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Septembre ! Un mois qui réveille des souvenirs...
C’est en septembre 1962 que je quitte Alger.
« Des vacances... », explique Robert Moulin,
suite à l’afflux de Pieds-noirs arrivant en Métropole, depuis quelques mois.
Pour moi, c’est l’exode, mais sans m’en
rendre compte... J’ai arrêté mon travail à l’ORTF (l’office de la radio et de
la télévision d’Alger) sans rien dire... pris mon billet d’avion au Maurétania
et je pars comme un somnambule marche sur le toit d’un immeuble, inconscient d’une
mauvaise surprise qui peut l’attendre au réveil. J’ignorais que depuis
l’indépendance, Alger était la ville qui avait eu le plus d’Européens
enlevés ; de personnes portées disparues sans que les nouvelles autorités
du pays ou la France ne s’émeuvent de cette dramatique situation. Je n’ai pas deviné
à ce moment-là ma chance de ne pas être arrêté sur la route de l’aéroport,
malgré un barrage policier algérien et je ne savais pas qu’en arrivant sur le
sol de la Métropole, mes premiers pas ne seront qu’une suite de désillusions,
en dehors de l’accueil chaleureux que me réservera une partie de ma famille.
A l’aéroport d’Alger-Maison-Blanche une
agréable rouquine aux yeux verts, relation de mon frère René appelé sous les
drapeaux à 19 ans dans le cadre d’un décret gouvernemental touchant tous les
jeunes Pieds-noirs, s’occupa de l’enregistrement de ma carte d’embarquement. Elle
la modifia en me surclassant en première classe du « Caravelle ».
L’avion allait m’emporter par-dessus la
Méditerranée mais je n’imaginais pas encore quitter définitivement ma Terre Natale.
Pendant le vol, une coupe de champagne me fut offerte. Douce, amère ? Je
ne m’en rappelle plus mais tout à coup cela me ramena à ce champagne bu au
boulevard Saint Saens, chez Claude G... C’était la veille de notre départ à
l’armée, en 1959. Nous avions trinqué entre amis, filles et garçons, sans
deviner que c’était le dernier champagne au goût de jeunesse que nous buvions
et qu’au retour à la vie civile, à cause des mensonges de De Gaulle, plus rien
ne serait pareil... Que la fin de l’Algérie française s’annonçait par le
meurtre, l’assassinat et le crime d’Etat...
Sur le tarmac de Marseille-Marignane, suis-je
le bienvenu ? Oui pour une partie de ma famille déjà marseillaise, mais au
passage en douane j’ai le droit à la fouille par les CRS. Ils ont du plaisir à
retourner les vêtements de mon unique valise, mettant du désordre là où ma mère
avait passé tant de temps à ranger mes affaires. (Mes parents et ma jeune sœur
ne tarderont pas à prendre ce chemin de l’exode).
Interdit
de rapatriement par Gaston Deferre à Marseille, c’est à Meyzieu, près de Lyon,
que je fais toutes mes démarches d’exilé, revenant chaque fois retrouver mes
proches pas loin de la Canebière. Les premiers temps de cette existence nouvelle,
il m’arrive de trouver comme une tache rouge sur le soleil provençal... le sang
qui coule de l’autre côté de la Méditerranée... et dans les calanques, la mer
me paraît plus noire que bleue.
Pourquoi, en ce mois de septembre 2012, si longtemps
après 62, tous ces souvenirs ? Parce qu’à la radio, j’entends cette
symphonie remarquable de Modest Petrovitch Moussorgski. Elle me transporte loin
en arrière, vers un temps tellement ancien. Cette musique me rappelle soudain
un autre monde.
L’orchestration puissante fait jaillir
des images, des sourires et des peines... des instants d’intense bonheur,
d’émotion et d’une grande tristesse... ma jeunesse, croquée sans retenue et le
souvenir de cette terre africaine rougie du sang des crimes... Le rythme
mélodique puissant m’emporte dans un rêve ou je retrouve des amours innocents,
le soleil de là-bas, le ciel bleu et cette Méditerranée pareille à nulle autre.
J’écoute l’orchestre... Ses envolées musicales grondent et tonnent lorsque les
cordes et les cuivres s’unissent à la peau des tambours pour que les notes
montent au-dessus d’une montagne nue jusqu’aux cieux, se croisent, s’accouplent
presque charnellement, érotiquement. C’était hier... C’était avant la tragédie
et la terreur... C’était, il y a plus de cinquante ans... Les mouvements harmoniques
se font soudain plus doux, plus sereins. Ils apaisent les battements de mon
cœur.
La musique se tait...
Je
referme le coffret aux souvenirs et j’ouvre les yeux.
Où suis-je ? Dans ce coin de France où
la mer et le soleil me rappellent mes vingt ans. Pourtant aujourd’hui, ce n’est
plus de la nostalgie qui habite mon âme, mais j’ai en moi la colère de celui
qui sait que les mensonges perdurent. J’ai reconstruit différemment une vie,
mais il me manque la reconnaissance de mon passé, du passé de mes ancêtres.
J’attends depuis si longtemps que la mauvaise volonté du plus grand nombre fasse
place à la vérité et la sagesse ; que nos diverses autorités nationales
reconnaissent que nous ne sommes ni des factieux, ni des profiteurs sans
scrupule d’une terre d’Afrique du Nord devenue étrangère. Des anciens ont créé
un pays moderne en Algérie. Ils ont semé, planté, construit. Pourquoi, à l’aube
de ce cinquantenaire : 1962 / 2012, la Métropole ne veut-elle toujours pas
reconnaître les actes positifs de ce temps des conquêtes ni nous tendre la
main ?
J’ai cru qu’en 2012 la brûlure de ma
mémoire serait cicatrisée et que je pourrais sans rougir, honorer plus de 132
ans d’Algérie française. Je m’aperçois que rien n’est réglé, rien n’est soldé,
de cette si longue histoire. 2012 n’est qu’un florilège de mensonges de la part
des médias, des politiciens et d’associations perverses dans leur propagande de
fausses vérités, de colloques où seuls des ex-terroristes FLN sont invités et
encouragés à nous critiquer, nous vilipender alors que nous continuons à être censurés
et interdits de nous exprimer publiquement. Des villes de France ouvrent leurs
portes et leurs salles de conférences pour que les assassins fellaghas
s’expriment librement ; des places du « 19 mars 1962 »
continuent d’être baptisées de cette date horrible et au tribunal de la haine
qui sévit et trouble l’Histoire, la sentence qui nous montre du doigt reste la
même : « Coupables ! ».
Ô
Moussorgski ! Ta musique m’a emporté un temps vers un ailleurs, mais en
France les chaînes qui me supplicient et me condamnent ne sont toujours pas brisées.
La nostalgie s’estompe comme un nuage qui
traverse le ciel.
2012 ! Sur TF1, la réalité c’est
François Hollande et ses commissions, ses promesses et les impôts... C’est le
temps trouble du socialisme... Impossible pour moi d’en entendre plus. Sur mon
électrophone je place un vieux vinyle pour écouter Louis Armstrong au cornet
jouer un de ses mythiques morceaux : « Muskrat Ramble », avec
Kid Ory et Johnny Dodds.
Quel
plaisir ce jazz mon vieux Roger S..., complice de frasques d’antan !
Robert Charles Puig / septembre 2012
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