Pieds-Noirs
dans la Cité.
« Algérianisme
en Pays d'Aix ».
« Pieds-Noirs
dans la cité » : le titre que nous avons choisi appelle
aujourd'hui une explication.
En effet, il est
plutôt en accord avec l'air du temps, car il renvoie à
l'identité d'un groupe qui s'affirme comme distincte des
autres au sein de la ville et, par suite, au sein du pays entier.
De ce fait même
il semble paradoxal appliqué aux Pieds-Noirs.
Car en Algérie
nous voulions tout de la France: son histoire, sa littérature,
ses modes... Les quartiers o¯ l'on trouvait l'air bon pour la
santé s'appelaient « climat de France ». Les
villages que nous avons créés portaient le nom de
grandes victoires napoléoniennes ou d'écrivains
comme Mondovi, Taine, Victor-Hugo ou Lamartine.
Nos pères
ont chanté la Marseillaise en 1914 et en 1940. Nous l'avons
chantée même lorsqu'elle nous fut interdite. Nous
avons étendu notre linge au balcon : une chemise bleue,
une jupe blanche, une nappe rouge, lorsque la possession d'un
drapeau tricolore était considérée comme
un acte séditieux qui pouvait nous valoir l'arrestation.
Autrement dit
nos attentes se situaient alors aux antipodes de ce que l'on appelle
aujourd'hui les revendications identitaires ; aux antipodes de
celles qui semblent préparer la transformation de la France,
une et indivisible, en une marqueterie d'histoires particulières.
J'utilise quelquefois,
et comme tout le monde, et parce qu'il faut bien nous nommer,
l'expression « communauté Pieds-Noirs »
mais je renâcle devant le mot « communauté
» comme je l'ai toujours fait devant « Pieds-Noirs
».
Des liens étroits
se sont noués entre les « Rapatriés »
au moment de l'épreuve de 1962. Des dizaines d'années
après, nous nous retrouvons encore par le biais d'une adhésion
particulière à la France. Elle s'est formée
en Algérie dans nos écoles. Elle se vivait au quotidien.
Nous ne l'avons pas vraiment perdue. Nous sommes faits ainsi.
C'est ce qui a orienté notre destin.
Cette fidélité,
exotique, pour ne pas dire archa•que aujourd'hui, nous tient lieu
de référence première comme pour d'autres
la religion, ou l'origine ethnique. Sauf qu'elle nous place en
situation d'opposition par rapport à eux.
Nous perdons sur
les deux tableaux. Nous sommes considérés comme
« communauté » par ceux que la montée
du communautarisme agace et inquiète, et comme dangereusement
attachés à l'héritage français pour
ceux qui trouvent l'héritage français incompatible
avec la société multiculturelle qu'ils préparent.
Nous sommes la
communauté des Français qui ne voulaient pas devenir
une communauté.
Puisque, aujourd'hui,
on forge facilement des mots nouveaux, je prends le risque d'une
construction qui n'est pas académique en disant que l'on
nous a « communautarisés »
Nous sommes la
communauté de ceux qui ne voulaient pas venir s'installer
par force en France en exigeant de changer l'histoire de France.
Nous sommes la
communauté de ceux qui voulaient vivre dans le pays de
leur père tout en aimant et en servant la France, comme
elle était, car nous la trouvions admirable.
Alors c'est tout
simple, peut-on penser, puisque cette communauté nous a
été en fait imposée, il suffirait de renoncer
à la faire vivre. Il suffirait de « tourner la page
» comme on nous le recommande souvent.
45 ans après,
il serait temps de vivre en France et dans sa ville comme un autochtone
! (ou un indigène)
Voilà bien
le fond du problème !
Plus qu'un autre,
un Pieds-Noirs voit sa place s'y restreindre s'il veut simplement
être lui-même, c'est-à-dire être dans
son entier. On ne demande pas à un Provençal, à
un Corse ou à un Breton de renier 20, 30, 40 ans de sa
vie. Pourquoi l'accepterions-nous plus que d'autres ?
Un élève
n'apprend plus les vers de Corneille, Voltaire devient suspect,
ne parlons pas de la Chanson de Roland et oublions Austerlitz.
On enseigne aux enfants une littérature et une histoire
recomposées et cela semble indolore pour la plupart des
parents, au moins pour le moment. Mais ce que l'on apprend aux
élèves sur la colonisation, ce qui circule sur internet,
ce qui est publié jour après jour dans la presse,
la violence de l'opposition à la loi du 23 février,
ne l'est pas, indolore !
