Le 24 avril dernier, dans
toutes les villes de France où elle se trouve implantée,
la communauté arménienne commémorait
les massacres du 24 avril 1915. Ce jour-là, et
les jours qui suivirent la soldatesque ottomane et le
parti des jeunes Turcs assassinèrent un million
et demi d'arméniens.
Pourquoi rappeler ici,
cette sombre page de l'histoire ?... Parce que,
inévitablement, pour nous Pieds-Noirs, d'autres commémorations
viennent s'imposer à nos esprits : la fusillade
du 26 mars à Alger, le massacre du 5 juillet à Oran.
Certes, il n'est pas dans
nos intentions de vouloir comparer le génocide arménien,
avec ses centaines de milliers de morts, aux crimes
de même nature perpétrés en Algérie.
Non ! Bien sûr !
Encore que, au-delà du quantitatif, pour les parents,
les frères, les surs, les amis de ceux qui sont tombés
sur la Place de la Grande Porte à Alger, de ceux qui
ont été assassinés, sans pitié, dans les rues d'Oran,
de ceux qui ont été enlevés et ont disparu à jamais,
la dimension de leur drame humain soit le même.
Mais, ce que l'Écho de
l'Oranie voudrait souligner, c'est la différence,
l'immense différence, qui existe dans la façon de
traiter la commémoration de ces douloureux évènements.
Prenons l'exemple de ce
qui se passe à Nice le 26 mars et le 5 juillet de
chaque année. Un groupe de vieux, de très vieux algérianistes
se forme pour déposer une gerbe, écouter un discours
et se recueillir devant un monument niçois qui joue
le rôle de symbole du souvenir de la guerre d'Algérie.
Ensuite, constitués en cortège - et à chaque rencontre,
on peut constater que le groupe s'amenuise - les « anciens »
vont jusqu'à l'église de Saint Pierre d'Arène, où
deux prêtres, nés en Algérie, célèbrent la messe du
souvenir.
Le monde politique "urbain"
délègue l'adjointe aux rapatriés, rapatriée elle-même.
Quant à la représentation du gouvernement, elle brille
par son absence. A moins que l'on considère comme
une délégation du Ministère de l'Intèrieur, la présence
de quelques policiers qui assurent un service d'ordre
débonnaire, compréhensif et bienveillant. Ils savent
trop bien que les Pieds-Noirs qui sont là, ne vont
pas manifester comme on le fait aujourd'hui. Pour
ce qui est de la violence subie, ils ont déjà payé !
Jetons un il, maintenant,
sur la commémoration du génocide arménien et sur la
présence de ceux qui tenaient à figurer dans le cortège.
En tête, outre la participation
tout à fait normale de personnalités arméniennes,
on pouvait remarquer le député maire de la ville,
président du Conseil général, trois autres députés
de la République, le vice-président du Conseil régional,
cinq conseillers généraux, toutes tendances politiques
confondues, deux adjoints au maire, quatre conseillers
municipaux, des maires des communes voisines et pour
marquer la présence de l'Etat, un sous-préfet, représentant
le préfet du département. Enfin, le monde religieux
était là lui aussi : les prêtres de l'Eglise
arménienne, mais aussi les membres des confessions
juive, orthodoxe, catholique et protestante.
Répétons-le. Aucune prétention
chez nous à vouloir comparer le génocide arménien
- 1 500 000 martyrs méthodiquement et froidement
abattus - aux sanglants assassinats de nos compatriotes.
Mais, devant le nombre
sans cesse diminué de ceux qui, chez nous, veulent
encore se souvenir et rendre hommage, force est de
constater que le « politiquement correct »,
la falsification de l'Histoire, la désinformation
systématique, ont été, de façon incontestable, les
causes profondes de l'indigence des cortèges pieds-noirs.
Qui voudrait s'associer
aujourd'hui à "ces colons qui ont fait suer le burnous" ?
Cependant, tout en nous
efforçant de surmonter notre amertume, balayons, nous
aussi, devant notre porte.
