A vous mes amies et mes amis,
Une pétition
de soutien au réalisateur du film Hors-le-loi, signée par
quelques historiens, circule.
Pourquoi, seuls quelques historiens, triés sur le volet, ont-ils
été convié à cette avant-première ?
Pourquoi n'avoir pas invité un nombre plus large et plus divers
d'historiens. Si c'est faute de carnet d'adresses, je me serais
fait un plaisir et d'autres avec moi, j'en suis sžr, de compléter
les références des attachées de presse.
Ou bien, fallait-il ne montrer le film qu'à des amis
pour obtenir leur imprimatur et déligitimer ainsi toute contestation
?
En tout cas, le texte de cette pétition est un chef d'oeuvre
de jésuistique et de contorsion.
D'une part, les signataires
défendent, avec raison, la liberté de création, le droit
d'utiliser un décor historique pour camper une fiction.
Mais alors, il faut être clair. Et les historiens auraient dž dire
que le réalisateur a pris toute liberté avec l'histoire et que
cette fiction n'a pas plus de valeur historique que "La Vache
et le Prisonnier" ou que "Papy fait de la Résistance".
Mais, dans le texte, d'autres affirmations contredisent la nature
simplement fictionnelle du film.
D'abord lorsque nos
collègues estiment que "L'évocation d'une page d'histoire
tragique peut aussi bien passer par la fiction, avec ses inévitables
raccourcis, que par les indispensables travaux des historiens."
Aussi bien par la fiction malgré les inévitables raccourcis que
par les travaux d'historiens ! Ainsi c'est bien d'une évocation
historique dont il est question. Mais une évocation à laquelle
des historiens accordent le droit de traiter les faits évoqués
avec toute la licence qui plait au réalisateur, tout
en mettant cette évocation "et ses inévitables raccourcis"
sur le même plan que les travaux des historiens.
Mais alors, tout se vaut ! La fiction, le roman, comme le travail
méticuleux des historiens s'attachant à serrer au plus près les
faits, à les peser, à tenter de les interpréter, en évitant les
inévitables raccourcis et les libertés que s'accordent les romanciers
ou les cinéastes.
Rarement, un tel constat de l'inutilité de notre profession aura
été dressé, et par des historiens !
Une bonne fiction, quelques raccourcis légitimes (par exemple
sur l'heure des premiers assassinats et les origines des massacres
qui ont ensanglanté Sétif et sa région en mai 1945, et tout est
dit. Le spectateur saura !
En conclusion, les
signataires de la pétition affirment enfin que "Le
pire est à craindre quand le pouvoir politique veut écrire l'histoire
que nos concitoyens iront voir demain sur nos écrans."
Mais alors, cher(e)s collègues, ce n'est plus d'une fiction, d'un
film de gendarmes et de voleurs dont il est question,
mais de l'écriture cinématographique d'une page d'histoire,
dont vous prenez la défense, même si vous évoquez, les quelques
désaccords, non, pardon - le mot est trop fort - "les
réserves précises" sur certaines de ses évocations du contexte
historique de la période, émises par certains d'entre
vous. Réserves dont le texte ne dit rien.
Ce qui est projeté n'est donc pas, d'abord, l'itinéraire de trois
frères, comme on veut nous le faire croire. La fiction n'est qu'un
prétexte : elle permet de se dédouaner des critiques que le film
suscitera : voyez mes ailes, je ne suis que le réalisateur
d'un polar ! C'est bien une "histoire" que
l'on veut montrer à nos concitoyens, celle de l'Algérie de la
fin de la Seconde Guerre mondiale à l'indépendance, mais une histoire
qui, d'après ses historiens-avocats, s'est accomodée "d'inévitables
raccourcis" et sans doute aussi ses silences, dont il faudra
mesurer les conséquences sur l'honnêteté du film et qui permettront
de mieux apprécier ses enjeux, non point artistiques, mais idéologiques
et politiques.
Bien à vous, très amicalement
Daniel Lefeuvre
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