88                                                                                                                  Le pont Bayard

Je viens de relire le « Journal d’un exilé »  de Jean Brune, à la Table Ronde, et cette phrase m’a frappé de vérité, de perspicacité :

« Jean Massonat, agenouillé sur un blessé a été tué de trois balles tirées dans le dos, par ce que le « Figaro » appelle le service d’ordre »

Pourquoi sommes nous toujours maudits ? ajoute-t-il.

Ces lignes me rappellent mon oncle Marcel, assassiné ce même 26 mars 1962 par la mitraille française qui a traversé son corps au niveau des reins... Plusieurs impactes...

 

Alors, pourquoi titrer mon texte : le pont Bayard ? Parce que l’extrait du livre de Jean Brune résonne cinquante ans après, en 2012 comme un glas ! Celui de l’incompréhension continue qui étouffe et flétrit notre mémoire Pied-noir. Sommes-nous toujours maudits ? Devons-nous toujours supporter la honte de notre exode et accepter qu’une ville comme Toulouse, pour évidence électoraliste, se permette de donner à un pont qui a une histoire, le titre d’une défaite et du mensonge gaulliste : le 19 mars ?

Nous conservons au cœur, à l’âme et pour certains dans la chair, la meurtrissure d’une blessure, et nous avons le devoir de nous souvenir, même si notre flambeau est soumis au vent du défaitisme ou de la politique politicienne qui voit dans nos valeurs du racisme, du fascisme... Il est alors plaisant - permettez-moi ce trait d’humour caustique - pour un socialo-communiste de nous montrer d’un doigt accusateur et de saluer une terre bradée par le gouvernement gaulliste de l’époque, à la fois borné et traitre à une partie de la Nation, une partie du peuple français, en Algérie. Qui se souvient de ces événements ? Nous, seulement nous ! En effet, trop de partis politiques sinon tous ; trop de médias, à presque cent pour cent ; trop de chapelles obscures, secrètes et jusqu’à des instances religieuses, au nom d’une fausse fraternité et d’une religiosité artificielle, ne veulent pas nous entendre et se refusent à tenir compte des aspects positifs de notre Saga pied-noir.

Jean Brune que j’admire, ne se devait pas d’être pessimiste ! Dans ce monde félon, déloyal et hostile à notre mémoire, nous ne sommes pas les « maudits ». Eux le sont, ces politiciens qui aujourd’hui décident de changer les lois, de donner des droits à l’étranger, de se plier à un esprit communautariste au détriment de nos valeurs ancestrales : le drapeau que l’on peut brûler et ceux de l’étranger que l’on peut brandir comme si la Nation française n’existait plus ; le droit à la différence qui va à l’excès et contre la nature, depuis que la flore et la faune, dont nous sommes l’élément supérieur, sont nées d’un bouillon initial ! Nous avons trop d’hommes politiques imbus de pouvoir. Ils espèrent gagner les élections par l’affirmation de promesses intenables et d’une propagande rappelant les mensonges de Georges Marchais. Ne comparait-il pas la Russie soviétique à un paradis ? Où sera le notre demain, si trop d’élus pactisent avec des clans qui misent sur de la déchéance nationale ?

Notre objectif, notre pont Bayard, est d’aller toujours en avant dans nos actions pour faire entendre raison à la déraison du plus grand nombre.

Bien entendu, rien n’est gagné dans cette bataille du bon sens. Il est difficile de faire admettre une vérité criante à ceux qui ont des œillères et un esprit si obtus, qu’ils se croient obligés de nous vouer aux enfers.

Je me suis demandé parfois si ce combat, pour la justice et l’honneur de ce temps disparu valait la peine d’être mené. Notre monde est tellement borné, déformé, méprisable. Tellement loin de mon temps d’Algérie ou j’apprenais le respect des anciens et l’orgueil d’être français ! Est-ce que je mérite, que nous méritons nous les Pieds-noirs, ce sort contraire à l’honneur ?

Je suis français ! Par ma naissance, par mes ancêtres, valeureux aventuriers du dix neuvième siècle qui ont vécu les débuts de la grande aventure et de la construction de cette terre neuve et qui ont combattu le prussien en 14 / 18. Un grand père maternel né en Algérie en 1876, de parents venus de l’île d’Ischia. Il était dans les Zouaves... Un autre parent revenu de la guerre amoindri psychiquement par les heures passées sous la mitraille dans une tranchée... Je suis français parce que mon grand père paternel, arrivé en Algérie en 1895 a souhaité ses enfants français. Pour cette raison, mon père en Tunisie puis mes oncles ont connu le front en 39 / 45. L’un d’eux, Alexandre, est mort pour la France le 20 mai 1940 à Crépy-en-Valois. Un second, Marcel, le 26 mars 62... pour garder l’Algérie française à la France. Combien d’autres avec eux ? Que reste-t-il de nos idéaux ? Rien. Aujourd’hui rien !

