Réflexions sur le temps qui passe

 

Est-il temps aujourd'hui, de faire le point de sa vie ? De raconter son histoire, mon histoire le long de tous ces ans, avec mes peines ou mes victoires ?

Faut-il tout à coup regarder en arrière, tendre vers le passé son cou comme celui qui monte sur l'échafaud et meurt dans la cour de Barberousse ou dans une rétrospective floue, vouloir retrouver des images, des scènes de comédies et de tragédies vécues il y longtemps ?

J'imagine comme une suite d'images, de mirages, que je vais retrouver un temps, celui de mon enfance. Ma mère, mon père, mon frère et ma soeur dans une sorte de fête du bonheur, puis cette grande famille depuis Michelet à Bab-el-Oued, du Champ de Manoeuvres à Belcour et Hussein Dey et les Hauteurs de la ville avec ses " riboulicas ", ses grandes réunions de la joie, du plaisir d'être ensembles, puis celles des peines... les morts enterrés aux cimetières d'Alger, du boulevard Bru ou de celui de Saint Eugène, sous la basilique de Notre-Dame d'Afrique dominant la mer et effaçant sous les embruns de la Méditerranée cette odeur de mort, de crime faisant de la capitale un lieu de guerre et d'attentats sanglants.

Est-il aujourd'hui le temps de faire mon autobiographie avant que le temps arrête mes pas, mes songes et mes envies ? Trouver le goùt de se souvenir, de remodeler dans le néant de mes rêves des instants magiques d'une jeunesse un peu folle ou je te retrouvais, toi et ton sourire... Il me semble, il me semble seulement que tes lêvres soudain effleurent les miennes... Un instant de bonheur puis plus rien... Le souvenir s'efface parce que tu es partie loin, tellement loin de l'autre côté des flots bleus noyés par le sang des assassinés. Il me semble même que tu as dù donner un coup de chiffon aux images de ton coeur pour qu'elles se fondent dans l'effacement de ta mémoire.

C'était en Algérie, mais aujourd'hui ?

Il ne reste rien de ce temps là. Peut-être quelques larmes et dans la voix quelques intonations mélancoliques parce que la pensée ou l'image s'estompe. Elle est devenue comme un nuage qui se disperse dans un ciel nu et sans couleur... C'est vrai que longtemps j'ai cherché ton visage dans un ciel ouaté et que j'ai voulu reconstruire ton visage... J'ai dù souvent me tromper et mon trait au fusain s'égarer... Le dessin que j'inventais était loin de la réalité... Puis le temps... Toujours le temps et les ans... Montrent-ils ensembles le sentier de l'oubli dans la jungle aux souvenirs ? C'est un constat... L'un brouille la vue et l'autre la mémoire.

Qui suis-je aujourd'hui, sinon une personne que l'àge tient par la main pour lui montrer un chemin tout au bout de la vie...

" Viens ! Dit une voix. Celle certainement d'Outre-tombe. Viens ! Suis-moi ! Ta vie a été longue, pleine de mystères, de joies et de regrets... As-tu vécu si longtemps sans sentir sur tes épaules tout le poids des souvenirs ? Qu'ils soient bons, qu'ils soient tristes ou semés de nostalgie, tu as fait ton chemin parfois sur une route bordée de senteurs parfumées, parfois comme le Chaperon rouge parmi les épines et les ronces que la vie sême sous les pieds des vivants... Rappelle-toi ! Il y a eu du bon et il y a eu du pire... Parfois la vie que l'on croit sans piège se transforme en drame, les " événements " en guerre et tu croises sur le bord du trottoir ceux qui meurent d'une balle et qu'un journal recouvre à la vue du passant... Toi aussi tu es parti faire la guerre en espérant que celles aux cheveux bruns ou blonds et aux sourires aguicheurs se souviendraient de toi... Bien que tu aies eu la chance de revenir vivant des batailles, il n'y avait plus personne... Tes amours du passé étaient toutes absentes. Elles avaient quitté la route où tu espérais les retrouver... quitté l'Algérie... J'en connais qui sont parties en Espagne, aux USA ou au Canada... J'en connais qui sont en France avec de l'amertume dans la bouche et de la honte ou de la haine dans le coeur. D'autres qui ont choisi l'oubli et l'indifférence... comme un bijou abandonné, une croix sur des passions défuntes. "

France ! Qu'as-tu fait de nous ? Tu as brisé nos coeurs, fait geindre et pleurer nos âmes ! Tu nous as méprisés et tu veux nous enterrer sans nous laisser une place dans ton Histoire. Par tes mots ou ceux de tes pantins politiciens, souvent tu nous as vilipendés, voués aux gémonies et insultés, mais nous sommes encore là.

Il est sans doute temps qu'aujourd'hui je fasse le point, trouve mon cap comme un vieux capitaine qui cherche un port pour amarrer son âme et par une passerelle fragile comme le destin, descendre sur le quai pour finir en paix mon existence de baroudeur, de voyageur... ou de rêveur.

Oh ! Ma vie. Crois-tu que ce soit le moment de me taire ? J'ai du sang dans mes veines et tant et tant de cris dans mon ventre pour défendre encore et encore cette Algérie où je suis né, où mes ancêtres ont fait de cette terre nue, un pays.

Crois-moi. Toi qui attends ma fin. Même si elle est pour demain, j'ai tout aujourd'hui pour réclamer et exiger la Vérité sur ce long chemin qui m'a conduit de ma terre natale d'Algérie vers cette Patrie où je ne trouve pas ma place.

                                                          Robert Charles PUIG 12 / 2019

Mis en page le 12/12/2019 par RP.