À l’approche
de ce jour de mars, je me sens envahi non de nostalgie, non de lamentation mais
de rage. La rage de constater que plus de cinquante ans après le drame d’Alger,
pour la Métropole et pour des « élus » de la République si peu
républicains ou si peu orgueilleux de l’être, il y a toujours une chape de
plomb qui étouffe la vérité de cette journée du sang des innocents.
Il faisait
beau ce jour là. Je venais de terminer mon service militaire et je n’étais pas encore
« pris » dans cette ambiance algéroise de patriotisme exacerbé et de
crainte du lendemain. D’ailleurs, j’avais du mal à retrouver ma ville, Alger,
quittée en 1959 pour l’armée. À cette époque là, c’est chez Claude G..., un ami
partant lui aussi pour le service militaire, que nous avions bu la veille de
notre incorporation une coupe de champagne. Nous étions quelques amis et jamais
nous n’avons pensé que quasiment trente mois plus tard l’Algérie et notre ville
seraient à ce point transformées : patriotes encore, mais angoissées de ne
pas deviner un horizon clair et un futur serein. Je n’étais donc pas présent le
26 mars 1962 à cette impressionnante et silencieuse manifestation qui lentement
descendait du Plateau des Glières vers un objectif bien défini, Bab el-Oued, ce
quartier populaire encerclé et tenu sous la menace de la gendarmerie et de
l’armée parce qu’il était français à part entière. Il y avait du monde, plein
de monde ce jour là. Sous la pression courtoise du cortège, les troupes
militaires qui coupaient la ville en deux se laissaient déborder. Une foule sans
arme mais avec la conviction de son bon droit avançait lentement mais déjà
certains militaires s’alarmaient et s’inquiétaient... paniquaient. Devaient-ils
refuser ce passage, obéir aux ordres ?
Puis ce fut
la fusillade !
Dans la
foule il y avait mon frère René avec quelques copains. Ils échappèrent au
massacre lorsque l’un d’entre eux entendit les culasses des armes des
militaires claquer... et poussa ses amis à se retrancher dans l’entrée d’un immeuble...
Ils ont eu la vie sauve ce 26 mars. Par contre un oncle, Marcel, imprégné de
cet esprit « Algérie française » et présent parmi d’autres, a-t-il
entendu les soldats, anciens fellagas repentis mais en uniformes de l’armée
française pointer leurs armes sur la foule et le fusil mitrailleur tonner ? Qui
sait quelle fut sa dernière pensée sur ce monde en folie, sur ce destin qui
s’achevait sous les balles françaises ? Il a perdu la vie, assassiné !
Une blessure au crâne, d’autres au niveau du ventre ! À son enterrement, il
sera accompagné des athlètes du « Ralliement de Mustapha », ces
jeunes sportifs qu’il avait escortés dans les années 50 en France pour glaner
des victoires sur les stades de France.
Ils porteront
son cercueil sur leurs épaules pour l’enterrer au cimetière du boulevard BRU,
puis aideront d’autres parents esseulés à accomplir leurs derniers devoirs sur
cette terre française. C’était, m’a-t-on rapporté, un cimetière déserté par les
fossoyeurs arabes, absents par crainte de représailles.
Avec mon
père, nous avons rencontré à son domicile ma tante Germaine, l’épouse de
Marcel. Elle nous montra le pantalon qu’il portait ce jour d’un espoir pied-noir
devenu un jour de tuerie... Sous la ceinture ce n’est pas une balle qui l’avait
transpercé, mais une rafale d’arme automatique formant à travers son vêtement
plusieurs trous, signe d’un véritable acharnement à tuer. Mon oncle fait ainsi
parti de ceux qui sont morts pour une plus grande France toujours non reconnue,
mais son nom est inscrit avec d’autres au pied de notre nouvelle « Notre
Dame d’Afrique » à Théoules où nous sommes nombreux à nous retrouver une
fois l’an, pour une cérémonie du souvenir.
