent jamais l'image de l'Algérie Française, l'Histoire de ceux qui l'ont bâtie, la légende de tout ce qui fut notre passé, tout en lui enviant l'exemple qu'elle nous donne, imitons la communauté arménienneÉPlus de quatre-vingt dix ans après, elle se souvient encore et toujours de l'inoubliableÉ

Dans quatre-vingt dix ans, que restera-t-il de notre merveilleuse et douloureuse aventure en terre algérienne ?

L'Echo de l'Oranie