Algérie
GENOCIDE - ETHNOCIDE
Controverse et Argumentaire
Une controverse de grammairiens portant sur les particularités
de chacun des deux préfixes, ethno et geno, est de peu
d'importance, eu égard à l'exceptionnelle gravité
des faits qu'ils traduisent.
Les deux mots, génocide et ethnocide, de compositions
récentes, ont été employés, pour la
première fois, à la fin de la seconde guerre mondiale pour
qualifier les assassinats et les sévices inhumains, programmés
et exécutés par les nazis à l'encontre des
juifs, des tziganes et des résistants de toutes nationalités.
Mais cette dissemblance des mots n'est qu'apparente et procède
davantage d'une querelle sémantique que d'une évidence
linguistique. En droit pénal français, seule doit
être retenue la qualification d'une infraction qui est la définition
ou l'identification du fait infractionnel, par le législateur
ou par le juge. La qualification légale est l'acte par
lequel le législateur définit les incriminations.
En effet, si les préfixes de l'un et l'autre mots évoquent
la notion de peuple, c'est le suffixe latin "cide" que
nous retiendrons pour l'entendement du terme. Sa signification
: tuer, exterminer, constitue l'élément essentiel
du mot qui implique l'idée de destruction.
*
Ces infractions criminelles sont-elles applicables aux "évènements"
d'Algérie ?
la loi du 22 juillet 1992 incluse dans le
LIVRE DEUXIÈME DU CODE PÉNAL
sous le titre,
"DES CRIMES ET DÉLITS CONTRE LES PERSONNES"
qui va fixer les conditions requises pour que soient retenues
les notions de crimes de génocide et de crimes contre l'humanité.
CHAPITRE PREMIER- DU GÉNOCIDE
sous l'Art. 211-1 qui dispose
:
«Constitue un génocide le
fait, en exécution d'un plan concerté tendant
à la destruction totale ou partielle d'un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé
à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre
ou de faire commettre, à l'encontre de ce groupe, l'un
des actes suivants
- atteinte volontaire à la vie.
- atteinte grave à l'intégrité physique ou
psychique.
- soumission à des conditions d'existence de nature à
entraîner la destruction totale ou partielle du groupe.
- mesures visant à entraver les naissances. - tranfert
forcé d'enfants.
Le génocide est puni de la réclusion criminelle
à perpétuité.
CHAPITRE Il- DES AUTRES CRIMES
CONTRE L'HUMANITÉ
sous l'Art. 212-1 qui dispose :
La déportation, la réduction
en esclavage ou la pratique massive et systématique d'exécutions
sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition,
de la torture ou d'actes inhumains, inspirés par des motifs
politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés
en exécution d'un plan concerté à l'encontre
d'un groupe de population civile sont punis de la réclusion
criminelle à perpétuité.
Nous retiendrons que l'article 121-6
du Code pénal, dispose que les complices sont astreints
aux mêmes peines que celles prévues pour les auteurs principaux
en conformité des dispositions de :
l'Art. 121-6 du Code pénal.
«Sera puni comme auteur, le complice de l'infraction, au sens
de l'article 121-7.»
Art. 121-7.
«Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui
sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation
ou la consommation.
Est également complice la personne qui par don, promesse,
menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué
à une infraction ou donné des instructions pour
la commettre.»
Les faits infractionnels constitutifs du crime de génocide
et de crimes contre l'humanité sont nettement définis
et il convient de bien en être conscient, et d'en considérer
leur application aux "évènements" survenus en
Algérie au cours de l'année 1962.
Sont-ils applicables à l'Algérie
- EN DROIT, LA RÉPONSE EST NON.
Aucun texte de droit pénal interne n'existait en 1962,
époque à laquelle ces crimes ont été
perpétrés. On ne pouvait donc leur donner une autre
qualification que celle d'assassinat : de meurtre avec préméditation.
Mais on ne peut passer sous silence les dispositions du droit
international public, antérieur à la loi du 22 juillet
1992
Ne parle-t-on pas d'un génocide commis par la Turquie,
en 1915, à l'encontre des Arméniens, soit plusieurs
décennies avant l'invention du mot.
- LA RÉALITE DES FAITS, IMPOSE DE DIRE:
OUI.
Les faits infractionnels tels qu'ils ont été définis
par la loi du 22 juillet 1992, se sont trouvés réunis
à plusieurs reprises en 1962. A ce propos on est en mesure
d'évoquer :
La fusillade du 26 mars, à la Grande Poste d'Alger, le
siège de Bab-el-Oued plusieurs jours auparavant, à Oran
le massacre du 5 juillet et l'abandon des Harkis aux mains du
F.L.N dans les mois suivants.
La réalité de ces faits ne peut être contestée.