Après que
l'Education nationale ait écarté les grandes dates
de l'histoire de France, les mêmes apprises par des générations
d'écoliers, celles qui formaient le socle de la conscience
nationale, une grande partie de la population s'est plu à
montrer qu'elle les dédaignait.
Aujourd'hui les
jeunes les ignorent, tout simplement. Mais un certain nombre d'enseignants
en proposent d'autres comme le 19 mars ou le 17 octobre. Les plaques
en l'honneur des Français complices du FLN se sont multipliées
dans la capitale
Plus que jamais
nous vivons sur des images, des mots, et des symboles dont le
code est brouillé.
La France, davantage
peut-être encore que d'autres pays, a fixé son histoire
au fil des siècles à travers les édifices,
la langue, et les dates qu'elle a choisi de commémorer.
Sans évoquer les cathédrales, pensons aux monuments
de la guerre de 1914 qui, avec l'église et la Mairie, constituent
l'archétype du village français.
Il est significatif
que le socialiste François Miterrand ait conservé
sur ses affiches électorales la silhouette d'une église,
faisant ainsi référence aux racines françaises,
alors même qu'il défendait la la•cité et que
ses thèmes de campagne étaient : changement et progressisme.
Il inscrivait son projet dans la suite de l'histoire de France.
Lorsque des femmes
musulmanes voilées se drapent dans le drapeau tricolore
pour prévenir que la République la•que devra s'adapter
aux croyances des diverses populations de la nouvelle société
française, elles investissent un symbole.
Le chant des Africains
fut celui des soldats d'Afrique du Nord engagés dans les
combats pour libérer la France durant le deuxième
conflit mondial. Il fut le chant de la fraternité des armes,
puis le chant interdit des derniers moments de l'Algérie
française. Plus tard, après l'arrivée en
Métropole, ce fut le chant par lequel les Pieds-Noirs terminaient
leurs réunions alors qu'ils essayaient de reprendre pied
dans la vie en renouant le lien entre leur présent et leur
passé.
C'était
celui que l'on entonnait en mémoire des Disparus, de nos
proches enlevés, assassinés : chant de protestation,
chant de fidélité.
Le symbole là
aussi a été investi. Son contenu délibérément
et radicalement changé. D'abord les paroles en ont été
modifiées, ensuite il fut chanté devant le tout-Paris
lors de la projection du film « Indigènes ».
Or ce film n'exalte pas la fraternité d'armes et l'engagement
des soldats de l'armée d'Afrique, toutes origines confondues,
au service de la Patrie. Ce film tait au contraire la participation
des 176 000 soldats d'origine européenne. C'est ce qui
accrédite la fable du soldat musulman traité en
esclave, ou en mercenaire, que la France a utilisé pour
épargner la vie de ses fils.
Taire l'engagement
des Européens d'Algérie dont le taux de mobilisation
de16,4% était très au dessus de celui de toutes
les autres armées, sauf l'URSS, utiliser le mot «
indigène » seul, pour sa connotation actuelle qui
est celle du mépris, c'est une fois encore grossir la faute
et la dette de la France, c'est une manipulation et une captation.
Je ne crois pas
que le chant des Africains rassemblera vraiment ceux qui l'ont
chanté, car on ne réunit pas des hommes par le mensonge
et la parodie, mais on s'empare des symboles comme on investit
des places fortes, pour les détruire.
¬Nous pourrions
faire la même analyse pour le 8 mai 45 : Le rappel de la
répression française après les massacres
d'Européens à Sétif se greffe de plus en
plus systématiquement sur la commémoration de la
victoire.
Je sais bien que
nous semblons collectionner les occasions de révolte. Nous
écrivons des textes de protestation. Combien, parmi ceux
qui les reçoivent, les lisent ? Et s'ils les lisent, combien
en nourrissent leur réflexion ? Et s'ils trouvent les arguments
fondés, combien veulent réagir vraiment ?
Nos refus complètent
la caricature que l'on fait de nous : l'accent, l'anisette, la
nostalgie, le repli sur le passé. Alors nous nous retrouvons,
ici, dans notre maison commune o¯ l'on vient parfois nous rendre
visite.
Mais nous voyons
le monde à la télévision. Comme hier, des
philosophes, des sociologues, des politologues, décryptent
le présent pour préparer l'avenir. Leurs analyses
télescopent celles des hommes politiques.
