1961, année charnière ?
Ouvrant avant l’heure le bombardement
médiatique dont nous sommes menacés pour le cinquantenaire de la mort de l’Algérie française, la chaîne FM
France Culture a produit récemment une
semaine d’émissions sous le titre « Algérie 1961, année charnière ».
Elle n’a pas lésiné : trois heures chaque matin pendant cinq jours ! chaque matinée comportant un volet « archives »,
un volet « débat », un volet « documentaire », le tout fort
bien fait sur le plan technique, avec de gros moyens.
D’emblée
les débats vont au fond du problème historique avec une édifiante affirmation
de Wassila Tamzali :
cette dernière, dont le père fut tué par le FLN, est connue par son livre, « Une
éducation algérienne », passionnant
retour sur l’itinéraire d’une intellectuelle militante du FLN dont l’unique et
constant fil conducteur est une haine quasiment pathologique de la France et
des Français. Laquelle déclare sans ambage que sa
famille était parvenue au faîte des honneurs, du pouvoir et de la fortune,
respectée de tous dans l’Algérie des Français, et que néanmoins, les Algériens
eussent ils été tous dans cette situation, ils auraient été tous nationalistes.
En clair, les musulmans se sont révoltés, non parce qu’ils étaient pauvres ou
opprimés, mais par ce qu’on ne peut appeler autrement que du racisme à l’état pur… quel aveu ! Il
est assez curieux de rapprocher ce propos des interviewes multiples de
musulmans interrogés dans l’émission, dont pas un seul ne se montre hostile aux
Français d’Algérie, même à l’époque, et même parmi des fellaghas
prisonniers ; on entend même à l’occasion de franches déclarations de
fraternité ! Serait ce cette haine qui ressemble à l’amour ?...
Autre aveu révélateur, et combien
important : toutes les personnalités du FLN interrogées (dont
« Si » Azzedine) confirment ce que Ben Bella avait clamé depuis
longtemps : dans l’esprit des « fondateurs », les Européens
n’avaient aucune place dans l’Algérie indépendante, et les déclarations contraires
n’étaient que pour endormir l’opinion française. Avis à ceux qui, de nos jours,
prétendent imputer notre exode à des craintes irraisonnées ou à l’action de l’OAS ….. un de ces chefs fellagha fait, par ailleurs, une description
complaisante des méthodes par lesquelles il recrutait ses combattants par
l’intimidation et la menace dans des douars de montagne livrés à eux mêmes. On
est loin du paradigme du peuple unanime en révolte spontanée contre ses oppresseurs ! Dans une de ses remarquables et très
mesurées interventions, Boualem Sansal,
qui supervisait les débats, observe d’ailleurs que le FLN s’est d’abord imposé
par la violence.
La
présence de cet écrivain a contribué à remettre de la chair et du sang dans
cette histoire, par ailleurs déshumanisée par des historiens manifestement
incapables (c’est aussi une révélation de cette
émission) d’entrer dans la dimension
humaine des évènements. Il est vrai que les historiens présents étaient d’abord G.Meynier et R. Branche, idéologues d’une partialité
caricaturale : la torture, bien sur, fut mise en épingle comme le fait
principal de cette guerre, partant de trois références que sont D. Boupacha, D. Bouhired et H. Alleg ; or on sait que les deux Djemila n’ont jamais
été torturées ailleurs que dans la péroraison de leurs avocats et dans la propagande du FLN. Quant à H.Alleg, jamais torturé lui non plus (v.
le témoignage à l’époque du Dr Michaux, médecin légiste) il initia, sous
l’égide du PCF, cette méthode érigeant en système de défense l’accusation de
torture… avec le formidable succès que nous savons. Et pour les supplices
exercés par le FLN sur de parfaits innocents choisis comme tels, ce ne sont que
des « exactions »…..
Mais
pouvait on faire confiance aux historiens ? pour réponse on citera M. Jauffret, pourtant réputé sérieux,
prétendant dans le débat que les villages de regroupement ouverts par l’Armée
déplaçaient 2 millions de
personnes ! chiffre exorbitant et totalement
faux, complété par une description, tout aussi fantaisiste, les assimilant à
des camps de concentration…. Cependant ces considérations militaires ont donné
lieu à des échanges instructifs :
dont le concept de « guerre dissymétrique » exposé par un
spécialiste des guerres subversives ; nous avons subi une guerre non
déclarée entre une puissance classique technique et une organisation
idéologique sans règles ni morale : ce type de conflit, d’après ce
militaire, peut être gagné mais à condition de sortir de la règle démocratique.
Pour nous, c’est enfoncer une porte ouverte, mais c’est dire aussi que nous étions
condamnés à perdre.
Difficile aussi de faire confiance aux
historiens lorsqu’on entend l’un d’eux déclarer froidement qu’en 1961 l’OAS a
fait plus de morts que le FLN ….
Les lieux communs sur les « citoyens de
seconde zone » ne nous ont pas été épargnés, sans que personne mentionne
que chacun pouvait sortir du « statut personnel » à tout instant et
jouir de la citoyenneté française sans restriction, sans que personne non plus
n’évoque la quadrature du cercle qu’était ( et est
encore ) la coexistence du droit islamique et du droit commun français.