Et, la Cour de cassation vient y apporter une aide inattendue.
Par l'arrêt de sa Chambre Criminelle en date du 30 mai 2000 la
Haute juridiction décide :
« Les faits de violences commis en relation avec les évènements
dAlgérie, dès lors qu'ils ne sont pas susceptibles de constituer
un génocide ou un cri me contre l'humanité, peuvent
seulement revêtir une qualification de droit commun et entrent
en conséquence dans le champ de la loi d'amnistie...etc».
La Cour de cassation constate donc, que les faits dont elle est
saisie ne peuvent constituer un génocide, et dès lors ne
peuvent être qualifiés que d'infractions de droit commun.
Ce qui, a contrario, sous-entend qu'ils auraient dû, nécessairement,
être qualifiés de génocide s'ils étaient
survenus, postérieurement à la loi de mai 1992.
Or ces faits, s'ils ne peuvent être qualifiés de génocide
sont sans équivoque dans leur accomplissement qui ne prête
à aucune interprétation.
*
Par ailleurs, je soulignerai que le législateur a fait
preuve d'une grande circonspection et d'une évidente sagesse
en se refusant à fixer un nombre de victimes, à
partir duquel le terme de génocide serait appliqué.
Cette macabre comptabilité entraînerait d'insupportables
et d'inhumaines investigations.
On doit donc en conclure que, seuls doivent être retenus :
-le caractère impératif de l'ordre donné
et
-l'exécution du plan concerté
C'est en résumé l"'animus
necandi" des romains, "la volonté de tuer"
qui importe et détermine la gravité de l'infraction.
C'est bien dans ces cas de figure que se situent les évènements
que nous avons évoqués lors des relations que nous
avons faites des tragédies du 26 mars à la Grande
Poste, du siège du quartier de Bab-el-Oued à Alger et du
5 juillet de cette même horrible année 1962, à Oran.
Qui oserait alléguer avec
sérieux que, de leur propre chef, de leur seule initiative,
faute d'instructions préalables, des autorités,
civiles et militaires subordonnées au pouvoir central,
aient pris les décisions d'organiser le piège de la Grande
Poste, les attaques aériennes et terrestres des forces
armées sur le quartier de Bab-el-Oued et d'abandonner aux
bourreaux du F.L.N, les Harkis et leur famille, auxquels était
refusée la protection du territoire métropolitain.
A Oran, c'est le maintien délibéré
des forces de l'ordre, consignées dès le matin du 5 juillet
1962 dans leur caserne, qui est en cause. Ordre confirmé
par l'Elysée et maintenu jusqu'à 17 h 00, après
que les émeutiers musulmans aient entrepris les massacres
d'européens et de musulmans fidèles, causant la mort de
plusieurs centaines d'innocentes victimes.
Ces faits criminels traduisaient la
volonté avérée de De Gaulle et sa collusion
avec les émeutiers, en vue de briser par la force, en totale
impunité, dans le sang des assassinats collectifs, la résistance
des populations qui refusaient le destin tragique que cet homme
indigne, leur réservait et dont ils supputaient la fatalité.
Qui passerait outre, le martyre des
Harkis désarmés sur ordres, par leurs officiers
et abandonnés aux mains des tueurs du FLN, (dont faisait
partie Bouteflika) et qui furent torturés dans des conditions
abominables avant d'être égorgés.
Les officiers qui ont obéi à ces ordres se sont
déshonorés.
Nous aurons l'occasion de revenir
sur ces décisions, venues de l'Elysée, où se pavanait
et décidait seul dans le silence de son palais présidentiel
l'indigne potentat investi des fonctions de Président de
la République, par la lâcheté des français
métropolitains,
Bien d'autres que lui se sont également
déshonorés dans l'exécution de ces ordres
criminels. Des hommes tels que Joxe et Mesmer alléchés
par les fonctions d'autorité qui leur étaient consenties
en échange de leur docilité, les ont acceptés
au détriment de leur honneur et du respect qu'impose une
obligation morale élémentaire.
Je ne peux en terminer en me limitant
à l'examen du seul aspect-juridique de la notion de génocide.
Il existe en effet un décalage entre sa conception juridique
et sa conception historique.
Il peut y avoir crime contre l'humanité
sans meurtre, alors que le génocide implique aussi bien,
l'intention que le meurtre. C'est bien le suffixe "cide"
qui domine l'entendement du terme.
Ce n'est pas le cas en droit où l'incrimination
de génocide peut être arguée pour des transferts
d'enfants ou des entraves à la fécondité.
Parier de génocide au sens
historique du terme, c'est faire appel à une seule des
notions qui rend compte de la qualification du crime pour sa compréhension.