L'Irak, le Liban,
la Palestine, le terrorisme, le choc des civilisations... Le monde
devient dangereux, nous dit-on. Trop dangereux pour vivre dans
le passé... Voire !
Dans notre fauteuil
nous écoutons Antoine Sfeir, l'un des spécialistes
reconnus du Moyen Orient, enrager de l'analyse simpliste que les
média font en France de « l'Orient compliqué
» Il déclare fondamentale la responsabilité
de la presse dans la façon dont l'opinion appréhende
les problèmes. L'Occident, dit-il, ne prend pas la dimension
du religieux, et la logique Islamiste est au-delà de celle
des nations. Il affirme que l'approche de la démocratie
ne se fait pas par le suffrage universel mais au terme d'un processus
initiatique qui éclaire la population...
Toutes choses
que nos pères ont découvertes il y a longtemps,
lorsqu'il leur a fallu vivre, soigner, administrer, enseigner,
bâtir en Algérie.
Le bulletin de
vote est considéré en France comme la solution miracle.
On a vu dernièrement des élus le présenter
dans les banlieues comme l'alternative à la violence. Sans
véritable éducation il deviendra seulement l'instrument
de quelques uns pour manipuler les autres et peser sur les candidats.
Cette question là non plus n'est pas nouvelle pour nous.
Le philosophe
Alain Finkielkraut, quant à lui, évoque sa souffrance
et son indignation face aux accusations de racisme dont il est
l'objet « L'antiracisme, dit-il, ne veut pas la disparition
du racisme, il veut des racistes à détester, au
besoin il les invente ». La formule est excellente.
Que ne l'a-t-il
trouvée plus tôt, car ce procès insupportable
est instruit contre nous depuis des décennies. Mais le
philosophe, lui au moins, dispose de la télévision
pour s'en plaindre.
Je voudrais évoquer
maintenant le texte d'un autre philosophe, tunisien celui-ci,
Abdelwahab Meddeb. Dans un article publié peu de temps
après le 11 septembre, il écrivait qu'il avait quitté
Paris « o¯ l'évènement américain a
suscité une forme de jubilation.... » « C'est
en constatant cette jubilation française en milieu populaire,
en milieu intellectuel, que j'ai tenu à affirmer ma position
face à un tel évènement, à refuser
de partager cette jubilation, à la répudier en dénonçant
de la manière la plus tranchée le crime que constitue
le 11 septembre. »
« Le 11
septembre, doublé de l'aggravation de la cause palestinienne,
repose la question du terrorisme et ouvre un débat politique
et théologique sur la légitimité du terrorisme... »
« La question
du terrorisme était déjà soulevée
en Algérie, à l'époque, et parce qu'elle
n'a pas été véritablement traitée,
pensée, qu'il n'y a pas eu de prise de position tranchée
sur cette question, qu'elle est même passée par un
processus d'héro•sation a posteriori, elle s'est mise à
appartenir à la culture politique. Je dis que le terrorisme
a constitué une culture parce que le retour à la
terreur pendant la guerre civile algérienne des années
90 utilise le même type d'action que celle des années
50, mythifiée par la geste nationale . Pour ce qui concerne
le terrorisme des années 50, la position d'Albert Camus
mérite d'être rappelée. Il était le
seul à renvoyer le terrorisme à son illégitimité
morale, mais il est resté solitaire dans le milieu des
intellectuels de gauche dominant à Paris. Je vois quant
à moi une nécessité de revenir à la
position de Camus pour ce qui concerne le refus éthique
du terrorisme.... Qui peut être capable d'immenses nuisances
et qui est probablement annonciateur du terrorisme atomique »
(fin de citation)
A ma connaissance
ce philosophe a été l'un des seuls à voir
dans les attentats des années 1950, en Algérie,
la matrice de ce qu'il appelle une culture du terrorisme dont
la France ne se dégage pas. Dans un numéro de «
La Provence » de septembre 2002, un intellectuel reconnu
à Aix répondait au journaliste qui l'interviewait
à propos du 11 septembre : « entendons nous sur le
terme de terrorisme..... Selon vous, s'il n'y avait pas eu de
terrorisme en Algérie, ce pays serait-il aujourd'hui indépendant
? Mon père a été fusillé par les Allemands,
il était considéré comme un terroriste par
le régime de Vichy »
Les plaques que
l'on appose à Paris, que j'évoquais tout à
l'heure, les démonstrations d'amitiés à ceux
qui assassinèrent des colons dans leurs fermes, l'hommage
rendu par des autorités intellectuelles ou morales aux
femmes qui posèrent des bombes dans les cafétérias,
font partie de notre quotidien.