Il y avait
un autre parent dans cette cohue pacifique, Nicolas... Je crois que c’est lui Je
crois que c’est lui que l’on entend sous les colonnes de la Grande poste criant :
« Halte au feu ! ». Il cria avec d’autres personnes effrayées,
désespérées, ces trois mots tellement de fois ! Cet oncle est le frère de
Léonide Olivier Sportiello, cette cantatrice tellement adulée dans divers pays
d’Europe et qui chanta une Marseillaise au balcon du G.G. lors des événements
de 1958.
Plus tard, des années plus tard, Gilbert, un cousin
Puig encore, me raconta un épisode de cette tragédie. Une partie des
manifestants avait débordé un barrage rue d’Isly jusqu’en face de l’Opéra, puis
la marche devînt un drame ! Des hélicoptères survolèrent la foule et
bombardèrent le défilé de grenades déversant des gaz asphyxiants qui provoquèrent
des troubles de la vision et des maux intestinaux effroyables. Il s’en est
sorti ce jour là Gilbert, mais en me racontant cet épisode d’un massacre
autorisé par le gouvernement gaulliste et parrainé par le Rocher noir, il y
avait toujours de l’émotion dans sa voix.
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Lorsque la mitraille
a éclaté ce 26 mars 62, je me suis rendu compte que je n’étais pas avec mon
frère, ni ma famille, ni mes amis... Militaire depuis 1959, civil en février
1962, j’avais manqué les barricades, le Putsch des généraux et je n’étais pas
encore imprégné du pli « civil ». De la fenêtre du bâtiment où je me
trouvais, je devinai le massacre, le carnage : les hélicoptères assassins
au dessus d’Alger, le bruit terrible des balles abattant froidement un peuple
innocent, tandis que montait dans le ciel cette odeur de poudre criminelle.
Je suis
aussi vite que possible descendu vers le centre ville. Trop tard pour aider les
blessés, emporter les morts au milieu des rues, mais il restait des plaques de
sang au sol et au loin le hurlement des sirènes des ambulances persistait...
Au Plateau
des Glières j’étais presque seul, avec autour de moi cette impression de
tragédie et ce sentiment d’impuissance à comprendre pourquoi tant de sang avait
coulé. À ce moment là, j’ai voulu observer de plus près ceux qui avaient abattu
de sang froid des hommes et des femmes fiers d’être français... Ils étaient
toute une section. Des musulmans en uniformes de l’armée française, l’arme au
poing et sur leurs casques il y avait ce sigle néfaste qui mettait en évidence
ce rôle d’exécuteur qui avait été le leur, le « IV » de la
willaya de l’algérois.
J’ai
poursuivi mon chemin et je suis descendu vers le Maurétania... Du sang couvrait
un trottoir dans ce quartier pourtant excentré par rapport au centre ville.
Cela faisait une tâche horrible au pied d’un arbre près d’une chaussure de femme.
Juste en face, barrant la descente au port, des CRS en armes... Qui avait tiré
sur une foule qui se dispersait à cet endroit sinon eux, ces hommes en
uniformes bleus ? À partir de là, j’ai souhaité comprendre pourquoi cette
hargne, cette rage de la Métropole contre son peuple : je n’ai deviné que l’orgueil obtus, stupide
d’un général qui depuis Paris souhaitait irrémédiablement notre fin par tous
les moyens possibles.
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Depuis ce
temps ancien, le 26 mars que nous portons dans notre cœur se trouve toujours étouffé,
étrillé, escamoté par le monde politique parisien, de droite ou de gauche, et c’est
l’armée française remaniée après le Putsch des généraux et aux ordres du
pouvoir qui tira !
Dans le « Livre
interdit » de cette date, de cet événement - Édition Atlantis – un
document « INTERDIT » par le sieur Fouchet au Rocher noir, preuve
s’il fallait le souligner de son importance, il y a des témoignages sur cette
journée, et lorsque l’on accuse encore et toujours l’OAS d’avoir
« tiré » le premier coup de feu d’une fenêtre, on oublie que l’armée était
sur les toits des immeubles, le long du parcours du cortège. Ma tante Germaine,
l’épouse de Marcel, habitant rue Michelet le confirme dans ce « livre interdit » :
« Des militaires avaient demandé la
clef des terrasses pour mettre en place une surveillance de la zone... ».
