2003 - Ça commence ... ou plutôt ça continue...

 

 

Auto célébration d'un anticolonialiste primaire.

Le 13 janvier 2003, la revue l’Histoire a organisé au Forum des Halles une projection privée du film d’Hervé Bourges et Alain Ferrari: Un parcours algérien - Naissance d'une nation (1956-1962). A cette séance assistaient des journalistes français entourant Michèle Cotta, des représentants de l'ambassade d'Algérie en France, des Algériens résidant à Paris, des porteurs de valises et quelques historiens parmi lesquels Guy Pervillé, chargé de mener les débats, Maurice Vaisse et Bruno Etienne.

Le double titre du film indique bien quel est son objet : il s'agit de glorifier les nationalistes algériens, et surtout, à travers eux, celui qui leur apporta un actif soutien. En 1962, alors qu’un million d’Européens devaient fuir l’Algérie, que l’armée française rembarquait, que les malheureux harkis, abandonnés et désarmés, étaient laissés sur place où ils se faisaient bientôt massacrer, en sens inverse, Hervé Bourges venait à Alger offrir ses services. Lorsque Ahmed Ben Bella écarta les signataires des accords d’Évian et s’empara du pouvoir, notre héros devint son conseiller à la présidence de la République. Cette collaboration dura jusqu’à ce qu’à ce qu’en 1965, un nouveau coup d’État militaire chasse à son tour Ahmed Ben Bella. Dans Mémoire d’éléphant, Hervé Bourges a décrit comment il fut alors arrêté et torturé avant d’être libéré grâce à diverses interventions françaises. On était en 1966. Il réintégra alors la France.

Aujourd’hui, il se présente comme l’homme qui ne s'est jamais trompé, l’homme qui ne regrette rien.

Les témoins appelés à la barre participent à cette auto célébration.

En premier, se présentent les héros du FLN : Ben Bella, Boumaza et Ali Haroun (le chef de la Fédération FLN de France). Ils font valoir l'aide efficace qu’apporta le héros du film aux prisonniers membres du FLN. A l’époque il n’était encore que conseiller du Garde des Sceaux Edmond Michelet. Dans le film, sa complaisance envers le FLN reçoit la caution de Pierre Messmer qui vient candidement dire que si lui refusait les grâces des condamnés à mort, en revanche Edmond Michelet les acceptait toutes.

Suivent d’autres témoignages d’admiration : l’avocat Vergès, défenseur des inculpés du FLN, souligne son habileté juridique, le journaliste Duquesne, exprime son enthousiasme pour l’homme qui monta Antigone dans les ruines de Djemila etc

Ce film devrait, nous dit-on, être diffusé en février par Antenne 2 et FR5.

S’il se limitait à l’auto célébration d'un idéologue, il laisserait l'opinion indifférente. Mais il présente la guerre d'Algérie de façon partisane et s’acharne contre l'armée française. Celle-ci n'aurait fait que réprimer et torturer. Les lieux de torture sont d’ailleurs longuement visités : la villa Susini, la villa des Roses, le centre d’interrogatoire de Sétif. Après le départ de l’armée française, leurs instruments rudimentaires, potences et baignoires fangeuses, sont curieusement restés en place et ont été miraculeusement conservés. Madame Halimi décrit avec force détails les tortures auxquelles aurait été soumise l’une de ses clientes, alors qu'on sait maintenant, par les archives de la Commission de Sauvegarde, que les accusations portées bien tardivement par cette plaignante sont non seulement douteuses, mais mises à mal par trois rapports médicaux successifs établis par cinq professeurs, dont l'éminent Jean-Louis Funck-Brentano, lesquels écrivent n’avoir observé aucune trace de violence corroborant ses dires.

A côté de ces longues séquences sur la torture, le film présente comme vérités historiques quelques mensonges qui deviennent lassants à force d’avoir été trop souvent ressassés et démentis:

- le prétendu génocide, en mai 1945, de 45.000 Algériens, une légende persistante. Rappelons que le 8 mai 1945, jour de l’armistice mettant fin à la seconde Guerre mondiale, et alors que tous les Européens d’Afrique du Nord en âge de porter les armes avaient franchi le Rhin dans les rangs de la 1ère Armée française et de la 2ème DB, une émeute éclata à Sétif et dans une partie du Constantinois. Le Maire de Sétif, Deluca, " un ami des Arabes " écrira plus tard Ferhat Abbas dans Autopsie d’une guerre (édition Garnier), fut massacré ainsi que quelques dizaines d’autres Européens. La répression qui suivit fut sévère mais elle ne dura que quelques jours.