Nous sommes, dit-on,
tournés vers le passé mais pourtant, et plus que
d'autres sans doute, nous sommes attentifs au présent.
Nous avons essayé de dénoncer cette culture du terrorisme.
Nous avons consacré des mois de travail à l'analyse
des livres scolaires. Le rapport remis aux autorités françaises,
dans le cadre du Haut Conseil aux Rapatriés au sein duquel
j'avais été nommée, concernait surtout cette
légitimation du terrorisme qui transparaît dans la
présentation des mouvements dits de libération.
C'est certainement la question qui aurait dû être
tranchée par la loi du 23 février concernant l'enseignement.
Le débat a été escamoté
Etre Pieds-Noirs
dans la cité c'est être à la fois concerné
et écarté. Contradiction difficile à vivre.
Il existe des voies diverses pour y échapper. La nôtre,
celle du Cercle, est l'affirmation.
Au sein de nos
associations nous avons étudié l'histoire de la
France en Algérie. Je ne suis pas vraiment d'accord avec
ceux qui se désolent de ce que nous restions entre nous
à entendre ce que nous savons déjà. Nous
sommes bien loin de tout savoir. Il est important d'apprendre,
et de conserver les sources du savoir : les documents pour l'avenir.
C'est d'ailleurs la promesse du don des archives à l'Algérie
qui a nous a décidés à créer le cercle
Algérianiste d'Aix.il y a 20 ans.
La première
conférence eut lieu à la salle des mariages de la
Mairie d'Aix. Le professeur Goinard nous présenta une étude
sur la désinformation. Puis ce fut le conservateur des
archives en Algérie qui vint nous décrire l'épopée
du transfert des documents mené presque sans moyens et
sans préparation. Il s'agissait d'un volume insignifiant
par rapport à celles laissées en Algérie
; « l'équivalent des archives de l'école des
mines » précisa-t-il. Le débat à propos
des dossiers de l'hydraulique était un leurre car mieux
que personne il savait que toutes les archives techniques étaient
restées sur place.
Après quoi
nous avons fait diverses recherches et monté des expositions
sur le régime des terres et les créations de villages
car l'accusation de spoliation, et de l'exploitation de l'homme
par l'homme, était récurrente.
Nous avons élargi
au fil des années le champ de ces programmes : la naissance
de l'agriculture, le développement du matériel et
des techniques agricoles, l'Algérie romaine, la culture
berbère traitée par les tout premiers spécialistes
du sujet : Monsieur et Madame Camps, la littérature.
Nous avons reçu
les personnalités les plus diverses, souvent celles qui
trouvaient dans notre association une possibilité d'exprimer
ce qu'elles ne pouvaient dire ailleurs, (sans être pour
autant proches de nous). Ainsi le préfet Vaujour qui, en
Algérie, était en charge de la sécurité
au moment de l'insurrection du 1 er Novembre 1954. Il analysa
les raisons de son échec à l'empêcher. Raymond
Muelle nous parla de l'importance du terrorisme en France, du
découpage de la Métropole en villayas et des réseaux
de porteurs de valises, Le préfet Coutelen qui avait eu
la responsabilité du transfert de Messali Hadj intervint
sur le développement des courants nationalistes.
Nous avons connu
des moments d'une rare intensité en entendant le témoignage
d'Andréa Santoni, emprisonnée avec les droits communs
à cause de son attachement à la France, ou le Commandant
Hélie Denoix de St Marc qui s'exprimait pour la première
fois parmi des civils sur son itinéraire de soldat, aux
avant- postes de l'histoire.
Nous avons eu
des soirées inattendues, mais passionnantes, lorsque trois
ex-administrateurs de communes mixtes se mirent à débattre
du rôle des confréries religieuses en Algérie,
oubliant pratiquement le sujet annoncé. Hommes de terrain,
ils auraient sans doute intéressé plus d'un spécialiste
verni de connaissance théorique.
Le cercle a organisé
près de deux cents conférences, toutes ouvertes
aux Aixois qu'il n'était pas facile d'informer de nos activités.
Durant plusieurs
années « le Méridional » (régulièrement)
et « Le Provençal » (quelquefois) firent connaître
nos conférences qui avaient lieu à la salle Voltaire,
c'est-à-dire au centre ville
Ces deux facteurs
réunis nous ont permis de développer le Cercle Algérianiste
d'Aix qui avait été précédé
dans sa création par une vingtaine d'autres associations
de Français d'Algérie.