Ainsi, pourquoi affirmer que c’est l’OAS ? Pourquoi ne pas penser à une
balle perdue d’un militaire ou plus précisément un ordre du commandement
supérieur de tirer ? J’avais écrit une lettre dans ce sens à Yves
Courrière après son livre : « Les feux du désespoir ». Il
abondait pour la thèse de l’OAS contre toute autre possible hypothèse. Il ne
m’a jamais répondu.
Le pouvoir gaulliste était le plus fort, en cette
année 1962. En Algérie il avait à ses bottes les barbouzes tueurs de
patriotes ; Fouchet au Rocher noir et qu’une partie de l’armée fidèle à
l’Indochine puis à l’Algérie française avait été mutée hors du territoire
algérien après la révolte des généraux pour être remplacée par des troupes
militaires sous le commandement du Général Ailleret, l’âme funeste des sections
militaires en place le 26 mars 1962.
De Gaulle
jouait l’agonie de l’Algérie avec toutes les cartes truquées en main et le « complexe
des colonies » travaillait déjà le corps de nos élus.
En 2017,
ils ont toujours peur de la vérité et d’être obligé un jour d’admettre non pas
la France coupable, mais coupables des hommes politiques et Charles De Gaulle qui
agirent par le mensonge et le meurtre pour vaincre la population européenne et
musulmane d’une province française qui chantait la Marseillaise et saluait avec
fierté les trois couleurs de la Nation.
2017 / Des
élections présidentielles sont pour bientôt, mais pourquoi ce silence, cette
honte de nos dirigeants à admettre la faute, le massacre en un temps où malgré
tout, l’armée avait vaincu sur le terrain la rébellion ? Pourquoi cet excès de
rage à nous éliminer sans autre forme de procès et faire de nous des
exilés ? Un Exode dans la peine, la peur, avec souvent des départs sans
autre vêtement pour mes malheureux compatriotes Pieds-noirs que celui qu’ils
avaient en sortant de chez eux le matin ? Pourquoi ce silence d’État ?
Cette honte d’État ?
1962, 2017 !
Les seules voix entendues, les seuls propos que des écrits assument, sont ceux
d’hommes politiques qui nous accusent et réfutent à croire au terroriste sanguinaire
du FLN. Il y a une peur diffuse dans leurs paroles et l’envie que nous
disparussions à jamais. Pour cela ils sont accompagnés d’un nombre incroyablement
important de « gens » du spectacle qui jouent leur notoriété sur notre drame. Il y a la presse écrite ou télévisée, avec des
journalistes élevés à la « sucette à l’anis » du mensonge gauchissant,
comme l’imaginait Gainsbourg dans sa chanson aux images subliminales. Des
médias qui ne savent que nous montrer d’un doigt accusateur cinquante cinq ans
après notre malheur et notre fuite d’une terre construite par nos ancêtres
depuis 132 ans. Terre où je suis né, où nous sommes nombreux à être nés.
Le mensonge
continue ! Souvenons-nous de l’affaire Merah. Il a tué des militaires, des
civils, mais victime de cette rage de nous en vouloir, c’est l’OAS qui fut
accusé et il m’a semblé que le pouvoir sarkozyste suivit cette fausse piste au
détriment d’une recherche du coupable, cet agent du djihad, cet individu formé
par Dae’ch ou Al-Qaïda en Algérie et au Moyen orient.
Finalement,
si je crains que notre voix reste étouffée, j’ai la conviction que notre combat
est juste. Nos associations « Pied-noir » ont le mérite d’y croire et
nous avec. Lorsque nous évoquons un racisme barbare du FLN qui torturait ou
saignait les blessés ; les crimes des terroristes ; lorsque nous abordons
le sort des disparus en Algérie ou ceux des prisonniers militaires français
entre les griffes des rebelles, comme l’a écrit J-J Jordy dans son livre, un
mur sépare notre vérité des mensonges d’État, mais nous sommes dans notre rôle
et un proverbe le dit « Persévèraré no es diabolicum ».