En faisant mon service militaire en 1959, je n’ai jamais pensé, à mon retour à la vie civile en 1962 à Alger, que j’allais vivre la fin programmée de notre province française d’Algérie et ses trois départements, à cause de De Gaulle et son gouvernement. J’ai eu la chance de survivre aux enlèvements, les attentats, la mort et c’est la raison qui me donne le droit d’être un témoin, modeste bien entendu, de ce drame de mes compatriotes et de participer, sans doute trop peu, à maintenir le fameux flambeau de notre mémoire allumé contre vents et marées ; contre les mensonges et les contrevérités des divers gouvernements que nous avons eus ; que nous avons depuis le 6 mai !

Longtemps, je n’ai pas eu le temps, le courage, de me pencher sur ce passé de ma jeunesse algéroise... En France en 1962, il me fallait construire une vie. Pas reconstruire, car de ce temps de l’Algérie je ne rapportais que des souvenirs, mais rien que je puisse tenir entre mes mains, modeler et m’appuyer dessus pour dire : je reconstruis !

J’avais de la famille à Marseille, mais le maire de la ville, Gaston Deferre, ne voulait plus de rapatriés. Il niait l’exode et était comme une grande partie de sa population et des syndicats qui empêchèrent les bateaux de s’amarrer à la Joliette, pendant des jours... Personne ne nous acceptait... Alors, j’ai fait un temps parti de ceux qui se sont tus, qui n’ont pas répondu aux phrases autochtones marseillaises ou parisiennes : « les Pieds-noirs prennent nos places... Les Pieds noirs font grimper les loyers... qu’ils repartent ! » Oui, il me fallait, il nous fallait nous taire. C’était le temps de la nouvelle vie. Pour un grand nombre, sans rien connaître de la métropole, sans savoir où aller en débarquant au pied du quai, sur ce sol de la Mère Patrie les recevant si mal.

Ils étaient avec leur peine, leurs souvenirs et quelques bagages... Ils entendaient les huées de ceux qui ne voulaient pas ouvrir leurs bras et leurs cœurs à leur détresse !

Cinquante ans plus tard j’ai cru, en cette année 2012, qu’enfin nous aurions droit à ce geste de réconciliation que nous attendions... Hélas ! Il m’a suffi de voir, d’entendre, de lire les commentateurs et les journalistes gauchistes à la télévision, à la radio, dans des écrits... Ils vomissent encore, cinquante ans après notre exode la même antienne et la même propagande nous décrivant si mal. Ils n’ont pas voulu ces journaleux entendre notre version des événements... des assassinats, des viols, des morts et des disparus que nous avons laissés là-bas. Ils sont la honte de ce temps, avec trop de députés, d’hommes politiques qui trouvent, en nous rejetant, l’espoir d’un mandat prochain. Personnellement, parce que j’ai malgré tout le sens du civisme, à chaque élection je vote, en espérant que le pays change son regard sur nous, les européens d’Algérie et les musulmans : Harkis et Supplétifs si oubliés depuis 1962. Je vote et c’est souvent un vote en cherchant dans le lot des prétendants, le moins pire : celui qui n’est pas gaulliste, ni communiste, ni socialiste... Un choix très, très limité : De Gaulle était l’instrument de notre exode et les socialo-communistes, poseurs de bombes, porteurs de valises du FLN, traitres au pays, ceux qui étaient d’accord avec les gaullistes pour l’indépendance de cette terre française que nous avions baptisé du nom d’Algérie. Qui est de notre côté, avec nous, depuis cinquante ans, pour reconnaitre notre travail, celui de nos anciens qui ont créé, en Algérie, une économie et des villes modernes là où il n’y avait rien ? Ils sont si peu nombreux les hommes de raison et de bon sens dans notre monde. Même des historiens, dans la majorité des cas, prêchent l’équivoque et le fallacieux.