Cependant les
choses changèrent. Au cours d'une réunion organisée
pour les présidents d'association, lors de la fusion entre
« Le Méridional » et Le « Provençal
», j'interrogeais les journalistes sur l'impossibilité,
nouvelle pour nous, de faire connaître notre programme dans
la presse. L'un d'entre eux me répondit que la possibilité
de ne pas informer le public des activités proches du fascisme
faisait partie de l'éthique professionnelle.
Je l'ai dit déjà,
le seule moyen d'échapper à l'injustice et aux accusations,
pour qui refuse de renier son origine de Français d'Algérie,
c'est de travailler pour comprendre, et d'affirmer quand-même
.
« Quand
même ! » est ainsi devenu ma devise. Plus ou moins
clairement formulée, je crois la partager avec celles et
ceux qui continuent. D'autres nomment cela « nostalgie du
colonialisme » ou « passéisme ».
Dans un pays o¯
chacun doute de soi, et de ses pères, nous nous sommes
construits par cette recherche. Nous avons finalement eu un avantage.
L'accusation contre notre histoire était si forte et si
permanente que nous ne pouvions pas vraiment craindre de découvrir
pire. Nous, nous connaissions nos pères, leurs vies. Pour
eux il nous revenait de « ne pas subir » de réagir.
C'est aussi par
cette recherche que nous sommes devenus « Algérianistes
». C'est-à-dire nous-mêmes, dans notre entier.
Certes, la fédération
des Cercles Algérianistes à laquelle nous appartenons
s'est inscrite dans la suite d'un courant littéraire du
début du XX siècle : « l'Algérianisme
» à qui des hommes comme Jean Pomier ou Robert Randau
ont donné son impulsion. Mais eux-mêmes ne faisaient
que prendre acte d'une réalité nouvelle en train
de naître. On ne l'a jamais mieux cernée, je crois,
que par la formule d'Emile-Félix Gautier « Un germe
d'inconnu » . l'historien appelait ainsi cette nouveauté
qui naissait de la rencontre de deux mondes jusque là inconciliables
: l'Orient et l'Occident, à travers les hommes qui vivaient
en Algérie : la France aux racines chrétiennes et
l'Islam implanté au Maghreb.
Il a été
détruit, ce germe, sans que l'on puisse savoir ce qu'il
aurait produit. Peut-être n'était-il pas viable.
Comment en être sûr ? Les intellectuels français
le nient car ils ne peuvent pas « le penser ».
Me voici donc
au bout de cette réflexion sur le Pieds-Noirs dans la cité.
Et plus précisément de l'Algérianisme en
pays d'Aix.
Qu'en est-il de
l'avenir ?
On dit plus fréquemment
aujourd'hui que les Français d'Algérie n'étaient
pas « tous » comme on les a peints. On reconnaît
aussi que la fusillade du 26 mars a bien eu lieu ainsi que les
enlèvements du 5 juillet.
Des émissions
comme celles de Jean Pierre Carlon, il y a quelques temps, comme
celle de Gilles Pérez, sur FR 3, tout dernièrement,
sont importantes. Elles le sont d'abord pour ceux des Français
d'Algérie qui étaient dépossédés
de leur passé et qui se retrouvent dans les paroles des
autres, qui ont vécu la même histoire. Nous mesurons
moins l'influence qu'elles peuvent avoir sur le reste de la population.
Pour autant nous
ne sommes pas au bout de la route.
En effet l e mensonge
est corrupteur. Il change les données, il les change plus
profondément dans un monde qui va plus vite. On ne répare
pas vraiment ce qu'il a profondément endommagé.
Il est désormais
interdit de porter des accusations sur les Harkis. C'est bien
! Pour autant sait-on vraiment qui ils étaient ? Leur combat
durant la guerre révolutionnaire, comme celui des soldats
musulmans pendant la seconde guerre mondiale, sont présentés
comme n'étant pas les leurs.
On admet plus
souvent que les Pieds-Noirs furent victimes des conditions de
l'Indépendance, mais ils restent les acteurs de la colonisation
considérée comme le mal absolu.
C'est ce qui donne
son sens à notre travail : faire connaître l'Ļ uvre
française en Algérie, édifiée à
la rencontre de deux mondes, par des hommes imparfaits et courageux
au nom d'un idéal respectable. Même si on peut lui
reprocher à cet idéal, dans une société
qui est celle du relativisme, de s'être cru universel.
Evelyne Joyaux