Des
documents nous ont rafraîchi la mémoire sur la palinodie des premières négociations officielles de 1961
avec le GPRA à Evian, et l’échec que l’on sait ; saisissante interview de
Louis Joxe, liquéfié après l’humiliation que lui avaient fait subir les
Barbaresques, arrogants jusqu’à l’insulte…. De même les discours de De Gaulle à l’époque, son éclatant cynisme, son mépris
affiché pour le passé et pour les hommes, sa démagogie, ses mensonges et hélas,
les applaudissements des foules à son verbe : cela ressort fort bien,
malignement mis en valeur par les responsables de l’émission. Et puis, bien
sur, après le pseudo putsch d’avril, réactions à chaud des officiers gaullistes
et de quelques furieux du contingent, révélateurs du climat de guerre civile
fabriqué par le général. D’ailleurs seuls ont été sollicités des militaires
violemment hostiles à l’Algérie française , ou au
mieux de ceux « qui ne savaient pas ce qu’ils venaient faire
là » : question que, curieusement, les 173 000 Pieds noirs de 1943 ne
s’étaient pas posée en Italie ou dans les Ardennes…
Des
nombreuses interviewes reproduites, dont quelques unes –sans plus– auprès des Français d’Algérie, de l’époque et d’aujourd’hui, on retire
des impressions diverses et quelques « matériaux historiques », tels
que ce brave musulman de la Kasbah racontant comment, le dimanche, il avait
coutume de se baigner à la Madrague ; cette plage étant présentée
couramment (v. ARTE) comme interdite aux musulmans…. Ou cette très virulente militante FLN racontant candidement
avec des frissons comment, circulant avec sa voiture à Constantine, elle fut
glacée d’effroi, prise dans une manifestation de jeunes gens pour l’Algérie
française. La pauvre chérie ne réalise pas que d’autres jeunes femmes,
européennes, ont été aussi prises dans des hordes de manifestants FLN, la
différence étant que ces dernières n’ont plus eu le loisir de le raconter… on retiendra la remarquable intervention de
J.C. Perez, comme on pouvait s’y attendre sans langue de bois, exposant crûment
le problème de la survie des Européens et du nécessaire combat dont, hélas, ils
n’ont pris conscience que bien trop tard. La seule interview extensive,
réalisée sur place à Mascara dans un cimetière européen, est consacrée à Mme
Aline Cespedes-Vignes, auteur de 2 ouvrages
d’évocation des dernières années françaises. Pourquoi elle, parmi les auteurs si nombreux dans le genre ? On
croit comprendre que son sésame pour l’émission fut la phrase prononcée au
début : « je savais dans mon fors intérieur que leur combat (celui du FLN) était légitime »…
Le mot de passe obligé…!
Sur
la description de la situation de l’époque, occultation totale de ce qui
gêne : l’action pacificatrice de l’Armée tournée en dérision, pas un mot
sur les SAS, dont l’action fut pourtant si importante et si novatrice. Pas un
mot des persécutions du pouvoir à l’encontre de la population européenne, pas
un mot des enlèvements, des égorgements, de l’exode prévisible et déjà
commencé, des polices parallèles, des arrestations arbitraires de jeunes, des
camps de Djorf et de Lambèse, des tortionnaires comme Desbrosse… Les souffrances du peuple pieds noirs,
n’existent pas, pertes et profits… en revanche, la manifestation du FLN à Paris
le 17 octobre, dont le bilan est grotesquement refabriqué,
est décrit horrifiquement, bien que Boualem Sansal reconnaisse
honnêtement qu’à l’époque il en avait à peine entendu parler.
Les
extraits de films illustrant la partie documentaire sont pratiquement tous tirés
d’œuvres très orientées, genre « La bataille d’Alger » et il est
surprenant de constater combien, déjà, ils sonnent faux … R. Branche,
« historien » d’extrême gauche fait à ce propos une remarque assez
plaisante, s’étonnant du bruit fait autour de « Hors-la-loi », film
insignifiant, puisqu’on était libre
d’aller voir d’autres productions… comme si on avait
le choix ! pas la moindre mention du film de J.P. Lledo, totalement passé sous silence, alors qu’il est
justement un véritable événement. Un certain J.Ferrandez,
auteur d’une assez médiocre B.D. sur cette guerre, plaide pour ne pas céder à
l’anachronisme, dans lequel pourtant il plonge en permanence dans son oeuvre,
sans doute de bonne foi : une illustration de la difficulté qu’il y a à
revivre un temps sur lequel tant de mensonges ont passé, et pourtant si proche…
Au
total, les inébranlables paradigmes du siècle restent le socle de toute
approche de l’Histoire : il est entendu que tout le monde savait que
l’Algérie serait indépendante (sans doute avons nous mauvaise mémoire...), que
tout le peuple algérien (dont les Pieds noirs n’ont jamais fait partie) s’est
soulevé contre un colonialisme oppresseur, que la nostalgie est un sentiment
réactionnaire (quand elle est ressentie par nous), que la colonisation était
un échec (que nous ayons remis à des assassins le pays quasiment le plus
moderne d’Afrique ne compte pas)…. Lorsque B. Sansal évoque la confiscation de l’Histoire par le FLN, il peut étendre sa réflexion à
la France ! Pour nous, Français de là-bas, c’est encore plus simple :
nous avons compté pour zéro dans les décisions du politique, et historiquement
on nous a déjà rayé de l’Histoire. Jacques Soustelle avait nommé cela un ethnocide…
Remercions
tout de même France-Culture de nous avoir épargné le « spécialiste-de-la-guerre-d’Algérie »
qui remplit habituellement de ses prétentieuses péroraisons ses émissions
historiques, et que tout le monde aura reconnu. Et laissons Boualem Sansal, encore lui, tirer de tout cela une conclusion
désabusée : Les guerres, a-t-il déclaré, ne
finissent jamais…
M. Lagrot
Responsable CVR
Hyères le 4/8/2011