Supplément du n°139 de L'Algérianiste.

Colloque " La transmission de la mémoire des Pieds-Noirs"

Dans le Gers, à Masseube, les Français d'Algérie ont répondu présents au colloque du Cercle algérianiste sur la transmission de la mémoire des Pieds-Noirs

Le colloque du Cercle algérianiste du Gers s'est déroulé sur trois journées, les 11 et 30 juin et 1er juillet. Environ 300 personnes y ont participé.

L’objectif poursuivi était de se centrer sur la transmission générationnelle en permettant des échanges entre des porteurs de mémoire et leurs héritiers, enrichis par l'approche avisée d'historiens experts. Même si les thèmes abordés furent très divers, et même si plus de temps eut été nécessaire, la médiation d'interventions structurées, de temps de commémoration et de convivialité ont permis de poser des réflexions sur ce que l'on peut retenir de l'histoire de l'Algérie française, du vécu des porteurs de mémoire et leurs enseignements pour l'avenir. Plusieurs ateliers en petits groupes ont aidé aux échanges. Le thème central fut introduit le 11 juin par deux intervenants, à savoir la question des violences politiques. Jean Monneret (1) a mis en évidence la nature particulière d'une cause qui s'appuie sur le terrorisme et dont il a défini précisément les contours. Paul Dumouchel (2) nous a interpellés sur la différence entre violence ordinaire et violence politique, mettant en évidence que pour toute violence politique et particulièrement celle de la lutte subversive algérienne:

1 - La question de la légitimité était et est toujours centrale.
2 - La violence politique se joue toujours à trois. Dans toute violence politique, à un moment apparaissent ceux qui vont faire les frais de cette violence. C'est la notion de « traître », la troisième force, les Pieds-Noirs et les Harkis.
3 - Les méthodes de contrôle des populations sont l'enjeu principal de là violence politique.
4 - Les réfugiés en sont une conséquence.

1 - La légitimité: Pour distinguer la violence politique de la violence ordinaire, la réponse n'est pas dans la nature des actes posés ou dans une soi-disant responsabilité des victimes mais autour de la question de la légitimité.

• L'importance de la qualification des victimes.
Jean Monneret a insisté sur cette « soif de légitimité », des terroristes et sur leur volonté d'être assimilés à des résistants. Notons cependant que les résistants ne s'en prennent qu'aux représentants du pouvoir militaro-politique. A contrario, tous les essais de définition du terrorisme insistent sur la notion de cibles civiles. Mais pour les terroristes, n'est-il pas fondamental d'entretenir une confusion entre terroriste et tyrannicide ? Pour ne pas passer pour des « salops », les terroristes se définissent comme « combattants de la liberté », et leurs victimes ne sont plus des civils mais des coupables, « Occupants » ou « Colons » dans le cas de l'Algérie.

• Le travail de justification, une réécriture tendancieuse.
Toujours dans le but de légitimation, les terroristes réécrivent l'enchaînement des événements. Le FLN, par exemple, redéfinit les causalités des attentats, quitte à défier la chronologie, pour les justifier notamment par une soi-disant riposte à I'OAS. L’historien Daniel Lefeuvre condamne ces « tripatouillages » qui travestissent la vérité et recréent une chronologie plus arrangeante pour la thèse à démontrer. « Les mauvaises causes appellent toujours de mauvais procédés ». Il est clair que l'enjeu plus que le combat lui-même, est dans la lecture qu'en feront, a posteriori les tiers. Le travail sur les, mémoires consiste à effacer l'innocence des victimes, voire les victimes elles-mêmes pour ne parler que des objectifs « nobles » d'une Cause et cacher le caractère ignoble des moyens utilisés.
Pour les victimes et leurs héritiers le travail est forcément inverse.

• Le travail de reconnaissance ou l'indifférence des tiers
La violence politique est légitimée parce que se reconnaissent en elle d'autres que ceux qui l'ont commise, nous apprend Paul Dumouchel.
« Dans le cas de la violence politique, il y aura toujours quelqu'un pour trouver que les actes sont d'une certaine manière justifiés, ou sinon qu'ils sont du moins compréhensibles et en partie excusables ». Le refus de l'innocence des victimes ou la question des dégâts collatéraux est l'autre versant de la violence politique. Dans le cas de l'Algérie, on pense bien évidemment au « Manifeste des 121 » qui volontairement ont écarté de sa rédaction la question des victimes du FLN, européennes ou musulmanes, tout en légitimant ces crimes. On évoquera également cette main invisible du « Sens de l'Histoire », ou de la « nécessaire » décolonisation, qui permet aussi de justifier l'indifférence des métropolitains aux souffrances des populations « rapatriées »...