Je revendique d’être du temps de Tixier-Vignancourt qui défendait notre terre ; de celui du journal « Aux écoutes » que je recevais durant mon temps d’armée sous un pli sans entête et jamais mes convictions n’ont changé ! Si nous ne pouvions plus vivre « là-bas », notre départ devait se faire dans d’autres conditions. Pas dans la débâcle que le gouvernement parisien nous imposa, à cause de son obsession maladive à vouloir brader l’Algérie en nous laissant crever sous le douk-douk du FLN ! (Lire ou relire de livre de Jean-Jacques Jordi)

Du temps a passé, mais il y a toujours de la rage dans mon cœur ! Je crois à notre honneur ; je crois en notre droit au respect de nos actions en Algérie. Bien entendu, il me faut, il nous faut du courage pour continuer notre combat pour la vérité, et j’en sais de meilleurs que moi dans cette bataille où nous sommes toujours montrés du doigt, comme des coupables : par les partis politiques obtus et aveugles ; par les syndicats voués au communisme agonisant ; par les médias désinformant à plaisir et l’information et l’histoire, notre Histoire !

J’ai honte parfois, auprès d’étrangers, de mon statut de français dans ce panier de cabres de magouilleurs et de menteurs mais j’ai la conviction, un jour, d’un retournement de situation... Pour moi ? J’en doute. Pour mes enfants ou mes petits enfants, j’en suis sûr ! Ce temps viendra et c’est pour cette raison que nous ne devons pas baisser les bras, nous les Pieds-noirs ! Surtout, nous ne devons pas nous laisser convaincre par les sirènes perverses du nouveau pouvoir. Pourtant, retournons à ce passé encore récent... pourtant c’est François Mitterrand qui a rendu leur honneur à nos soldats perdus, à ces militaires du putsch !

Il a été le seul. D’ailleurs je suis toujours resté sceptique sur sa qualité de « socialiste ». Un opportuniste tout simplement. Il n’était pas ma tasse de café mais, et les suivants ? Un Jacques Chirac gaulliste et qui nous a prouvé sa capacité à considérer Bouteflika, comme un président « normal »... Un mot repris par François Hollande... Comme Jacques Chirac qui flattait l’Algérie, attendons-nous au pire, lorsque viendra le temps du 14 juillet avec le FLN... une commémoration des « accords déviants » du 19 mars et la repentance. Jacques Chirac l’avait presque prévu, après avoir offert à Bouteflika une médaille commémorative pour le rôle d’Alger pendant la deuxième guerre mondiale... Hollande nous imposera ces « festivités événementielles » ! Nous allons tomber de Charybde en Scylla !

Entre temps, Nicolas Sarkozy a-t-il fait mieux ? Il a fallu attendre la fin de son mandat pour qu’il se rende compte que les Pieds-noirs, les Harkis, tous les Musulmans fidèles à la Patrie existent... Je me répète, à la fin de son mandat. Cela ne lui a pas porté chance, d’autant plus qu’une partie de ses troupes UMP étaient plus proches des socialistes que de son idée, tardive, d’une nouvelle droite française.

Nicolas Sarkozy n’a pas été le Président que l’on espérait. Hollande n’est pas le Président que nous attendions. Notre rêve de réconciliation nationale à l’occasion du cinquantenaire de notre exode s’éloigne... peut-être encore pour cinq ans, avec le vote des étrangers du Maghreb ; la naissance d’une France du genre ; d’une justice qui défendra la délinquance contre l’ordre et permettra au drapeau français d’être brûlé ; d’une police sous contrôle des associations, des réseaux sociaux et des ligues communautaristes, sans plus aucun pouvoir et d’une éducation vouée à la déchéance des jeunes générations.

Bien entendu, il nous reste les législatives. Prochaines, imminentes. Une fois de plus il sera nécessaire de faire abstraction de notre mémoire, de notre passé, de notre ressentiment contre cette politique aberrante que nous subissons depuis tant de temps. Il va nous falloir faire un choix utile à défaut de faire un choix de cœur, au deuxième tour. C’est notre lot depuis si longtemps ! Nous ne pouvons pas, malgré nos rancœurs, notre mémoire souvent bafouée laisser à la gauche tous les pouvoirs.

Au deuxième tour, une fois de plus, si c’est le cas, je ferai contre mauvaise fortune bon cœur et je voterai pour le moins pire : celui qui ne se dira pas un homme de gauche pour que le nom du pont Bayard perdure.

Si ce simple souhait ne se réalise pas nous entrerons, avec les socialo-mélenchonistes ayant tous les pouvoirs entre leurs serres d’aigle, dans une longue nuit de « Kristalnach », une « nuit de cristal » ou notre passé, nos souvenirs et notre mémoire bruleront, pour disparaître.

            Pensons-y et ne laissons pas le pont Bayard devenir le pont de la honte.

                                                                                  Robert Charles Puig / juin 2012.

Mis en page le 06/06/2012 par RP