Dans un pays montagneux dont la population rurale est dispersée dans de multiples vallées comme l’est celle de Kabylie, il est impossible, en un laps de temps aussi court, et quels que soient les moyens utilisés (or, sur place, à l’époque, ils étaient particulièrement maigres), de tuer 45.000 personnes. Le bilan des adversaires tués en huit longues années de guerre, de 1954 à 1962, par toute l’armée française, cette fois puissamment équipée d’hélicoptères, d’avions, de blindés et d’artillerie, est de 150.000.

Comment les rares unités restées stationnées en Algérie en mai 1945 auraient-elles pu, en quelques jours, tuer 45.000 personnes ? Des historiens sérieux, le professeur Jeauffret, le professeur Ageron, se sont penchés sur ce douloureux épisode. Les pertes auxquelles ils aboutissent, et qu’il faut certes déplorer comme toutes les pertes, sont incomparablement moindres.

Que cherche l’auteur du film en reprenant cette accusation à laquelle plus personne ne croit ? Le chef du gouvernement d’alors était le général De Gaulle. Veut-il soutenir que ce dernier aurait ordonné un génocide ?

- le massacre de 200 manifestants le 17 octobre 1961 à Paris. Ce massacre a été démenti par l'historien JP Brunet, professeur à l’École normale supérieure,

- l’adhésion unanime du peuple algérien à la Révolution. Cette thèse nie l’existence d’un parti français dans la population autochtone. Pourtant ce parti a été capable de lever plus de 300.000 combattants : harkis, moghaznis, engagés volontaires dans les unités régulières etc, qui tous ont joué un rôle essentiel dans la guerre,

- les sévices exercés dans les prisons : ils ont été contredits par la Commission de Sauvegarde des droits et liberté.

S’il s’attarde ainsi complaisamment sur des faits pour le moins controversés, le film de M. Bourges passe en revanche totalement sous silence quelques réalités pourtant bien visibles de la guerre d’Algérie:

- aucune image sur le terrorisme FLN qui, en 1956-57, tuait environ 300 musulmans et 50 européens chaque mois, sans compter ceux qu’il se contentait de mutiler ; rien non plus sur les supplices infligés aux djounouds suspectés de trahison ; rien surtout, nous y reviendrons, sur les horreurs infligées à des dizaines de milliers de harkis après l’indépendance,

- rien sur les massacres d’El Halia, sur la chasse aux messalistes, sur la terreur que faisait régner le sinistre Amirouche, sur ces villages dont la population musulmane tout entière, hommes, femmes, enfants, vieillards, a été assassinée pour n’avoir pas été assez docile ; rien sur l'égorgement d'une douzaine de subordonnés de l'aspirant Benchérif lors de la désertion de celui-ci en janvier 1957,

- rien sur l'enlèvement, après 19 mars 1962, date du cessez-le-feu, de 3.000 Européens, ni sur le massacre de ceux d’Oran, le 5 juillet de la même année,

- aucune allusion à la xénophobie d’un autre âge des dirigeants du FLN, qui instituèrent en 1963 un code raciste de la nationalité et imposèrent quelques années plus tard un code de la famille moyenâgeux.

Les aspects positifs de la présence de l’armée française, son action éducative et humanitaire, sont totalement occultés. Elle a pourtant fourni :

- 2.000 instituteurs supplémentaires, tandis que, pour sa part, le FLN brûlait les écoles ou même, parfois, crucifiait leurs institutrices sur la porte de leurs classes,
- 340 EMSI, à la fois infirmières, éducatrices et assistantes sociales, pour moitié musulmanes, qui créèrent notamment 300 Cercles féminins,
- 700 officiers SAS qui se substituèrent dans le bled à des services publics souvent notoirement insuffisants et gérèrent des centaines de communautés rurales, y faisant régner la sécurité et la concorde,
- 4.800 moniteurs qui animèrent 300 foyers de jeunes et 700 foyers sportifs etc.

Motus sur les réformes introduites par le Président Patin et par la commission Gerthoffer en vue de rapprocher la Justice du terrain et de réduire au strict minimum, notamment par la création de quatorze tribunaux supplémentaires, les dérapages auxquels donne inévitablement lieu toute guerre.

