Saint-Laurent-du-Var le 27 Janvier 2006

    Monsieur le Président de la République,

   Je me suis levé ce matin en me demandant si j'étais toujours Français.

   Il est vrai que mes arrières grands-parents n'étaient pas français ni par le sang ni par le sol. Ils ont fait, eux, la démarche volontaire de le devenir, et, avec quel amour ! C'est avec le même amour qu'ils sont partis sur les fronts des Dardanelles, ou en Allemagne et qu'ils ont débarqué en Provence avec uniquement trois couleurs au fond de leurs cœurs. Oui, trois couleurs, Monsieur le Président, le Bleu, le Blanc et le Rouge. Les mêmes couleurs qui flottent au-dessus de l'Elysée. Et, mes aïeux sont aussi morts pour la France.

   Ces mêmes aïeux, de leur vivant, ne se demandaient pas s'ils étaient Français, ni si ce qu'ils construisaient dans les mêmes colonies que vos ancêtres et prédécesseurs ont créées, étaient bien ou mal. Ils travaillaient.
Oh, vous savez, un de mes grands-pères était maréchal-ferrant, l'autre ferblantier. Ils étaient nés dans le département Français d'Alger qui était Français avant la Savoie ou le Comté de Nice, Monsieur le Président. Ils ont créé la France à leur échelle.

   Nous avions toujours cet amour incommensurable pour notre pays, le même pays que vous, Monsieur le Président. Cet amour, mes parents me l'ont transmis. Ils m'ont aussi appris à aimer l'Histoire de France avec ses grands moments et les moins glorieux. Nous l'aimions sans nous poser de question. C'était, c'est l'Histoire de notre Pays. La votre, la mienne. Nous la respections, nous la respectons.

   Et, en 1962, nos parents ont du quitter à jamais le pays qu'ils avaient chéri et construit, et que votre père spirituel a bradé. Comme nous pensions toujours être français, je mets volontairement une minuscule, Monsieur le Président, nous avons pris le premier bateau, le premier avion disponible pour débarquer avec nos maigres biens sur cette autre rive de la terre de France, que nombreux ne connaîssaient que parce les mots « République Française » étaient mentionnés sur leurs papiers d'identité et qu'ils avaient cependant toujours rêvé de connaître, mais dans des circonstances plus agréables.
Nous pensions être accueillis à bras ouverts. Mais, nous avons été fouillés, contrôlés, parqués, dispersés aux quatre coins de France, au mépris le plus absolu de notre dignité. Le Regroupement Familial n'était pas pour nous, nous n'avons pas eu de soutien psychologique malgré le drame que nous vivions. Nous avons perdu des parents, des amis avec qui nous avions grandi. Nos bagages étaient soit trempés dans le port de Marseille soit lâchés de la grue qui les soulevait et s'éclataient sur le quai. Nous sommes nous plaint ? Avons-nous incendié des voitures, brisé des vitrines, fait exploser des perceptions ou des préfectures ?

  Et, bien que le Président De Gaulle, conseillé par M. Debré (tiens, tiens..) voulut nous expédier en Amérique du Sud ou nous renvoyer chez nous - mais où était-ce chez nous ?-, puisque nous étions en France, notre pays, nous sommes cependant restés ici et nous sommes battus, nous avons travaillé, pour nous reconstruire, pour retrouver notre dignité. Pour prouver que la France pouvait être toujours fière de nous.

  Et, cependant cette dignité est bafouée régulièrement. Nous devons toujours prouver que nous sommes Français, nous devons supplier de voir écrire « France » sur nos documents d'identité.
Et chaque mois qui passe nous montre que cette France que nous aimions tant pour son courage, pour son œuvre civilisatrice, n'en déplaise aux falsificateurs de l'Histoire, baisse la tête, courbe l'échine sous les assauts permanents de gens qui haïssent le pays dans lequel ils vivent et qui, malgré tout, les arrose d'aides, de subventions, les soigne gratuitement, leur donne l'éducation, leur ouvre, sans effort et sans examen, les portes des grandes écoles. Faut-il haïr autant la France pour en être récompensé, je vous le demande, Monsieur le Président de la République ? Faut-il autant haïr la France ou avoir une si piètre interprétation de son Histoire, de notre Histoire, pour être considéré comme un bon Français ?

En chargeant le Conseil Constitutionnel d'étudier la suppression de la loi de Février 2005 qui reconnaît ce que mes aïeux et les vôtres ont bâti pour la France, vous venez de donner raison à tous ceux n'aiment pas la France et son Histoire. Toute notre Histoire sera rapidement sacrifiée à l'autel d'une pensée unique mensongère. Cette pensée dont on nous infecte l'esprit depuis des décennies, de la Maternelle jusqu'aux Ecoles formant les élites de notre pays. Cette version de l'Histoire qui fait de mes ancêtres, mes parents, et moi-même de coupables assassins. Et demain, mes enfants ou petits-enfants me jugeront comme tel et me condamneront ou me dénonceront.

Aussi, je vous le demande, Monsieur le Président : « Pourrai-je donc me lever demain encore et me dire si je mérite d'être toujours Français - avec une majuscule, cette fois- ou si je suis aussi une victime de la Colonisation ?»

Je vous remercie d'avoir pris le temps de lire intégralement mon courrier empli de tristesse, et vous prie de croire, Monsieur Le Président de la République, en l'expression de ma très haute considération.

Jean-Pierre Ferrer
376 Corniche d'Agrimont
06700 Saint-Laurent-du-Var

Mis en page le 27/01/2006 par RP