• La troisième force et la radicalisation du conflit.
Les limites amis ennemis se durcissent et se déplacent. Comme tous les observateurs avisés l'ont compris, dans les violences politiques les premières victimes, les plus importantes aussi, sont « les tièdes », « les indécis ». Antoine Argoud constatait que les premières victimes de son secteur d'intervention étaient les Musulmans favorables à la France ou les Européens les plus proches des musulmans. I1 y a une dynamique de polarisation syncrétique de la violence politique, si l'on n'est pas pour, on est nécessairement contre. Chacun doit choisir son camp.
La simplification facilite la légitimation. La liberté de penser est bien sûr compromise. L'idéologie (mythe raté) et la bien-pensance font florès. Les solidarités organiques (familiale, clanique) remplacent petit à petit, celles de l'Etat.
Les prébendes et la corruption comme l'a souligné Jean Jolly dans son panorama « décolonisation crimes sans châtiments », s'installent et s'incrustent. Il est aujourd'hui possible de faire un bilan socio-économique sans chercher des excuses alambiquées sur la responsabilité de l'ex-puissance coloniale. S'il existait des inégalités sociales, ce sont aujourd'hui des abîmes sociaux qui séparent une nomenklatura de l'ensemble de la population. Le « Sens de l'Histoire », a accouché d'un cauchemar pour les populations concernées.

2 - La violence politique ne se joue pas à deux mais à trois.
Jean Monneret définit deux phases dans la « guerre d'Algérie ». Une première phase jusqu'à 1958, où le combat contre les rebelles, appelés « fellaghas », est clair.
Puis, avec l'arrivée du général De Gaulle, une deuxième phase où un nouvel « adversaire » est stigmatisé, puis pourchassé et enfin combattu (Pieds-Noirs, Musulmans et métropolitains favorables au maintien de la présence française en Algérie). La volonté d'une épuration ethnique pour les uns, et celle du pouvoir français de faire disparaître ceux qui s'opposent à sa politique de « dégagement » conduiront dans la fin du conflit à concentrer les violences politiques sur cette dernière catégorie de personnes.
Il a fallu et il faut toujours noircir son action et surtout la faire disparaître en tant que victime, pour que les deux autres parties conservent l'estime et la justification de la leur comme l'explique Guy Pujante dans son dernier ouvrage Les Pieds-Noirs, ces parias de la République.

3 - La prise de contrôle des populations comme enjeu principal de la violence politique. Le recours à la violence politique a pour but la prise de contrôle des populations et de leur conscience. La prise en main des populations par « la confiance » et « la justice » est prépondérante. Dans le cas de l'Algérie, la palette de moyens utilisés: terreur, chantage, loi du silence, impôt révolutionnaire, châtiments (nez arrachés), enrôlements, etc. est conséquente. Ces moyens accompagnent la mise en place d'une organisation politico-administrative qui vise à supplanter le pouvoir en place. Une fois le nouvel Etat installé, cette organisation subsiste. Ces formes de dictatures qui ont suivi les indépendances, conséquences de ces prises en main des populations, ont toujours permis à la caste dirigeante de conserver leurs politiques des copains et de coquins en place, que seuls les observateurs étrangers imaginent pouvoir être changées par de simulacres d'élections.

4 - La question des réfugiés comme conséquence de la violence politique.
Les réfugiés sont l'incarnation d'une redéfinition des limites amis ennemis.
Le massacre d'Oran ou la question des disparus, ont considérablement contribué à bien faire comprendre aux populations concernées ces limites. Ces opérations n'ont rien de spontané mais furent savamment orchestrées. En Algérie, le nouveau ciment arabo-islamique s'est imposé pour définir la limite des amis. Les autres populations n'étaient pas ou plus chez elles. Peu importait l'antériorité des générations présentes sur cette terre. Il est d'ailleurs assez singulier de voir développer notamment par certaines personnes de confession juive, l'idée qu'il eut une erreur de « casting ». C'est oublier les pogroms de 1934 à Constantine. Cette notion s'est tellement imposée que certains représentants de l'église catholique iront même jusqu'à parler de « terre d'Islam ».

Avec le temps, et après cinquante ans de recul, il est évident que la question amis ennemis n'était pas pour les « combattants de la liberté » une question politique mais la nécessité d’une

épuration ethnique. L'analyse des massacres du 20 août 1955 de Roger Vétillard apporte en cela des éléments de preuves incontestables.