Trois éléments essentiels peuvent
s'en dégager
- L'intention criminelle, le plan concerté.
- Le fait qu'il s'agit d'un moyen extrême, utilisé par
l'Etat pour imposer son idéologie, son modèle de société.
- Le groupe, visé en tant que tel.
Il faut également retenir
que la caractérisation de génocide n'implique pas
l'évaluation d'une dimension dans le crime.
La dimension du crime se suffit à elle même, elle ressortit
à des critères moraux, non historiques ou non juridiques.
Au centre du crime il y a l'Etat.
Pour illustrer l'élément
moral dans le crime de génocide, n'est-il pas d'exemple
plus probant que celui que nous donne le poète grec Sophocle (442
av. J.-.C.) dans sa tragédie "Antigone."
Antigone défend les lois non
écrites; celles du devoir moral, familial ou religieux,
contre la fausse justice de la raison d'Etat. Si le tyran Créon
lui impose la mort parce qu'elle a transgressé la loi impie
qui refuse la sépulture à celui qui est accusé
d'avoir trahi sa patrie,
Qu'en est-il, alors, de Créon-de
Gaulle, lui qui ignore la loi dont il est l'inventeur et le gardien,
et qu'il viole à son seul usage.
C'est le tyran Créon qui dit à Antigone : « Ainsi,
tu as osé passer outre à mes lois.»
et Antigone lui répond :
« Oui, car ce n'est pas Zeus qui les a proclamées.
Je ne pense pas que tes décrets soient assez forts, pour
que toi mortel, tu puisses passer outre aux lois non écrites
et immuables des dieux. Elles n'existent ni d'aujourd'hui, ni
d'hier, mais de toujours. Personne ne sait quand elles sont
apparues.»
*
La Convention de l'O.N.U du 9 décembre
1948 a donné au génocide son existence officielle,
en conséquence des actes criminels du nazisme; monstrueux
par l'horreur de leurs commissions et le nombre extraordinairement
élevé des victimes.
Il n'est pas contestable que ces actes, par leur ampleur et leur
barbarie, occultent d'autres actes, de même qualification, mais
d'une violence moins pathétique en raison d'un chiffre
plus faible des victimes et du caractère plus limité de
la zone géographique où ils ont été perpétrés.
*
J'en terminerai là, avec un sujet de controverses qui
n'aurait jamais dû voir le jour si l'on avait retenu et respecté
la leçon d'humanisme que nous a enseignée Sophocle,
CONCLUSION
L'historien Yves Ternon, dans son
ouvrage " L'Etat Criminel, les Génocides au XXe siècle"
(Le Seuil. Paris 1995, page 20) déclare en substance :
« Le sujet de l'infraction génocidaire,
c'est l'Etat. En Europe, au XXe siècle tout débat juridique
sur la notion de génocide ou de crime contre l'humanité
ne pouvait débuter avant que l'on ait affirmé le
principe de la criminalité collective des Etats, c'est
à dire de l'Etat comme sujet de l'infraction.»
Il ajoute, à propos du génocide
au Rwanda, « La référence à la
Shoa invoquée par le peuple rwandais s'inspire beaucoup
de ce qui est advenu aux Juifs pour considérer l'oubli
comme sacrilège et pour fonder, en même temps qu'il lutte contre
l'impunité des responsables, une mémoire du crime....
C'est dans l'exil que l'on peut
trouver les forces de la renaissance de la mémoire et de
sa perpétuation.
Le génocide est un crime
caractéristique du XXe siècle, car notre siècle a réuni
les conditions de possibilités d'un tel crime. Au centre,
il y a lEtat et l'idéologie (ou l'ambition personnelle),
c'est à dire l'Etat arbitraire, criminel, qui liquide,
par un crime de manière idéologique, un groupe constitué
de ses propres citoyens ou de citoyens des territoires qu'il occupe.
Il s'agit donc d'un crime idéologique lié à
la modernité. »
Ce que le discours de la mémoire n'a pas toujours perçu.
La notion d'Etat criminel s'applique,
"mutatis mutandis," aux actions meurtrières qui ont
été perpétrées en Algérie,
plus particulièrement et plus cyniquement, au cours de l'année
1962.
Mais ne nous enfermons pas de façon réductrice au
seul entendement sémantique du génocide.
Allons au delà. Retenons l'essentiel du crime de génocide.
Le crime de génocide s'identifie par la conception et l'exécution
d'actes gravement infractionnels qui attestent la volonté
criminelle de ceux qui les ont imaginés et exécutés
ou qui en ont été les complices.
La dialectique pernicieuse qui amène à invoquer la raison
d'Etat pour se disculper fait, immanquablement, entrer la politique
au sein du prétoire.
La Justice s'en retire...
Pierre FABIANI
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