Ce qui nous a frappé et
qui, avouons-le a provoqué notre envie, dans cette
commémoration célébrée par la Communauté arménienne
à laquelle nous exprimons notre sympathie, ce n'est
pas la présence des personnalités civiles et religieusesÉ
Non, ce n'est pas "l'accompagnement" officiel
de la cérémonie, mais la présence d'enfantsÉ de nombreux
enfants d'origine arménienne.
Laissons la parole au
journaliste : "Des poussettes, des enfants perchés
sur les épaules de leurs parents, d'autres serrant
des bouquets, des jeunes déployant des banderolesÉ"
Regardons maintenant la
photo que le journal a consacré à l'évènement :
des garçons en habits du dimanche, des filles aux
cheveux sagement nattés, émus devant une plaque de
marbre, et derrière eux, de jeunes parents, hommes
et femmes recueillis, marquant le lien entre les générations
d'anciens, très proches du drame, et ceux qui représentent
l'avenir.
Chez nous, combien de
nos enfants viennent se recueillir au pied d'une stèle
pour honorer le souvenir de nos morts d'Algérie ?
Combien de nos adolescents ont le souci de venir déposer
ne serait-ce qu'une rose, comme le font les adolescents
de la communauté arménienne ? Combien de nos
jeunes adultes s'expriment comme l'a fait Marine Gyulumyan :
"tout jeune Arménien doit perpétrer la mémoire et
le souvenir de ces tristes évènements. C'est un devoir
de mémoire que nous devons accomplir, car si nous
ne le faisons pas, personne ne le fera pour nousÉ
C'est très dur de vivre avec cette douleur de tout
un peuple dans nos curs, mais il ne nous est pas
possible d'oublier ".
Devant cette carence des
générations de l'avenir chez nous, ne fuyons pas nos
responsabilités. Au-delà des anecdotes d'humour pied-noir,
au-delà d'un certain folklore, au-delà des expressions
de là-bas, entretenues dans l'intimité des familles,
ouvrons nos yeux de grands-parents, car nous ne sommes
plus qu'une génération de grands-parents.
Combien de grand-pères
et de grand-mères se font accompagner de leurs petits-enfants
et associent leurs propres enfants aux cérémonies
du souvenir ?
Et là, la persistance
des mensonges des milieux intellectuels de gauche
- pardonnez le pléonasme - sur l'Histoire de l'Algérie
Française, l'excuse du "black-out" maintenu par le
"politiquement correct", sont certainement des arguments
réels, mais ils ne suffisent pas à expliquer ce désintérêt
de nos jeunes. Au sein de nos foyers, aucune censure
des médias ne saurait intervenir.
Alors ? É
Alors, il est grand temps
de réagir. Enterrons nos divergences internes. Bannissons
les "chicayas" entre nos différentes associations
(ce mot, appris là-bas est malheureusement devenu
la ligne de conduite de trop de Pieds-Noirs).
De grâce, cessons nos
querelles de personnesÉ Et consacrons nos efforts,
tous nos efforts, à former, à forger, une jeunesse
capable de prendre le relais dans le souvenir, dans
la mémoire, dans la gloire de tout ce que nous avons
vécu.
Pour une fois - une fois
n'est pas coutume - nous avons pris pour titre de
cet éditorial, une citation du Chef du gouvernement :
"Oublier, c'est commencer à mourir".
Eh bien ! Pour que
ne meurent jamais l'image de l'Algérie Française,
l'Histoire de ceux qui l'ont bâtie, la légende de
tout ce qui fut notre passé, tout en lui enviant l'exemple
qu'elle nous donne, imitons la communauté arménienneÉPlus
de quatre-vingt dix ans après, elle se souvient encore
et toujours de l'inoubliableÉ
Dans quatre-vingt dix
ans, que restera-t-il de notre merveilleuse et douloureuse
aventure en terre algérienne ?
L'Echo de l'Oranie