4 La question de la redéfinition « du Nous et du Eux», « des Amis et des Ennemis » et son inscription dans le territoire Guy Pervillé a expliqué les atermoiements de la définition du « Nous»  depuis la conquête en 1830. Tout tourne autour du triptyque « nationalité–citoyenneté-civilité ». Dès l'acte de capitulation du Dey, la France s'engage à respecter « le culte mahométan » appelé plus communément « statut personnel ».

Ce faisant, comment régler la question de la citoyenneté si l'on se trouve à l'origine d’adoption de loi  qui ne s'appliquèrent pas à ceux qui les élaborent? Se pose aussi la question des droits et des devoirs: comment avoir les mêmes droits si l'on n'a pas les mêmes devoirs ?

La question ne se pose donc pas de savoir si Jules Ferry était raciste ou non. Avec d'autres, il faisait évoluer la démocratie en France. Or le lien entre citoyenneté et civilité faisait partie du débat. Avec les mots de son époque sur l'évolution de la civilité dans ce qu’il appelait les « races civilisées»  dans la perspective d'une certaine universalité des valeurs, le défenseur de l'école pour jeunes filles, poursuivaient les mêmes finalités dans le combat des valeurs aux colonies. Pour la France, la seule question qui longtemps prévaudra a été celle de l'assimilation. Elle n’y a certainement pas apporté tout le zèle nécessaire, reconnaître ce fait ne doit pas nous amener à faire abstraction de l'autre frein au moins aussi important que fut l'Islam. L’Islam, toujours défini comme religion globale où n'existe pas de distinguo entre le religieux et le politique. Pour preuve, dans toute l'Afrique du Nord comme au Moyen-Orient, l'Islam est religion d'État, ce qui veut dire que la citoyenneté n'est acquise qu’aux musulmans.

L’assimilation se fait par l'islamisation.

Et pour certains musulmans, un coreligionnaire qui accepte une civilité différente que celle inscrite dans le Coran fait acte d'apostasie avec toutes les conséquences que cela implique.

En conclusion ces journées nous ont permis de rebrasser nos connaissances à la lumière des récentes avancées de la recherche historique. Le regard du philosophe nous a permis de comprendre que contrairement à ce qui est couramment admis, la violence politique n'est pas la résultante des différences de croyances politiques mais l'inverse. Ce sont les différentes croyances politiques qui résultent des violences politiques. Les différentes visions du monde s'imposent par la violence politique qui fait advenir et circonscrire les limites entre amis et ennemis. On comprend ainsi qu'imposer sa vision du monde conduit à entorses à la vérité. Le mensonge est une composante de la violence politique. Pour Paul Dumouchel, « La violence prive les agents de la possibilité de choisir. Les victimes, mais aussi les autres qui sont appelés à se reconnaître dans la violence ne sont pas invités à participer au propos que la violence politique tient sur le monde. Ils y figurent uniquement sous la forme. d'objets qu'il s'agit de manipuler, jamais comme personnes, c'est-à-dire jamais comme interlocuteurs égaux. Il y a, dans cette dimension performative de la violence une parenté conceptuelle certaine avec le mensonge qui lui aussi refuse à l'autre d'être un interlocuteur égal, le manipule, le réduit au statut d'objet. De plus, de même que la violence, le mensonge a une dimension performative essentielle. Lui aussi aide à transformer le monde. Soit de façon très locale, en manipulant le comportement de l'autre grâce à la fausse information qu'on lui transmet. Soit de façon plus globale, en particulier dans le domaine politique le mensonge très souvent consiste à nier systématiquement l'existence d'une situation ou d'un état de fait. La conséquence du mensonge est alors de hausser les enchères en forçant l'autre soit à un désaccord, mais qui semble injustifié et sans raison, soit à faire « comme si » il n'y avait rien ou rien eu, donc à consentir au mensonge et à faire en conséquence que ce qui fut, en un sens n'ait jamais été.

Tout comme la violence le mensonge change le réel en refusant de reconnaître l'égal statut moral de l'autre ».

C'est à ce jeu que s'emploient les pouvoirs français et algérien. Les mots, les concepts qui donnent à voir cette réalité doivent être interrogés car ils sont souvent porteurs de méconnaissance.

Il reste important de replacer les victimes au centre des réflexions et de lever le voile à partir d'elles sur la réalité historique.

Georges Belmonte

PS: l'ensemble des conférences sont  disponibles sous forme d'un coffret de 3 DVD au prix de 30 auprès du Cercle algérianiste du Gers:

Téléphone: +33 6 30370041

Mail : marie-paule.garcia3@orange.fr

  Mis en page le 09/10/2012 par RP