Pourtant,
nous demeurons aux yeux du pouvoir, celui de la droite UMP / LR avec ses
ambassadeurs cireurs de babouches algériennes, ou celui de la gauche PS quasi
repentante face à Bouteflika, les coupables et seulement nous. Les autres, les migrants
du Maghreb ou d’Orient sont « notre » avenir, disent-ils ! « Mixité,
communautarisme, lois Gayssot et
Taubira ! », il faut détruire la libre expression, la liberté de dire
ou d’agir ainsi que le mot race pour un salafisme accepté, un universalisme
inefficace qui ne sert que l’Orient.
Dae’ch et
Al Qaïda tuent des chrétiens. Ils violent des femmes et des enfants ; ils
affirment à la face de la Nation qu’ils se refusent à serrer la main d’une
femme en la considérant comme un « artefact » beaucoup plus qu’un
humain et pas un ministre dans ce gouvernement socialiste ne réagit. Nous arrivons
à cette position paradoxale qui veut que ceux qui ont créé des territoires
modernes, vaincu les maladies, transformé des terres nues en vergers ou en
sites industriels majeurs, ne sont que les ennemis de la
nouvelle philosophie relativiste d’un pouvoir PS. humano-paternaliste qui ne voit pas le danger. Ce danger pourtant nous le dénonçons depuis
tellement longtemps, mais nous vivons aujourd’hui ce que le gouvernement
gaulliste de l’époque a souhaité avec la complicité de l’Occident, États Unis
en tête : brader les colonies, se plier devant la terreur religieuse et offrir
l’Algérie aux bourreaux du FLN. La plus dangereuse façon d’ouvrir les portes de
l’Europe à la conquête de l’Orient, en faisant preuve d’une innocence absolue face
à une religion différente et un communautarisme qui imposent la loi d’un Dieu
au dessus de celle des hommes et un mode de vie étranger à l’Occident.
Je me souviens
du 26 mars 1962, en ce mois de mars 2017.
Ce n’est
plus de la nostalgie, mais la rage de constater que ce drame ancien, jamais
reconnu par le monde politique français a conduit le pays par laxisme
politique, par aveuglement, aux attentats dramatiques de 2015 à Paris et 2016 à
Nice.
Je me
souviens, quand tout à coup j’entends et comme une gifle j’encaisse un coup
tordu, un nouvel affront. Des paroles horribles, inadmissibles qui ouvrent à
nouveau une blessure dans les cœurs pieds-noirs. Un homme se disant candidat au
poste de « premier homme » de France va en Algérie pour prêcher pire
que la repentance : « le crime contre l’humanité » et la « barbarie »,
en accusant le temps de l’Algérie française : les Pieds-noirs, les Harkis,
musulmans fidèles à la Nation, l’armée et les appelés du contingent délaissant
la charrue des campagnes pour le fusil du djébel et venus de Métropole
combattre le FLN !
N’est-il
pas criminel cet ignorant du passé ?
Il souffle
la haine et le désordre dans une France déjà gangrénée par l’irresponsabilité
et le doute PS sur son Histoire et sa grandeur ?
Cet
individu est né après l’HISTOIRE et ses paroles ne méritent ni excuse ni pardon.
Il semble
ne pas savoir que si la France est encore une Nation indépendante, c’est parce
que des hommes des colonies sont venus défendre le pays contre l’ennemi. En 14
/ 18 un grand père dans les Zouaves. Il habitait rue Dupuch. En 40 Alexandre
Puig, mort pour la France à Crépy-en-Valois, puis la guerre d’Algérie 54 / 62
avec ses morts et ses victimes civils et militaires, européennes et
musulmanes... Non il ne sait rien de cela et n’encourt que mépris et dégout
pour ses propos insultants et ignominieux.
Robert
Charles PUIG / mars 2017
Mis en page
le 06/03/2017 par RP
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