Complet mutisme sur les enjeux humains de ce dramatique conflit. Quel devait être le sort de ces Européens que la France avait attirés ou transportés (le terme déporté n’avait pas encore été forgé) quatre ou cinq générations auparavant ? Ils s’étaient battus pour elle dans toutes les guerres (Douaumont, les Dardanelles, Cassino, la prise de Toulon, la bataille d’Alsace etc). D’avril 1943 à mai 1945, 20.000 d’entre eux avaient été tués au combat contre les Allemands, pertes égales, pour une population cinquante fois moindre, à celles subies par l’armée française toute entière durant les huit années de la guerre en Algérie. Les nationalistes extrémistes ne leurs offraient pour toute alternative que la valise ou le cercueil. Le temps n’était-il pas venu de manifester une certaine solidarité nationale envers ces Français dont l’existence même était menacée ?

Que dire enfin du sort des Français-musulmans ayant pris parti pour une évolution de l’Algérie en communion avec la France ? Apparemment, Hervé Bourges ne semble pas avoir eu connaissance de ce qu’il est advenu de ces malheureux tandis qu’il prodiguait ses conseils à la présidence algérienne.

Lors du débat qui a suivi la présentation du film, l'historien Guy Pervillé, chargé de l’arbitrer, a évité avec sa courtoisie habituelle de critiquer trop frontalement ses auteurs. Il a pourtant estimé qu' " un film différent aurait donné une autre image de la guerre d'Algérie ". Il a également rappelé qu'il y eut quatre fois plus de musulmans en armes dans le camp français que du côté du FLN, et que ce dernier a tué bien davantage de civils (européens et musulmans) que de soldats français.

J’ai réussi à prendre la parole : " Je suis Officier. J’étais en Algérie.

Si j'en crois les auteurs du film, ai-je déclaré, j'ai torturé des Algériens pendant cinq ans. Pourtant, depuis 20 ans, je travaille à faire surgir la vérité. Non pas celle qui cherche à s’imposer par des images fabriquées après coup, mais celle de l’historien (que je suis également), cette vérité qui s’appuie sur les preuves qu’on trouve notamment dans les archives, ces archives que je fouille régulièrement depuis vingt ans, et que je publie dès que j’en découvre d’inédites ".

Soulignant les non-dits et les contre-vérités de cette histoire partisane, j’ai alors posé la question du but poursuivi. " Ne serait-il pas de promouvoir la repentance unilatérale de la France, au risque d’écœurer les milliers de combattants qui ont fait leur devoir, et de conforter les sentiments anti-français d’une partie des immigrés ? " Cette hypothèse a soulevé quelques mouvements de protestation. Pourtant, en souhaitant " que la France reconnaisse ses crimes contre l'humanité ", l’un des intervenants algériens lui a conféré un certain crédit.

Dans ses réponses aux questions, Hervé Bourges s'est surpassé dans l’auto satisfaction. Que ses actes se soient situés durant la guerre d’Algérie ou qu’ils aient été postérieurs (il a longuement insisté sur son rôle au sein du gouvernement algérien et la deuxième partie du film concernera les années 1962 à 1965), il ne se décerne que des éloges.

Il ne semble pas s'être aperçu qu'en ralliant dès 1962 l’aile la plus dure du nationalisme algérien, il cautionnait une division de l'Algérie qui dure encore. Ni qu’il prenait ainsi parti en faveur de l'avènement d'un régime de dictature militaire arabo-musulmane, source de corruption et d’appauvrissement économique et culturel, dont la réforme, quarante ans après, n’est encore que timidement amorcée.

Il n'a pas davantage pris conscience du fait qu'en diffusant un film aussi partial et aussi engagé, il contrevient à la neutralité qui devrait inspirer les actes de celui que le Gouvernement français a chargé d’organiser l'année de l'Algérie en France.

Cette mauvaise action ne fait guère progresser l’indispensable réconciliation franco-algérienne. Celle-ci est souhaitée par tous.

Personne, même parmi les proches des victimes des viols et des massacres, ne souhaite une revanche. Nul ne rêve d’un nouveau débarquement à Sidi-Ferruch. Quel ancien combattant de la guerre d’Algérie, quel Pied-noir, quel Harki ou fils de Harki n’appelle de ses vœux une paix durable et juste entre les deux pays ? Mais qui accepterait de renoncer pour autant à la vérité qui est due au respect des ancêtres, des morts et des disparus ?

Suivant la vigoureuse formule de l’historien Guy Pervillé, la réconciliation suppose la reconnaissance réciproque des faits qui méritent d'être honorés et de ceux qui ne le méritent pas.

 

Signé : Maurice Faivre et René Mayer

Crée le 30/01/2003 par RPr